mercredi 8 février 2017

Soudan : trois jours de « ville morte » contre le régime el-Béchir

Intensifier la lutte pour renverser ce régime d'oppression


Avec les trois journées de « désobéissance civile » organisées du 27 au 29 novembre 2016 via un appel de simples citoyens sur les réseaux sociaux, les rues et places de toutes les grandes villes du Soudan ont été désertées par leur trafic habituel. Selon les rapports qui nous parviennent des camarades du CIO au Soudan, les universités, les écoles, les marchés, les transports et de nombreuses entreprises, et même les maquis, les boutiques et les restaurants sont restés fermés. Malgré les menaces proférées par le régime autocratique d'Omar el-Béchir et la tactique d'intimidation employée par ses forces de sécurité, cette véritable grève générale nationale a été un grand succès.

– rapport de terrain datant du 30/11/2016, sympathisants du CIO au Soudan

Les derniers rapports nous parvenant du Soudan mentionnent une hausse de la violence d'État. Les brigades anti-émeutes bombardent les manifestants de lacrymos à Omdurman, chassent les femmes qui ont pris d'assaut les rues de Khartoum, encerclent le siège du Parti communiste soudanais dans la capitale.

La fameuse « goutte d'eau qui a fait déborder le vase » a été l'annonce de nouvelles coupes des subsides d'État par le gouvernement le 3 novembre, ce qui, pour de nombreux Soudanais pauvres, représente un enjeu vital, la seule chose qui leur évite de tomber dans la maladie et la famine. Les autorités ont annoncé une hausse de 30 % du prix de l'essence et de l'électricité, ce qui a pour effet d'entrainer la hausse des prix de tous les autres produits, y compris la nourriture et les médicaments. La décision de la Banque centrale du Soudan de déréguler les taux de change pour le dollar états-unien pour l'importation des médicaments n'a fait que renforcer encore cette hausse qui était pourtant déjà bien suffisante. Selon les pharmaciens, les prix se sont ainsi accru de 150 à 300 %. C'est ce qui les a poussés à partir en grève il y deux semaines pour protester contre cette décision qui a des conséquences tragiques pour les pauvres et les malades.

Toutes ces coupes budgétaires font partie d'un plan de mesures d'austérité plus large, « recommandé » par le Fonds monétaire international (FMI). Dans son dernier rapport sur le Soudan, le FMI déclare la nécessité selon lui de « limiter les dépenses sur les marchandises et les services », dans un pays où la moitié de la population vit déjà sous le seuil de pauvreté. On lisait dans le même rapport que les autorités soudanaises se sont « engagées à renforcer la coopération avec le FMI concernant la politique à appliquer et les paiements ». Toute l'ironie se trouve dans le fait qu'il s'agit d'un régime ayant depuis longtemps pris pour habitude de dénoncer toute « ingérence occidentale » et qui, aujourd'hui, se met à plat ventre devant les exigences d'austérité du FMI. Pendant ce temps, les sanctions imposées par les États-Unis continuent à paralyser l'économie du pays, tandis que les hauts cadres du régime et la classe capitaliste soudanaise poursuivent leur mode de vie exubérant comme si de rien n'était.

La colère de la population va bien plus loin que le seul problème de la cherté de la vie. Les conditions de vie empirent avec la hausse du chômage et de la pauvreté, tandis que la corruption insensée de la classe dirigeante et la répression systématique de toute liberté démocratique suscite aussi énormément de frustrations. Ces dernières semaines, les travailleurs de la santé ont organisé une grève de plusieurs jours pour protester contre l'effondrement du système des soins de santé. Alors que le niveau de vie de la population ne cesse de décroitre, une grande partie des dépenses d'État est gaspillée par l'appareil sécuritaire et militaire, dont le but est de protéger les dirigeants et de perpétuer un état de guerre permanente dans les régions des monts Nuba, du Darfour, du Sud-Kordofan et du Nil bleu.

Omar el-Béchir, arrivé au pouvoir en 1989 par un coup d'État

Les femmes soudanaises, qui connaissent la plus grande oppression et qui sont les premières à souffrir, ont montré la voie en bravant la police et en organisant de nombreuses marches dans différentes villes ; avec la jeunesse, elles se sont particulièrement impliquées dans la préparation clandestine de la récente vague de désobéissance civile nationale, en contribuant à la réalisation d'affiches, de slogans, etc. 

