mardi 12 décembre 2017

CEI 2017 : Perspectives mondiales

Le capitalisme mondial ne trouve aucune issue à la crise



Nous publions ici un projet de résolution sur la situation mondiale tel qu'adopté lors de la rencontre du Comité exécutif international du CIO qui a eu lieu en décembre de cette année, comme chaque année. La discussion a porté sur une analyse de la situation économique, politique et sociale au niveau international et des perspectives pour notre mouvement et la révolution mondiale contre le système capitaliste d'oppression.

– Secrétariat international du CIO, 8 novembre 2017 



« Depuis notre dernier congrès mondial, la crise du capitalisme mondial est aujourd'hui encore plus profonde et les stratèges de la bourgeoisie sont encore plus inquiets qu'ils ne l'étaient alors. Le manque de « légitimité » du capitalisme est devenu un véritable leitmotiv : dans la sphère économique, dans les relations internationales, sur la question de l'environnement, du changement climatique… et avec toutes les conséquences que cela a sur les plans social et politique. Il y a par-dessus tout une véritable crainte chez les capitalistes – même si beaucoup d'entre eux évitent d'en parler – de ce que les nombreux échecs évidents de leur système pourraient engendrer une véritable « éruption » – le mot employé par les bourgeois pour parler d'insurrections de masse, voire de révolution. » [Thèses sur les perspectives mondiales, CEI, décembre 2016]

Qu'ajouter à tout ceci, si ce n'est que, malgré une « reprise » apparente, la crise mondiale du capitalisme n'a fait que s'approfondir depuis lors. La bourgeoisie mondiale est confrontée à une érosion continue de sa « légitimité » politique au fur et à mesure que les divisions au sein de la classe dirigeante s'accentuent et deviennent de plus en plus ouvertes. Dans les pays industrialisés avancés, l'économie stagne. En Afrique et en Amérique latine, la promesse d'un « avenir radieux » fait partie du passé : la croissance de la période précédente, alimentée par la hausse des prix des matières premières, est en train de prendre fin malgré une hausse partielle des exportations dans certains pays. Cela a plongé certains pays, comme le Brésil, dans la plus grave crise économique de leur histoire, provoquant des grèves générales et des troubles politiques qui s'intensifieront tout au long de la prochaine période.

Au Brésil, le gouvernement Dilma a été démis de ses fonctions, suscitant des mouvements de contestation massifs de la part des syndicats. L'idée selon laquelle le capitalisme permettrait à ces pays d'atteindre la prospérité a été complètement brisée.  En Asie aussi, l'illusion a commencé à se dissiper, pas seulement en Inde (en supposant que cette illusion y ait jamais existé) mais aussi dans le reste du continent.

Le fait que le niveau de la vie de la classe prolétaire soit toujours attaqué alors même qu'on nous parle de « croissance » montre bien que la crise du capitalisme n'est pas terminée et qu'il n'exiset plus d'espace pour la moindre concession durable, malgré la propagande triomphante. La crise économique prolongée a intensifié les tensions entre les classes en Europe (y compris en Europe de l'Est) et aux États-Unis, où le fouet de la réaction brandi par Trump a énormément aggravé la position de l'impérialisme états-unien tant à domicile que sur le plan international.

Les tensions entre la Russie et les États-Unis, l'Union européenne et même, dans une moindre mesure, la Chine, continuent à empirer. Si le soutien (initial) porté à Trump par la Russie a fini par être oublié, les intérêts impérialistes continuent à s'entrechoquer, en Corée du Nord et ailleurs. Cela a permis au régime de Poutine d'utiliser une rhétorique anti-occidentale dans son propre pays, encore renforcée par la fermeture de ses ambassades aux États-Unis et par la controverse autour des « trolls » payés par le Kremlin pour influencer l'opinion publique et les élections en Occident. L'impasse permanente des négociations à Minsk et le non-respect des différents accords de cessez-le-feu ont pour conséquence que des millions de gens craignent toujours de rentrer chez eux en Ukraine orientale. Le ministre ukrainien de la Défense a admis récemment que plus de 10.000 soldats de son pays sont morts depuis le début du conflit (dont bon nombre décédés de maladie ou de mauvais traitements par leur hiérarchie) : on voit donc qu'il y a toujours bien une guerre « à faible intensité » qui continue.

Dans le monde néocolonial, où de nombreux pays sont toujours fortement liés à la production de matières premières et où la production industrielle stagne voire diminue, il a fallu revoir de nombreuses prévisions à la baisse à cause de l'effondrement des prix de ces mêmes matières premières. L'objectif de l'Afrique, de l'Amérique latine et de l'Asie d'atteindre un niveau de vie et un statut comparables à ceux des pays dits « développés » reste fort éloigné.

La misère permanente qui en est le corollaire a causé une chute du niveau sanitaire, au point qu'on voit à présent revenir des maladies qu'on pensait disparues depuis le Moyen-Âge, comme la peste noire. Les éléments de barbarie qui ont toujours été présents dans le monde néocolonial se renforcent. Le Zimbabwé en est l'illustration parfaite, un pays où on voit 50 chômeurs désespérés se porter candidat pour le sinistre « poste » d'exécuteur en chef ! Les luttes à caractère « ethnique » ou national se multiplient non seulement dans le monde néocolonial (avec notamment l'expulsion des Rohingyas au Myanmar) mais aussi au cœur de l'Europe avec la Catalogne.

Les tensions entre grandes puissances impérialistes (USA, UE, Russie, Chine)
persistent et s'intensifient

La Catalogne, le Moyen-Orient et la question nationale

S'il est vrai que la bourgeoisie britannique, étant donné sa longue expérience historique, tend à adopter une approche extrêmement souple face aux « vents du changement », en Espagne, il en va tout autrement. La bourgeoisie espagnole dirige un État qui garde de nombreux vestiges du régime dictatorial de Franco et qui a d'ailleurs aujourd'hui à sa tête les héritiers politiques du même Franco rassemblés au sein du Parti populaire. C'est ce qui explique que le premier instinct de cette classe dirigeante face à la crise catalane a été la répression et la suspension de l'autonomie régionale de la Catalogne. Cela n'aura pour seul résultat que d'accroitre l'opposition à l'État espagnol et d'encourager les tendances séparatistes sur son territoire.

