lundi 3 novembre 2014

Hong Kong : La révolution des parapluies

« Le mouvement ne peut se limiter au suffrage universel, mais doit lutter pour le socialisme »



Le mouvement appelé “révolution des parapluies” à Hong Kong a pris toute cette ville de sept millions d'habitants, plaque tournante du capitalisme et de la finance mondiales. Cela faisait 25 ans que le régime chinois n'avait pas été confronté à pareil mouvement – la plus grande contestation de la dictature du PCC depuis l'occupation de la place Tiananmen, réprimée dans le sang et la terreur en 1989. 

Si les revendications principales de ce mouvement visent à plus de démocratie, il exprime en même temps un profond mécontentement par rapport aux inégalités criantes dans une ville où un habitant sur sept est un millionnaire, alors qu'une personne sur cinq vit dans une infâme pauvreté. C'est le même malaise qui touche en réalité l'ensemble de la Chine ; mais il n'y qu'à Hong Kong qu'il peut s'exprimer ouvertement, vu la garantie de droits démocratiques dans cette “Région administrative spéciale”, ancienne colonie britannique rendue à la Chine il y a à peine 15 ans. 

Quels sont les enjeux de ce mouvement ? Quelles tactiques adopter ? Quels sont les différents groupes qui y interviennent ? À quoi devons-nous nous attendre à la suite de ce mouvement, et à quoi devons-nous nous préparer ? Ce sont ces diverses questions auxquelles le présent article tente d'apporter une réponse.

Interview de notre camarade chinois Dikang parue dans le journal de la section suédoise du CIO, “Offensiv”.


Cela fait un peu plus d'un mois à présent que la « révolution des parapluies » pour la liberté d'élections a fait irruption. Les occupations de masse, les étudiants en grève, la violence policière, ont fait la une des médias du monde entier. Des messages de solidarité sont arrivés de tous les coins du monde, en particulier de la part de travailleurs et de jeunes, dont un grand nombre de sympathisants et de militants du CIO. La situation est en ce moment toujours dans l'impasse ; le gouvernement hongkongais non élu se contente d'attendre et préfère jouer la carte de l'épuisement, tandis que la police et les milices, soutenues par les tribunaux, tentent une « tactique du saucisson » pour tenter de briser les occupations et dégager les routes une par une.

(Ancienne colonie britannique rétrocédée à la Chine en 1997, Hong Kong demeure radicalement différente du reste de la République populaire de Chine. Une loi fondamentale particulière détermine son régime politique en tant que « Région administrative spéciale ». Elle obéit ainsi au principe « un pays, deux systèmes », qui permet à Hong Kong de conserver son système légal, sa monnaie, son système politique, ses équipes sportives internationales et ses lois sur l'immigration. Notamment, les Chinois de « Chine » doivent avoir un visa pour se rendre à Hong Kong, tandis que l'accès y est libre pour les Occidentaux.)

La tactique adoptée par le régime du parti “communiste” chinois (PCC) est de faire comme si de rien n'était face à un mouvement qui représente la plus grande opposition à son pouvoir depuis 25 ans. Cela est en partie du fait que le comité central du PCC se réunit en ce moment pour sa quatrième assemblée plénière à Beijing, au cours de laquelle de nouveaux signes de division au sein du régime pourraient apparaitre, deux ans après l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

Sous Xi, on a vu se développer une purge sans précédent parmi les sommets de la hiérarchie au nom de la lutte contre la corruption, dont le dossier le plus important est le procès imminent de l'ancien chef de la sécurité, Zhou Yongkang. Cette campagne “anti-corruption” risque de plus en plus de provoquer une riposte de la part des factions rivales, qui ont toutes leurs intérêts dans le partage du gros gâteau qu'est l'économie chinoise. Le conflit interne autour de la quatrième assemblée plénière est une des raisons pour lesquelles le régime de Beijing a préféré jusqu'ici éviter toute confrontation directe avec les manifestants de Hong Kong.



Quelles sont les principales leçons à tirer de la “révolution des parapluies” ?

Tout d'abord, qu'un véritable mouvement tel que celui-ci, avec des centaines de milliers de participants, est toujours plus riche, plus créatif, que même les socialistes peuvent l'imaginer. Nous avions prédit qu'un mouvement allait éclater, ce qu'apparemement ni le gouvernement ni personne d'autre n'avait prédit. Cela fait déjà un certain temps que la section hongkongaise du CIO, Socialist Action, a remarqué et dit que la situation à Honk Kong devient de plus en plus explosive. On y voit le plus grand fossé entre riches et pauvres de toute économie avancée. Alors qu'une personne sur cinq vit dans la pauvreté, une récente enquête a révélé que 41 milliardaires ont une richesse égale à 74,4 % du PIB hongkongais. Le seul pays au monde à avoir une telle concentration des richesses est le Swaziland. Les prix des appartements sont les plus élevés du monde. La plupart des jeunes qui se battent sur les barricades savent qu'ils ne pourront jamais quitter le domicile familiale avant d'avoir 40 ans !

