Les raisons de la crise en Ukraine
L'Ukraine
est à nouveau ébranlée par des manifestations de masse. La police
anti-émeutes du président Ianoukovitch a violemment pris à
partie les manifestants sur la place de l'Indépendance (Maïdan
nézalejnosti) de Kiev. À ce jour, 29 personnes ont été
tuées, en plus de centaines de blessés graves. En cause : un
système politique pourri. Nous analysons ici les différentes forces à
l'œuvre dans la crise ukrainienne.
Article de notre camarade Rob Jones, Komitiét za rabotchiy internatsïonal (CIO-Russie)
Les
passions se sont autant déchainées que l'hiver a été rude en
Ukraine. Les manifestants occupent les bâtiments du ministère et de
la mairie dans la capitale, Kiev, et un peu partout dans le pays,
surtout dans l'Ouest. À l'Est, d'où le président Yanoukovitch tire
sa principale base de soutien, les autorités locales ont bloqué
leurs propres bureaux avec de grands blocs de béton afin d'éviter
toute tentative d'occupation. Les manifestants prennent tout ce qui
leur tombe sous la main pour construire des barricades. Dans certains
endroits, ce sont des piles de vieux pneus ; dans d'autres, des
sacs de sable remplis de neige et de glace.
Dix ans
se sont écoulés depuis le grand mouvement appelé la “révolution
orange”, qui avait été organisé contre les fraudes électorales
et qui avait contraint Yanoukovitch à laisser le pouvoir à son
rival Viktor Youchtchenko. Youchtchenko n'a pu rester au pouvoir
que le temps d'un mandat avant d'en être de nouveau chassé par
Yanoukovitch aux élections suivantes. Aujourd'hui, la place de
l'Indépendance de Kiev (Maïdan nézalejnosti) est à nouveau
remplie de milliers de manifestants qui y campent depuis
deux mois dans un village de tentes et de barricades, avec le
même but de chasser Yanoukovitch. Le mot “Maïdan” fait depuis
partie du vocabulaire politique en tant que symbole de contestation,
cette fois sous l'appellation “Yevromaïdan” (place de l'Euro).
Le
facteur déclencheur du mouvement a été la décision prise
le 21 novembre par le parlement ukrainien de ne finalement
pas signer l'“accord d'association” avec l'Union européenne
qui aurait dû être signé fin novembre lors d'un sommet
européen en Lituanie. Cet accord n'était pas une invitation pour
l'Ukraine à rejoindre l'Union européenne – dans le
climat économique actuel, l'UE peut sans doute encore se permettre
d'intégrer l'un ou l'autre petit pays d'Europe de l'Est (comme la
Croatie), mais certainement pas l'Ukraine, qui est à la fois le
troisième pays le plus pauvre du continent européen tout en
étant le plus grand par sa superficie sur le continent et celui qui
a la cinquième plus grande population du continent (Russie
exceptée). Cet accord d'association avait pour but d'encourager
l'Ukraine à adopter les soi-disant “valeurs européennes” de
“démocratie“ et de “justice”, et surtout à aller vers un
accord de libre-échange entre ce pays et le reste de l'Europe.
(Les seuls pays du continent européen à être plus pauvres que l'Ukraine sont la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie, dont les PIB par habitant sont à rapprocher de ceux du Ghana et du Pakistan ; le PIB par habitant de l'Ukraine est d'à peine 5100 €, équivalent à celui de l'Algérie ; à titre d'exemple, le PIB par habitant de la France est de 25 000 € ; celui du Kazakhstan est de 9500 €, celui de la Roumanie, 8900 €).
(Les seuls pays du continent européen à être plus pauvres que l'Ukraine sont la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie, dont les PIB par habitant sont à rapprocher de ceux du Ghana et du Pakistan ; le PIB par habitant de l'Ukraine est d'à peine 5100 €, équivalent à celui de l'Algérie ; à titre d'exemple, le PIB par habitant de la France est de 25 000 € ; celui du Kazakhstan est de 9500 €, celui de la Roumanie, 8900 €).
