La direction du FPI a fait son temps – il nous faut de nouveaux organes de
lutte pour les travailleurs
On
voit beaucoup le président du FPI, Affi N'Guessan dans les
médias ces temps-ci. Après près de deux ans et demi de
détention arbitraire, on le voit en quelque sorte revivre, avec
notamment sa grande tournée dans l'intérieur du pays et de
nombreuses interviews accordées à RFI, à la BBC, etc. Les milliers
de jeunes, de travailleurs et de pauvres qui se sont déplacés pour
le voir parler révèle non seulement le fait que le FPI conserve une
large base de soutien parmi la population, mais aussi la désillusion
vis-à-vis du pouvoir RDR. Cependant, M. N'Guessan risque d'en
décevoir plus d'un.
Article par Jules Konan, CIO-CI
Un discours fort mou
Ainsi,
dans son interview
donnée à la BBC il y a deux semaines et retranscrite par
le journal bleu “Aujourd'hui”, – tout comme dans celle
donnée à RFI – pas la moindre trace de radicalisme ni de
combat pour la cause des travailleurs, jeunes et pauvres de
Côte d'Ivoire. On parle de réconciliation, de justice, de
dialogue, de foncier, de sécurité, de CPI, de démocratie, de
« réforme politique profonde », de « constitution
des institutions », d'élections… et évidemment, de la
libération de Gbagbo, qui sont tous les thèmes préférés du FPI
ces derniers temps. Mais pas un mot sur la cherté de la vie, sur les
bas salaires, le chômage, rien sur le statut des fonctionnaires et
des enseignants, rien sur les universités, la crise dans les
transports… Comme d'habitude, le FPI privilégie des thèmes qui
sont ceux chers à la bourgeoisie, à l'intelligentsia nationale et
aux petits et moyens propriétaires ivoiriens.
Sur
la question de la justice, Affi N'guessan demande la justice
pour l'ensemble des acteurs de la crise, avant de clamer qu'il est
logique de libérer les membres de son parti, vu qu'« ils sont
innocents » – on est encore en plein dans la
logique du tout blanc – tout noir. Tout en proposant que, vu que la
justice ivoirienne est dépassée par les évènements et à la botte
du pouvoir, soient créés des « États généraux de la
République » en tant qu'organe de « justice
transitionnelle ».
Affi N'guessan
parle de « tourner la page des violences politiques, des
confrontations ». À la question de savoir s'il reconnait la
légitimité du pouvoir d'Alassane, il répond qu'il vaut mieux
éviter de « retourner le couteau dans la plaie, de revenir sur
des questions qui n'ont aucun intérêt à l'heure actuelle » !
Bref,
Affi N'guessan, en tant que politicien d'un parti représentant
la bourgeoisie nationale ivoirienne, abandonne toute analyse
politique et sociale quant au fond du conflit pour se limiter
purement à la forme. La bourgeoisie nationale anciennement rebelle,
matée par la puissance de l'impérialisme, courbe l'échine et
rentre dans le jeu. Le FPI est prêt à entrer au gouvernement, à
négocier d'égal à égal avec le RDR pour un partage du pouvoir. Le
FPI révèle ainsi sa nature de classe – bien qu'il représente
une autre faction de la bourgeoisie que celle représentée par le
RDR ou le PDCI, il reste un parti pro-capitaliste, qui n'a aucun
intérêt à mener une lutte véritablement révolutionnaire dans
l'intérêt des travailleurs de Côte d'Ivoire.
Comment
peut-on dire que la question de la légitimité du pouvoir RDR n'a
« aucun intérêt à l'heure actuelle », quand tous les
jours les ministres d'Alassane mangent et volent l'argent des
universités, de l'école, des routes, des fameux grands chantiers,
des églises même, bradent les richesses nationales, licencient des
fonctionnaires, protègent des criminels, chassent les commerçants
et mendiants des carrefours, suppriment les subsides sur le gaz et
l'essence, se paient des voyages de luxe et placent leurs copains à
la tête de l'administration ou à la douane ? À moins que le
FPI ne reconnaisse que “c'est de bonne guerre” ?
Pour Affi N'Guessan, « Peu importe ! » qui est à la tête de l'État ivoirien (interview RFI) |
Lutter
contre l'impérialisme – pour le socialisme
Pour
le CIO, la libération de la Côte d'Ivoire du joug de
l'impérialisme et du système néocolonial ne pourra se faire que
par la classe des travailleurs en lutte contre l'ensemble du système
capitaliste dont l'impérialisme n'est qu'un des nombreux aspects. Il
nous faut une fédération socialiste démocratique à l'échelle
régionale, voire continentale, dans laquelle les richesses
naturelles appartiendraient à la collectivité, sous gestion
d'agoras locales composées de travailleurs, de jeunes, et de paysans
pauvres, pour une planification de l'économie qui nous permettrait
de sortir du chaos et du gaspillage constant de ressources
matérielles et humaines qui est le propre du capitalisme.