L'approche adoptée par la bourgeoisie espagnole pourrait provoquer, comme en 1934, une insurrection nationale de masse en Catalogne et encourager des mouvements similaires au Pays basque et en Galicie, ce qui pourrait à son tour susciter l'émergence de tendances séparatistes dans les 14 autres régions « autonomes » de l'État espagnol. Si la question nationale se pose avec beaucoup plus d'acuité en Catalogne qu'au Royaume-Uni, c'est dû à tout l'historique de répression par l'État espagnol. Cependant, si la bourgeoisie britannique avait réagi de la même manière envers l'Écosse que la classe dirigeante espagnole aujourd'hui vis-à-vis de la Catalogne, cela aurait énormément accéléré le mouvement en faveur de l'indépendance de l'Écosse. Ce processus est actuellement « gelé », tandis que le gouvernement écossais dirigé par le Parti national écossais est en train d'exécuter la politique d'« austérité » (« ajustements structurels »)  qui lui est dictée par le Parti conservateur au pouvoir à Londres.

La population de Catalogne s'est beaucoup modifiée ces dernières années du fait de l'importance de l'immigration interne dans cette région (et en particulier dans sa capitale Barcelone) à partir de régions telles que l'Andalousie. La plupart de ces immigrés en provenance des autres régions d'Espagne s'installent dans la « ceinture rouge » de Barcelone et autres villes, qui était un véritable bastion de la gauche social-démocrate et stalinienne pendant les années 1970 et 1980. Cette couche de la population n'a pas encore été influencée de façon déterminante par le mouvement pro-indépendance ; cela est dû à divers facteurs, mais entre autres au fait que la direction du mouvement nationaliste catalan a toujours jusqu'ici été un instrument politique de la bourgeoisie catalane locale. Ces nationalistes bourgeois catalans affichent une attitude particulièrement raciste et antiraciste et antisociale envers ces sections de la classe prolétaire. Cela ne veut cependant pas dire que ces travailleurs soutiennent dans leur ensemble le Parti populaire au pouvoir à Madrid ou le bloc de droite réactionnaire à la tête duquel il se trouve. Une grande majorité de ces prolétaires respectent le droit des peuples à l'autodétermination : c'est ce qui s'est relfété dans la victoire de Podemos (« On peut ») aux deux dernières élections catalanes. Parmi la jeunesse de ces quartiers ouvriers, le sentiment indépendantiste est bien plus fort aujourd'hui qu'il ne l'était au cours des années précédentes. Pour une grande partie des travailleurs, surtout dans les secteurs de la santé, de l'enseignement et de l'administration, qui ont été à l'avant-plan de la lutte contre les coupes budgétaires, le sentiment indépendantiste est particulièrement fort.

Il y a une véritable crainte de voir se produire un « effet domino » qui aurait d'importantes répercussions dans toute l'Europe – un continent où existent de nombreuses questions nationales irrésolues qui, si elles se trouvent pour l'instant dans un état de « dormance », pourraient très rapidement se ranimer. En Italie par exemple, il existe des mouvements visant à plus d'autonomie dans des régions telles que la Vénétie (région de Venise) et la Lombardie (région de Milan). La question nationale est une véritable mise à l'épreuve pour le mouvement ouvrier et particulièrement pour toute organisation marxiste désireuse de trouver la route à emprunter pour la masse de la classe prolétaire. Tous n'ont pas réussi ce test ; la conséquence en est qu'ils risquent à présent de se retrouver piétinés sous les roues de la locomotive de l'histoire. Notre section espagnole a magnifiquement réussi ce test grâce à notre magnifique intervention dans les évènements orageux en Catalogne et dans le reste de l'Espagne, notamment via notre formidable syndicat d'élèves.

Nous défendons les aspirations nationales de tout groupe ou nation opprimée, tant que cela ne viole pas le droit d'autres groupes ethniques ou nationaux. Comme Lénine l'a écrit, nous sommes contre la moindre contrainte ou discrimination à l'encontre de toute nationalité, y compris des plus petits groupes ethniques ou religieux. Au même moment, nous sommes pour une unité maximale de la classe prolétaire, une unité qui transcende l'ensemble des barrières nationales, raciales et autres, pour mener une même lutte visant à la mise en place d'une fédération d'États prolétariens démocratiques dans le cadre de laquelle seraient défendus les droits de toutes les nationalités.

Cependant, les marxistes s'opposent à la moindre contamination ou concession au nationalisme bourgeois, qui est une idéologie visant à diviser les masses selon des lignes « nationales » et séparatistes dans le but de les désorienter. Cela signifie qu'il faut lutter pour le droit à l'autodétermination non seulement en Catalogne mais aussi dans toute l'Espagne, tout en mettant en avant l'idée d'une Catalogne indépendante et socialiste, dans le cadre d'une fédération socialiste d'Espagne, voire d'Europe.

En cette année où nous célébrons le centième anniversaire de la révolution russe d'Octobre 1917, nous devons rappeler au mouvement ouvrier partout dans le monde l'importance de l'héritage idéologique qui nous a été légué par l'approche de Lénine quant à la question nationale. Sans une approche correcte envers cette question, il est impossible d'arriver à une révolution socialiste ; c'est ce qui a été compris par les révolutionnaires russes. Non seulement le programme des bolchéviks incluait le droit à l'autodétermination des peuples opprimés par l'Empire russe – après la prise du pouvoir, ceux-ci ont mis ce programme en application en accordant notamment leur indépendance à la Finlande et à toute une série d'autres pays. Au moment de la révolution russe, la population de l'Empire russe était constituée à 43 % de Russes ethniques (à majorité chrétienne orthodoxe) et à 57 % d'autres ethnies et nationalités ou minorités religieuses (Finlandais, Ukrainiens, Tatars, Polonais, Ouzbeks, Juifs, Nenets, Lettons,  Kazakhs, Allemands, Bachkirs, Yakoutes, etc. vieux-croyants, catholiques, luthériens, musulmans, bouddhistes, animistes, etc.)