Selon le
premier ministre du moment, Mykola Azarov (qui a été viré
en janvier dans une tentative de satisfaire les revendications des
manifestants), la décision de reporter la signature de l'accord
d'association aurait été prise à la suite d'une lettre du FMI
qu'il aurait reçue le 29 novembre, dans laquelle le FMI
détaillait les conditions pour le remboursement des emprunts
effectués pour sauver l'économie du pays en 2008 et 2010.
Selon Azarov, « Les termes consistaient en une hausse du prix
du gaz et du chauffage pour la population d'environ 40 %,
la promesse de geler le salaire minimum de base au niveau actuel, une
importante réduction des dépenses budgétaires, la diminution des
subsides sur l'énergie, et la suppression graduelle des exemptions
de TVA pour l'agriculture et d'autres secteurs ». Il se
plaignait donc du fait que, alors que l'UE fait beaucoup de promesses
en parlant des avantages futurs pour l'économie du pays, elle n'est
jamais là quand on a besoin d'elle aujourd'hui.
Depuis
le début de la crise mondiale, l'Ukraine s'est trouvée dans une
situation économique effarante. Entre 2008 et 2009, le PIB
est tombé de 15 %, et ne s'est pas relevé depuis. Le chômage
officiel est passé de 3 % à 9 % – un chiffre qui
sous-estime de beaucoup la situation réelle. La situation désespérée
dans laquelle vivent de nombreux Ukrainiens explique pourquoi le
mouvement a pris une coloration si pro-européenne, du moins dans ses
premiers stades. Beaucoup de personnes, surtout parmi la jeunesse,
considèrent l'Union européenne en tant que havre de richesse
et de liberté, surtout comparée à l'autre puissance voisine – la
Russie. Il suffit de regarder le salaire moyen pour comprendre cela :
il est de 250 € par mois en Ukraine (et plus bas dans l'ouest
du pays que dans l'est), alors qu'en Pologne, pays européen voisin
de l'Ukraine, le salaire moyen est le double.
Lorsqu'ils
ont entendu dire que c'est à cause de la pression russe que la signature
de cet accord avec l'UE avait été annulée, les étudiants sont
descendus dans les rues de l'ouest du pays. À Lviv, la plus grande
ville de l'ouest, les revendications étaient très larges : à
côté de ceux qui exigeaient du gouvernement la signature de
l'accord, on en voyait d'autres qui tenaient des pancartes demandant
la fin du contrôle des entrées et sorties et du couvre-feu dans les
résidences universitaires (les portes sont généralement fermées à
partir de 22 heures).
La fameuse “révolution orange” en 2004 n'a fait qu'installer une nouvelle équipe de politiciens bourgeois corrompus à la place de l'ancienne… qui est revenue au pouvoir lors des élections suivantes |
Le tir à la corde Est-Ouest
La
question nationale était déjà bien présente lors de la
révolution orange, et continue à jouer un rôle extrêmement
important dans le Yevromaïdan. Il y a de fortes divisions entre
l'ouest du pays, ukrainophone (c'est-à-dire qu'on y parle la langue ukrainienne, cousine du russe), et l'est, russophone et beaucoup plus
industrialisé. Mais la division linguistique s'est changée en une
âpre lutte où tous les coups sont permis, exacerbée par les
différentes puissances impérialistes afin de tirer des profits de
l'exploitation de l'Ukraine et d'accroitre leur avantage
géopolitique. Avant l'éclatement du Yevromaïdan, les puissances
occidentales étaient prêtes à faire des concessions au
gouvernement ukrainien uniquement parce qu'elles voudraient pouvoir
utiliser ce pays en tant qu'“État tampon” afin de
restreindre l'influence de la Russie. La Russie veut quant à elle
maintenir son influence et utilise l'aide qu'elle fournit au pays
afin de renforcer sa position.
