vendredi 29 juillet 2016

Royaume-Uni : La révolte par le référendum

L'élite capitaliste plongée dans un profond désarroi


Le vote pour quitter l'Union européenne a ébranlé l'ensemble des institutions capitalistes au Royaume-Uni et partout dans le monde. Il ne s'agit en fait que de rien d'autre qu'une nouvelle expression de la colère populaire face à la misère de masse et à l'austérité brutale, en plus d'un sentiment de révolte grandissante contre l'ensemble des élites. Et de nouvelles secousses vont encore se faire sentir sur le plan politique.

– analyse par Peter Taaffe, secrétaire général du Parti socialiste d'Angleterre et du pays de Galles et membre fondateur du CIO

Face à cette révolte populaire, les stratèges du capital ont été entendus se dire en privé : « Le peuple a parlé… ces salauds ! ». À la suite du référendum sur l'Union européenne, nous avons été témoins de cette démonstration publique de la fureur avec laquelle le « commentariat » bourgeois a exprimé tout son mépris à peine contenu envers tous ceux qui osent défier les grandes puissances en votant pour « quitter ». Polly Toynbee, écrivant dans le Guardian, a donné libre cours à sa rage contre tous ces électeurs « sans aucune éducation » qui se sont dressés en masse contre l'austérité. Donald Tusk, président du Conseil européen, a déclaré que la décision des Britanniques représente « le début de l'anéantissement non seulement de l'Union européenne, mais aussi de la civilisation politique occidentale » (Financial Times).

La victoire du « quitter » dans le référendum a déjà eu d'immenses répercussions sur l'avenir du Royaume-Uni, en particulier pour le mouvement syndical, au Royaume-Uni comme dans le reste de l'Europe. Le résultat du scrutin (52 % contre 48 %) représente fondamentalement une révolte essentiellement prolétarienne contre l'austérité et contre le gouvernement des millionnaires dirigé par David Cameron et George Osborne qui a dévasté le niveau de vie de la population dans toutes ses composantes.

Il est totalement erroné de tirer, comme l'ont fait certains groupes de gauche, la conclusion absolument pessimiste selon laquelle ce résultat ne serait qu'un « carnaval de réaction », qui va encourager les forces de droite en Europe et ailleurs. Il ne fait aucun doute que la droite européenne va tenter d'exploiter ce résultat en sa faveur. Mais la conférence du Bloc de gauche au Portugal qui a été organisée immédiatement après ce scrutin a montré que les représentants du mouvement syndical en Grèce, en France et en Espagne se sentent renforcés par le résultat du référendum.

Il n'est pas dit que la réaction, incarnée par des individus tels que Boris Johnson (l'ancien maire de Londres, conservateur et qui a fait campagne pour « quitter ») ou Michael Glove, gagnera automatiquement le pouvoir après la démission de Cameron, gagnant ainsi une position pour renforcer sa base et remporter les prochaines élections nationales. En réalité, la droite peut fort bien se retrouver vaincue. Encore la veille du référendum, les enseignants ont exprimé leur opposition aux plans du gouvernements concernant leur secteur en votant à 90 % le départ en grève à partir du 5 juillet. En fait, on voit une mini vague de grèves en train de monter au Royaume-Uni, déjà entamée avec les travailleurs du rail et le syndicat des boulangers.

La victoire du « Quitter » a surpris l'ensemble de la classe dirigeante mondiale

Une opposition contre l'ensemble de la classe dirigeante

De nombreux travailleurs qui sont entrés en conflit avec le gouvernement se sont emparés de la chance qui leur était offerte par le référendum pour infliger un coup à leur ennemi juré : l'affreux Cameron et son acolyte Osborne. Ce que ce vote n'a pas exprimé, est un soutien à Johnson contre Cameron. Au contraire, le lendemain du référendum, Johnson a été hué en sortant de sa maison, et pas seulement par des gens qui avaient voté « rester ».