Il n'aurait pas été possible de forger une alliance entre les masses de toute la Russie (nécessaire pour éviter la défaite de la révolution) si les bolchéviks n'avaient pas défendu le droit à l'autodétermination de chaque peuple, en associant à cette idée celle d'une fédération démocratique socialiste, la même revendication que nous exprimons aujourd'hui lorsque nous parlons de confédération.

À l'ère moderne, on a vu émerger toute une série de mouvements liés à la question nationale. Si nombre d'entre eux ont des caractéristiques communes, d'autres comportent des éléments particuliers et requièrent une analyse attentive, surtout en ce qui concerne les revendications et mots d'ordre à y donner, si nous ne voulons pas « perdre le Nord » dans ces questions. Nous pourrions assister à la résurgence de vieilles « questions nationales », tandis que d'autres mouvements « nationaux » entièrement neufs pourraient émerger du fait de la crise économique ou de la guerre.


Les dirigeants bourgeois catalans qui, à des fins électoralistes, exploitaient
le sentiment pro-indépendance se sont retrouvés dépassés par les évènements
une fois que les masses ont répondu à l'appel

Cette question est particulièrement cruciale au Moyen-Orient, ou l'oppression et l'occupation impérialistes ont donné naissance dans le passé à toute une série d'États dont les frontières ne correspondent pas à celles des organismes vivants des différents peuples et groupes ethniques, créant des divisions en leur sein. Ce facteur a été énormément aggravé par les récentes guerres dans cette région du monde, qui, si elles se sont à présent soldées par une certaine « victoire » sur le groupe État islamique, ont cependant entrainé d'innombrables pertes humaines et l'émigration de 11 millions de Syriens et 4 millions d'Iraqiens, tout en causant la dévastation et l'anéantissement de villes entières et en créant de véritables armées de réfugiés. Tout cela sent beaucoup plus la défaite que la victoire !

Les évènements ont mis en évidence le fait que seul le mouvement ouvrier est capable de mobiliser les masses du Moyen-Orient et, notamment, d'adopter l'approche qu'il faut en ce qui concerne la question nationale. Seule cette force peut amener une paix juste et démocratique tout en éliminant les horreurs actuelles.

Quatorze ans après le début de la guerre d'Iraq, qui était censée amener une nouvelle ère de démocratie et de prospérité pour ce pays et ses voisins, la paix semble toujours aussi insaisissable. La longue liste des horreurs continue de s'allonger, sans qu'aucune véritable issue ne soit en vue. La défaite militaire d'EI à Mossoul et à Raqqa (la capitale du soi-disant « califat ») et l'élimination de ce groupe dans le reste de la Syrie ne signifie pas la fin de cette organisation ni de ses méthodes terroristes. Comme le CIO l'a expliqué, les méthodes fachisantes d'EI ne pouvaient aboutir à quoi que ce soit ; tôt ou tard, ce groupe allait connaitre la défaite face à l'impérialisme et à sa puissance de feu largement supérieure. EI a commis une erreur fondamentale en se mettant à dos l'ensemble des puissances impérialistes en plus des minorités ethniques et religieuses, notamment les chiites. Si EI a pu tenir aussi longtemps, notamment à Raqqa, c'est en partie parce que, malgré le fait qu'elle ait suscité la colère des chiites (et aussi de plus en plus de la part des sunnites), cette organisation a pu « se fondre dans le décor » un peu comme le Front de libération nationale au Vietnam en son temps, en créant un vaste réseau souterrain à travers toute la ville. Cela l'a grandement aidée à résister aux attaques aériennes. Cette organisation a démontré sa nature sectaire et cruelle en réduisant les populations à l'esclavage pour la construction de son réseau.

Elle ne fait en cela d'ailleurs que reproduire les pires aspects du capitalisme « moderne » qui recourt toujours à une main-d'œuvre servile à une échelle encore plus grande que la traite historique entre les 15e et 19e siècles : on estime que le nombre d'esclaves à cette époque a été de 13 millions d'esclaves, comparé au chiffre actuel qu'on estime être situé entre 21 et 46 millions, générant 150 milliards de dollars de profits annuels !

En outre, les méthodes messianiques d'EI allaient forcément finir par lui aliéner la masse de la population du Moyen-Orient et d'ailleurs. Cependant, cela ne veut pas dire que ce groupe a totalement disparu. En Iraq et dans les autres pays de la région (y compris en Afghanistan et peut-être au Pakistan), il va maintenant revenir à sa tactique de départ qui était celle de la guérilla. Il va également sans doute tenter d'intensifier sa campagne terroriste en Europe, aux États-Unis et ailleurs, surtout en Asie, qui est le continent qui compte le plus grand nombre de musulmans dans le monde.

Pour résoudre les problèmes de la misère et des divisions sectaires au Moyen-Orient, il est crucial d'adopter une approche socialiste et marxiste cherchant à unifier l'ensemble des peuples de cette région. Prenons par exemple la « question kurde » qui a connu un nouveau revirement avec le référendum pour un État kurde indépendant dans le nord de l'Iraq, dont la capitale est la ville pétrolière de Kirkouk.  Cette ville est contestée à la fois par les Kurdes, par les Arabes d'Iraq et par les Turkmènes. La seule manière d'assouvir l'ensemble de ces aspirations, surtout en ce qui concerne celles des classes moyennes et laborieuses afin d'éviter une nouvelle et sanglante guerre civile, serait de mener une lutte d'ensemble en faveur d'un statut spécial pour la ville de Kirkouk.

Il s'agirait là d'une approche semblable à celle adoptée par notre section belge concernant la ville de Bruxelles, une ville à majorité francophone mais enclavée dans la Région flamande.  Nous reconnaissons le droit à l'autodétermination de l'ensemble des peuples et des régions de Belgique, dans le cadre d'une confédération socialiste de Belgique, avec la région de Bruxelles jouissant d'un statut spécial en relation avec les autres parties constituantes d'une telle confédération.