Le
président Yanoukovitch est généralement considéré comme
étant pro-russe mais, depuis son retour au pouvoir en 2010,
il s'est montré extrêmement pragmatique dans ses relations entre les
différentes puissances. Sa première visite officielle après sa
réélection était à Bruxelles (capitale de l'Union européenne), où il a affirmé que l'Ukraine ne
remettrait pas en question son affiliation au programme d'extension
de l'Otan. Juste après, il s'est rendu à Moscou en Russie afin d'y promettre
de restaurer les bonnes relations entre l'Ukraine et la Russie. Il a
cependant résisté à toutes les tentatives de Vladimir Poutine
de faire entrer l'Ukraine dans son “union douanière eurasienne”
qui inclut la Russie, le Bélarus et le Kazakhstan. Jusqu'à sa
décision choc fin 2013, Ianoukovitch semblait être fort
enthousiaste au sujet de l'accord d'association européen.
Au fur
et à mesure que la date de la signature se rapprochait, la Russie a
commencé à imposer de plus en plus de restrictions au commerce. Le
volume des échanges entre les deux pays a décru de 11 %
en 2012, et encore de 15 % en 2013 ; le volume des
échanges entre l'Ukraine et l'UE équivaut à peu près à celui
avec la Russie, mais vu l'état de l'économie européenne, l'Ukraine
n'a pas pu accroitre ses échanges avec l'UE afin de compenser ses
pertes avec la Russie. La proposition d'aide européenne, d'un
montant de 1,8 milliards d'euros sur dix ans (1200 milliards de FCFA), n'était
clairement pas suffisante. De plus, la Russie utilise ses gazoducs à
travers l'Ukraine en tant qu'argument supplémentaire.
Cela
semble à présent difficile à croire, mais les premières journées
du Yevromaïdan se sont déroulées dans une ambiance véritablement
festive. Beaucoup d'étudiants considéraient cela comme un grand
pique-nique ; ils disaient ne pas vouloir soutenir l'un ou
l'autre parti politique. Lors du grand rassemblement du 24 novembre,
les discours des principaux partis d'opposition ont fait l'effet de
pétards mouillés. La foule scandait « À bas les bandits »
– c'est-à-dire, Ianoukovitch et sa clique. Les quelques
nationalistes qui cherchaient à provoquer des divisions en huant les
“Moskali” (insulte envers les personnes d'ethnie russe) restaient
isolés.
Tout
cela a changé assez rapidement, début décembre, lorsqu'un orateur
du parti d'extrême-droite Svoboda (“Liberté”) a demandé qu'un
stand installé là par un syndicat indépendant soit enlevé. Cela a
été le signal pour une bande de voyous d'extrême-droite d'attaquer
les syndicalistes, brisant même les côtes de l'un d'entre eux.
Un mouvement au départ festif et pacifique s'est rapidement changé en un début de guerre civile |
L'“opposition” politique
Dès le
départ trois personnalités, représentant la coalition des
partis d'opposition au parlement, ont été le visage de la
contestation. Arseni Yatseniouk représente le parti de
l'ancienne première ministre (en prison) Ioulia Tymochenko,
autrefois surnommée la “princesse du gaz” lorsqu'elle se faisait
une immense fortune en contrôlant la plupart des importations de gaz
venant de Russie. Elle était un des principaux dirigeants de la
révolution orange ; mais une fois au pouvoir, son
gouvernement a suivi une ligne économique basée sur un mélange de
pro-européanisme et de néolibéralisme, avec une vague sauce
populiste très modérée. Le second leader est Vitaliy Klytchko,
champion du monde de boxe, dont le parti Oudar (“Coup”) veut
l'intégration à l'Union européenne et est lié au
Parti populaire européen, le bloc des chrétiens-démocrates
(centre-droite) au parlement européen.
