mercredi 11 octobre 2017

Ernesto « Che » Guevara

50 ans après la mort du grand combattant socialiste révolutionnaire


Cinquante ans après sa mort, l'image du Che est toujours aussi connue pour la plupart des gens. Si beaucoup de gens arborent son image par simple effet de mode, pour d'autres (les plus nombreux), il s'agit d'une véritable déclaration politique, d'une commémoration du souvenir du Che en tant que symbole de lutte, de courage, d'internationalisme, en vue du combat pour un monde meilleur, un monde socialiste.

Tony Saunois, SG du CIO international, 09/10/2017


Comme nous l'écrivions en 2007, c'est à juste titre que Che Guevara reste perçu, aujourd'hui encore, comme un combattant révolutionnaire honnête et dévoué.

« Tire donc, lâche, ce n'est qu'un homme que tu vas tuer ». Tels auraient été les dernières paroles de défi prononcées par Che Guevara avant son exécution, le 9 octobre 1967 en Bolivie. Il avait 39 ans. Si Felix Rodriguez, le conseiller de la CIA dépêché auprès de l'armée bolivienne, responsable de son exécution, pensait que tuer le Che lui permettrait également d'enterrer son charisme et son aura, il s'est trompé !

En ce jour anniversaire de l'exécution du Che, il nous revient de saluer sa lutte contre l'oppression, tout en tirant des leçons de ses expériences, en analysant les aspects positifs mais aussi les erreurs qui ont été commises. Cela est en effet on ne peut plus important pour la lutte que mènent les prolétaires d'Amérique latine et du monde entier.

Il ne fait aucun doute qu'Ernesto Rafael Guevara, étudiant en médecine originaire d'Argentine, aurait pu s'assurer une vie bien plus confortable que celle qu'il a choisie. Mais comme les meilleurs éléments issus de la classe moyenne de gauche radicale, il a préféré tourner le dos à ce confort pour se consacrer à une vie de combat contre le capitalisme.

C'est au cours de ses deux célèbres voyages à travers le continent sud-américain en 1952 et 1953-4, décrits dans le livre et le film Carnets de voyage, qu'Ernesto a été témoin d'une grande misère mais aussi de nombreux combats, ce qui l'a convaincu de participer à la lutte politique.

Lors de ses voyages, il a rencontré des socialistes du Pérou, des mineurs de cuivre communistes au Chili, a participé à la magnifique révolution bolivienne et à toute une série d'autres mouvements. Il a notamment été fortement ébranlé par son séjour au Guatemala, avec notamment les nombreuses luttes menées sous le gouvernement de gauche populiste radical de Jacobo Árbenz.

Árbenz avait tenté d'introduire toute une série de réformes sociales relativement limitées dans son pays, mais sans rompre décisivement avec le capitalisme. Il s'était alors retrouvé coincé, ce qui avait donné le temps à la contrerévolution de s'organiser pour préparer son renversement. Árbenz a refusé d'armer les masses, préférant s'en remettre aux forces armées « loyales à la constitution démocratique ». Il a finalement été évincé par un coup d'État soutenu par la CIA.

Suite à son expérience au Guatemala et aux discussions qu'il avait sur Cuba, Che voyait d'un mauvais œil les partis communistes, dont il trouvait l'approche trop « conservatrice » et « orthodoxe ». En réalité, ces partis n'avaient pas pour objectif de lutter pour le socialisme, mais de renforcer tout d'abord la « démocratie parlementaire », de développer l'industrie et l'économie nationales et de passer par un stade de développement capitaliste avant d'envisager une éventuelle prise de pouvoir par la classe ouvrière.

De ce fait, dans de nombreux pays, le mouvement prolétarien était paralysé et désarmé. Che a rejeté cette approche, même si lui-même n'avait pas d'alternative bien concrète à proposer. C'est inspiré par la lutte qui se développait contre le régime Batista à Cuba qu'il a rejoint le « mouvement du 26 juillet » au Mexique. Ce mouvement, qui tirait son nom d'une attaque (échouée) sur la caserne de Moncada le 26 juillet 1953 par Fidel Castro, était alors une organisation relativement large. Même si elle incluait aussi une aile démocratique libérale, Che y a émergé en tant que principal représentant des éléments les plus radicaux.