Il s'agirait de la seule manière de satisfaire toutes les parties tout en cimentant l'unité du peuple et particulièrement celle du prolétariat. Le référendum sur « l'indépendance » dans la région qui incluait Kirkouk s'est tenu contre l'avis de l'Union patriotique du Kurdistan, un groupe qui s'est trouvé à la tête de la plupart des combats contre EI ces dernières années. Cela pourrait à son tour engendrer de nouveaux conflits entre Iraqis kurdes et non-kurdes. Ce référendum a d'ailleurs incité le gouvernement iraqien et les forces soutenues par l'Iran à occuper la ville, ce qui risque de provoquer un nouveau bain de sang.

Lorsque, il y a 14 ans, l'Iraq a été envahi par la coalition dirigée par les États-Unis et le Royaume-Uni, nous avons dit que le résultat le plus probable de tout ceci serait le remplacement d'un régime dictatorial (celui de Saddam Hussein) par trois micro-États distincts, celui des chiites, celui des sunnites et celui des kurdes, ce qui, dans le contexte du capitalisme actuel, signifierait probablement trois dictatures au lieu d'une ! La seule manière d'éviter cela et un nouveau chapitre sanglant dans l'histoire de cette région, serait une convention entre les peuples d'Iraq et de Syrie en faveur d'un régime socialiste et démocratique. Il en va de même en ce qui concerne l'ensemble des pays du Moyen-Orient actuellement divisés selon des lignes ethniques, religieuses et nationales.

En Tunisie, la classe dirigeante est fort consciente du fait que la période révolutionnaire qui s'est ouverte en 2011 est loin de s'être terminée. Malgré le fait que la situation semble avoir atteint une certaine impasse à un moment, avec le développement de caractéristiques négatives telles que l'émergence du terrorisme individuel, de nouvelles explosions sociales et de nouvelles insurrections sont à l'ordre du jour. Le soi-disant « Gouvernement d'unité nationale » est extrêmement instable et impopulaire, le tout dans un contexte de stagnation économique. Le FMI met la pression sur le gouvernement pour qu'il lance une vaste offensive austéritaire. Dans ce contexte, le virage à droite marqué par la direction de l'UGTT depuis son dernier congrès, illustré par un récent discours du secrétaire général qui a appelé les travailleurs à « en finir avec la culture des revendications », va certainement susciter un âpre conflit avec sa base dans la période à venir. Parmi cette couche comme parmi la jeunesse, le besoin d'une alternative socialiste claire trouvera certainement un nouvel écho.


Le référendum pour l'indépendance du Kurdistan en Iraq a ravivé les tensions

L'Amérique latine, l'Afrique…

Les perspectives pour l'Amérique latine feront l'objet d'un document séparé. Nous pouvons néanmoins déjà brièvement indiquer que cette région du monde offre un tableau similaire à celui de l'Asie et de l'Afrique : une crise économique qui s'approfondit, une polarisation accrue entre les différentes classes, des crises politiques aggravées par la corruption endémique et l'incapacité de la « bourgeoisie nationale » (dans la mesure où cette bourgeoisie existe en tant que force cohérente) à faire progresser la société.

Le Brésil, qui est le plus grand pays d'Amérique latine et qui en était aussi le pays le plus prospère jusqu'il y a peu, connait une crise majeure qui a mené ce pays à une situation de quasi-impasse politique à la suite de la destitution (véritable « coup d'État constitutionnel ») de la présidente Dilma du Parti des travailleurs. L'ancien vice-président Temer qui a orchestré sa destitution avant de la remplacer a été reconnu coupable d'un plan de corruption à échelle colossale.

Il est confronté à une résistance massive de la part des syndicats et de la classe prolétaire, qui ont déjà organisé plusieurs grèves générales en appelant à sa propre destitution ! Le programme de privatisation massif lancé par lui et qui incluait même la vente de l'hôtel des monnaies national, a été applaudi par le capital brésilien et international mais a soulevé un vaste mouvement d'opposition de la part du mouvement ouvrier et du prolétariat.

Selon la presse bourgeoise, le scepticisme largement répandu face à ce plan de privatisation, qui encourage la croissance des syndicats et des partis d'opposition, pourrait entrainer le Brésil dans une direction « populiste » (une nouvelle radicalisation du mouvement ouvrier) lors des prochaines élections. L'Argentine présente la même image d'impasse politique et économique. Alors que beaucoup de gens espéraient que l'élection de Macri allait offrir quelque chose de « nouveau », on voit surtout que rien n'a changé.

La crise économique,  sociale et politique au Venezuela ne fait que s'aggraver. Les classes dirigeantes du monde entier ont tenté de se servir de cette situation pour discréditer l'idée du « socialisme », tout comme elles l'ont fait à la suite de l'effondrement des régimes staliniens en Europe de l'Est. Mais vu la situation partout dans le monde, avec la crise du capitalisme, ce discours sera plus difficile à faire passer. Le régime Maduro vire de plus en plus vers la droite et lutte pour se maintenir au pouvoir afin de défendre les intérêts de l'élite bureaucratique dirigeante, qui inclut également les principales sections de l'armée. En même temps, l'opposition de droite réactionnaire ne parvient pas à rallier un soutien et un élan suffisants pour faire tomber le régime. Le pays est plongé dans une impasse où chaque camp campe sur sa position. À ce stade, il est difficile de déterminer la manière dont la situation va se développer. La crise au Venezuela n'est bien sûr pas la conséquence d'un soi-disant échec du socialisme, mais bien de l'incapacité à rompre avec le capitalisme, comme nous l'avons toujours averti. Les forces du CIO au Venezuela, confrontées à des conditions extrêmement difficiles, cherchent à y aider tous ceux qui sont prêts, notamment les chavistes « dissidents », à tirer les leçons de l'incapacité à rompre avec le capitalisme et à mettre en place une véritable alternative socialiste démocratique.



Au Venezuela, le président Maduro a fait de nombreuses concessions au
capitalisme et refuse d'approfondir la révolution, ce qui a pour effet de
démobiliser sa base et d'encourager l'opposition suscitée par l'impérialisme

En Afrique sub-saharienne, c'est la même impasse pour le capitalisme et le clientélisme. Les principaux pays dans cette région du monde, et en particulier pour le CIO, sont le Nigeria (le pays le plus peuplé du continent, avec près de 200 millions d'habitants) et l'Afrique du Sud (le pays le plus industrialisé d'Afrique). En Afrique du Sud, les principaux évènements sont la crise continue de l'ANC (avec la possibilité de voir Ramaphosa congédié du cabinet Zuma) et les répercussions de cette crise au sein du mouvement ouvrier et du prolétariat. Le problème d'un nouveau parti prolétarien de masse est toujours un problème largement discuté au sein du mouvement ouvrier.