Dans les jours qui ont suivi le référendum, les militants du Parti socialiste (CIO) qui vendaient notre journal dans la rue ont rencontré de nombreuses personnes qui avaient voté pour « rester » mais qui, à travers la discussion avec nos camarades, ont été convaincu de nos arguments pour leur expliquer pourquoi le « quitter » était en réalité le résultat le plus intéressant, d'un point de vue de classe. On voit ainsi ce qui aurait été possible si les dirigeants du mouvement syndical ne s'étaient pas laissés entrainer dans le camp du commandant en chef de l'austérité, Cameron, qui a à présent été rejeté dans la poubelle de l'histoire, comme nous l'avions prédit au cas où il perdrait le référendum.

Le rapport de forces entre la classe prolétaire organisée et ses alliés d'une part et le gouvernement des capitalistes d'autre part peut être renforcé en faveur des syndicats et du mouvement ouvrier si seulement ces forces prolétariennes tirent des conclusions combattives par rapport au résultat de ce scrutin. Car le résultat du référendum, loin de pétrifier les forces impliquées dans le camp du « quitter », représente bel et bien une révolte majeure de la population de simples citoyens travailleurs contre l'élite dirigeante.

Il est vrai que le caractère binaire d'un référendum (« Pour » ou « Contre ») permet à différents participants de voter pour la même position que d'autres personnes qui ne partagent pas les mêmes intérêts, voire des intérêts de classe opposés, car chacun peut adopter cette position pour des raisons complètement différentes. Cela peut biaiser le résultat final sur le plan politique, en rendant difficile le fait de tirer une conclusion générale claire. Mais pas dans ce cas-ci. Les arrondissements et régions qui votent traditionnellement à gauche se sont massivement exprimés contre le gouvernement des « bouchers » Cameron et Osborne ; seules l'Irlande du Nord, l'Écosse et Londres ont globalement voté pour « rester ». Même là où le « rester » a fini par obtenir la majorité, on a vu s'exprimer une détermination typiquement prolétarienne de « leur montrer » (aux Conservateurs et à l'élite dirigeante) que « trop c'est trop ».

D'un autre côté, on estime que trois quarts des jeunes ont voté pour « rester », ce qui révèle une tendance compréhensible, bien que déformée, à exprimer un vote internationaliste. Beaucoup de ces jeunes ont voté en partant du point de vue erroné que l'Union européenne serait un facteur progressiste : une ouverture vers l'Europe et le reste du monde. Ce sentiment a été exploité de manière répugnante par les Conservateurs partisans du « rester » ainsi que par leurs partisans. Comme l'a toujours dit le Parti socialiste et le CIO dans son ensemble, l'Union européenne n'est rien d'autre qu'une construction néolibérale, une machine capitaliste et impérialiste d'exploitation qui opprime non seulement la classe prolétaire européenne mais aussi, via divers accords commerciaux, l'ensemble des masses du monde néocolonial.

On a vu une détermination d'acier, particulièrement dans les quartiers populaires, à sortir en masse pour voter « quitter ». Et ce, malgré une incroyable campagne d'intimidation et de haine menée par le front des économistes bourgeois, tous alignés pour prédire que le ciel allait nous tomber sur la tête, qu'il y aurait une nouvelle crise économique, l'apocalypse et une troisième guerre mondiale si les « gens » ne votaient pas « correctement », c'est-à-dire, pour le « rester ». On a vu une détermination à prendre une revanche sur les « riches », sur tous ceux qui n'ont pas à subir la misère que les Conservateurs et le capitalisme ont créée. On a vu une participation des masses sans précédent dans certains quartiers populaires, y compris dans les quartiers de logements sociaux, avec un impressionnant taux de participation à 72 %, plus élevé que lors des élections nationales.

