dimanche 13 décembre 2015

Moyen-Orient : On n'arrêtera pas l'État islamique en bombardant la Syrie

Pour l'unité des travailleurs contre la guerre, le terrorisme et le racisme


Au Royaume-Uni, le chancelier George Osborne (parti conservateur) a déclaré à la télévision nationale que si le parlement britannique n'autorise pas le bombardement d'EI en Syrie, il s'agira d'une « victoire publicitaire » pour EI. Ainsi, l'intensification du massacre en Syrie est présenté comme la seule option. Mais puisque nous savons que les missiles britanniques n'apporteront rien de nouveau par rapport à la pluie de bombardements états-uniens, russes et français, pourquoi donc une telle ferveur de la part de MM. Osborne, Cameron et compagnie ?

Éditorial du journal Le Socialiste, hebdomadaire publié par le Parti socialiste d'Angleterre et du pays de Galles (section du CIO)


La réponse se trouve dans le commentaire de M. Osborne, pour qui un refus du parlement d'avaliser la volonté du gouvernement de partir bombarder la Syrie enverrait « un message terrible quant au rôle du Royaume-Uni dans le monde ». C'est-à-dire, qu'il s'agirait d'une perte de prestige pour la classe dirigeante britannique sur le plan international.

La classe dirigeante britannique exploite aussi la peur du public sur le plan national : il faut que nous donnions l'impression de défendre la population contre le terrorisme. Après les attaques de Paris, sans avoir la moindre véritable réponse sur la manière dont on pourrait éviter des attentats similaires sur le sol britannique, la mission du gouvernement est de bluffer le peuple en déclenchant une tempête en Syrie. « Le Royaume-Uni n'a jamais été un pays qui reste sur le côté et qui laisse à d'autres le soin de le défendre », dixit M. Osborne.

Le gouvernement veut aussi contrer tout effet négatif que les attaques de Paris pourraient avoir sur l'économie britannique : à la suite de ces attaques, on a vu une chute du nombre de personnes dans les rues commerciales et autour des attractions touristiques.

Pour protéger les intérêts des grands patrons et relever leur niveau de « confiance », le gouvernement tente donc de créer une illusion de sécurité en déclarant une nouvelle offensive, en plus d'allouer de nouveaux fonds à des mesures de « sécurité ».

Avec un tel contexte et une telle propagande, avancée à grands sons de trompette dans tous les médias, affirmant que la seule manière de garantir la sécurité du pays est d'aller bombarder EI, il n'est pas étonnant de constater que 71 % des Britanniques soutiennent l'idée de cette intervention, contre 67 % en juillet. Une courte majorité de la population est même en faveur de l'envoi de troupes au sol.

Cependant, le même sondage a aussi montré que 64 % de la population du Royaume-Uni sont persuadés que le pays serait plus sûr si le gouvernement Blair n'était pas parti en guerre contre l'Iraq et l'Afghanistan. De même, il est certain qu'une nouvelle intervention britannique en Syrie aujourd'hui ne fera que rendre plus probable le fait que le Royaume-Uni soit ciblé par des attaques terroristes au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.

Mary Dejevsky, écrivant dans le journal The Guardian, rappelait à ses lecteurs que juste avant les attaques de Paris, le comité restreint des Affaires étrangères britannique avait publié un rapport s'opposant à toute intervention militaire en Syrie. « Les arguments avancés alors ont acquis encore plus de force aujourd'hui. Bombarder la Syrie va accroitre le risque d'attentats terroristes dans notre pays, affirmer cela n'est pas une question de couardise ».

Les interventions étrangères par des États occidentaux augmentent aussi le risque d'attaques sur des cibles occidentales dans d'autres pays, comme ça a été le cas avec l'attaque sur l'hôtel Radisson Blu de Bamako au Mali. Cette atrocité n'est évidemment pas non plus sans lien avec l'histoire d'interventions impérialistes de la France au Mali et ailleurs en Afrique.

David Cameron est tellement pressé d'aller accompagner la Russie, la France
et les États-Unis en Syrie : « Il ne sera pas dit que le Royaume-Uni reste sur
le côté en spectateur » L'objectif est-il vraiment la sécurité des populations ?

La futilité des bombardements

De toutes façons, même si bombarder EI peut l'affaiblir, cela ne peut jamais l'anéantir totalement. La coalition dirigée par les États-Unis a déjà accompli plus de 8000 raids contre EI en à peine un an ; pourtant EI contrôle toujours le même territoire qu'avant.

Même une invasion au sol ne pourra détruire EI totalement, comme le montre l'exemple des talibans en Afghanistan. Comme cela s'est déjà produit dans le passé, des forces telles que EI peuvent se changer en une nouvelle organisation djihadiste. Et les forces au sol se retrouveront rapidement embourbées pendant de longues années sans aucun succès, comme on le voit à nouveau avec ce qui se passe en Iraq et en Afghanistan – c'est d'ailleurs la raison pour laquelle aucune des puissances impérialistes ne propose d'envoyer des troupes au sol en Syrie à présent.

Lors des raids aériens, les bombes touchent aussi inévitablement la population civile. Parmi les villes les plus touchées, on compte Raqqa, une ville de 350 000 habitants que l'EI cherche à empêcher de fuir. Le désastre qui frappe la vie de ces personnes ne va faire que s'ajouter encore à la colère parmi les sunnites dans tout le Moyen-Orient contre les puissances interventionnistes, ce qui va permettre aux organisations djihadistes de recruter encore plus de recrues.

