lundi 4 juin 2018

Nigeria : 22e Congrès du DSM


ÉCONOMIE DU NIGÉRIA : le pire est-il vraiment derrière nous ?


Le 22e Congrès du Mouvement démocratique socialiste du Nigeria (DSM, section nigériane du Comité pour une Internationale ouvrière) s'est bien tenu ces 14-15 avril 2018. Cet évènement, au cours duquel nous nous sommes penchés sur le programme pour l'intensification de la lutte des classes au Nigeria, aura un impact dans les mois et années à venir. Nous vous proposons ici un bref compte-rendu de ce congrès, ainsi qu'un article d'analyse de la situation économique du Nigeria.

Un rapport plus complet des conclusions du Congrès sur l'ensemble de la situation politique, économique et sociale du Nigeria suivra sous peu.

Rapport de nos camarades sur le terrain au Nigeria


Le Congrès a été précédé d'une journée d'ateliers sur le travail étudiant et le travail femmes le vendredi 13 avril. Vingt-quatre camarades ont participé à ces deux ateliers. La commission étudiants a discuté des luttes croissantes au sein du mouvement étudiant et de la manière dont nous pourrions y intervenir ; nous avons résolu d'intensifier la lutte dans le mouvement étudiant en lançant une campagne nationale incluant des campagnes d'affichage, des partages de tracts, des conférences, des meetings publics et des manifestations. La commission femmes a quant à elle pris pour point de départ le récent scandale autour des soi-disant « Notes sexuellement transmissibles » à l'université Obafemi Awolowo à Ilé-Ifé (Sud-Ouest). Cet atelier a de même décidé de lancer une plateforme appelée « ROSA » : Résistance contre l'Oppression des femmes, le harcèlement Sexuel et la politique Antisociale.

Les participants au Congrès du DSM

Les participants au Congrès étaient au nombre de 70 délégués de nos différentes sections, ainsi que plusieurs observateurs et contacts. La discussion du premier jour a porté sur les perspectives pour la lutte des classes au Nigeria et sur les élections présidentielles qui auront lieu dans notre pays l'année prochaine (en 2019). Le deuxième jour s'est concentré sur la situation internationale, introduite par le camarade Robert Bechert du Secrétariat international du CIO.

Lors de ces deux discussions, la crise économique et politique du capitalisme a été débattue en profondeur. Au Nigeria comme partout ailleurs dans le monde, des décennies de politique capitaliste antisociale et de crises économiques ont engendré une forte déception vis-à-vis de la caste politique, ce qui pousse la population à chercher des alternatives. On voit dans plusieurs pays du monde une hausse du soutien pour des alternatives populistes, de droite ou de gauche, voire socialistes (ou revendiquées comme telles) – cette situation pourrait se répéter au Nigeria aussi. Cette perspective est bien présente en cette période pré-électorale, où de nombreuses personnes sont à la recherche d'une nouvelle alternative politique à l'APC de Buhari et au PDP de Goodluck Jonathan (deux partis aujourd'hui totalement discrédités). 

Cependant, et particulièrement si la direction du mouvement syndical persiste dans son incapacité à bâtir une alternative politique prolétarienne, il y a également le danger d'une hausse des crises à caractère ethnique ou religieux, tandis que des forces populistes de droite exploiteront ce vide politique à leurs propres fins. C'est une des raisons pour lesquelles le DSM contribue à la construction du Parti socialiste du Nigeria (SPN), qui vient d'être inscrit sur la liste de la Commission électorale indépendante après plus de trois ans de bataille juridique et politique, en même temps que nous continuons à militer pour la mise sur pied d'un parti prolétarien de masse armé d'un programme socialiste.

Le camarade Hassan Taïwo lors du Congrès du DSM

Le dernier jour, les discussions du matin se sont focalisées sur des rapports sur la construction du DSM et ses plateformes de campagne dans les entreprises, les quartiers et les universités. Nous avons été particulièrement inspirés par les rapports des camarades travailleurs et étudiants sur les luttes et les campagnes auxquelles ils ont participé. La session de l'après-midi a discuté de la construction du SPN et sur son rôle avant, pendant et après les élections de 2019.