C'est le 2 décembre 1956 qu'un petit groupe mal organisé de 82 combattants, y compris Che Guevara et Castro, a débarqué sur l'ile de Cuba pour y entamer une rébellion qui allait durer deux ans, culminant avec la chute de la dictature de Batista et le début de la révolution cubaine.

Le rôle du Che était d'autant plus héroïque que, toute sa vie, il a lutté contre l'asthme. Chaque obstacle, chaque sacrifice, chaque effort nécessaire pour tenir bon pendant la guérilla était exacerbé par son état de santé. Seule sa détermination révolutionnaire lui a permis de surmonter sa maladie pour jouer un rôle décisif au cours de cette lutte.

La guerre progressait, avec des hauts et des bas, tandis que les rebelles bénéficiaient d'une sympathie croissante de la part des paysans. Dans les cités, la colère et la haine du régime Batista atteignaient également un point proche de l'explosion. Avec l'effondrement du régime, les rebelles sont entrés dans les villes du pays le 1er janvier 1959, accueillis par l'éruption d'une grève générale de masse.

Mais la manière dont s'était déroulée la lutte a fait que la classe prolétaire des villes s'était retrouvée cantonnée dans un rôle auxiliaire tandis que la rébellion jouait le premier rôle. L'absence d'un mouvement prolétarien organisé et conscient à la tête de la révolution n'a pas été sans conséquences.

Dans les premières heures de la révolution, après l'entrée de Castro et du Che à La Havane, la capitale, il était difficile de prévoir le cours qu'allaient prendre les évènements. Si le Che était un socialiste convaincu, Castro disait encore vouloir un capitalisme « humain », plus « libéral ».

Fidel Castro et Che Guevara

Le renversement du capitalisme

À partir de 1959, la révolution cubaine a continué à progresser à la suite d'une série d'interventions de la part des États-Unis, jusqu'à ce que, trois ans plus tard, le capitalisme soit aboli ainsi que le règne des grands propriétaires terriens.

Cela a été possible parce qu'il existait à l'époque une combinaison de facteurs qui favorisaient une telle orientation – et non des moindres, la pression massive de la part des prolétaires et des paysans. De son côté, l'impérialisme états-unien n'a même pas envisagé la moindre possibilité d'accepter le nouveau régime pour tenter de l'influencer ou de l'amadouer. Au lieu de ça, il a imposé un boycott de l'ile qui perdure jusqu'à aujourd'hui.

Un autre facteur crucial était l'existence, à l'époque, d'une série de pays fonctionnant sur base d'une économie planifiée centralisée, notamment l'Union soviétique et les États d'Europe de l'Est. Même si ces États étaient dirigés par d'impitoyables dictatures bureaucratiques, ils présentaient néanmoins une alternative au capitalisme.

C'est l'ensemble de ces facteurs qui a encouragé l'instauration à Cuba d'une économie planifiée centralisée. Cette énorme avancée sociale a eu un effet incroyable dans le monde entier. Che Guevara a joué un rôle important dans cette décision. Dès le début, il insistait sur le fait que la révolution allait devoir adopter une orientation plus « socialiste » et sur l'idée qu'elle allait devoir s'étendre à l'échelle internationale. Che a été un des principaux auteurs de la Deuxième Déclaration de La Havane, un texte qui continue à résonner aujourd'hui encore.