Le blocage de la lutte pour la démocratie et le refus de toute concession de la part du régime du PCC a agi comme une étincelle jetée dans ce cocktail explosif. Les Hongkongais ont le droit de voter pour seulement la moitié des députés au parlement, mais pas pour le gouvernement : celui-ci est formé par le PCC.

(De plus, les candidats sont soigneusement triés par le régime : en ce qui concerne le Chef de l'exécutif, c'est un comité composé de 1200 notables, acteurs économiques et membres de la société civile qui le nomme. Selon la soi-disant réforme électorale proposée par le régime, et qui a été l'élément déclencheur du “mouvement des parapluies”, ce comité devra désormais proposer 2-3 candidats qui doivent « Aimer le pays et aimer Hong Kong » – c.à.d., ne pas avoir la moindre critique envers le régime chinois –, qui devront ensuite se faire élire par la population. D'autre part, la moitié des députés au parlement hongkongais ne sont pas élus par la population, mais par diverses chambres de commerce, corps de métiers et associations patronales.)

Les précédentes actions, dont certaines manifestations de masse, n'ont rien obtenu à cause de la politique suivie par les dirigeants bourgeois du mouvement pro-démocratie. Ceux-ci insistent sur le fait que le mouvement « ne concerne que Hong Kong », parce qu'ils ne veulent pas effaroucher Beijing en faisant un lien entre le manque de démocratie à Hong Kong et l'absence de toute démocratie encore plus flagrante dans le reste de la Chine. C'est un peu comme si on pouvait avoir des places fumeurs et des places non fumeurs l'une à côté de l'autre dans un avion – c'est quand même le même air qu'on respire ! Le PCC peut être combattu à Hong Kong, mais ce n'est qu'en Chine qu'il peut être vaincu. De plus, ces dirigeants appellent à la “démocratie” capitaliste, mais refusent de comprendre que le capitalisme ne veut pas de la démocratie ni à Hong Kong, ni en Chine. Les capitalistes mangent ensemble avec la dictature. Ils craignent que toute “réforme” démocratique n'ouvre les portes à de plus en plus de revendications, ce qui menacerait la dictature mais aussi le capitalisme en Chine. Le Chef de l'exécutif de Hong Kong, M. Leung, a d'ailleurs récemment confirmé cette crainte en déclarant que « Si nous avions la démocratie, le pouvoir appartiendrait aux pauvres » ! Un haut cadre du PCC, M. Wang Zhenmin, surenchérit en disant : « En cas de suffrage universel, le capitalisme hongkongais cesserait de fonctionner » !

Vu qu'une immense part du système capitaliste mondial dépend à présent de l'économie chinoise, le régime se sent assez fort que pour pouvoir refuser toute concession. Il apparait fort, mais en réalité il ne l'est pas. Il est profondément divisé en interne, et craint que sa survie ne soit menacée – un autre facteur que les démocrates bourgeois ne comprennent pas.

Beaucoup de manifestants réclament la démission
du Chef de l'exécutif, M. Leung

Quelles sont les forces en présence dans le camp pro-démocratie ?


Le mouvement de masse est composé de nombreuses couches différentes. Il y a des jeunes, des vieux… La majorité d'entre eux n'est membre d'aucun parti politique. Les principaux partis démocratiques qui siègent dans le faux parlement hongkongais (où seulement la moitié des députés sont élus) ne font que représenter différentes nuances de libéralisme. Il y a aussi des groupes qui sont franchement d'extrême-droite. Le Parti démocrate et autres politiciens “modérés” sont pour trouver des compromis avec le régime et pour une approche pas-à-pas. Mais cela fait 30 ans qu'ils suivent cette ligne et elle ne les a jamais menés nulle part. C'est d'ailleurs la raison qui explique l'irruption de la “révolution des parapluies”. Ce mouvement est apparu non grâce à mais malgré ces “dirigeants” pro-démocratie, qui se sont retrouvés complètement mis de côté.

Il y a aussi le mouvement “Occupy Central” (OC), qui malgré son nom n'a pas joué le moindre rôle dans le mouvement de masse mais a au contraire tout fait pour l'empêcher. OC proposait une occupation “symbolique”, qui ne durerait que cinq jours avant que les participants n'aillent se rendre d'eux-mêmes à la police. Ses dirigeants ont reporté encore et encore la date de lancement de l'occupation – de plus d'un an. Au final, ce sont les jeunes, en particulier les étudiants et lycéens qui ont lancé une grève d'une semaine, avant de décider qu'ils en avaient marre d'attendre ces soi-disant “dirigeants” et sont partis dans la rue.