Des tensions croissantes

La polarisation de classe héritée de la crise économique de 2007-2008 continue à exercer un profond effet sur les États-Unis, l'Europe et les autres pays du monde « développé », tout en s'ajoutant aux énormes problèmes du monde néocolonial.

La morsure de la crise a causé une intensification des conflits entre les grandes puissances et blocs capitalistes. Cela a accru la perception selon laquelle le monde est en train de plonger  le chaos, y compris dans le chef des dirigeants qui, dans toute une série de régions du monde, ont eux-mêmes perdu le contrôle des évènements .

Parmi la population aussi, la perception est que rien ne va plus en ce qui concerne les relations politiques et sociales, l'économie et le climat. La série de catastrophes « naturelles » (dont bon nombre ne le sont d'ailleurs qu'en partie) qui s'abat sur le monde – tremblements de terre, inondations, tornades, incendies… – n'a fait qu'ajouter à cette image d'impuissance politique et sociale et d'échec flagrant des gouvernements, particulièrement en ce qui concerne le gouvernement Trump aux États-Unis. Après que Porto Rico se soit plaint qu'il ne recevait pas assez d'aide du président après la tempête, Trump a simplement balayé ces accusations d'un revers de la main. Cela pourrait revenir le hanter dans une éventuelle future campagne électorale. Quatre millions de Portoricains sont aussi des citoyens états-uniens ayant le droit de voter lors des élections au cas où ils décideraient de déménager aux États-Unis (Porto Rico n'étant qu'un « territoire » des États-Unis d'Amérique, pas un État).

Partout dans le monde, les diverses sections de la classe dirigeante sont divisées et, dans chaque pays, les tensions engendrent des scissions ouvertes. La révolution commence toujours au sommet ! Il y a de manière générale un certain bouillonnement idéologique au sein de la société, ce qui contraint la bourgeoisie à chercher des mesures pour résoudre la crise économique tout en « gérant » ce processus sur les plans social et politique.

Dans cette recherche de mesures et de méthodes pour faire dévier les mouvements de masse à la base, la classe dirigeante de chaque pays se déchire en différents groupes et factions, ce qui au final mène à des scissions et à la création de nouveaux partis. Au Royaume-Uni, le Parti conservateur est plus divisé que jamais et pourrait se voir totalement anéanti, tout comme ont disparu les Chrétiens démocrates en Italie dans les années 1990 à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique, l'« ennemi commun » qui était le garant de leur unité.


Trump

Comme le disaient les Anciens Grecs : « Ceux que les dieux veulent détruire, ils les frappent d'abord de folie ». Cette citation s'applique on ne peut mieux aux États-Unis et à Donald Trump en particulier ! Sa « victoire » électorale était, elle aussi, une conséquence tardive de la crise économique de 2007-2008, tout comme la quasi-victoire de Corbyn lors des élections au Royaume-Uni. Nous avions annoncé que la présidence Trump serait un désastre sans nom pour les États-Unis et pour le capitalisme mondial. Selon nous, Trump allait devenir le meilleur agent de recrutement pour la lutte de masse et les idées du socialisme en Amérique.

Et c'est bien ce qui s'est passé.  En moins d'un an, Trump, tel un éléphant dans un magasin de porcelaine, a brisé toute la vaisselle du capitalisme mondial, tant à domicile que sur le plan international. Il a trouvé son double en la personne de Boris Johnson, ministre britannique des Affaires étrangères, un individu qui suscite tant de méfiance de la part de ses chefs de cabinet en raison de ses nombreuses bourdes diplomatiques que ceux-ci avouent souhaiter le voir s'endormir lors de chacune de ses visites à l'étranger, étant donné que c'est la seule manière dont ils peuvent le contrôler !

Trump a menacé de raser la Corée du Nord au moyen d'une frappe nucléaire « tactique » afin de destituer son président Kim Jong-un, qu'il surnomme « Monsieur Missile ». La Corée du Sud craint, à juste titre, de se retrouver prise entre deux feux et rayée de la surface du globe.

Contrairement à ce que les critiques bourgeois « libéraux » de Trump (y compris les chefs du Parti démocrate) voudraient nous le faire croire, ce n'est pas la première fois qu'on voit l'impérialisme états-unien se prendre ce genre de délires va-t'en-guerre, particulièrement en Asie. D'autres présidents ont menacé Cuba et la Russie à cause de la présence d'armes nucléaires sur le sol cubain.

Dans notre livre sur le Vietnam, nous avons également révélé que lors du siège de la garnison française par les Vietnamiens à Ðiện Biên Phủ en 1954, Richard Nixon, alors vice-président républicain, tenait ces propos : « À Washington, l'état-major a conçu un plan sous le nom d'Opération vautour, visant à lancer trois petites bombes nucléaires tactiques afin de soulager la garnison française. » Quelques années plus tard, c'était le président Clinton qui considérait une attaque nucléaire « tactique » sur la Corée du Nord. Le fait que des millions de personnes perdraient la vie en quelques secondes n'était pour lui qu'une donnée secondaire.

La population nord-coréenne n'a finalement valeur que de menue monnaie aux yeux de l'impérialisme états-unien.  La seule chose qui a retenu Clinton était la crainte des conséquences politiques d'un tel acte, qui aurait déclenché des marches et insurrections massives partout dans le monde au point de menacer l'existence du capitalisme lui-même. Ce serait d'ailleurs toujours le cas même si une seule bombe nucléaire était lancée ou une explosion nucléaire déclenchée « par accident ».

Trump s'en est également pris à l'Iran, remettant en cause l'ensemble de l'accord sur le nucléaire iranien et contribuant à déséquilibrer encore plus le Moyen-Orient déjà déchiré par la guerre. Loin d'affaiblir les « faucons » iraniens dans les rangs des « Gardiens de la révolution islamique » qui se sont enrichis par la corruption et les privatisations, les propositions de Trump, si elles devaient aboutir, risquent plutôt de les renforcer.