Le Congrès s'est clôturé par l'élection d'une nouvelle équipe dirigeante à la tête du DSM et de ses divers organes. Les deux jours durant, nous avons fait des efforts pour récolter des fonds pour l'œuvre de notre organisation, y compris le SPN. Ce congrès a été une des plus importantes rencontres nationales du DSM de ces dernières années. Les discussions ont duré jusque tard dans la nuit, sans qu'aucun camarade ne flanche. L'enthousiasme et l'énergie des camarades sont autant d'indicateurs de l'immense confiance qui existe actuellement, surtout vu que le SPN a enfin pu être reconnu officiellement en tant que participant à la vie politique du pays, avec l'assurance que nous ne serons pas de simples spectateurs lors des élections à venir, mais que nous pourrons véritablement avoir un impact sur la situation.


Le camarade Abbey Trotsky lors de la conclusion du Congrès


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Économie du Nigeria : le pire est-il vraiment derrière nous ?


– dossier par notre camarade Peluola Adewale, Mouvement socialiste démocratique du Nigeria (CIO)

On se souvient que le président Muhammadu Buhari avait l'air bien triomphant lors de la réunion du 27 février du bureau national du Rassemblement pan-progressiste (All Progressives Congress), proclamant que son gouvernement était, « lentement mais surement, parvenu à stabiliser le pays et à le remettre sur les rails ». Il avait justifié cette affirmation en énumérant une longue liste de ce qu'il considérait comme autant d'indicateurs économiques impressionnants tels que la sortie de la récession, la hausse des réserves de devises étrangères, la stabilisation du naïra et le ralentissement du taux d'inflation.

Le même jour, le célèbre économiste Bismarck Rewane comparait Buhari à un joueur de foot qui aurait « marqué contre son propre camp, égalisé et puis qui se vante d'avoir obtenu le match nul ». En d'autres termes, selon M. Rewane, Buhari n'aurait fait que réparer des dégâts qu'il aurait lui-même causés.

Cette analogie n'est en fait appropriée qu'en surface. Premièrement, Buhari n'est toujours pas parvenu à réparer les dégâts que sa politique économique a infligés aux masses laborieuses. Oui, il y a quelques améliorations sur le papier, mais pour les masses laborieuses, cela revient à regarder des gens manger à la télévision pendant qu'elles ont faim. La réalité au jour le jour pour le prolétariat et les pauvres est une érosion drastique de notre niveau de vie en trois ans de gouvernement Buhari, avec un taux de pauvreté et de chômage qui ne fait que monter. La politique de Buhari a causé des dégâts irréversibles, avec la hausse des prix des biens et des services à des niveaux jamais vus, malgré le ralentissement de l'inflation dont on parle.

Deuxièmement, du point de vue des économistes bourgeois comme M. Rewane et des institutions internationales du capitalisme comme le FMI, si l'économie a été autant endommagée, c'est justement parce que Buhari a tant hésité à lancer sa politique de dévaluation du naïra et de dérégulation des prix de l'essence juste après avoir pris le pouvoir, et parce qu'il n'aurait pas appliqué cette politique de façon assez radicale. Ils se trompent.

Au contraire, la dévaluation du naïra et la hausse du prix de l'essence décidées par le gouvernement Buhari, qu'on nous avait présentées comme autant de mesures « correctives », ont en réalité aggravé l'impact de la crise mondiale du capitalisme sur les prolétaires et les masses pauvres du Nigeria.

Il est vrai que Buhari, qui avait été porté au pouvoir par une immense vague d'espoir – ou plutôt, d'illusion ! – de la part des masses, s'était tout d'abord opposé à la dévaluation du naïra. Mais la réalité est qu'il n'avait pas de programme ou de mesure alternatives à cette dévaluation. Une pression des masses à la base aurait pu le contraindre à concéder quelques réformes temporaires, mais l'absence de toute lutte sérieuse à fait en sorte que rien n'existait pour remettre en question le programme de Buhari, un programme qui se limitait strictement aux limites qui lui sont imposées par le système capitaliste et par le système néocolonial. Pendant ce temps, la crise économique continuait à se détériorer, l'inflation atteignait un pic plus vue depuis des années, le chômage s'aggravait encore tandis que les entreprises fermaient ou licenciaient des travailleurs en masse. Loin d'améliorer la situation, la dévaluation de 55 % du naïra n'a fait que l'empirer.