Les actions que l'on voit aujourd'hui n'auraient jamais pu se développer avec la même taille et la même audacité si l'on avait attendu les mots d'ordre de ces dirigeants. Les dirigeants de OC appelaient les manifestants à rentrer chez eux dès la première journée du 28 septembre, lorsque les premières bombes lacrymos sont tombées. Ils ont ensuite à de nombreuses reprises répété cet appel à abandonner le mouvement. Mais ils ont aussi admis ne pas pouvoir le contrôler.

Hélas, même alors que ces dirigeants sont complètement marginalisés, leurs idées confuses et inconsistantes sont toujours largement répandues, notamment sur des questions de comment s'opposer à la dictature et de quelles revendications mettre en avant. C'est parce que ces idées n'ont pas été opposées ni remplacées par une alternative claire. Il y a un vide d'idées politiques, tandis que l'on mise tout sur l'“action”. Bien sûr, l'action est importante. Mais de nombreux manifestants se concentrent uniquement sur cela et sous-estiment l'importance des idées – de la nécessité de débattre d'une stratégie claire pour la victoire du mouvement. Beaucoup déclarent héroïquement qu'« il faut se lever », mais en même temps c'est parce qu'ils ne croient pas que le régime chinois puisse être battu, ni qu'il puisse se voir contraint de changer sa position par rapport aux élections à Hong Kong. C'est ce manque de programme et de méthodes que Socialist Action tente de combler par sa participation au mouvement de masse.

Les parapluies sont devenus une arme contre les attaques de la police

Quelle est la situation en ce moment, et quelle sera la suite des évènements ?


La situation change de jour en jour, avec des revirements soudains qui peuvent influencer la direction générale. Les occupations ont tenu trois semaines, malgré tous les efforts du gouvernement pour les briser en usant de la violence policière mais aussi en envoyant des groupes de criminels attaquer le mouvement. Cette stratégie de répression s'est en réalité retournée contre le régime : elle ne fait qu'indigner la population, et pousser de plus en plus de gens à rejoindre le mouvement. Le 18 octobre, nous avons obtenu une grande victoire à Mong Kok, un quartier populaire dans lequel Socialist Action est actif. La police avait lancé un raid, chargeant le camp des manifestants avec des bulldozers et des grues pour nettoyer les barricades et les tentes. Mais le même soir, plus de 10 000 personnes sont revenues pour reconstruire les barricades et forcer la police à reculer. Cela a causé de nombreux blessés, vu que la tactique employée par la police devient de plus en plus dangereuse. Les journalistes sont attaqués et arrêtés par la police – il s'agit d'une tactique délibérée de la part du gouvernement pour empêcher toute couverture médiatique de l'intérieur du mouvement.

Après de tels exemples héroïques d'action de masse, il nous faut poursuivre sur notre lancée en construisant une véritable organisation coordonnée à la base. Nous appelons à la formation de comités d'action à fonctionnement démocratique pour défendre les camps d'occupation. Malheureusement, cet appel n'a toujours pas porté ses fruits. Il n'y a aucune direction ni organisation coordonnée du mouvement. Il est toujours difficile de faire tenir un mouvement d'occupation sur le long terme, du fait que les participants finissent à un moment par s'épuiser et leur nombre par décliner. C'est également pour cela que nous insistons sur le fait que le mouvement doit appeler à la grève générale, à commencer par une grève de 24 heures, de tous les travailleurs et de tous les étudiants.

Les camps d'occupation de Hong Kong sont admirés pour leur ordre
et leur discipline exemplaires

Allons-nous à présent vers moins ou vers plus de liberté à Hong Kong ?


Cela dépend de la manière dont la lutte va se développer. Il ne fait aucun doute que le régime du PCC et son gouvernement fantoche à Hong Kong veulent limiter les droits démocratiques, interdire les groupes politiques les plus “radicaux”, et truquer les prochaines élections législatives afin d'affaiblir l'opposition. Ils aimeraient également instaurer à Hong Kong l'article 23, une loi sécuritaire répressive qui limite le droit de manifester et fait de toute critique du PCC un acte criminel. Si cet article était adopté à Hong Kong, le CIO serait donc interdit en tant que groupe criminel – comme il l'est dans le reste de la Chine.