Ce texte répond entre autre à la question de savoir pourquoi les États-Unis ont réagi avec une telle fureur face à la révolution dans cette ile relativement petite :

« Les États-Unis et les classes dirigeantes craignent que les travailleurs, les paysans, les étudiants, les intellectuels et les couches progressives des classes moyennes puissent prendre le pouvoir par des moyens révolutionnaires … Il craignent que les populations du continent, dépouillées de tout, ne prennent les armes contre leurs oppresseurs et, comme à Cuba, ne déclarent la libération des peuples d'Amérique. »

Il ne fait aucun doute que le Che aspirait à une révolution socialiste internationale. Cependant, sa plus grande faiblesse – et la raison de sa tragédie – était son incompréhension de la manière dont cette révolution pourrait aboutir. Che était convaincu qu'une guérilla pourrait faire triompher la révolution socialiste. À ce stade, il n'avait pas encore compris le rôle central que doit jouer la classe prolétaire dans la transformation de la société.

Même dans des pays où la classe prolétaire des villes ne constitue qu'une minorité de la population, le caractère collectif de son action et de sa conscience, tiré des conditions sociales en vigueur dans les usines et les entreprises, fait de la classe prolétaire la force décisive pour pousser et diriger la révolution socialiste. C'est ce qui s'est passé en Russie lors de la révolution d'octobre 1917.

Dans la pratique, les classes capitalistes des pays néocoloniaux sont pieds et poings liées à l'impérialisme ainsi qu'à la propriété terrienne traditionnelle. Il ne faut donc pas s'étonner si ces capitalistes locaux ont, à de multiples reprises, démontré leur incapacité à développer l'économie et l'industrie, échoué à instaurer des États démocratiques stables ou à résoudre la question nationale. Ces tâches ont été résolues dans les pays capitalistes avancés (comme la France ou le Royaume-Uni) par les révolutions démocratiques bourgeoises.

Toutefois, à l'ère moderne, dans le monde néocolonial, ces tâches ne peuvent plus être résolues par les classes capitalistes de ces pays, amorphes, incultes et impuissantes. Pour les remplir, il faut, comme Trotsky l'a expliqué dans son célèbre ouvrage Bilans et Perspectives où il expose sa théorie de la « révolution permanente », une transformation socialiste de la société à l'échelle internationale.

Du fait de l'état avancé de dégénérescence du régime Batista et du vide politique que ceci avait ouvert à Cuba, la guérilla a pu y apparaitre comme une méthode valable pour faire progresser le mouvement. Mais en réalité, même à Cuba, alors que la guerre avait déjà été gagnée, il a fallu attendre l'éclatement de la grève générale pour que les rebelles puissent faire leur entrée à Santa Clara, à La Havane et dans les autres villes du pays.

Fort de l'expérience de Cuba, le Che a tiré la conclusion erronée qu'il pourrait répliquer cette même expérience en Afrique ou en Amérique latine. La situation dans ces autres pays était complètement différente ; la classe prolétaire s'y trouvait dans une position bien plus forte, avec plus de traditions révolutionnaires et une expérience de luttes bien plus riche. Son manque d'une conception ferme et consciente du rôle que doit jouer la classe prolétaire dans la révolution socialiste a certainement été la plus grande lacune politique de Che Guevara.

Le Che à la tribune de l'Assemblée générale des Nations-unies, 1964

Les acquis

Même aujourd'hui, alors que son économie est ravagée tant par la perte du soutien économique que lui conférait l'Union soviétique (depuis la restauration du capitalisme en Russie en 1993) que par le boycott imposé par les États-Unis, les acquis de la révolution cubaine restent visibles sous la forme d'un des meilleurs systèmes de santé du monde, entièrement gratuit pour tout un chacun. En l'espace de quelques années, l'analphabétisme a été éliminé. Avec un enseignant pour 57 habitants, Cuba reste le pays qui a le taux le plus élevé d'enseignants par élèves. On peut en dire autant concernant le nombre de médecins.

Aucun de ces acquis n'aurait été possible sans la révolution cubaine et la mise en place d'une économie planifiée. Le Comité pour une Internationale ouvrière soutient l'ensemble des acquis de la révolution cubaine. Cependant, en même temps, nous relevons le fait que la forme initialement prise par la révolution a eu des conséquences sur la nature du régime qui a été établi à Cuba.