La
troisième figure de proue est Oleh Tiahnybok, du parti
“Liberté”, qui a 37 sièges au parlement et contrôle le
gouvernement local dans trois régions. Il s'agit d'un parti
d'extrême-droite voire, selon certains, néofasciste. Jusqu'en 2004,
ce parti utilisait la svastika comme symbole. Tiahnybok lui-même
voue une haine virulente envers toute la gauche, et justifie la
collaboration de certains Ukrainiens avec Hitler pendant la
Seconde Guerre mondiale comme ayant été nécessaire afin de
« nettoyer l'Ukraine des éléments impurs tels que les
Moskali, les Allemands et les Juifs ». “Liberté” tente
aujourd'hui de modérer son image pour des raisons électorales, mais
joue un rôle de plus en plus dangereux dans le Yevromaïdan, aux
côtés de groupes encore plus répugnants, tels que l'union de
partis et hooligans fascistes “Secteur droite” (Pravyï sektor).
À la
suite du refus de signer l'accord d'association, Yanoukovitch a été
forcé de voyager partout dans le monde pour y chercher des fonds.
Bien que la Chine ait signé des accords commerciaux d'une valeur
totale de 5,6 milliards d'euros, elle est apparue peu encline à
apporter une aide directe à l'Ukraine. La Russie a par contre
accepté un prêt de 10 milliards d'euro, en plus d'une
réduction du prix du gaz naturel de 33 %, bien que cet
accord pourrait être fortement remis en question si Yanoukovitch
quittait le pouvoir. Tout en aidant l'Ukraine à éviter la faillite
sur sa dette dans l'immédiat, l'économie, après trois mois de
manifestations permanentes, reste dans un état désespéré.
Les politiciens bourgeois libéraux comme Yatseniouk (à gauche) se retrouvent malgré eux à jouer le jeu des “patriotes” d'extrême-droite comme Tiahnybok (à droite) |
Une violence étatique croissante
Au
moment où cet accord avec la Russie a été conclu, la situation
avec le Yevromaïdan échappait déjà à tout contrôle. Les forces
de l'État, en particulier la police anti-émeutes, ont tenté
d'interrompre le mouvement en attaquant la place de l'Indépendance
le 30 novembre à 4 heures du matin (sous prétexte de
faire de la place pour pouvoir y ériger le grand sapin de Noël),
blessant grièvement plusieurs personnes. Le lendemain, des centaines
de milliers de manifestants ont débarqué en guise de réponse
à cette attaque par la police, et la contestation n'a cessé de
croitre tout au fil de la semaine. La nature des revendications a
changé. La signature de l'accord d'association européen est passée
au second plan, tandis que de plus en plus de gens réclamaient
la démission du président et du gouvernement, et des élections
anticipées. Divers groupes se sont mis à occuper des bâtiments
administratifs. Même la présidence a été assiégée. Les groupes
de droite ont commencé à organiser des milices et des groupes de
défense.
L'ampleur
renouvelée de la contestation a causé une crise catastrophique au
régime. En recourant à la répression, il n'avait fait que
provoquer encore plus de colère. Incapable de calmer les
manifestants, le gouvernement a voté douze lois le 16 janvier,
qui ont été surnommées les “lois dictatoriales”. Ces lois, si
elles étaient appliquées, feraient de l'Ukraine un pays aussi
répressif que les régimes autoritaires de Russie, du Bélarus et du
Kazakhstan. Toute activité “extrémiste” (ce dernier terme
n'étant pas défini dans la loi afin de demeurer à la libre
interprétation de la police ou des juges) pourrait désormais mener
à trois ans de prison ; l'occupation des bureaux
administratifs, à cinq ans. Les organisations qui reçoivent de
l'argent de l'extérieur seraient à présent considérées comme des
“agents étrangers” ; il est interdit de porter des masques,
et l'accès à internet a été restreint. La police et les autres
agents de l'État reçoivent en outre l'immunité pour tout crime
perpétré à l'encontre de manifestants.