Marche du syndicat des transports RMT : « Non à l'austérité imposée par l'UE »

Défendre les bons intérêts

C'est vrai que le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni, une organisation raciste, était pour « quitter », tout comme le brutal duo capitaliste conservateur de Johnson et Gove, qui ont concentré leur campagne sur des attaques contre les immigrés. Il ne fait aucun doute que certains travailleurs ont été séduits par le discours anti-immigrés propagé par ces forces réactionnaires. C'était particulièrement le cas parce que la direction officielle du mouvement ouvrier, que ce soit celle des syndicats ou celle du Parti travailliste, s'est laissée prendre à leur jeu, en abandonnant complètement tout programme indépendant de classe, socialiste et internationaliste. Le Parti socialiste a adopté cette approche de classe, que ce soit dans ce référendum ou dans celui de 1975 (sur l'adhésion à l'UE), au cours duquel Jeremy Corbyn avait d'ailleurs défendu la même position anti-UE que nous.

Malheureusement, Jeremy s'est laissé aujourd'hui piéger derrière les lignes ennemies, retenu là par les créatures blairites qui étaient pour « rester ». Et ces mêmes comploteurs, Hilary Benn et autres, l'ont bien récompensé en organisant à présent un véritable coup d'État contre lui pour le chasser de la tête du Parti travailliste. Quelle que soit la position adoptée par Jeremy, l'aile droite du Parti travailliste est prête à l'accuser de n'importe quoi, y compris pour le mauvais temps. Ces gens l'ont forcé (très clairement à contrecœur) à adopter la position de « rester ». S'il l'acceptait, il était condamné ; s'il refusait, il aurait encore plus été attaqué !

Tout au long de la campagne, nous avons mis en avant le fait que si Jeremy avait adopté une position claire contre l'UE en y apportant des arguments socialistes et internationalistes, en portant la revendication d'une Grande-Bretagne socialiste rattachée à une nouvelle Confédération socialiste d'Europe, il aurait considérablement renforcé sa propre position. Le choix alors ne se serait plus porté entre deux factions de la droite, mais on serait rapidement arrivé à de nouvelles élections nationales qui nous auraient permis de dégager tous ces vauriens en même temps. Le rapport de forces qui aurait pu se développé sur base d'une telle campagne aurait certainement fait en sorte que cet appel soit directement très largement suivi.

De nombreux travailleurs rejettent le programme de division raciste avancé par la droite nationaliste, mais sont néanmoins préoccupés, à juste titre, par le manque de ressources, de places dans les écoles, de logements, etc. dans les quartiers populaires déjà surpeuplés. Il y a une véritable peur de voir se développer une « course vers le bas », par laquelle de plus en plus d'emplois mal payés et à « zéro heures » seront créés. La solution à ce problème n'est pas d'accuser les immigrés, mais d'avancer un programme exigeant plus de budget pour la construction de logements sociaux, d'écoles, etc. (Rappelons au passage qu'il y a 50 000 logements vides rien qu'à Londres).

Aucune indication d'un tel programme n'a malheureusement été entendue du côté des dirigeants du mouvement syndical et du parti travailliste, qui ont préféré passer leur temps à se faire prendre en photo aux côtés des ennemis jurés de la classe prolétaire, qu'ils se battent pour « quitter » ou pour « rester ». Nous avons eu droit au spectacle du maire de Londres, M. Sadiq Khan (Parti travailliste), paradant avec Cameron pour « attaquer » Johnson dans une défense commune de l'UE capitaliste. Le même cadre travailliste, lors de sa campagne électorale, avait également défendu l'idée qu'il faudrait plus de milliardaires à Londres – une ville qui en compte déjà 141, soit le plus grand nombre de milliardaires au monde dans une même ville ! C'est cette attitude qui a justement permis à Johnson (ex-maire de Londres, conservateur) de recourir à toute sa démagogie pour dénoncer les inégalités créées par l'UE et se présenter dans la foulée comme un « défenseur des simples citoyens ».