Mais même si le mouvement actuel ne parvient pas à obtenir une victoire et commence à s'épuiser, il n'est pas certain du tout que le gouvernement parvienne à accomplir ce plan antidémocratique. Il va essayer, mais il sera confronté à une résistance. Cette lutte a radicalisé et enragé des centaines de milliers de personnes, surtout des jeunes. La police est à présent tout aussi détestée que les bandits avec qui elle collabore pour réprimer le mouvement. On entend partout les manifestants crier « Police – criminelle ! ».

Le scénario le plus probable est que quel que soit le résultat immédiat de cette lutte, nous sommes entrés dans une période de crise politique et gouvernementale prolongée, au cours de laquelle de nouvelles irruptions de masse sont très possibles.

Le régime chinois envoie la pluie sur les manifestants.
Il faut construire une alliance entre le mouvement à Hong Kong
et les indignés de toute la Chine !

Quel est le rôle joué par le CIO dans cette lutte ? Quelles sont les difficultés auxquelles nos militants y sont confrontés ?


Il s'agit d'un mouvement extrêmement complexe, composé de nombreuses couches antagonistes. Alors que le mouvement est attaqué par la police et les bandits, il y a aussi des dangers provenant de l'intérieur du mouvement. Ces dangers incluent le défaitisme propagé en permanence par les dirigeants de OC et l'aile “modérée”, mais aussi la présence des “nativistes” d'extrême-droite qui dénoncent les politiciens modérés de manière grossière bien que populaire, tout en propageant un discours raciste anti-chinois et en attaquant les militants de gauche. Il y a donc certaines caractéristiques “ukrainiennes” à la lutte actuelle, bien qu'heureusement, pas de manière aussi forte qu'en Ukraine.

Les nativistes sont très visibles lors des occupations, surtout au camp de Mong Kok, qui est perçu comme un camp très radical et “anti-direction” comparé au camp principal près des bâtiments de l'administration à l'Amirauté. Les nativistes utilisent le sentiment pro-indépendance de manière populiste, mais n'ont aucune stratégie pour obtenir cette indépendance. Certains d'entre eux ont des illusions vis-à-vis de l'impérialisme occidental. Mais leur point commun est de refuser tout lien avec le reste de la Chine, comme si le mouvement à Hong Kong seul pouvait suffire à vaincre le régime.

Les nativistes insultent et attaquent régulièrement les militants de Socialist Action. Ils encerclent nos tables et jettent notre matériel par terre, chahutent nos discours et font circuler des menaces contre nous sur les réseaux sociaux. Lorsque nos camarades ont été attaqués par des bandits à la solde du gouvernement, les nativistes les ont rejoints et encouragés à dégager notre table. Nous avons produit des tracts afin de dénoncer leurs idées et méthodes, et nous avons tenu bon. Dans certains cas, nous sommes parvenus à les diviser et à retourner la foule contre eux. Dans la lutte actuelle, ils ont d'une certaine manière été démasqués en tant que “faux radicaux” – lors de la grande attaque policière sur Mong Kok le 18 octobre, ils avaient mystérieusement disparu, laissant à d'autres la défense du camp. Tout cela fait que de plus en plus de gens soupçonnent les groupes nativistes d'être infiltrés par des agents du régime.

Les « nativistes » qui viennent aux manifestations avec des drapeaux
britanniques et qui appellent à se séparer de la Chine ne font que décrédibiliser
le reste du mouvement

Socialist Action est le seul groupe politique qui lie la lutte pour la démocratie à la lutte contre le capitalisme. Pour nous, il ne s'agit pas seulement d'une “bonne idée”, mais de la seule manière de faire triompher la lutte pour la démocratie. Non seulement parce que les capitalistes soutiennent la dictature, mais aussi parce que le mouvement qui doit se développer pour renverser le régime ne pourra pas se limiter au “suffrage universel” mais devra également chercher une solution socialiste afin de révolutionner le système économique responsable de la pauvreté et de l'exploitation. Socialist Action est le seul à dire que la “révolution des parapluies” doit se propager à toute la Chine.


Notre rôle est de tracer la route pour aller de l'avant, de proposer notre analyse et nos mots d'ordre de lutte, afin d'éviter que ne soient commises des erreurs susceptibles de faire dérailler le mouvement. En même temps, la gauche ne forme encore aujourd'hui qu'une minorité du mouvement. La classe des travailleurs n'est pas encore une force organisée et consciente – bien que de nombreux travailleurs aient rejoint le mouvement. Il faut que les socialistes, que le CIO, se construisent et occupent une place plus grande ; par conséquent, en plus de construire et de politiser la lutte de masse, comme avec par exemple le rôle crucial que nous avons joué dans la grève des lycéens, nous devons recruter de nouveaux camarades pour pouvoir grandir. C'est là la meilleure façon de garantir que les vagues de la lutte future trouvent une prise plus stable et plus sure.

La table du CIO dans le mouvement à Hong Kong

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