Ces lois
ont évidemment mené à une nouvelle vague de contestation
redoublée. Non seulement la manifestation du week-end qui a suivi
l'adoption de ces lois était forte de 200 000 personnes,
mais les manifestants les plus radicaux, principalement
d'extrême-droite, ont renforcé leur occupation des sièges
gouvernementaux. Un groupe fasciste nommé Assemblée nationale
ukrainienne – Autodéfense ukrainienne (Oukrayinska Natsionalna
Asamléya – Oukrayinska Narobna Samooborona) appelle même
maintenant à prendre les armes contre le gouvernement. Partout des
rumeurs circulaient selon lesquelles des tanks marchaient sur la
ville. La femme d'un policier a révélé à la presse que la police
anti-émeutes avait reçu l'ordre d'évacuer leurs familles. La
police anti-émeutes a commencé à utiliser des canons à eau, alors
que la température est de -10°C.
Mais
Yanoukovitch a été le premier à céder. Le 24 janvier,
il a commencé à laisser entendre que ses lois dictatoriales
allaient être amendées. Quatre jours plus tard, le
premier ministre Azarov a proposé sa démission, provoquant
dans la foulée la chute du gouvernement. Le régime a utilisé la
promesse d'annuler les lois dictatoriales si seulement les
manifestants voulaient bien tout d'abord quitter les bâtiments
occupés. Yanoukovitch a proposé de former un gouvernement de
coalition qui comprendrait Yatseniouk et Klytchko. Il ne fait aucun
doute que ces deux-là étaient tout à fait prêts à aller
s'installer dans leurs fauteuils ministériels, mais sous la pression
des éléments plus radicaux, ils ont été contraints de refuser
cette offre, déclarant que la seule option possible pour eux est un
“gouvernement du Maïdan” après la démission de Yanoukovitch et
de nouvelles élections.
Une armée de policiers est envoyée pour chasser les manifestants |
La confusion politique à gauche
Si des
élections étaient organisées aujourd'hui, les partis de Yatseniouk
et de Klytchko recevraient un bon nombre de voix. Mais leur volonté
de collaborer avec Svoboda (“Liberté”) pourrait bien également
amener l'extrême-droite au gouvernement. Les dirigeants de
l'opposition bourgeoise se sont pris à leur propre piège. Klytchko
en particulier, qui se présente comme un véritable Européen et vit
d'ailleurs en Allemagne, a cédé face à la pression de
l'extrême-droite. Il commence maintenant tous ses discours sur la
place de l'Indépendance avec le slogan fasciste “Gloire à
l'Ukraine”, auquel la foule répond “Gloire aux héros”.
Ces
évènements ont mené à un renforcement apparent du soutien pour
Svoboda et pour le Secteur droite. Les causes de tout ceci sont
cependant en grande partie à chercher du côté de la gauche, en
grande partie responsable. Nommément, le plus grand parti de
“gauche” dans le pays, le Parti communiste, a 32 sièges
au parlement. Mais, qui l'eût cru, dès que les manifestations ont
commencé, son groupe parlementaire a déclaré qu'elle cesserait de
demander la démission du gouvernement. Le PC a entièrement soutenu
les lois dictatoriales, et s'est plaint du fait qu'elles aient été
en partie annulées.
Le PC
mène sa politique non en fonction de ce qui servirait au mieux les
intérêts de la classe des travailleurs ukrainienne, mais afin de
servir les intérêts géopolitiques de la Russie. Tandis que le
dirigeant communiste Piotr Simonenko critique l'UE et les
États-Unis pour leur scandaleuse intervention directe dans le
Maïdan, il dit que l'Ukraine devrait rejoindre l'union douanière
russe. Les sections régionales de ce parti ont même tenté
d'organiser des manifestations sur ce thème. Cette position, bien
sûr, ne fait que renforcer les arguments de l'extrême-droite dans
son attaque de la gauche en général, comme quoi elle voudrait
abandonner l'indépendance de l'Ukraine afin de satisfaire les
intérêts de l'impérialisme russe.
La
gauche “anti-système” – celle qui n'est pas représentée
au parlement – ne vaut guère mieux. Il ne fait aucun doute
que, depuis le début de la révolution orange, la principale
caractéristique du pays a été un conflit entre les intérêts des
différentes section de la bourgeoisie ukrainienne. Et
cela continue aujourd'hui. Parmi les oligarques, ceux qui sont en
faveur de l'Occident sont en général ceux qui possèdent des
entreprises dans l'industrie légère et les services, tandis que
ceux qui investissent dans l'industrie lourde sont plutôt en faveur
de la Russie.