Au revoir l'UE… Bonjour le monde !

Le mythe de « l'Europe sociale »

Tony Blair, qui, au moment de la guerre d'Iraq, était accusé de « mentir comme il respire », a fait une nouvelle apparition dans ce même registre lorsqu'il a tout à coup commencé à vouloir se faire défenseur des droits syndicaux. Dans un article du Daily Mirror, il a eu le culot d'écrire « n'abandonnez pas les droits des travailleurs » ! Lui qui avait pourtant passé treize ans au pouvoir à maintenir coute que coute l'ensemble des lois antisyndicales héritées de Thatcher ! Frances O'Gradey, la nullité qui sert de secrétaire générale au Congrès syndical (TUC), est quant à elle venu déclarer que, selon ses calculs, chaque travailleur perdrait 38 £ par semaine d'ici 2030, à moins de se ranger derrière l'UE des patrons.

Alors que tout progrès social, toute victoire qui a permis de relever le niveau de vie des travailleurs, est toujours venu des syndicats en tant qu'organisations combatives, voici que les dirigeants des mêmes syndicats imputent maintenant ces victoires à l'UE plutôt qu'à leurs propres organisations ! Il ne peut y avoir plus grande expression de la faillite totale de ce qui sert aujourd'hui de direction à la plus grande fédération syndicale du Royaume-Uni.

Si les syndicats se sont retrouvés dans cette position peu reluisante, c'est du fait de leur adaptation à l'UE capitaliste. En 1988, le commissaire européen Jacques Delors avait donné aux dirigeants syndicaux une possibilité de salut malgré toute une série de graves défaites durant les années '80 (la grève des mineurs, Wapping, l'effondrement de la lutte contre les coupes budgétaires des conseils communaux, etc.), en leur vendant le concept d'une « Europe sociale ». Cela n'a toujours été qu'une fausse perspective. En effet, toute loi destinée à garantir les droits des travailleurs ne peut jamais être obtenue et appliquée que du fait d'une lutte syndicale et d'un rapport de force en faveur des travailleurs – jamais on n'a vu une telle loi tomber du ciel. Mais les dirigeants syndicaux, en gage de gratitude, ont chanté les louanges de « Frère Jacques » qui semblait avoir ainsi trouvé une manière bon marché (et ne requérant aucune lutte) de garantir les droits des travailleurs.

C'est de là qu'est venue cette politique de collaboration de classes appelée « partenariat social » qui, tant que l'économie connaissait une croissance, a permis d'obtenir quelques acquis limités. Mais dès que la crise économique a frappé, en particulier à partir de 2007-2008, suivie d'une période prolongée de croissance extrêmement faible, cette politique de « partenariat » s'est changée en son contraire : un niveau de vie qui stagne ou qui recule, et une absence de riposte vis-à-vis des attaques patronales menées sur tous les fronts.

Il est donc scandaleux de voir que le Congrès syndical n'a pas organisé la moindre véritable action de grève contre la dernière offensive menée par Cameron et Osborne contre les droits syndicaux. Les dirigeants syndicaux ont préféré éviter cela en proposant un nouvel accord de collaboration au gouvernement : ils feraient campagne pour rester dans l'UE, en échange de quelques concessions mineures par rapport à certaines régulations du travail, etc., promises par le gouvernement.

En tout cas c'est pas ce qu'on s'était dit !

Un projet néolibéral

L'argument de Blair et d'O'Grady, comme quoi l'UE défend les droits des travailleurs par des mesures telles que la limitation du temps de travail, etc. est une véritable plaisanterie. Toute loi favorisant les travailleurs et les syndicats n'est jamais, en dernier recours, que le résultat et l'expression de la puissance et de l'organisation des syndicats, et non pas d'une quelconque tendance « progressiste » dans le chef des organisations patronales telles que l'UE. De plus, au cours de la campagne pour le référendum, on a vu certains des entreprises les plus brutales et les plus cupides d'Europe, telles que les lignes d'aviation EasyJet et Ryanair, démontrer une fois de plus quel peu de cas elles font des régulations européennes censées protéger les droits des travailleurs, tout en faisant pourtant elles-mêmes campagne pour « rester » dans l'UE.