Les réseaux sociaux ont eux aussi été un outil très utile pour de nombreux militants soudanais et pour la population afin de contourner le blocus imposé par les médias pro-régime. Un groupe Facebook intitulé « Soudan : Désobéissance civile le dimanche 27 novembre 2016 » a gagné 150 000 membres en à peine quelques jours. Le lundi 28 novembre, les services de sécurité du régime ont fermé une station de télévision ainsi que trois journaux qui avaient publié des reportages sur la lutte populaire. Pendant ce temps, des dizaines de gens étaient arrêtés.

Tout cela trahit la nervosité du régime. Un porte-parole du gouvernement disait, avant le début de la grève : « Nous avons confiance en notre population qui refusera de répondre à ces appels ». Le mardi, le président el-Béchir déclarait que la grève a « échoué d'un million de pourcents ». Cependant, l'attitude du gouvernement et des forces étatiques tout au long de ces trois jours montre une toute autre histoire. Le 26 novembre, le ministre de la Santé a limogé le secrétaire général du Conseil pharmaceutique soudanais avant de revenir sur certaines décisions concernant la libéralisation du prix des médicaments : on voit donc que même avant que la grève ne commence, le gouvernement était déjà pris de panique.

La grève des docteurs qui a précédé l'opération « ville morte » de novembre

Des failles ont commencé à s'ouvrir au sein de l'appareil d'État : certaines factions des forces armées et de la police ont critiqué le gouvernement et annoncé soutenir les revendications populaires. Il s'agit d'une évolution très importante de la situation, qui suggère que le régime, sous sa forme actuelle, pourrait bien se trouver au bord de l'implosion.

Les grèves générales au Soudan sont toujours prises au sérieux, étant donné le caractère insurrectionnel des deux grèves de 1964 et 1985 qui ont toutes deux permis au mouvement des travailleurs de renverser tour à tour la dictature du général Ibrahim Abboud et celle du général Jaafar Nimeiri. Le caractère particulier des trois dernières journées de « désobéissance civile » a été que ce mouvement est le fruit d'un appel anonyme par des militants sur les réseaux sociaux. Le but était une journée « ville morte » lors de laquelle on appelait la population à rester à la maison. Même si une telle méthode de lutte a forcément ses limites, la manière dont elle s'est développée témoigne de manière flagrante du profond discrédit du régime actuel.

Cette forme d'action découle des conditions actuelles des masses soudanaises, qui ne possèdent pas la moindre organisation capable de mener une activité syndicale indépendante, vu que la Fédération syndicale des travailleurs du Soudan est entièrement dirigée par l'État. Les partis d'opposition bourgeoise, quant à eux, évitent de mobiliser la classe prolétaire, et beaucoup de gens ont peur de manifester ouvertement, d'autant plus que le régime a bien fait comprendre qu'il n'hésiterait pas à abattre les manifestants. En 2013, une longue vague d'actions anti-régime, qui a duré plusieurs mois, a provoqué une féroce répression de la part de l'État, qui n'a pas hésité à recourir à la torture, aux « disparitions » et à l'assassinat de 200 personnes par les forces du régime ou des milices à sa solde. Dans ce contexte de massacre, le peuple a préféré recourir à des méthodes pacifiques mais non publiques, puisque cela semble la seule option qui lui reste.

Toutefois, il est important que la réussite de ces trois jours de grève nationale soit suivie par une nouvelle phase d'actions afin d'intensifier la pression sur le régime et de s'assurer que la grève ne perde pas son élan. Le 30 novembre, les avocats manifestaient devant la Cour nationale contre les violations des droits de l'homme et annonçaient vouloir défendre gratuitement les mineurs arrêtés lors de la vague de répression étatique. D'autres couches des travailleurs et de la jeunesse ont une grande soif d'action ; selon des rumeurs, on parlerait d'une nouvelle grève générale illimitée en décembre.

Action contre la suspension des journaux qui ont couvert la grève

Les millions de Soudanais qui ont soutenu les trois jours de « ville morte », activement ou non, doivent pouvoir trouver une manière de se rassembler, de discuter et de s'organiser pour faire progresser la lutte. L'idée d'une « grève à domicile » a pris le régime par surprise car elle a empêché l'État et ses services de sécurité d'employer leurs méthodes de répression habituelles pour faire taire les protestations. Cette grève a permis à la population de s'exprimer malgré sa crainte du régime. Mais elle offre aussi des inconvénients : notamment, celui de maintenir les gens isolés les uns des autres. Une telle action n'offre pas la possibilité de débattre collectivement des méthodes à employer pour combattre le régime et pour opérer une démonstration de force qui aurait un impact net. Twitter et Facebook sont des outils certes très pratiques, mais qui ne permettent pas un véritable échange d'expériences politiques et un renfort de la conscience du peuple comme c'est le cas lors des marches, des barrages et des assemblées de quartier ou d'entreprise. Le régime peut d'ailleurs à tout moment décider de nous couper l'accès à l'internet, comme il l'a déjà fait.

