jeudi 18 août 2016

CI : Hausse du prix de l'électricité

Réponses à quelques contrevérités


La cherté de l'électricité qui s'aggrave de facture en facture ne manque pas de susciter la controverse en même temps que la colère. Au vu des récents évènements dans ce pays et des discours qu'on entend de part et d'autre pour nous présenter autant de soi-disant « solutions », il nous semble indispensable de relever ces différents arguments point par point :

« – Le gouvernement a pris en compte les doléances des populations
– Le courant est cher parce qu'on en vend à l'étranger
– Quand la CIE augmente ses factures, c'est la France qui nous prend notre argent
– La facture doit augmenter pour encourager le privé à faire les investissements
– La libéralisation est la solution
– On ne peut rien faire contre la CIE parce que l'État a signé un contrat
– La nationalisation n'a pas marché dans le passé, c'est justement pourquoi on avait libéralisé » –– autant de phrases qu'on entend et qui sont fausses. C'est à ces différents thèmes que nous répondons pour rétablir la vérité, avant de proposer notre propre slogan : « renationalisation immédiate de la CIE sans rachat ni indemnité, sous contrôle des travailleurs et des usagers ».


1. Le gouvernement a pris en compte les doléances des populations

Cet argument est le plus facile à démonter : le gouvernement ne s'est jamais préoccupé le moins du monde du sort des populations, et lorsqu'il le fait, c'est uniquement parce qu'il s'y retrouve forcé par peur de voir une révolte généralisée de la part de la population. Alors que la grogne commençait à enfler avant le premier mai avec la menace de grève dans plusieurs secteurs, le président de la République s'est contenté de faire comme s'il ne savait rien avant de promettre un remboursement des trop perçus et de distribuer une forte somme aux structures syndicales (traduisez : à leurs dirigeants) afin qu'elles calment leur base. Résultat : aucun changement, la facture est toujours aussi élevée.

Même après les émeutes du mois de juillet, le gouvernement n'a finalement fait qu'un demi-pas en arrière, en reportant simplement de plusieurs mois le paiement. Mais la facture reste à payer ! Le vol des populations continue.


2. Le courant est cher parce qu'on en vend à l'étranger

Cette thèse chère aux milieux « patriotiques » est totalement erronée. Certaines personnes aiment à répéter ça parce qu'elles ont entendu que la Côte d'Ivoire exporte de l'électricité et que ça leur permet d'affirmer selon elles qu'Alassane est un agent étranger. Comme si on n'avait jamais eu de président ivoirien pour brader nos ressources nationales à l'étranger avant ça. Cet argument est aussi censé expliquer les nombreuses coupures chez nous.

En réalité, la production d'électricité en Côte d'Ivoire dépasse largement la consommation nationale et ne fait qu'augmenter. Celle-ci était de 8100 GWh en 2014, et devrait doubler d'ici 2020 avec la réalisation de plusieurs projets comme le barrage de Soubré et de nouvelles centrales thermiques à Azito, Vridi et Bassam. Au même moment, la consommation n'était que de 5500 GWh en Côte d'Ivoire et les exportations s'élevaient à 900 GWh. C'est-à-dire que ces exportations ne représentent que 10 % de notre production d'électricité, tandis que la consommation nationale est largement couverte et le sera dans le futur.

En réalité, ce devrait être une fierté pour la Côte d'Ivoire d'être capable de produire assez d'électricité pour elle-même tout en rendant service à ses voisins, sans oublier que la vente d'électricité représente une source de revenus. Mais à qui ces revenus sont-ils versés ? C'est une autre question !

Même si cela peut sembler trivial à nos amis « patriotes » antipanafricanistes, la raison véritable des nombreuses coupures est tout simplement le mauvais entretien du réseau. Les pertes d'électricité s'élèvent ainsi à 20 % de la production totale, soit deux fois plus que la quantité vendue à nos voisins.