Ce qui a récemment contribué à améliorer les indicateurs économiques n'est pas la politique économique de Buhari, ni aucune autre série de mesures proposées par les économistes bourgeois et les institutions comme le FMI, mais tout simplement la hausse des prix du pétrole sur le marché mondial – une matière première qui compte pour 95 % des exportations du Nigeria, et 70 % des rentrées de l'État. Il n'y a donc pas la moindre raison de se réjouir : toute nouvelle baisse du prix du pétrole peut à tout moment renvoyer l'économie plonger !

Déjà, l'Agence internationale pour l'énergie (AIE), dans son rapport de février sur l'état du marché du pétrole, a averti d'un risque de surproduction de pétrole, de la part de pays non membres de l'OPEP (dont la production n'est pas régulée par les accords internationaux). Le principal danger selon l'AIE est la production de pétrole en provenance des États-Unis, qui s'est accrue très rapidement, au point que les États-Unis sont sur le point de dépasser l'Arabie saoudite en termes de production. Il est même possible que les États-Unis prennent, avant la fin de l'année, la première place mondiale à la Russie.

De plus, il n'est pas impossible que la production de pétrole en provenance du delta du Niger connaisse d'importantes interruptions pour des raisons politiques, avec le regain d'activité des mouvements séparatistes au Biafra. Cependant, il semble que les dirigeants politiques locaux aient réalisé que toute panne de la production affecte de façon disproportionnée leur propre région plus que le reste du pays, non seulement en termes de revenu pétrolier, mais aussi de destruction environnementale. C'est parce que le taux de 13 % de partage du revenu pétrolier aux régions productrices est établi en raison du volume de pétrole produit dans chaque région. Dans tous les cas, si le gouvernement parvient à maintenir la paix dans le delta du Niger même après les élections de 2019, il restera de toute façon incapable contrôler la quantité de pétrole vendue ni le prix auquel il sera vendu.

En conclusion, à l'heure actuelle, et tant que nous resterons dans le cadre du capitalisme, la santé de l'économie nigériane est quelque chose qui échappe et échappera entièrement à tout contrôle du gouvernement.

M. Buhari. Satisfait de son bilan.

Le gouvernement Buhari semble avoir tiré des leçons de l'échec du gouvernement Jonathan : c'est pourquoi il a accumulé une importante réserve de devises étrangères, de 46 milliards de dollars, dans une tentative de se prémunir des éventuels chocs pétroliers. Cependant, quoi qu'il en soit, la logique du capitalisme reste telle que toute nouvelle crise sera inévitablement déchargée sur le dos des masses pauvres.

La hausse relative du prix du pétrole qui est une bénédiction pour le gouvernement est en réalité une malédiction pour les masses : en effet, vu que, conformément à leur idéologie du « marché libre », nos différents gouvernements capitalistes ont toujours échoué à construire la moindre raffinerie de pétrole digne de ce nom dans le pays, toute hausse du prix du pétrole brut fait automatiquement monter le prix de l'essence, donc de l'électricité et de nombreux produits de base. Car le Nigeria a beau être le 6e plus grand exportateur de pétrole mondial, il a aussi, selon la compagnie nationale pétrolière du Nigeria (NNPC), le titre peu envié de plus grand importateur de carburants dans le monde !

L'annulation officielle des subsides étatiques au prix des carburants a convaincu les importateurs privés de cesser leurs importations en raison du prix trop élevé, ce qui fait que la NNPC, qui subsidie en secret son produit sous couvert de « recouvrement », est devenu le seul importateur de carburant du pays – ce qui explique la pénurie d'essence et le fait que partout dans le pays hors de Lagos, les prix à la pompe soient supérieurs au prix officiel du gouvernement. Tout semble indiquer que la seule raison pour laquelle le gouvernement Buhari n'ait pas annoncé de nouvelle hausse officielle des prix des carburants est la crainte de perdre les élections en 2019.

Nigeria. Le rang pour gagner de l'essence à la station.