Ces entreprises ont proposé que l'UE coordonne cet été les actions destinées à éviter les mauvaises conséquences de la grève des contrôleurs aériens français, en permettant aux contrôleurs allemands de reprendre leur travail à leur place. Souvenons-nous que Ronald Reagan, le président qui a inauguré l'ère sombre du néolibéralisme aux États-Unis, avait commencé son œuvre en vainquant de manière décisive les contrôleurs du ciel de son pays en 1981. Les conditions ainsi créées ont constitué un précédent pour tous les autres patrons aux États-Unis. Le fait que de telles mesures puissent être à présent proposées à l'UE démontre bien la brutalité de son caractère néolibéral.

Il devrait suffire de mentionner ne serait-ce que l'historique de toutes les privatisations imposées par l'UE, notamment dans le cadre de sa relation avec la Grèce, pour qu'il soit clair que la seule position syndicale valable est le « quitter ». L'UE a imposé à la Grèce un plan de privatisations massif de 71 000 entreprises et propriétés, y compris la vente des aéroports régionaux. Aux yeux d'un travailleur grec, l'idée d'une UE « progressiste » entre en contradiction totale avec toute son expérience ! Des millions de gens sont à présent de nouveau contraints de vivre uniquement sur base de la pension ou salaire misérable d'un seul membre de la famille.

Il ne fait aucun doute que les luttes des travailleurs grecs seront incroyablement renforcées par la prise de position ferme de la classe prolétaire britannique au cours de ce référendum. On voit un nouveau scénario de « dominos cascade » s'ouvrir en Europe : la répercussion des évènements au Royaume-Uni pourrait rapidement se refléter dans des pays comme les Pays-Bas, la Suède, voir l'Italie qui pourraient réclamer eux aussi un nouveau référendum. Ils pourraient suivre la voie des travailleurs du Royaume-Uni, non pas en renforçant leur nationalisme, mais en créant une véritable solidarité des populations d'Europe sur le plan syndical et sur le plan politique, liée à la perspective du socialisme.

L'annonce de « Quitter » l'UE a été notamment perçue comme une revanche
pour la Grèce humiliée par les institutions européennes.
« Bonne nuit madame Merkel ! »

Les États-nations

Comme nous l'avons dit depuis le tout début du prédécesseur de l'Union européenne (la Communauté économique européenne CEE), malgré tous les efforts de ses dirigeants, on ne pourra jamais parvenir à une véritable unification de l'Europe tant qu'on restera dans le capitalisme. Certains marxistes ne partagent pas notre avis ; durant la campagne pour le référendum, ils ont même été jusqu'à ressortir des textes de Léon Trotsky pour tenter de justifier leur soutien au « rester », en propageant l'idée selon laquelle le capitalisme serait capable d'accomplir cette tâche historique qu'est l'unification de l'Europe, et que cela serait quelque chose de « progressiste ». Une telle conclusion, soi-disant basée sur les écrits de Trotsky, est totalement erronée.

La nécessité d'unifier le continent européen découle des besoins de la production et de la technique à l'époque moderne. Les forces productives ont depuis longtemps dépassé les étroites limites de la propriété privée d'une petite poignée de capitalistes et de l'État-nation. L'industrie moderne, avec les gros monopoles, les multinationales, etc. ne réfléchit plus en termes de marchés nationaux mais régionaux ; les plus grandes firmes ne considèrent leurs activités qu'en termes de marché mondial. Cela s'exprime dans la tendance à vouloir éliminer les barrières nationales, les limites à la production, les droits de douane, etc. ce qui va de pair avec la création de gigantesques blocs commerciaux tels que le NAFTA (Accord de libre échange nord-américain) ou le TTIP (Partenariat transatlantique pour le commerce et les investissements).