3. Quand la CIE augmente ses factures, c'est la France qui nous prend notre argent

En fait, Bouygues a vendu il y a un an ses dernières actions à la société d'assurances AXA. La CIE appartient à 56 % au groupe « Eranove », qui détient aussi Ciprel (production d'électricité), Awalé (transport d'électricité), la Sodeci et… la Sénégalaise des eaux. Le groupe Eranove appartient elle-même à un holding financier appelé Emerging Capital Partners, un groupe international qui investit dans le commerce, les télécommunications, les infrastructures et la finance dans 40 pays africains et dont la majorité des patrons sont noirs.

Parler de CIE = France revient à tenir en fait un discours éculé, à adopter une posture de colonisé qui rejette systématiquement la faute sur l'ancienne puissance coloniale alors que le problème est beaucoup plus fondamental : il s'agit de raisonner non pas en termes de « nation contre nation », « race contre race », mais en termes de lutte des classes, de la population opprimée de Côte d'Ivoire face à l'emprise de groupes capitalistes multinationaux sur nos richesses nationales de manière générale.

Ne vous inquiétez donc pas, soyons certains, citoyens de Côte d'Ivoire, que lorsque vous payez votre facture, certains de nos « frères » noirs mangent dedans tout autant que les Blancs. Est-ce que ça change quelque chose pour nous ? Pas vraiment.


4. La facture doit augmenter pour encourager le privé à faire les investissements

Aussi curieux que cela puisse paraitre, la CIE n'est pas une entreprise bénéficiaire. L'entretien du réseau, la production d'électricité, l'extension du réseau… sont des activités extrêmement lourdes et couteuses. La CIE et ses structures-sœurs ne peuvent survivre sans subsides monstrueux que lui verse l'État chaque année. Alors que l'idée de la privatisation de l'électricité était d'alléger la facture pour l'État, ce même État se retrouve contraint de verser d'importantes sommes de l'ordre de plusieurs milliards de francs afin de garantir que les actionnaires privés de la CIE puissent continuer à bien manger.

La véritable raison pour la hausse du prix étant que le FMI justement, fidèle à sa logique d'« amaigrissement de l'État », insiste pour que l'État ivoirien réduise ce type de dépenses. Vu le manque à gagner pour les patrons privés, la différence doit donc logiquement se répercuter sur les consommateurs que nous sommes.


5. La libéralisation est la solution

Une des raisons qui explique l'apparent manque de contrôle de l'État sur la CIE est que celle-ci, étant en situation de monopole (n'ayant pas de concurrents sur le marché), est libre de fixer ses prix comme bon lui semble et donc de nous saigner jusqu'à l'os.

Tout d'abord, c'est un raccourci : l'État conserve bel et bien la main-mise sur le prix du courant, puisqu'il est régulateur sur le territoire national et qu'il a tous les moyens de faire appliquer sa politique (vu que c'est lui qui a, jusqu'à nouvel ordre, la police, la justice et l'armée). D'ailleurs, Alassane Ouattara n'a pas hésité à affirmer que la CIE allait rembourser le trop-plein perçu sur les factures de courant : c'est donc bien que c'est à lui qu'il revient de fixer le tarif ? Du reste, les population ne sont pas dupes, puisque lors des dernières émeutes, elles s'en sont autant pris aux sièges de la CIE qu'aux institutions représentant l'État (préfectures, etc.).

Dans ce cadre, la libéralisation reviendrait justement à moins de contrôle de l'État sur le secteur de l'électricité. La libéralisation équivaut en fait à l'anarchie, tous les exemples d'application de cette mesure dans d'autres pays le prouvent, que ce soit en Afrique ou en Europe. D'ailleurs, l'échec de la libéralisation est si flagrant qu'une grogne vit par exemple en Europe, avec des initiatives comme le lancement d'une pétition paneuropéenne contre la libéralisation.