Le gouvernement dirigé par Castro et par le Che après la révolution jouissait d'un incroyable soutien. Toutefois, le fait que la classe prolétaire n'était pas organisée pour diriger le processus révolutionnaire de manière consciente a eu pour effet qu'on n'a pas vu à Cuba l'instauration d'une véritable démocratie prolétaire et paysanne.

Bien qu'il existe des éléments de contrôle ouvrier dans les usines, il n'y a pas de véritable système de contrôle et de gestion démocratique par les travailleurs. Le résultat de tout ceci est qu'on a vu se développer un régime bureaucratique avec un commandement du haut vers le bas, sans que la base n'ait de contrôle sur l'appareil.

Le Che était par nature opposé à tout privilège pour les cadres du gouvernement. À Cuba, il se comportait de manière carrément brutale vis-à-vis des individus de son département qui réclamaient ne serait-ce que le moindre petit avantage.

Lors de ses voyages en Union soviétique et en Europe de l'Est, il a été dégouté par le train de vie luxueux qui était celui des bureaucrates et par le mépris dans lequel ceux-ci tenaient la classe prolétaire. Les caractéristiques bureaucratiques qui se manifestaient à Cuba l'énervaient chaque jour davantage.

À Moscou avec le dirigeant soviétique Nikita Khroushhov

À la recherche d'une alternative

Même s'il n'a jamais caché sa répugnance pour la dictature bureaucratique monstrueuse en Russie et en Europe de l'Est (qu'il lui arrivait même de qualifier en des termes extrêmement injurieux), Che Guevara n'a jamais développé une alternative claire par quoi la remplacer ni une manière de la combattre. Mais il ne fait aucun doute qu'il était bel et bien à la recherche d'une telle alternative. La bureaucratie soviétique a d'ailleurs fini par l'accuser de « trotskisme » !

Selon certains rapports, le Che avait avec lui en Bolivie une copie de La Révolution trahie de Trotsky dans son sac à dos. En fait, il avait déjà pu faire connaissance auparavant avec certains des écrits de Trotsky. Ricardo Napurí, un ancien officier de l'armée de l'air péruvienne connu pour avoir refusé de bombarder une insurrection de gauche en 1948, lui avait donné une copie de Bilans et Perspectives lorsqu'il l'avait rencontré à La Havane en 1959.

Par nature, Che était quelqu'un qui aimait discuter et analyser différentes idées et opinions. Malheureusement, même s'il avait pu lire certains des écrits de Trotsky avant sa mort prématurée, le Che n'avait pas tiré toutes les conclusions qui s'avéraient nécessaires pour l'élaboration d'une alternative cohérente et complète.

Cela nécessitait un gigantesque bond dans sa compréhension. Mais son isolement, le fait qu'il n'avait aucun contact avec l'extérieur, aucune possibilité de discuter et d'échanger des idées – contrairement aux militants actifs dans un parti – le fait qu'il n'avait aucune expérience révolutionnaire internationale plus large à partir de laquelle élaborer des conclusions, a rendu un tel bond extrêmement difficile.

Si Che avait vécu pour témoigner de luttes à plus grande échelle de la classe prolétaire (comme celles qui ont éclaté l'année 1968 partout dans le monde, un an après sa mort) et participer à de plus amples débats, il en aurait certainement tiré les bonnes conclusions.

Mais les lacunes dans la compréhension du Che ont eu des conséquences tragiques, non seulement pour sa propre vie, mais aussi parce qu'elles ont servi de justification pour le modèle erroné de la lutte par la guérilla. Néanmoins, ses traits positifs et son souvenir demeurent un symbole de sacrifice, de lutte incorruptible et inflexible qui reste aujourd'hui encore une importante source d'inspiration. Si nous tirons les leçons de ses erreurs, alors sa lutte déterminée pour une révolution socialiste internationale portera enfin ses fruits.

« Hasta la victoria siempre ! » – « Vers la victoire, toujours ! »

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