Un tel processus peut aller très loin tant qu'on est dans une phase de croissance : c'est le cas concernant l'UE, en particulier au début des années '2000. Cette tendance a poussé certains capitalistes et, malheureusement, même certains marxistes, à imaginer que le capitalisme pourrait un jour surmonter ces limites nationales et passer à l'unification de la classe capitaliste européenne (puisque c'est de cela qu'il s'agit en réalité).

Pour justifier leur position, ces gens se sont mis à fouiller dans les archives de Trotsky, où ils ont trouvé la citation suivante : « Si les puissances capitalistes d'Europe fusionnaient en un seul conglomérat impérialiste, ce serait un pas en avant par rapport à la situation actuelle, car ce serait une base matérielle et collective pour le mouvement ouvrier. Dans ce cas, le prolétaire n'aurait plus à se battre non pas contre le retour à un gouvernement « national », mais pour la conversion de ce conglomérat en une République fédérative européenne. » (Le Programme de la paix, cliquer ici pour le texte complet).

Trotsky parlait clairement ici d'une situation hypothétique, qu'il ne s'attendait pas à voir se matérialiser. Il ne s'agit d'ailleurs pas non plus d'une description de l'UE actuelle, qui n'est pas parvenue à « fusionner » les différents États-nations d'Europe. Dans le même article, Trotsky poursuit en disant que « L'unification républicaine et démocratique de l'Europe, seule capable de garantir le développement national, ne peut se faire que par la voie de la lutte révolutionnaire […] par le soulèvement des différentes nations, aboutissant à la fusion de toutes ces insurrections en une seule révolution européenne généralisée. »

Malgré tous les discours parlant d'« unité », tant qu'elles resteront dominées par
des classes capitalistes aux intérêts rivaux, 
les différentes nations d'Europe
resteront enfermées dans le cadre de leurs États traditionnels 

Une colère longtemps refoulée

La situation au Royaume-Uni avant le référendum, particulièrement à la suite des résultats, est l'expression d'une colère longtemps refoulée par le prolétariat contre le régime Cameron-Osborne. Elle nous offre une chance unique de complètement transformer la situation en faveur de la clases prolétaire. Même avant le référendum, le gouvernement s'était vu contraint d'accomplir au moins 20 revirements complets ou partiels sur diverses questions, tandis que la machine des Conservateurs perd de nouvelles pièces chaque jour. Le gouvernement reste assiégé sur chaque front. L'économie se dirige vers une nouvelle crise, avec le plus grand déficit commercial depuis 1948 (la différence entre importations et exportations), sans même parler des récents évènements ! Le chômage est en hausse parmi la jeunesse, tandis que la catastrophe du logement à Londres et dans les grandes villes se poursuit sans que personne ne lève le petit doigt.

À Londres, dans le quartier de Waltham Forest, les prix des loyers ont augmenté de 25 % cette année ; à Butterfields, des familles pauvres sont déguerpies et « exilées » dans d'autres villes situées à des centaines de kilomètres. Tout ça pour que les propriétaires puissent vendre leurs modestes logements aux riches qui accourent de partout pour s'arracher les maisons dont la valeur a explosé.

Il y a aussi une révolte grondante autour de la question des salaires, qui ont diminué de 8 % depuis 2007. Nous aimerions rappeler au passage à Mme O'Gradey, dirigeante du TUC, que tout ça s'est fait alors que le Royaume-Uni faisait partie de l'UE ! Au sein des syndicats aussi, la colère monte, comme on l'a vu lors de récentes conférences syndicales. Le TUC du pays de Galles, mis sous pression par les camarades du Parti socialiste (CIO), a passé toute une série de motions combatives, incluant entre autres le soutien à l'idée de conseils communaux « sans coupes budgétaires » (un appel aux communes de refuser l'austérité imposée par le gouvernement national) et une motion en faveur de la nationalisation de l'industrie de l'acier. 


