Les revendications des travailleurs et leur importance pour le mouvement ouvrier sud-africain
Le
Mouvement socialiste démocratique (section sud-africaine du
CIO) publie ici un rapport fait par les travailleurs de l'usine
Toyota de Prospecton, près de Durban. Cet article a été écrit le 9 septembre
pendant la grève, en attendant la réponse promise par le président
du Numsa (Syndicat national des métallurgistes d'Afrique du Sud).
Pour la direction du Numsa, la grève des travailleurs de Toyota est
illégale. Plus d'informations suivront.
M. Cedric Gina,
président national du Numsa, est arrivé à l'usine Toyota à
Prospecton (près de Durban, 3 millions d'habitants et plus
grand port d'Afrique ; l'usine Toyota est une des plus grandes
d'Afrique du Sud avec 7100 travailleurs et une
production de 220 000 véhicules par an) ce jeudi
5 septembre 2013 afin de prendre la parole lors d'une
assemblée de masse des travailleurs en grève. Il nous a dit que le
comité exécutif national (CEN) du Numsa a décidé de mettre
un terme à la grève. Il nous a dit que c'est la décision qui a été
prise par le CEN. La raison, selon le président, est que Numsa a
décidé de faire cesser la grève des travailleurs de l'industrie
automobile le lundi 9 septembre 2013.
Beaucoup
des travailleurs étaient si fâchés qu'ils ont hué le président
et lui ont crié qu'ils n'étaient pas d'accord avec cette décision
du CEN, vu que c'est eux, les travailleurs, qui sont en grève, pas
le CEN. Les travailleurs lui ont également dit que ce serait idiot
de retourner au travail alors que nos emplois sont menacés. Nous
devons gréver tous ensemble. Ce qui nous a encore plus fâché, est
que nous n'avons rien vu de neuf sur la table des négociations
depuis le début de la grève. Façon dont nous le voyons, le
président n'est venu que pour nous forcer de reprendre le travail.
Nous
avons tenté de débattre de la proposition des patrons, pour montrer
au président quelles sont nos motivations. L'offre des patrons est
une hausse de salaire de 10 %, 8,5 %, et 8,5 % sur
trois ans. De notre point de vue, cette offre peut être
améliorée, pour une hausse de salaire de 14 % en enlevant 30 %
de leur proposition de 2 milliards de rands (95 milliards
de francs CFA) pour l'assistance médicale et l'allocation
logement. Nous recommandons au président que les 70 % restants
de cette somme soient attribuées aux travailleurs en guise
d'allocation logement et assistance médicale sur une base
hebdomadaire.
La
direction du Numsa ne veut clairement pas voir ses membres débattre
de ces deux milliards. Nous soupçonnons la direction de vouloir
utiliser cet argent à des fins d'investissement pour la compagnie
d'investissement du Numsa (NIC). Nous avons dit au président que le
secrétaire général avait rapporté, lors de notre assemblée
générale trimestrielle, le fait que la Fedics (une grande
entreprise de services alimentaires) paie 250 000 rands
(11 millions de francs) au Fonds ouvrier tous les mois
– nous avons donc réclamé cet argent pour une allocation
transport hebdomadaire. Puisque nous ne recevons absolument rien de
la NIC, nous ne voulons pas de ces deux milliards que
l'entreprise a proposée de lui donner.
L'assemblée
de masse a pris fin sur la promesse du président de se réunir avec
le CEN pour discuter de la grève à Toyota, et qu'il nous ferait son
rapport lundi (9 septembre 2013). À notre grande surprise,
dès le lendemain (vendredi 6 septembre), le
secrétaire général du Numsa, M. Irvin Jim, a
convoqué l'ensemble des délégués du personnel de Toyota à son
bureau régional du KwaZulu-Natal. Là, il leur a rappelé aux
délégués que leur « devoir est de dire aux travailleurs de
reprendre le travail dès lundi ». Il a dit que le Numsa
annoncera publiquement le même jour la fin de la grève. Ce qui
contredit la promesse du président, qui devait nous recontacter le
même lundi.
Dimanche 8 septembre,
tous les travailleurs ont reçu des messages de la direction de
Toyota qui les informait que la grève était terminée et qu'on les
attendait au travail lundi à 7 h.
Manifestation des travailleurs de Toyota : « Nous voulons une allocation transport ; hausse de salaire de 14 % » |
Soutien
total aux travailleurs de l'industrie automobile !
Le
Parti ouvrier et socialiste (WASP) d'Afrique du Sud
soutient pleinement la grève des travailleurs du secteur de
l'industrie automobile. Vu les 18 milliards de rands de profits
qu'a fait le secteur l'an passé (860 milliards de francs CFA),
la revendication des travailleurs d'une hausse salariale de 14 %
nous parait plus que raisonnable – modeste, même. Comme il
fallait s'y attendre, nous voyons à présent une avalanche de
propagande anti-grève tomber sur les travailleurs pour les accuser
d'endommager l'économie, de faire fuir les investisseurs, et
d'exposer le pays au risque d'une nouvelle baisse de sa note.
Mais
la cherté de la vie, avec la hausse du prix du carburant, du
transport, de l'électricité et de la nourriture, ne laisse aux
travailleurs aucune alternative que de rejeter la proposition des
patrons d'une hausse de 10 %, qui ne pourra pas faire
grand'chose pour endiguer la baisse de leur pouvoir d'achat et donc
la valeur réel de leur salaire.
La
grève doit être menée, non seulement pour stopper l'érosion de
notre pouvoir d'achat, mais aussi pour corriger d'autres anomalies
créées par les patrons tout au long du précédent accord triannuel
qui a à présent expiré et pour rétablir la parité salariale
entre toutes les entreprises du secteur. Les médias n'ont rien dit à
ce sujet, préférant se concentrer exclusivement sur la question de
la revendication salariale.