Sa politique l'a amené en confrontation non seulement avec les classes moyennes et laborieuses de son pays mais aussi avec d'importantes couches de son « propre camp », les députés républicains, même s'il semble avoir maintenu son soutien parmi sa « base électorale » qui inclut d'importantes couches de travailleurs déplacés et aliénés. Cependant, son taux d'approbation dans les sondages est aujourd'hui le plus bas jamais enregistré pour un président en exercice depuis à peine un an tout comme lui. Il s'est aussi fortement disputé avec les couches dominantes de la classe dirigeante états-unienne et ses alliés « traditionnels ».

Et la « militarisation » du gouvernement états-unien (vu qu'il y a de plus en plus de généraux dans l'administration actuelle au détriment des civils qui détiennent normalement le pouvoir), plutôt que de susciter de l'inquiétude,  produit au contraire un sentiment de soulagement parmi la bourgeoisie états-unienne. Ces généraux sont en effet considérés comme capables de mieux contrôler Trump !

Cependant, leur présence pourrait bien ne pas constituer un frein suffisant, même pour Trump. Un mouvement d'opposition de masse qui rappelle beaucoup celui qui s'était développé sous Nixon dans les années 1960-70 est en train de se développer rapidement autour de toute une série d'enjeux ; l'ampleur de cette contestation pourrait contraindre Trump à quitter le pouvoir avant même les élections législatives de mi-mandat prévues en novembre 2018.

Avec son comportement erratique, son bonapartisme parlementaire, son jeu de manœuvres au sein de son propre parti, ses tentatives de séduire les Démocrates (en acceptant d'augmenter le seuil maximal de dette du gouvernement et à propos d'autres questions), Trump a réussi à se mettre à dos la majorité des députés républicains. Mais il se pourrait que cette folie apparente cache autre chose. Trump considère clairement l'idée de conduire le Parti républicain à la scission. La seule personne à être parvenue à un tel acte jusqu'ici est Abraham Lincoln qui a scindé le Parti démocrate en 1860, juste avant la guerre civile. S'il y parvenait, Trump pourrait alors former son propre parti « populiste ». Steve Bannon, le conseiller de Trump qui a été récemment contraint à la démission du fait de ses liens assumés avec l'extrême-droite, joue clairement un rôle d'« éclaireur » en ce sens.

On voit au même moment apparaitre une fracture similaire au sein du Parti démocrate, où il est possible que Bernie Sanders et les forces autour de son projet « Notre révolution » rompent avec les Démocrates pour lancer leur propre formation. En peu de temps, une telle initiative pourrait devenir une nouvelle alternative de gauche radicale, voire mener à la formation d'un parti prolétarien de masse aux États-Unis.

On aurait alors non plus deux mais quatre grands partis en lutte pour les votes et l'influence. L'émergence d'un nouveau parti, voire d'une nouvelle formation radicale de masse représenterait un énorme pas pour le prolétariat états-unien. La crise du capitalisme états-unien va encore approfondir ce processus tout en ouvrant de plus grandes possibilités de croissance pour nos camarades du groupe Alternative socialiste, qui pourraient rapidement devenir un véritable facteur.

Si Trump a été élu malgré son score de perdant, c'est parce que la majorité
des gens, dégoutés, n'ont même pas été voter. La situation est mure pour
la création d'un nouveau parti aux États-Unis qui rompe avec le bipartisme

L'instabilité et la montée du populisme en Europe

Le monde a rarement traversé une phase plus critique que le contexte actuel, où l'humanité est plongée dans une crise qui touche chaque aspect de la civilisation et l'ensemble des continents, sans que la bourgeoisie ne conserve la moindre lueur d'espoir dans sa capacité à éviter à son système une crise encore plus sérieuse qui entrainerait forcément une opposition de masse. Le prolétariat a été profondément affecté et on voit le début d'un important revirement dans la conscience.

Cette nouvelle prise de conscience n'induit pas toujours automatiquement une hausse immédiate de la lutte pour des enjeux économiques : elle s'exprime aussi de toute une série de façons autour de questions plus « sociales ». On a vu, pour n'en citer que quelques-uns, des mouvements de masse se développer en Inde contre le viol, en Pologne et en Irlande pour le droit à l'avortement, le mouvement de dénonciation des pratiques de harcèlement sexuel en entreprise un peu partout dans le monde, la grève internationale des femmes organisée le 8 mars dans 58 pays, le mouvement « Pas une de moins » en Amérique latine et l'historique marche des femmes contre Trump en janvier 2017. Toute une génération de jeunes femmes a émergé qui n'accepte plus la contradiction flagrante entre le discours officiel qui prône l'égalité et la réalité qui est celle des bas salaires, du harcèlement quotidien et du paternalisme. Nous pourrions bien être à l'aube d'une nouvelle vague de mouvement féministe qui pourrait accompagner et renforcer le mouvement prolétarien.

La stagnation économique, même si on parle de « reprise » (sous la forme de création d'emplois précaires et mal payés) dans quelques pays ou régions du monde, ne fait qu'accroitre encore le malaise et la remise en question de la validité du système auprès de la masse de la population, surtout chez « ceux d'en-bas », la classe ouvrière et les pauvres.

De ce fait, le monde vit dans une instabilité politique quasi permanente, dont l'impact se reflète surtout dans les dernières élections en Europe où les partis traditionnels sont affaiblis et où les « populistes », de gauche comme de droite, ne cessent de progresser. Mais ces forces perdent généralement très rapidement leur popularité. Au fur et à mesure que les évènements s'accélèrent, les masses se laissent bien plus vite qu'avant aller à la désillusion, ce qui veut dire que des partis considérés comme les vainqueurs du moment occupent rapidement la place du perdant.

C'est ainsi qu'on a vu l'Alternative pour l'Allemagne, un nouveau mouvement d'extrême-droite, faire son entrée historique au parlement allemand tandis que le Parti social-démocrate (SPD) connaissait le pire résultat de son histoire. Mais trois semaines plus tard, une autre couche de la population ayant perçu cette victoire comme un avertissement, on a vu le SPD y engranger de meilleurs résultats qu'auparavant lors des élections régionales en Saxe et y battre les partis d'extrême-droite.  Cela n'est qu'un exemple qui illustre bien la volatilité politique dans un pays qui, en surface du moins, est considéré comme étant le plus stable d'Europe ! 