L'ensemble
des dirigeants, y compris dans la police et dans l'armée, seraient
élus par des comités et agoras de la base, révocables à tout
moment sans attendre la fin de leur mandat (qui devrait de toutes
façons être renouvelé régulièrement, par exemple tous les
deux ans), et ne devraient pas recevoir plus que le salaire
moyen d'un travailleur qualifié (soit, dans l'état actuel des
choses, environ 300 000 francs par mois). Les agoras
démocratiques et omniprésentes se chargeraient de mobiliser les
travailleurs et la jeunesse pour la reconstruction et le
développement de l'économie, tout en assurant la défense et la
sécurité.
Ce
n'est qu'ainsi que nous pourrons lutter contre la corruption et la
complaisance des hauts cadres, ce n'est qu'ainsi, par la
planification d'une économie nationalisée et démocratique, que
nous pourrons utiliser les ressources naturelles pour mettre en œuvre
une politique véritablement socialiste d'investissement massif dans
l'industrie, les transports, les infrastructures, l'enseignement, la
santé et les services publics, afin d'assurer le plein emploi et de
créer un cadre de vie harmonieux à l'échelle de tout le
territoire, dans le cadre d'une fédération socialiste de
l'Afrique de l'Ouest avec le Burkina, le Mali, etc. et en
toute indépendance par rapport aux puissances impérialistes.
De
même, si l'on parle de justice, nous ne pensons pas que qui que ce
soit soit “innocent” dans un camps ou dans l'autre comme le
proclame sans rougir Affi N'guessan : quand bien même ils
n'auraient pas donné l'ordre de tuer des gens, le FPI est pour nous
tout autant responsable de la crise que le RDR, car il n'a pas osé
mener une politique véritablement révolutionnaire qui aurait pu
nous mener à la victoire et rapidement saper toute base sociale à
la rébellion (voir entre autre notre
article à ce sujet dans lequel nous critiquons la gestion de la
crise ivoirienne par le FPI et par Gbagbo).
Pour
nous, la justice doit passer non pas par des « États généraux
de la République » auxquels siégeraient des politiciens
connus et qui ne seraient que prétexte pour les diverses factions de
l'élite ivoirienne à régler ses comptes entre elles, mais par la
mise en place de tribunaux
populaires dont les jurés seraient des représentants élus par
les travailleurs, les jeunes, les paysans et les pauvres en général,
afin de mettre en place non pas une « justice transitionnelle »
mais une justice de classe qui renforcerait la solidarité entre les
travailleurs tout en assurant le fait que l'ensemble des coupables
reçoivent un châtiment (ou non) qui corresponde aux attentes de la
population, loin des manœuvres politiciennes.
Pour le socialisme, basé sur le pouvoir des assemblées populaires |
Un
“moindre mal” qui n'en est pas un
Mais
ce n'est pas cela que nous proposent les “socialistes” du FPI
– ni d'ailleurs leurs ex-camarades de l'internationale
“socialiste” comme le PS des François Hollande et compagnie
en France. Ces faux socialistes sont depuis longtemps acquis corps et
âme à la cause du système capitaliste ou, dans le meilleur des
cas, ne représentent qu'un “moindre mal” qui, en période de
crise internationale aigüe du système capitaliste, n'en est en
réalité plus un. Si auparavant les soi-disant “socialistes” et
autres partis bourgeois “progressistes” (comme le parti démocrate
américain) pouvaient trouver quelques miettes afin de satisfaire les
travailleurs et les pauvres tout en continuant leur politique au
service de la grande bourgeoisie, aujourd'hui, ce n'est plus le cas.
Toute mesure que nous voudrions prendre à l'encontre du système se
retournera contre nous. Taxer la CIE ? C'est la facture de
l'électricité qui monte. Cesser les subventions aux grosses
multinationales du cacao ? C'est la délocalisation. Augmenter
les salaires ? C'est des licenciements. Rétablir les
subventions du carburant ? C'est trouer le budget d'État. Les
patrons réclament de plus en plus de garantie pour continuer à
“faire tourner” l'économie, et c'est pourquoi Obama aux
États-Unis s'en prend à la sécurité sociale et aux enseignants,
ou Hollande en France crée de nouveaux subsides pour les patrons
tout en attaquant les fonctionnaires et les immigrés.