Le malheur pour les masses pauvres du Nigeria est qu'elles sont toujours perdantes, que le prix du pétrole soit élevé ou non. Quand le prix du pétrole augmente, les masses paient leur essence plus cher ; mais quand le prix du pétrole diminue, le manque de liquidité sur le marché des changes cause une inflation des prix des biens importés, ce qui fait que tous les autres produits deviennent plus cher (y compris les dérivés pétroliers).

De même, lorsque les prix étaient bas, le gouvernement Buhari a affirmé qu'il était obligé d'emprunter des fonds pour financer son budget, du fait de la baisse de son revenu pétrolier et de l'absence de provisions laissées par le gouvernement précédent. Maintenant que le prix est reparti à la hausse et qu'il est par conséquent devenu plus facile d'emprunter sur les marchés étrangers, le gouvernement Buhari est en train de gonfler la dette étrangère dans une soi-disant tentative de rééquilibrer les profils de dettes publique et intérieure. 

En d'autres termes, la dette extérieure sera utilisée pour refinancer une partie de la dette intérieure afin de faire passer le rapport dette extérieure / dette intérieure de 20/80 à 40/60, faisant doubler en même temps le portefeuille de dette extérieure. Selon la ministre des Finances Mme Kemi Adeosun, cela a pour but de réduire la présence et l'influence du gouvernement dans le marché de la dette intérieure et de forcer les banques à prêter de l'argent au secteur « réel » de l'économie. Mais en réalité, la conséquence inévitable de cette nouvelle stratégie d'endettement du gouvernement Buhari est un retour à la crise de la dette extérieure dont notre pays n'avait pu sortir que par le « généreux » effacement de 12 milliards de dollars par le Club de Paris en 2005.

Mme Kemi Adeosun, la grande amie des banquiers de Londres
où elle a travaillé pendant 20 ans avant de revenir « servir son pays »

Le gouvernement pense que ses petites manœuvres techniques convaincront les banques de prêter de l'argent aux petites entreprises et industries. Il rêve. Sur la base du système capitaliste, les banques ne sont pas des agents de développement : leur seule raison d'être est la maximisation des profits. Ce qui va beaucoup plus probablement se passer est que ces banques vont s'adapter à la nouvelle donne imposée par le gouvernement en gardant les fonds inutilisés dans leurs coffres, sachant que la Banque centrale les payera sous la forme d'intérêts généreux sous prétexte d'absorber le trop-plein de liquidités. En d'autres termes, le même gouvernement va payer pour l'argent que les banques ont refusé de prêter aux entreprises. 

Le capitalisme est une véritable maison de fous ! Les banques doivent être nationalisées sous le contrôle démocratique des travailleurs et des consommateurs afin de garantir des crédits bon marché pour financer le développement. Cela ne sera possible qu'avec un gouvernement prolétarien qui appliquera un programme socialiste.

En guise de conclusion, la philosophie économique capitaliste de Buhari a pour résultat que les masses, qui se sont vu forcées d'éponger les dégâts causés par la chute du prix du pétrole, ne bénéficient que très peu, voire pas du tout, de la supposée reprise économique actuelle. De plus, la crise intraitable du cycle de croissance et de récession typique du capitalisme fait en sorte que la reprise actuelle de l'économie, causée par la hausse momentanée du prix du pétrole, pourrait ne pas durer bien longtemps. Seule une planification socialiste de l'économie, avec la nationalisation des secteurs stratégiques de l'économie tels que le pétrole, le gaz, les banques et la finance, etc., démocratiquement contrôlés et gérés, pourra nous permettre de sortir de ce cycle infernal de croissance et de récession, tout en assurant que les besoins de la vaste majorité soient la seule raison d'être de toute la production et la gouvernance.

La rapide disparition des illusions que les masses avaient dans Buhari, le mécontentement croissant face à l'élite dirigeante capitaliste, de même que le doute bien enraciné en sa capacité de gouverner dans l'intérêt du peuple, font en sorte que de plus en plus de personnes en quête de changement vont parvenir à la conclusion de la nécessité de la mise en place d'un gouvernement prolétarien avec un programme socialiste pour sauver le Nigeria et en faire un pays où il fait bon vivre.

Meeting syndical contre les pénuries d'essence

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