Cependant,
comme cela s'est produit avec certaines sections des forces de
sécurité et de l'appareil d'État, il y a des signes qui montrent
que certains des oligarques misent sur les deux tableaux. Même
l'homme le plus riche d'Ukraine, Rinat Akhmetov, qui a toujours
soutenu la présidence Yanoukovitch, a condamné l'usage de la
violence contre les manifestants, même s'il est ensuite “repassé”
au camp Yanoukovitch. Le troisième homme le plus riche du pays,
Dmytro Firtash, dont la plus grande partie de la fortune
provient du commerce avec la Russie, serait le principal sponsor du
parti Oudar mené par Klytchko. Petro Poroshenko, quatrième
fortune ukrainienne, est intervenu sur le podium place de
l'Indépendance pour demander que l'accord européen soit signé
immédiatement. Ses intérêts sont assez clairs : son usine de
chocolats Roshen a été la principale victime des sanctions mises en
place par la Russie contre l'Ukraine en 2013.
Toute
une couche de la gauche anti-système tire la conclusion de ceci que
l'ensemble de l'expérience du Maïdan n'est que le résultat d'une
simple lutte d'intérêts entre oligarques, sans comprendre en
profondeur l'ampleur de la colère de tous ceux qui participent, une
colère surtout alimentée par le désespoir sur le plan économique
et par la haine envers un gouvernement de plus en plus autocratique.
Pour les groupes de gauche issus d'une tradition “communiste”,
« ce n'est pas notre lutte ». En particulier, ils ne
voient pas d'autres facteurs impliqués dans ce mouvement que
l'influence de l'extrême-droite.
Par exemple, le groupe Borotba (“La Lutte”), qui a pourtant une position correcte sur la plupart des questions, a décidé d'occuper les bureaux de l'administration à Odessa (une ville essentiellement russophone) afin d'empêcher la section locale de Svoboda de s'en emparer. Même si ses actions sont compréhensibles, ce groupe n'a pas offert la moindre alternative par rapport au Maïdan ou à Yanoukovitch, à part quelques phrases d'ordre général. Car pour faire cela, il est nécessaire de toucher à la question nationale.
Par exemple, le groupe Borotba (“La Lutte”), qui a pourtant une position correcte sur la plupart des questions, a décidé d'occuper les bureaux de l'administration à Odessa (une ville essentiellement russophone) afin d'empêcher la section locale de Svoboda de s'en emparer. Même si ses actions sont compréhensibles, ce groupe n'a pas offert la moindre alternative par rapport au Maïdan ou à Yanoukovitch, à part quelques phrases d'ordre général. Car pour faire cela, il est nécessaire de toucher à la question nationale.
Une
autre section de la gauche anti-système considère que Yanoukovitch
est un fasciste. Pour elle, tout refus de lutter, puisque cela est
impossible sans collaborer avec les forces d'extrême-droite, mènera
à la victoire du régime fasciste, ce qui signifie qu'il serait dès
lors impossible de former la moindre organisation indépendante telle
que des syndicats ou des partis politiques indépendants. Son
intervention dans le mouvement n'a pas non plus cherché à proposer
une alternative, et elle se retrouve donc à suivre les dirigeants de
l'opposition pro-capitalistes.
Militants d'extrême-droite en train de bruler des drapeaux communistes |
Le soutien pour l'extrême-droite
Bien que
le soutien pour les groupes d'extrême-droite semble s'être accru au
cours de ce mouvement, il ne bénéficie pas d'une base stable.
Svoboda n'est parvenue à remporter des succès qu'en cachant sa
véritable nature aux yeux des masses. Il n'y a pas si longtemps
encore, Svoboda critiquait tout discours visant à favoriser
l'intégration à l'Europe en tant que « acceptance du
cosmopolitanisme, de l'empire néolibéral qui mènera à la perte
totale d'identité nationale avec la légalisation du mariage
homosexuel et l'intégration d'immigrés venus d'Afrique et d'Asie
dans une société multiculturelle ».