Fin 2010
par exemple, les patrons de Toyota se sont détournés des accords
signés lors du Forum de négociation national et ont unilatéralement
augmenté les salaires des chefs d'équipe de 3,22 rands de
l'heure (140 francs), créant ainsi une disparité entre
travailleurs. Les travailleurs de Toyota ont réclamé que cette
anomalie soit corrigée et que tout le monde reçoive le même
salaire que les chefs d'équipe. Les patrons ont ignoré cette
revendication. Hélas, la direction du Numsa n'a rien fait pour
corriger cette anomalie, n'a pas entamé la moindre négociation ni
appelé à la moindre action, laissant ainsi les patrons penser
qu'ils avaient toute latitude de diviser les travailleurs et de
violer les conventions collectives.
C'est
pourquoi en septembre 2012, les travailleurs de Toyota
avaient décidé de prendre cette affaire entre leurs propres mains,
ont mis en place un comité de grève et ont cessé le travail.
Malgré le fait que cette grève ne “respectait pas les
procédures”, elle s'est soldée par une victoire partielle. Les
patrons ont concédé la hausse de 3,22 rands pour tous. Mais,
plutôt que d'intégrer cela dans la paie de base, ils l'ont ajoutée
au salaire existant en tant que prime à payer jusqu'en juin 2013.
L'intégration effective des 3,22 rands au salaire de base
devait commencer dès juillet 2013, au taux de 1,07 rands
par heure et par an, dont la différence entre ce taux et les
3,22 rands devaient être versés sous la forme d'une prime
annuelle allant diminuant jusqu'à la fin de cette transition de
trois ans.
Mais
cela ne s'applique qu'à Toyota. En réponse aux revendications des
travailleurs des autres entreprises, les patrons ont proposé à la
place un paiement en une fois de 2225 rands pour la durée de
l'accord de trois ans. À part le fait que ceci représente
beaucoup moins que ce que gagnent les travailleurs de Toyota, l'offre
des patrons élargit le fossé entre les salaires des travailleurs
des autres entreprises et encore plus avec ceux des chefs d'équipe
de Toyota dont la hausse de 3,22 rands est prise en compte dans
le salaire de base depuis 2010. L'offre des patrons prolonge et
agrandit les disparités entre travailleurs, et revient à demander
au syndicat de fermer les yeux sur les violations des conventions
collectives faites par les patrons. L'action des patrons n'est en
fait qu'un nouveau cas de “diviser pour régner” – encore
et toujours cette vieille ruse. Nous ne devons pas laisser passer
cette tentative de nous affaiblir. Nous devons renforcer la
solidarité en mettant en avant des revendications identiques, basées
sur le principe “À travail égal, salaire égal”, dans toutes
les entreprises du secteur.
Du
point de vue des travailleurs, la centralisation des conventions
collectives ont toujours eu pour but d'empêcher les patrons de
liguer les travailleurs d'une entreprise contre ceux d'une autre, en
prenant pour prétexte la différence de performance des différentes
entreprises. Le gouvernement danse sur la musique des patrons de
l'automobile depuis l'adoption du plan Gear de 1996, qui a
octroyé d'immenses subsides à leur secteur avec pour objectif de
faire de l'Afrique du Sud une plate-forme de l'exportation
sur le marché mondial, surtout vers les pays capitalistes avancés.
Les
efforts réalisés en vue de faire de l'Afrique du Sud un
pays industriel “compétitif” pour l'exportation ne peuvent en
dernier recours se concrétiser qu'en faisant autant que possible
baisser les salaires et les conditions de travail, en liguant les
travailleurs d'une entreprise contre ceux des autres entreprises,
d'un secteur contre ceux des autres secteurs, et les travailleurs
d'Afrique du Sud contre nos frères et sœurs de classe des
autres pays.
À
part les bénéfices évidents que tirent les patrons de tout ceci
sous la forme de profits plantureux, les bénéfices que tire
l'économie du pays des subsides du gouvernement à l'industrie
automobile sont pour le moins douteux. Il est de plus en plus reconnu
que l'importation de pièces détachées automobiles a un effet
extrêmement délétère sur notre balance commercial – la
différence entre importations et exportations. Cela a pour effet un
affaiblissement du cours de notre monnaie, ce qui menace la capacité
d'attraction des investisseurs de l'Afrique du Sud en
rands, vu que leur argent perd rapidement de sa valeur. Cela force la
banque nationale à maintenir les taux d'intérêts à leur niveau
actuel – le taux le plus bas en 30 ans ; alors que
la dette des ménages demeure en moyenne à 75 % du salaire
annuel.
Les
dirigeants syndicaux doivent reconnaitre la réalité de tous ces
calculs sans scrupules qui se cachent derrière l'attitude des
patrons lors des négociations salariales. Nous devons forger la
solidarité au-delà des murs des entreprises, des secteurs, et à
travers tout le pays et toute l'économie. Aujourd'hui, les
travailleurs de différents secteurs sont occupés à des
négociations salariales – dans les mines, dans l'aviation,
dans la construction – et d'autres encore arrivent. Nous avons
donc une occasion en or d'unir toutes ces différentes luttes et de
les relier entre elles, en particulier de les associer à la lutte
contre les licenciements dans le secteur des mines, qui se trouve en
ce moment à l'avant-garde de la lutte de classes : il nous faut
une grève générale pour un salaire national minimum de
12 500 rands par mois (600 000 francs CFA),
la fin des licenciements, et la nationalisation des mines sous le
contrôle et la gestion par les travailleurs.
Les ouvriers de Toyota à l'œuvre |
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