Ensuite, rien ne prouve que le prix diminuera automatiquement lorsque des concurrents à la CIE arriveront sur le marché. Imaginons qu'il se trouve sur un marché une dame qui vend des pains à 200 francs ; elle en vend 50 par jour, ce qui lui rapporte 10 000 francs ; après qu'elle ait enlevé dedans le prix d'achat de ses pains, il lui reste 2000 francs : tout juste de quoi manger pour elle-même. Maintenant, que se passerait-il si une deuxième dame venait vendre ses pains sur le même marché ? Les deux dames ne vendent plus maintenant que 25 pains par jour, ce qui fait que le bénéfice pour chacune n'est plus de 2000 francs, mais de 1000 francs – nos commerçantes se retrouvent maintenant dans la pauvreté ! L'offre a augmenté, une concurrence a été créée, mais est-ce que le prix des pains ne va pas augmenter ??
– Et voilà que toutes les théories et les beaux graphiques des économistes s'effondrent.

De plus, le secteur de l'électricité, répétons-le, n'est pas bénéficiaire. La libéralisation ne peut s'opérer que sur base d'un désengagement total de l'État. Si un petit désengagement a produit des hausses capables de pousser les populations ivoiriennes au désespoir, imaginons ce que signifierait un retrait total des subsides !

Toute la politique de la libéralisation repose sur l'idée qu'en invitant plus de gens à venir nous manger, nous serions moins mangés ! On a beau faire tous les beaux discours qu'on veut, nous ne voyons pas la logique là-dedans.

Pourtant, cette idée de libéralisation est tellement « populaire » qu'elle est reprise en cœur, comme une évidence, par l'ensemble des associations de consommateurs et des partis politiques, y compris par ceux qui se disent « de gauche ». Lorsque le PR a annoncé envisager la libéralisation prochaine du secteur, tous ces « opposants » n'ont fait que le critiquer pour ne pas oser le faire plus vite. Pourtant, la libéralisation fait bel et bien partie intégrale du programme néolibéral d'Alassane Ouattara, qui n'est jamais heureux que lorsqu'il peut trouver de nouvelles idées « d'investissement » pour ses amis patrons internationaux de tous horizons (marocains, turcs, chinois, japonais, américains, allemands, et même français).

Propager le discours de la libéralisation, c'est en fait utiliser le mécontentement des populations pour faire passer une mesure extrêmement antisociale et dangereuse pour la souveraineté nationale. Dans la bouche de la droite, il s'agit d'un véritable piège qui nous est tendu. Dans la bouche de la « gauche », il s'agit d'un véritable suivisme idéologique qui ne nous aide aucunement à mener le moindre combat pour la libération de notre peuple.


6. On ne peut rien faire contre la CIE parce que l'État a signé un contrat

De tous ces arguments, c'est celui qui nous fait le plus rire. Nous vivons dans un pays où l'État est capable d'envoyer des bulldozers détruire en quelques minutes des usines entières et des hôtels cinq étoiles en prévenant la veille et où ce même État enferme à tout propos des individus pour « atteinte à la sureté de l'État ». On ne voit vraiment pas en quoi tel ou tel contrat signé avec tel ou tel groupe ne pourrait être remis en cause à tout moment, au nom de « l'intérêt national ». Tout est problème de volonté politique.

Nous disons simplement : « Renationalisation immédiate, sans rachats ni indemnités ! Les Ivoiriens ont assez payé ! »


7. La nationalisation n'a pas marché dans le passé, c'est justement pourquoi on avait libéralisé

Nous voulons renationaliser la CIE. On nous objecte que la CIE ne fonctionnait pas lorsqu'elle se trouvait entre les mains de l'État, et que de manière générale, toutes les expériences de filières étatisées n'ont jamais fonctionné et que le privé « gère mieux ».