C'est cette même résurgence de la soif de contestation du système capitaliste, un véritable sentiment anticapitaliste, qui a poussé sur le devant de la scène Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, Bernie Sanders aux États-Unis et Jean-Luc Mélenchon en France.

Ébranlés par cette nouvelle tendance, la bourgeoisie, ses partis et ses « institutions » font tout pour présenter, eux aussi, leurs propres candidats comme « agents du changement » ; c'est le cas avec Macron en France et Kurz en Autriche. Même Theresa May au Royaume-Uni tente à présent de « porter le maillot de Corbyn » sur certains enjeux tels que les frais d'inscription à l'université, les logements sociaux et une vague critique du système dans sa globalité. Leurs discours mentionnent désormais la nécessité de « lutter contre les inégalités ». Alors que, après la crise de 2007-2008, on parlait surtout de la possibilité d'« améliorer le capitalisme », on voit à présent partout une quête de plus en plus importante d'une alternative au système capitaliste dans son ensemble, surtout parmi le prolétariat et la jeunesse.


Au cours d'une élection qui a vu l'effondrement des partis traditionnels et la
montée de mouvements plus radicaux, Macron était la bouée de sauvetage
envoyée par le capitalisme dans une tentative désespérée de sauver le système

L'économie reste plongée dans le brouillard

Ce revirement de l'opinion a contraint les institutions économiques du capitalisme telles que le FMI ou la Banque mondiale à se faire à présent les avocats, voir les apôtres des hausses de salaire ! Il s'agit toujours de ces mêmes gens qui exigeaient la baisse des salaires au niveau mondial dans le cadre de leur politique d'austérité brutale et autres « ajustements structurels ». Si cela signifiait que la Grèce et d'autres pays devaient être crucifiés pour mettre en place ces plans, tant pis. La conséquence de tout ceci a été une « austérité éternelle » qui a fait que certains pays d'Europe et d'ailleurs sont revenus à des conditions réminiscentes de la Grande Dépression de 1930. Si ces institutions du capitalisme ont aujourd'hui changé de ton (du moins en paroles), c'est parce qu'elles se sont rendu compte que le capitalisme actuel a besoin d'une hausse de la « demande » (du pouvoir d'achat des populations). Cela reste le nœud du problème pour le capitalisme : il n'y a pas d'autre alternative pour créer de la demande que d'augmenter les salaires, même si cela signifie risquer de créer de l'inflation et une hausse de la dette publique.

Mais chaque groupe de capitalistes fera de son côté tout pour résister à de telles mesures. Aux États-Unis, les capitalistes dans leur ensemble, et M. Trump en premier lieu, sont bien plus concernés par l'augmentation de la « valeur en bourse » de leurs actions (et donc par les bénéfices artificiels qu'ils peuvent en tirer pour leurs actionnaires dont eux-mêmes) que par la création de valeur réelle sous la forme de nouveaux emplois. Ils ne sont même pas prêts à rapatrier aux États-Unis leurs immenses profits planqués à l'étranger à moins d'être assurés qu'il n'y aura pas de hausses de taxes.

De plus, l'état des finances de la plupart des gouvernements ne leur permet pas d'intervenir pour « renforcer le marché » par l'entremise de nouvelles dépenses publiques. Au contraire, la plupart d'entre eux ne voient aucune alternative à la continuation de l'austérité écrasante.

Si le président Roosevelt avait pu, juste avant la Seconde Guerre mondiale, mettre en place un plan de renfort de l'économie via une hausse des dépenses étatiques, c'était uniquement parce que, comme Trotsky l'a expliqué, le capitalisme états-unien s'était au préalable énormément engraissé de profits. Mais même ce programme qui a grandement renforcé l'infrastructure avec la construction de barrages, etc., créant de nouveaux emplois qui ont « stimulé » l'économie, atteignait déjà sa dernière limite à la fin des années 1930. En 1937, une nouvelle crise s'est annoncée, surtout en raison des coupes dans les dépenses publiques et de l'introduction de mesures destinées à resserrer l'attribution de crédits (ce qui aurait eu le même effet qu'une hausse des taux d'intérêts aujourd'hui). Le gouvernement a alors compris qu'il fallait abandonner ces mesures qui n'auraient fait qu'énormément aggraver une situation économique déjà très fragile. Par conséquent, si les États-Unis ont pu éviter une autre crise qui aurait été encore plus grave que celle de 1929-1933, c'est par la hausse de la production d'armement en guise de préparation à la guerre. 

La bourgeoisie actuelle risque de commettre la même erreur en introduisant un taux d'intérêt plus élevé qui ne ferait qu'empirer ses problèmes économiques (un risque qui se pose particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis). Elle est convaincue qu'il lui faut « nettoyer les banques » pour éviter que de nouveaux problèmes enfouis ne remontent tout à coup à la surface comme cela s'est passé lors de la dernière crise financière.

La « reprise » économique dont on parle aux États-Unis et en Europe a été essentiellement alimentée par une injection de liquidités, une dette colossale qui n'a été rendue possible que par la baisse prolongée des taux d'intérêt. Après une décennie d'« assouplissement quantitatif », les principales banques centrales sont maintenant titulaires d'un cinquième de la dette publique ! Les nouveaux « accros à la dette » sont aujourd'hui l'Australie, le Canada, la Corée du Sud, la Suède et la Norvège. La plupart de ces pays n'avaient pas été aussi gravement affectés par la dernière crise que les autres, mais ils le seront certainement lors de la prochaine récession, qui engendrera dans ces pays la même polarisation sociale aigüe et la même explosivité politique que ce que nous avons vu dans le reste du monde.