Ces
derniers temps, la crise a engendré la colère des masses et une
vague de résistance à l'échelle mondiale. Les capitalistes le
savent et ont quelque peu changé leur fusil d'épaule. Alors que les
années '2000 ont vu des politiciens dits de “droite” se
succéder au pouvoir (Chirac, Sarkozy, Bush…), la bourgeoisie a
dans toute une série de pays utilisé les partis dits de “gauche”
justement en temps que “moindre mal” pour endormir les masses en
leur faisant croire qu'à part ces politiciens, on ne pourrait pas
mener une politique plus à gauche, qu'il faut être “réaliste”
– c'est-à-dire, accepter sans broncher le fait que les
travailleurs et pauvres du monde entier se voient à présent
contraints de payer pour une crise provoquée par les banquiers et
les grandes multinationales.
Dans la plupart des pays donc, ces
partis bourgeois dits de “gauche” se sont révélé l'arme la
plus efficace entre les mains de la bourgeoisie et de l'impérialisme
pour assurer la stabilité et la “paix sociale”, d'autant que
bien souvent ils possèdent en outre de nombreux liens avec les
directions des syndicats, ce qui leur assure le contrôle sur ces
organismes : en France, aux États-Unis, en Irlande, en
Grèce, en Belgique, au Portugal, en Espagne… et la Côte d'Ivoire
ne semble pas faire exception.
Comme
nous l'avons déjà
expliqué, les impérialistes qui avaient tant misé sur leur bon
cheval qui était Alassane, ont beaucoup de raison de se plaindre et
craignent des émeutes dans le pays. Le mécontentement est en effet
énorme, la situation – explosive. C'est pourquoi les
ambassades de France, des États-Unis, du Royaume-Uni, etc. sont
maintenant très occupées à discuter avec le FPI. Alors que ce
parti était il y a peu de temps encore considéré comme pestiféré,
l'impérialisme se rend compte à présent qu'il est dans leur
intérêt et celui de la stabilité en Côte d'Ivoire de miser
sur un nouveau cheval. On a d'ailleurs vu dans la presse bleue les
journalistes pro-FPI se vanter de ce que leur parti serait prêt à
offrir un partenariat “gagnant-gagnant” avec l'impérialisme et
se voit en temps que “pièce de rechange” pour raccommoder le
système.
Par
“gagnant-gagnant”, il faut évidemment entendre “gagnant” pas
pour “la Côte d'Ivoire” en général, mais pour la
bourgeoisie et l'intelligentsia nationale ivoirienne – plus
d'opportunités “d'investissements”, plus d'offres d'emploi
peut-être pour quelques diplômés, mais comme le montre
l'expérience des travailleurs
sud-africains, ou chinois
(sans parler du Nigeria),
l'“émergence” tant vantée se traduit en réalité par toujours
plus d'inégalités, avec pour les travailleurs une vie de misère
soumise aux caprices des grandes multinationales, des politiciens et
des directions syndicales corrompues avec en plus la pollution, la
violence et les suicides collectifs.
D'ailleurs,
on voit bien qu'en ce moment aussi, lorsque le FPI parle de se battre
pour l'“indépendance nationale”, ce n'est jamais pour critiquer
les multinationales occidentales ou asiatiques, mais uniquement pour
parler du soi-disant “bradage de la nationalité” avec des
discours destinés à semer la division
entre les travailleurs de Côte d'Ivoire (qu'ils soient
d'origine autochtone ou sahélienne).
Le “moindre mal” du PS français |
Pour
la construction de nouveaux organes de lutte
Bref,
comme nous le disions au début de cet article, Affi N'guessan
et le FPI risquent d'en décevoir plus d'un. Pour nous au CIO, le FPI
a abandonné la lutte contre l'impérialisme au profit d'un énième
compromis pourri entre lui et la bourgeoisie nationale (un Marcoussis
permanent, en quelque sorte). Cette lutte doit être poursuivie par
les travailleurs, les jeunes, les paysans et les pauvres de
Côte d'Ivoire, quelle que soit leur ethnie, leur religion, leur
sexe ou leur nationalité d'origine, par la construction de nos
propres organes de lutte, indépendants de toute faction de la
bourgeoisie.
La
Coalition des indignés de Côte d'Ivoire est pour nous un bon
premier pas dans cette direction – elle doit se structurer
pour devenir une force démocratique dans laquelle chacun peut
participer à la prise de décision et à la planification des
actions, tout en se dirigeant, pourquoi pas, vers la constitution
d'un nouveau parti politique qui représenterait véritablement la
population laborieuse de Côte d'Ivoire. Il nous faut également
refonder les agoras – des agoras véritablement démocratiques,
ouvertes à tous quels qu'ils soient, et indépendantes de tout parti
bourgeois – afin de coordonner les luttes à l'échelle
nationale, et de servir de base future au nouveau pouvoir, un
gouvernement des travailleurs et des pauvres.
Construire nos propres structures pour la lutte pour le pouvoir des travailleurs |
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