Trois jours à peine après le début du Yevromaïdan, la section de Lviv de Svoboda organisait une marche au flambeau avec des drapeaux suprématistes blancs en solidarité avec l'Aube dorée grecque. Mais tellement de gens étaient dégoutés par de telles positions, que Svoboda a dû temporiser la plupart de ces interventions. Le Secteur droite, par contre, ne cache pas sa position. Pour lui, l'Union européenne est « une structure anti-chrétienne, anti-nationale, dont le vrai visage est celui de défilés gays et d'émeutes ethniques, avec la légalisation des drogues et de la prostitution, des mariages homos, l'effondrement de la moralité et un véritable déclin spirituel ».
Trois jours à peine après le début du Yevromaïdan, la section de Lviv de Svoboda organisait une marche au flambeau avec des drapeaux suprématistes blancs en solidarité avec l'Aube dorée grecque. Mais tellement de gens étaient dégoutés par de telles positions, que Svoboda a dû temporiser la plupart de ces interventions. Le Secteur droite, par contre, ne cache pas sa position. Pour lui, l'Union européenne est « une structure anti-chrétienne, anti-nationale, dont le vrai visage est celui de défilés gays et d'émeutes ethniques, avec la légalisation des drogues et de la prostitution, des mariages homos, l'effondrement de la moralité et un véritable déclin spirituel ».
Certains
parmi les manifestants qui suivent les nationalistes disent qu'ils le
font non pas parce qu'ils soutiennent les idées des nationalistes,
mais parce que ce sont eux qui organisent le mouvement. Un tel
soutien n'est pas fait pour durer. D'ailleurs, selon au moins
trois sondages d'opinion effectués en janvier, le soutien
envers Svoboda a drastiquement chuté depuis les dernières
élections. Malheureusement, la simple présence de l'extrême-droite
donne de plus au régime une arme de propagande très puissante qu'il
utilise dans l'est du pays, où pour une vaste majorité de la
population, l'idéologie fasciste est toujours associée aux horreurs
de la Seconde Guerre mondiale.
La
grande faiblesse du mouvement actuel, qui était d'ailleurs tout
aussi présente lors de la révolution orange, est le manque d'une
alternative claire de gauche et pro-travailleurs, capable de donner
au mouvement un véritable caractère révolutionnaire. Depuis qu'il
a commencé en novembre, nombre de ses participants ont exprimé leur
opposition à l'ensemble des partis politiques existant. Ce n'est que
dans pareil vide que l'extrême-droite est capable de se tailler la
position qu'elle occupe à présent. Si une véritable force de
gauche avait existé et était intervenue de manière décisive dans
ces évènements, les choses en auraient été tout autrement.
L'extrême-droite autour d'un portrait de Bandera, chef des collaborateurs pro-nazi durant la 2ème Guerre mondiale |
Le rôle du mouvement des travailleurs
Cette
nécessité d'une alternative de gauche est démontrée par la crise
économique qui se prolongue. L'Ukraine est déjà en récession
depuis 18 mois et, bien que la banque centrale ukrainienne ait
mis en place un plan de soutien de la monnaie nationale (la hryvnia)
pour un montant de 1,4 milliards d'euros en janvier, son cours a
quand même chuté de 10 % en novembre. Pour les économistes,
le pays se trouve face au risque imminent d'un nouveau défaut de
paiement. Ni l'alliance avec l'Union européenne, ni rejoindre
l'union douanière russe ne pourront sortir l'Ukraine de l'abysse.
Il est
clair que le gros de la lutte devrait concerner les salaires et les
conditions de travail. On voit Yanoukovitch faire le tour du monde à
la recherche d'un prêt de 10 milliards d'euros pour sauver
l'économie, alors que son ami Akhmetov possède déjà cette somme
sur son compte en banque. L'industrie et les banques ukrainiennes
doivent être nationalisées afin que les ressources du pays puissent
être utilisées dans l'intérêt de tous ses citoyens et non pour
les profits de quelques oligarques. Si elle faisait cela, l'Ukraine
n'aurait plus à se tourner sans arrêt vers l'UE ou vers la Russie
pour mendier leur aide. Il faut construire de véritables syndicats,
capables de mener la lutte pour des conditions de vie décentes pour
tous.
Le
mouvement ouvrier doit se placer à la tête de la lutte pour les
droits démocratiques. Le mouvement actuel a raison d'exiger la
démission de Yanoukovitch et d'appeler à de nouvelles élections.
Mais tout ce que cela signifierait aujourd'hui serait le retour d'un
nouveau gouvernement de coalition avec les mêmes partis qui étaient
au pouvoir après la “révolution” orange, en plus de
l'extrême-droite de la Svoboda. Il est donc absolument nécessaire
que la classe ouvrière s'organise afin de construire son propre
parti des travailleurs de masse, un véritable organe indépendant
capable de défendre les intérêts de tous les travailleurs dans le
pays et de se battre pour le pouvoir politique.
Le parlement actuel est dominé par des politiciens qui ne représentent que les intérêts des oligarques. C'est au mouvement ouvrier à diriger la lutte pour aller vers une assemblée constituante à laquelle participeront des représentants des travailleurs, des étudiants, des chômeurs et des pensionnés d'Ukraine, afin d'ensemble décider de quel type de gouvernement ils ont besoin.
Le parlement actuel est dominé par des politiciens qui ne représentent que les intérêts des oligarques. C'est au mouvement ouvrier à diriger la lutte pour aller vers une assemblée constituante à laquelle participeront des représentants des travailleurs, des étudiants, des chômeurs et des pensionnés d'Ukraine, afin d'ensemble décider de quel type de gouvernement ils ont besoin.
Plus
important encore, la gauche et le mouvement des travailleurs doit
adopter une position claire et sans équivoque sur la question
nationale. La division du pays selon des lignes nationales ne
bénéficie qu'aux oligarques, aux puissances impérialistes et aux
multinationales. Des conditions de travail et des salaires décents,
des droits démocratiques et un gouvernement des travailleurs ne
peuvent devenir une réalité que si la classe ouvrière est unie
dans la lutte.
Il est
donc essentiel que la classe ouvrière rejette tous ces politiciens
qui veulent vendre le pays à la Russie ou à l'Europe, ou qui
voudraient établir un régime basé sur la domination d'une
nationalité sur une autre. Un mouvement des travailleurs uni doit
accorder tout son soutien au développement de la langue et de la
culture ukrainiennes, tout en défendant les droits de ceux qui
parlent russe. Tout en soutenant le droit à l'auto-détermination,
la gauche doit insister sur la nécessité d'une lutte unie de
l'ensemble de la classe des travailleurs ukrainiens.
La
population ukrainienne est confrontée à de nombreux problèmes,
auxquels les politiciens tels que Yanoukovitch, Klytchko, etc. n'ont
pas la moindre solution ; et ce n'est pas le fait de rejoindre
la Russie ou l'Europe qui changera quoi que ce soit non plus.
L'éventuelle victoire de l'extrême-droite rassemblée autour de
Svoboda ou de Secteur droite ne fera que mener l'Ukraine vers
les journées sombres des conflits ethniques et de la dictature
réactionnaire. La seule issue est la lutte pour l'établissement
d'un puissant mouvement uni de tous les travailleurs, associé à un
parti des travailleurs de masse, capable de s'emparer du pouvoir. Il
faut mettre en place une société socialiste, basée sur la
propriété nationalisée de l'industrie, des banques et des
ressources naturelles, dans le cadre de la planification démocratique
par les travailleurs ; une Ukraine unie, indépendante et
socialiste, dans le cadre d'une confédération plus large d'État
socialistes.
(Article suivant sur l'évolution de la situation en Ukraine : ici)
(Article suivant sur l'évolution de la situation en Ukraine : ici)
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