C'est pourquoi il est important que les militants anti-régime cherchent une manière de pouvoir se réunir dans les entreprises, les écoles, les universités et les quartiers, en appelant par exemple à la tenue d'assemblées, où ils pourraient discuter de nouveaux plans d'action : grèves, barrages, occupations et élire en leur sein des comités chargés de coordonner ces actions. À certains endroits, ces assemblées et comités devront être organisés de manière clandestine, mais il s'agit d'une étape nécessaire pour pouvoir rassembler l'énergie et la colère populaires afin de pouvoir les canaliser en une force collective. De même, il est crucial de mener des débats sur la meilleure manière de s'organiser contre la répression du régime. Des comités d'autodéfense pourraient être créés par les travailleurs, les étudiants et les pauvres dans les quartiers, pour préparer leur défense contre les attaques par les miliciens et la police du régime. En réalité, les simples policiers et les simples soldats ont plus en commun avec le peuple qu'avec l'État ou avec les officiers qui les envoient nous réprimer. Beaucoup d'entre eux sont en réalité favorables au mouvement : un appel clair envers ces couches de la population pourrait renforcer leur volonté d'éviter la violence contre leurs frères et sœurs de classe et contraindre le régime à l'isolation afin de précipiter sa chute.

Une majorité des Soudanais sont vraiment fatigués d'el-Béchir et de son règne corrompu et brutal qui dure depuis 27 ans. Il est clair que ce régime doit tomber ; cela pourrait être grandement facilité par une nouvelle grève générale de masse qui serait bien préparée. Cependant, l'expérience du « Printemps arabe » montre que même lorsque les vieux dictateurs détestés quittent le pouvoir, la classe dirigeante contrerévolutionnaire tentera tout pour tenter de maintenir en place son système d'exploitation et de profit – le capitalisme. C'est pourquoi les travailleurs et les pauvres du Soudan doivent se préparer à une lutte dans la durée.

Pour pouvoir continuer, la grève doit être organisée par des assemblées et
la mise en place de comités d'action, notamment au niveau des entreprises

Il faut tirer les leçons de ce qui s'est passé en Égypte où, 18 mois après la chute de Moubarak, le général al-Sissi a mis en place un nouveau régime autoritaire, plus dur encore que celui qui avait été renversé par la révolution. Pour éviter que cela n'arrive au Soudan, les travailleurs et les pauvres doivent se baser sur leurs propres forces et leurs propres organisations pour établir leur propre régime démocratique et faire appel à la solidarité des masses d'Afrique et du monde entier. Le Comité pour une Internationale ouvrière (CIO) exprime quant à lui sa pleine solidarité avec la lutte du peuple soudanais.

Les sympathisants du CIO au Soudan sont actifs sur le terrain et désirent contribuer au programme et à la stratégie qui sont nécessaires pour en finir avec le régime et pour la construction d'une nouvelle société basée sur une vraie démocratie, la justice sociale et la paix. Nous sommes convaincus que la formation d'un parti de gauche, implanté dans les entreprises, dans les écoles et dans les quartiers, et armé d'un programme socialiste visant à la nationalisation et la planification démocratiques des ressources nationales est nécessaire pour jouer un rôle moteur dans la victoire de notre lutte révolutionnaire.

  • Non à la hausse des prix : rétablissement de tous les subsides d'État !
  • À bas les sanctions économiques contre le Soudan : non aux plans du FMI, aucune confiance dans les puissances occidentales !
  • À bas la dictature : liberté d'expression et de réunion, libération de tous les prisonniers politiques !
  • Construisons et renforçons des comités d'action et d'autodéfense dans chaque quartier, école et entreprise ; formation de comités parmi les soldats et policiers anti-régime pour désarmer les officiers et rejoindre la lutte populaire !
  • Organisation d'une grève générale de masse bien préparée pour la chute du régime !
  • Construction d'un parti pour unifier et organiser les travailleurs, les étudiants, les sans-emplois et les pauvres !
  • Aucune confiance dans les cadres de l'ancien régime, non à tous les arrangements gouvernementaux et « transitions » imposés au peuple soudanais sans leur consentement démocratique !
  • Élections libres de délégués issus des comités populaires pour une assemblée constituante révolutionnaire !
  • Pour un gouvernement socialiste démocratique des travailleurs et des pauvres !
  • Récupérer la richesse du pays pour en faire bénéficier le peuple : nationalisation, sous contrôle démocratique, des grandes entreprises, des banques et des grandes propriétés terriennes !
  • Pour une solidarité internationale des travailleurs !



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire