mardi 5 mai 2015

CI : « Les jeunes veulent pas travailler »

Un million de gérants de cabine, de gnambros et de vendeurs d'eau


Le chef de l'État avait promis de créer un million d'emplois, mais a lui-même reconnu que la situation dans le pays était tellement grave qu'il ne pourrait créer ces emplois en cinq ans. Malheureusement, il y a de nombreuses dissonances au sein du gouvernement. Le Premier ministre, le ministre de l'Emploi, sont en contradiction avec le président. Ils disent que les un million d'emplois ont été créés dans le secteur informel : 101 670 emplois formels et 941 623 emplois informels. Saluons au passage les enquêteurs d'élite de l'Agepe qui sont parvenus à dénombrer à la personne près combien d'emplois de vendeur d'eau ont été créés dans ce pays depuis l'arrivée de notre président au pouvoir !

Cio-Ci


Avant de définir sa politique d'emploi, le ministère de l'Emploi, l'Agepe, ont passé plus d'un an, si pas deux, à définir une « cartographie de l'emploi » en Côte d'Ivoire. Leur résultat donne un chiffre de chômage à 9 % (qui a récemment été revu à 5,3 %) Ça voudrait dire qu'il y a moins de chômage dans notre pays qu'en France ou qu'aux États-Unis. Pourtant, d'autres études réalisées par l'UGTCI, l'OIT, l'association des patrons ivoiriens, estiment quant à elles le chômage à 44 %, soit environ 5 millions de personnes. Comme dans beaucoup de pays, le chômage frappe surtout les jeunes : les deux tiers des sans-emplois ont entre 15 et 30 ans.

Tout dépend en effet de ce qu'on entend par « chômeur ». Si c'est juste une personne qui touche l'allocation de chômage, ce n'est pas la même chose qu'un sans-emploi. Et puis, il y a “sans-emploi” et “sans-emploi”. Combien de gens ont arrêté de chercher ? Combien exercent une petite activité de survie en attendant de trouver un vrai emploi mais qui ne viendra pas ? Il y a une grosse part de « chômage déguisé ».

On nous annonce une croissance économique à 8, 9, 10 %. La directrice du FMI a récemment complimenté notre président pour cette dynamique. Mais alors comment se fait-il que la pauvreté, loin de diminuer, a augmenté de 2 % en quatre ans ? 51 % de la population ivoirienne vit sous le seuil de pauvreté.


« Les jeunes ne veulent pas travailler »

On dit que les jeunes ne veulent pas travailler. Pourtant voici un étudiant, détenteur d'un master en mathématiques, qui cherche un emploi comme manœuvre sur une plantation ! Pour 30 000 francs par mois ! Parce que quand tu commences dans la vie, on te dit qu'il faut étudier pour avoir un travail, pour te démarquer des autres. Mais quand tu as fini tes études, avec ton doctorat, ton DEA, toutes tes formations et certificats, on te dit que tu es surdiplômé et qu'il n'y a pas de travail pour toi ! 73 % des demandeurs d'emploi ont le Bac. 41 % ont un BTS, 13 % un master universitaire.

On entend qu'il y a trop de diplômes “inutiles”, trop de philosophes, d'anthropologues, de sociologues, d'historiens… mais où est-ce qu'on forme des scientifiques dans ce pays ? Ça fait quatre ans que les étudiants en pharmacie, médecine, chimie, attendent leur matériel de travaux pratiques ! Est-ce qu'on forme des ingénieurs mécaniciens et agronomes à l'université publique ? Mais le problème remonte au primaire ! On se plaint que nos parents au village n'envoient pas leurs enfants à l'école. Mais apprenons à nos enfants un métier en même temps qu'on leur apprend à lire. Apprenons-leur la couture, la cuisine, l'agriculture à l'école même.

Et puis, quand on parle des diplômés, il y a tellement peu d'emploi, que même avoir un stage est difficile ! Sur une formation de 32 étudiants, peut-être deux seulement vont avoir leur stage. Et le patron abuse de cette situation pour créer des postes pour stagiaires – il n'embauche pas.

On dit que les jeunes ne veulent pas travailler ? On nous compare souvent à nos ainés, mais il faut regarder la situation. Avant, il était facile d'être recruté, le salaire correspondait au cout réel de la vie… on pouvait facilement mettre de côté et épargner pour acheter une maison, un terrain… Mais aujourd'hui, on va travailler dans quelles conditions ? Pour quel salaire ? Tu vas te lever matin 4 h, 5 h, bien habillé en costume, pour traverser la ville, faire la file et te faire bousculer pour monter dans transport, aller dans un bureau ou un atelier, te faire insulter par un patron, te presser pour manger à midi cher, faire la file longtemps sous le soleil pour prendre ton bus ou attendre le woro-woro, dépenser tout ton petit argent dans le transport, et tu sais que le travail que tu as fait rapporte à ton patron, mais à toi, combien ? Mais quand tu reviens le soir la famille est là, les amis veulent te voir, mais tu n'as pas le temps ni les moyens de sortir, tout ce que tu veux c'est regarder télé et dormir. C'est normal que beaucoup de jeunes préfèrent trouver des petits gombos près de chez eux, de voir que le travail pour le compte d'un patron est une perte de temps !

On dit les jeunes ne veulent pas travailler. Nos parents allaient se chercher en brousse, pour faire une plantation. Ils trouvaient facilement un terrain, l'achetaient contre une bouteille de liqueur au chef du village, défrichaient la forêt, ça poussait tout seul. Mais aujourd'hui il nous reste quels terrains ? Le sol est vidé, les maladies sont beaucoup, le climat est devenu sec, sékoutouré a tout envahi, le prix est tombé, et puis ce n'est pas 10-20 hectares que tu vas recevoir de ton papa, mais 1, 2, 3 hectares… Pour faire champ aujourd'hui il faut des moyens. 

On dit les jeunes ne veulent pas travailler. Mais même quand tu veux économiser, lancer ton entreprise ou faire ton petit commerce, il y a toujours des problèmes. D'abord on n'a pas le financement. Personne ne nous prête. Tout le monde se méfie. Il n'y a pas d'encadrement non plus. Puis on n'a aucune sécurité. Tu vas économiser, et puis la banque te dit que l'argent n'est plus là. Tu vas payer terrain, on va te dire que ton acte n'est pas valable. Tu te mets au bord de la route, on te déguerpit. Tu vas lancer une production de quelque chose, voilà qu'un produit chinois arrive sur le marché. Avant, on faisait des paniers en osier, maintenant c'est sachet plastique. Avant, on avait des canaris en poterie, maintenant c'est bassine plastique. Avant, on avait des souliers en cuir, maintenant, c'est tapette plastique. Même habit, pagne, batik, ça vient de Chine. Si ça vient pas de Chine, ça vient d'Inde. Ou du Pakistan. Ou du Vietnam. Ou du Nigeria.

Même quand tu as un emploi, on te licencie à tout moment, sans prévenir. Ou bien on ne te paie pas. Tu es enseignant dans le public, tu vas te chercher dans le privé. Tu es infirmier, docteur, tu vas faire consultation à domicile. Tu es chauffeur à la Sotra, on te vire, tu deviens chauffeur de gbaka ou de taxi. Même Brasseries ivoiriennes qui nous a envoyé la bière Number One, c'est faillite. Usines de sachets plastiques, on fait quoi ? Café de Rome oh, restaurant sur le boulevard de Marseille, oh, on va où ? Si on ne t'as pas licencié, ça peut être chômage économique. Tu restes à la maison, tu n'es pas payé, mais tu ne vas pas chercher autre chose parce que tu attends que ton patron te rappelle ! 

Recrutement à la douane, à la police… c'est bouché, parce qu'on donne la priorité aux anciens rebelles. Même si tu as passé le concours, tu attends un an deux ans. Pendant ce temps, tu cherches pas travail, c'est petit gombo tu fais en attendant. 

On dit a construit un pont, deux ponts, trois ponts. Combien d'emplois ça a créé ? 200 emplois permanents pour le péage, 600 emplois temporaires dans la construction. Emplois payés combien ? 3000 francs par jour sans le transport. Avec quelles conditions de travail ? Heures supplémentaires impayées ? On ne sait pas, puisque les ouvriers n'avaient pas le droit de se syndiquer ni de parler aux journalistes. Barrage de Soubré, va créer combien d'emplois ? Et puis tous ces projets dont on parle mais qu'on ne voit pas commencer ? L'Agepe annonçait en 2012 un projet de formation de 100 000 jeunes à la culture du maraicher – c'est où ?

On le voit, le manque d'emplois est avant tout un problème structurel. Le gouvernement néolibéral et les idéologues du capitalisme ont beau critiquer la soi-disant inaction des jeunes, sans un cadre propice à la création d'emplois et d'entreprises, tous les efforts de ces jeunes seront vains. C'est à l'État qu'il revient de créer le cadre.

« Les jeunes veulent pas travailler »

« L'espoir cède la place à l'impatience »

Le chômage rend la vie dure. Ça crée plein de problèmes. Tu es jeune, et puis tu es déjà devenu vieux ! Tu deviens doucement, sans t'en rendre compte. Tu n'as jamais travaillé. Une vie gâchée. Pourtant on est pas venu sur Terre pour ne rien faire ? 

À cause de ça les gens se réfugient dans toutes sortes de vices. La drogue. L'alcool. Le crime. La violence. La prostitution. Le mercenariat. L'émigration à tout prix. On accepte toutes les humiliations pour avoir un petit quelque chose qui te permet d'avoir l'impression d'exister, d'être quelqu'un. Tu vas te louer à un politicien parce qu'il te fait manger, qu'il te fait asseoir dans fauteuil et que tu vas passer dans la presse de temps à temps. Mais toi-même, tu vas où ?

Tout ça crée l'instabilité. Comme les gens sont énervés, ils cherchent des solutions. Alors on leur tient des discours. On dit « Il n'y a pas de travail à cause de rattrapage » – pourtant on ne voit pas que les gens ont plus de travail dans le Nord que dans le Sud. 

On dit « Il n'y a pas de travail à cause des étrangers ». Mais ça ne pose pas la question d'où vient le chômage. C'est vrai que si on était moins nombreux dans le pays, tu aurais moins de concurrents par rapport au petit travail qui est là. Mais ça revient à dire que tu es en conflit aussi par rapport à tes propres enfants ou bien à tes parents. 

« On dit il n'y a pas travail depuis que les femmes ont décidé de travailler aussi ». Mais ça nous mène où tout ça ? 

Pourquoi des Burkinabés viennent travailler en Côte d'Ivoire ? Parce qu'il n'y a pas travail au Burkina. Pourquoi des Ivoiriens vont travailler en France ? Parce qu'il n'y a pas travail en Côte d'Ivoire. Pourquoi des Français vont travailler aux États-Unis ? Parce qu'il n'y a pas travail en France. Mais aux États-Unis aussi les gens s'en prennent aux immigrés qui viennent voler le travail des Américains ? Mais au Burkina aussi les gens s'en prennent au Nigériens qui viennent voler le travail des Burkinabés ? 

Alors en Afrique du Sud, on voit les populations s'entretuer pour l'emploi. Dans la mer Méditerranée, on voit des immigrés se noyer pour l'emploi qui de toute façon n'existe plus en Europe non plus. Au Moyen-Orient, en Afrique et ailleurs, on voit des jeunes devenir fous parce que leur vie n'a plus aucun sens, qui partent rejoindre des rébellions au nom d'idéologies rétrogrades mais qui prétendent lutter contre le système.

Le chômage est partout dans le monde. Mais personne n'explique pourquoi il n'y a pas de travail. D'où vient le chômage ? Pourquoi il n'y a pas de travail au Burkina ? Pourquoi il n'y pas de travail en Côte d'Ivoire ? Pourquoi il n'y pas de travail en France ? Pourquoi il n'y pas de travail aux États-Unis ? Pourquoi il n'y pas de travail, partout dans le monde ?

C'est la question à laquelle nous répondrons dans la deuxième partie de cet article.

« Les jeunes n'entreprennent pas »

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