Toutes ces résolutions ont été votées à l'unanimité, ou presque. Il était d'ailleurs remarquable de voir de nouvelles couches de travailleurs jeunes qui participaient à ce genre de rencontres pour la première fois. À l'assemblée générale du GMB (Syndicat des travailleurs généraux, municipaux et fabricants de chaudières), le plus grand syndicat britannique privé comme public, des résolutions en faveur de la nationalisation ont été portées à l'ordre du jour pour la première fois depuis très longtemps.

À la conférence du syndicat du secteur public Unison, une nouvelle organisation des militants de gauche a été formée pour mettre une tendance destinée à transformer ce syndicat en une association combative et militante capable de mobiliser ses membres pour la lutte, plutôt qu'une union moribonde qui passe son temps à dénoncer et isoler les militants « trop remuants ». Tout cela montre que le Royaume-Uni est sur le point d'entrer dans une nouvelle période extrêmement combative.

Le vote à la conférence du syndicat Unison

De nouvelles guerres civiles politiques

Au même moment, on a vu s'intensifier les deux « guerres civiles » (une dans le Parti conservateur, une dans le Parti travailliste) tout au long de la campagne du référendum. Comme on pouvait le prédire (et comme l'a prédit le Parti socialiste), les tentatives des partisans de Corbyn d'amadouer l'aile droite du Parti travailliste en appelant à voter « rester » n'a pas le moins du monde adouci l'opposition de cette aile à Corbyn ; bien au contraire, cela n'a fait que l'encourager. Quelques heures après l'annonce des résultats du référendum, la députée Margaret Hodge a fait circuler une lettre appelant à un vote de censure contre Corbyn visant à provoquer une nouvelle élection à la tête du parti, dans l'objectif avoué de chasser Corbyn de la direction travailliste. Suite à cela, Corbyn a viré le député et ancien secrétaire d'État à l'Environnement Hilary Benn, ce qui a provoqué la démission de toute une série de cadres du parti.

Il est clair que le Parti travailliste est totalement paralysé en ce moment, tiraillé entre les forces corrompues des blairites et les forces antiaustéritaires potentiellement croissantes rassemblées autour de Jeremy Corbyn. Mais les forces de « gauche » petite-bourgeoise qui dirigent l'alliance pro-Corbyn, Momentum, ont totalement gâché l'occasion rêvée de frapper un grand coup contre la droite. Au départ, Momentum avait promis une régénération démocratique et ouverte du mouvement ouvrier, avec le démantèlement de la structure centralisée et bureaucratique en ce moment à la tête du parti. Cependant, vu les hésitations désastreuses de la direction actuelle, cette promesse a fini par être oubliée, pour être remplacée par des tentatives jusqu'ici infructueuses d'amadouer la droite. Tout cela n'a fait que renforcer la détermination de cette faction à chasser Corbyn et à réinstaurer le règne des blairites.

C'est la méfiance de cette aile droite qui a fait que le syndicat PCS (Syndicat des services publics et commerciaux), lors de sa dernière conférence, a finalement refusé une motion demandant l'affiliation de ce syndicat au Parti travailliste, parce qu'il est clair qu'en ce moment, la droite blairite contrôle toujours la machine du parti, en plus d'avoir presque tous les députés de leur côté. Pendant le référendum, 71 « volontaires » ont été envoyés par la direction travailliste au QG de la campagne pour le « rester ». Les membres du PCS ont compris que l'affiliation de leur union au Parti travailliste reviendrait à financer cette machine droitière qui filtre les militants pour empêcher l'affiliation au parti des syndicalistes et militants de gauche désireux de le remettre sur le chemin du socialisme et de la lutte.