On est dès lors en droit de se demander pourquoi tout va bien dès lors que les infrastructures se retrouvent entre les mains d'investisseurs privés ? « Parce que le privé a un intérêt à tirer des bénéfices de son entreprise et donc investit dans la production et dans la qualité du service ». Et l'État ? L'État n'a-t-il donc pas d'intérêt à gagner de l'argent tiré des bénéfices des entreprises sous son contrôle ? « Si, mais les fonctionnaires d'État ne gagnent rien à gérer plus ou moins bien les entreprises d'État ». Comme si les employés d'une entreprise privée touchaient, eux, les bénéfices de l'entreprise dans laquelle ils travaillent ?

Le véritable problème, pourquoi les entreprises étatiques ont toujours été mal gérées dans le passé, est que nos États sont gérés par des individus qui sont des capitalistes, des patrons, eux-mêmes désireux de s'enrichir par le biais d'entreprises qu'ils créent. Or, tant qu'une entreprise comme la CIE appartient à l'État, quand bien même ces individus se trouveraient à la tête de l'État, il n'y a rien à manger pour eux dedans. Leur intérêt est donc de saboter le travail des entreprises publiques pour susciter un mécontentement artificiel et ensuite, convaincre les populations que tout serait mieux si on donnait ça au privé.

Ainsi, on constate que, quand l'État gérait, le réseau n'était pas développé, les infrastructures s'effondraient, la production était insuffisante… par manque de moyens. Et maintenant que c'est le privé, tout va mieux, des investissements ont été faits.

Mais comment se fait-il qu'un État qui est le premier producteur mondial de cacao, premier producteur mondial d'anacarde, premier producteur africain de mangues et d'hévéa, deuxième port d'Afrique… etc., etc. n'a pas les moyens de financer correctement son réseau électrique, alors que des individus privés venus d'on ne sait où ont, eux, ces moyens ??

C'est tout simplement une question de mauvaise volonté politique. Le problème n'est pas le fait que « le public » ne fonctionne pas. Le problème est que « le public » n'est pas géré par des personnes se reconnaissant dans cet intérêt public, parce que leur intérêt privé de capitalistes passe avant tout.

Au passage, c'est pour la même raison qu'on ne trouve pratiquement aucun panneau solaire en Côte d'Ivoire : celui qui a un panneau ne paie pas facture ! Alors, qui est fou ? Mieux vaut pour nos politiciens capitalistes ne pas mettre ça à la portée de chaque citoyen, et continuer à extraire et importer du gaz et du pétrole bien cher tout en polluant la planète – pourvu que nous crachions à chaque facture nos petites économies.


Conclusion

C'est pourquoi, nous appelons à la renationalisation de la CIE et de l'ensemble du secteur de l'électricité pour garantir à chaque habitant une électricité constante et à bas prix, des branchements dans chaque village, de véritables investissements dans les énergies renouvelables (panneaux solaires, micro-barrages, biomasse, énergie marémotrice, etc.). L'électricité centralisée et nationalisée sera financée par les bénéfices tirés de l'exploitation des autres richesses naturelles du pays : le cacao, l'anacarde, les vivriers, mais aussi par notre industrie en pleine croissance.

Et afin d'éviter que notre électricité nationale ne soit à nouveau sabotée par des individus égoïstes qui n'ont aucun intérêt à nous apporter l'électricité dont nous avons besoin, qui payent leur facture en rigolant et qui ont de toute façon leur propre générateur à dix millions bien positionné dans la cour de leur villa ! Nous mettrons à la tête de la nouvelle CIE des personnes ayant un intérêt direct à ce que l'électricité continue à venir, et qui réagiront si les choses ne se passent pas bien : des représentants des travailleurs de la CIE et des différents villages et quartiers de Côte d'Ivoire, élus parmi la population, ne touchant pour ce faire qu'un salaire moyen, et révocables à tout moment.

C'est ainsi que nous entendons gérer notre électricité, au bénéfice de nos populations.


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