La crainte d'une nouvelle crise économique est omniprésente dans les discussions entre les « grands penseurs » du capitalisme au FMI, à la Banque mondiale et à la Banque des règlements internationaux. Les grandes banques et places financières sont à présent « noyées » sous l'argent et recommencent à faire « des paris risqués avec la même nonchalance qu'avant 2007-2008 ». Suite à cette crise, la bourgeoisie avait atteint un consensus général (comme toujours) sur le fait que « jamais plus » elle n'allait laisser de telles prises de risques « irresponsables » et irréfléchies menacer le système. Mais très vite, l'« esprit originel » du capitalisme a repris le dessus et ces résolutions ont été rapidement oubliées. Une nouvelle menace pèse sur le secteur financier encore fortement endommagé, celle des obligations d'emprunt collatéralisées – des paquets d'emprunts de mauvaise qualité emballés dans des « produits » attractifs dont la valeur totale rien que cette année a atteint 75 milliards de dollars. Ces paquets reçoivent des approbations « AAA » de la part des agences de cotation.


Le taux de dette mondiale ne cesse d'augmenter

La Chine

Et c'est encore sans parler des problèmes qui ne font que s'accumuler en Chine, que certains économistes considèrent comme un vaste « système pyramidal » ! Depuis 2008, la croissance chinoise, essentiellement alimentée par la dette, compte à elle seule pour plus de la moitié de la croissance mondiale.

Le récent congrès du Parti « communiste » chinois ne va certainement pas apporter la moindre solution à court ou à long terme à la crise. Son principal but est de cimenter l'autorité de Xí Jìnpíng en tant que leader incontesté du « parti » et donc du gouvernement. Ce dernier a d'ailleurs bien fait comprendre que le « parti » (c'est-à-dire, le club de la classe dirigeante) continuerait à contrôler l'armée, l'économie, etc. M. Xí est à présent destiné à faire l'objet d'un nouveau culte de la personnalité, baptisé « pensée Xí », afin d'être mis sur le même piédestal que les précédents dirigeants Máo Zédōng et Dèng Xiǎopíng.

Cependant, de telles démonstrations de pouvoir ne sont d'aucune manière une garantie de stabilité – tout au contraire en fait. Si le régime décide de recentraliser le pouvoir, c'est par peur des séismes sur les plans économique, social et politique qui menacent la Chine. Mais en concentrant tout le pouvoir entre les mains d'un individu, cela permet à l'opposition de focaliser ses attaques sur cette personne de même que sur le régime qui la porte. Et l'opposition va grandir. À l'heure actuelle, des couches entières de la population, surtout les plus pauvres et les classes moyennes, soutiennent ou du moins tolèrent le régime. Mais cela ne durera pas éternellement.

La politique de « Chine unique » qui se manifeste par exemple dans la répression brutale mise en place à Hong Kong, tout en paraissant connaitre quelques succès aujourd'hui, est destinée à échouer. En cette ère moderne de communication de masse via les réseaux sociaux, il est impossible de tenir toute un peuple enchainé, surtout si ce dernier a connu pendant longtemps la démocratie, même sous une forme aussi tronquée que celle de Hong Kong. Nos camarades chinois peuvent d'ailleurs être fiers d'avoir pu jouer un rôle important dans ce contexte, tout comme nos autres camarades dans le monde qui ont soutenu leur cause.


Le gouvernement chinois tente de « serrer la vis »

Conclusion

La conclusion globale de toute cette analyse, à compléter par les rapports qui seront faits sur notre site de l'évolution de la situation dans les pays où le CIO est présent, est qu'en réalité,  loin d'aller de l'avant, le capitalisme mondial stagne et, dans certaines régions du monde, recule. Cette situation objective a créé une situation prérévolutionnaire un peu partout dans le monde, surtout en ce qui concerne le plan économique qui est si déterminant, semblable à celle qui existait dans les années 1930.

Cependant, comme Trotsky l'a fait remarquer à de nombreuses reprises, pour que cette situation murisse, pour que le contexte prérévolutionnaire se change en véritable situation révolutionnaire, il faut l'intervention d'un facteur conscient, des mouvements prolétariens de masse armés d'un programme révolutionnaire clair et dirigés par des partis révolutionnaires de masse afin de viser la prise du pouvoir.

Les évènements qui ont découlé de la crise ont eu un profond effet avec le début d'une nouvelle conscience dans le chef des masses partout dans le monde. Nous assistons à présent au rejet du néolibéralisme par de larges couches de la population, un sentiment qui a reçu une expression avec Jeremy Corbyn et qui est un thème récurrent de l'analyse du CIO ces dernières années. Cela a donné naissance à une phase généralisée de radicalisation de gauche dans le mouvement ouvrier partout dans le monde. Même en Nouvelle-Zélande, la nouvelle dirigeante travailliste Jacinda Ardern (qui a autrefois travaillé au cabinet de Tony Blair au Royaume-Uni mais affirme ne l'avoir jamais rencontré !) vient de remporter les élections et a formé un gouvernement de coalition avec les Verts et les nationalistes de « Nouvelle-Zélande d'abord » !

Cette phase de radicalisation de gauche pourrait être suivie par une phase plus « marquée » en faveur d'un réformisme de gauche et devenir un phénomène international. Sous les coups des évènements à venir, cette phase cèdera la place à une nouvelle conscience de classe plus résolue et à une volonté de lutte parmi le prolétariat et particulièrement parmi la jeunesse.

Tout ceci nous ouvrira d'importantes possibilités et nous permettra de gagner de nouvelles couches à un programme révolutionnaire clair et à notre organisation. Les forces du CIO ont besoin d'audace dans leurs interventions de la période à venir. Mais il est tout aussi important de sentir le rythme des évènements, qui peut parfois paraitre au repos à la surface alors que, sous la surface, se préparent d'immenses convulsions politiques à partir desquelles nous pouvons grandir jusqu'à devenir une force capable de jouer un rôle de premier plan. Nous sommes pressés, il est vrai, mais cela ne doit pas nous ôter la patience nécessaire lors de nos interactions avec les mouvements de masse qui se développent. Ces mouvements ne seront d'ailleurs pas une simple répétition du passé, mais comporteront de nouvelles caractéristiques et soulèveront de nouvelles questions auxquelles nous devrons réagir de manière adaptée pour construire nos sections nationales et la nouvelle Internationale.


Secrétariat international du CIO, 27 octobre 2017

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