Si elle devait échouer dans cette mission, l'aile droite est à nouveau prête à scinder le Parti travailliste. C'est ainsi qu'on a déjà vu une véritable « coalition nationale » en train de se mettre en place tout au long du référendum, avec cette riante collaboration entre les travaillistes de droite et les conservateurs « de gauche libérale » ainsi que les libéraux-démocrates. C'est ce même sentiment d'« alliance nationale » qui a mené à la proposition absurde (qui n'a d'ailleurs pas été retenue) que les députés du gouvernement et de l'opposition s'asseyent ensemble de part et d'autre du parlement au cours de la session spéciale qui a suivi le meurtre de la députée Jo Cox. On a aussi vu le dirigeant des lib-dem Tim Farron concentrer toutes ses remarques d'après-référendum en une attaque sur Jeremy Corbyn qui, selon lui, s'est montré trop « tiède » dans son soutien au « rester ». De même, la guerre civile au sein du Parti travailliste, qui a été déclenchée dès le jour où Corbyn a été élu à la tête de ce parti, se poursuit sans s'arrêter : pas une journée ne passe sans qu'il ne soit attaqué d'une manière ou d'une autre.

Les attaques entre « camarades » du Parti conservateur ont elles aussi créé de profondes divisions entre l'aile Cameron-Osborne du parti et la faction Johnson-Gove. Une nouvelle élection à la tête du Parti conservateur pourrait certainement élargir ces divisions et pourrait résulter en une séparation ouverte, ce qui pourrait donner naissance à un regroupement avec les libéraux-démocrates et les travaillistes de droite.

Jeremy Corbyn s'est laissé prendre au piège de l'appareil droitier
de son parti, ce l'a fait mener campagne pour « Rester »

Conclusion

Il faut voir ce référendum comme un gigantesque rocher jeté au milieu d'un lac : les vagues et ondulations issues de ce choc vont se prolonger pendant des mois et des années. L'onde de choc a déjà atteint l'Europe et pourrait, à terme, mener à l'effondrement de la zone euro et au démantèlement de l'UE. Le résultat de ce scrutin pose également la question d'un nouveau référendum pour l'indépendance de l'Écosse, qui pourrait mener à la disparition du Royaume-Uni en tant que tel. Les conséquences sont en effet tout aussi importantes pour l'Irlande, surtout l'Irlande du Nord, où le Sinn Fein (nationaliste « de gauche ») a déjà exigé la tenue d'un nouveau référendum sur la réunification de l'ile – ce qui pourrait, à son tour, entrainé une reprise des hostilités entre les différentes communautés religieuses et ethniques d'Irlande du Nord (les protestants d'origine anglaise voulant plutôt rester dans le Royaume-Uni, tandis que les catholiques d'origine irlandaise seraient plus pour le rattachement avec l'Irlande du Sud – fondement des nombreux conflits armés et violences dans le pays tout au long du siècle dernier).

Cependant, au milieu de toutes les évolutions qui vont découler de ce référendum, le mouvement syndical et la gauche doivent tirer des conclusions socialistes claires et agir conformément à cela, en luttant pour un programme prolétarien indépendant. La revendication immédiate est de lutte pour une conférence d'urgence des travaillistes de gauche, qui doit être démocratique et ouverte à l'ensemble des forces de gauche pro-Corbyn, y compris les syndicats, associations et partis politiques minoritaires. Le but de cette conférence serait de défendre Jeremy Corbyn en mettant un terme aux tentatives de « coup d'État » de la part de la droite, par l'adoption d'un programme socialiste clair et de structures démocratiques suivant une forme d'organisation fédérative.


Le référendum sur l'UE a été un choc terrible pour la classe dirigeante et pour leurs pantins au sein du mouvement ouvrier, et dont les ondes de choc se feront encore sentir pour un bon moment. Au même moment, il représente une importante chance de reconstruire le mouvemente ouvrier suivant une ligne démocratique et socialiste.

Une autre Europe est possible

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