De plus, vaincre EI sur le plan militaire ne revient absolument pas à le vaincre sur le plan idéologique et à ôter son pouvoir d'attraction aux yeux de ses militants. Au contraire, toute une série de jeunes musulmans du monde entier ont à présent l'impression que c'est là que se trouve le front de la résistance contre les puissances impérialistes, que l'EI n'est qu'une « victime » de leurs machinations.

De nombreux jeunes qui se sont rendus en Syrie pour rejoindre EI ont été motivés non seulement par son idéologie, mais aussi parce qu'ils perçoivent cette organisation comme la plus sérieuse dans le combat contre la dictature du régime Assad, contre la terreur et la destruction.

Le bombardement d'EI, comme les attaques sur les droits civiques en Occident – qui touchent particulièrement les musulmans d'Occident –, vont accroitre le sentiment de colère et d'aliénation de la jeunesse musulmane, ce qui fait qu'une partie de cette jeunesse va inévitablement se sentir attirée par EI et ses nombreux clones.

Le succès de EI vient du fait qu'il se fait passer pour une force antiimpérialiste.
Le bombarder ne fait que renforcer son image.

L'hypocrisie impérialiste

Les puissances capitalistes qui interviennent contre EI ne parviennent pas à parler d'une même voix. Par exemple, l'ancien Premier ministre français de droite, Dominique de Villepin, s'est opposé aux bombardements en disant : « Nous donnons ainsi une légitimité à leur affirmation selon laquelle nous sommes en guerre … Nous ne devons pas tomber dans ce piège d'intensification du conflit ».

Néanmoins, l'hypocrisie des gouvernements occidentaux ne connait aucune limite. Le groupe EI est lui-même un produit de la brutalité militaire qui a été infligée aux sunnites pendant l'invasion de l'Iraq dirigée par les États-Unis et l'occupation qui a suivi.

Les amis de l'impérialisme occidental au Moyen-Orient incluent les élites autocratiques des monarchies du Golfe, ainsi que le régime turc. Tous ces « amis » sont cependant très impliqués dans leur soutien aux milices sunnites en Syrie et en Iraq afin de contrer l'influence des chiites, soutenus par l'Iran.

Les atrocités régulièrement commises au Moyen-Orient par nombre de ces milices et forces sectaires, chiites ou sunnites, ne reçoivent que peu d'attention de la part des puissances occidentales. Mais lorsque des djihadistes commettent des actes terroristes sur le sol occidental ou contre les Occidentaux partout dans le monde, tout d'un coup cela devient pour eux tout autre chose.

Alors que les musulmans du Moyen-Orient souffrent grandement entre les mains de EI et des autres forces réactionnaires, les musulmans d'Occident ne sont pas en reste. Les accusations constantes à l'encontre de la communauté musulmane dans les médias de droite ont suscité une hausse de 300 % des attaques commises au Royaume-Uni contre les musulmans britanniques à la suite des attentats de Paris. La plupart des cibles de ses attaques étaient des femmes.

Comment les États occidentaux volent au secours des populations syriennes

Les droits démocratiques attaqués en Occident

De plus, les musulmans et les réfugiés sont parmi les personnes les plus touchées par les mesures de « sécurité » renforcées qui ont été imposées en réaction aux attentats terroristes.

En France, le président Hollande a de nouveau volé le discours de la droite avec son extension de l'état d'urgence à au moins trois mois. L'état d'urgence signifie des mesures de répression qui donnent des pouvoirs accrus à l'armée dans les lieux publics, autorise la police à perquisitionner des logements sans mandat, ainsi que de bloquer l'internet et les réseaux sociaux.

Mais le plus grave est l'interdiction de tout rassemblement public, y compris les deux manifestations contre le changement climatique et les meetings électoraux à l'occasion des élections régionales de décembre.

Selon les derniers sondages réalisés en France, une majorité des gens soutiendrait ces mesures. Mais les questions sont posées de façon biaisée, en demandant par exemple aux gens s'ils sont d'accord de soutenir « des mesures qui limitent la liberté des individus afin de garantir la liberté de tous ».

En Belgique aussi, toute une série de mesures « d'urgence » ont été annoncées, y compris l'emprisonnement automatique de djihadistes présumés rentrés d'Iraq ou de Syrie, et le fichage de personnes soupçonnées d'adhérer à « l'islam radical ». Bruxelles a été fermée pendant plusieurs jours : toutes les écoles, universités, centres commerciaux et même le métro ont été fermés afin de laisser libre cours à des « opérations » policières.

De nouveaux contrôles sont imposés aux frontières des 26 pays de la zone Schengen. Cela ne va certainement pas bloquer les terroristes, mais ça va retarder toutes les autres personnes désireuses d'entrer, avec de nouveau un ciblage des musulmans et une situation encore plus catastrophique pour les réfugiés qui tentent de fuir la guerre.

Au Royaume-Uni, des milliards de livres sterling supplémentaires sont à présent donnés à l'armée et aux services de renseignement, tandis qu'on parle de déployer l'armée dans les rues. Tout cela se fera, encore une fois, aux dépens des services publics et de la démocratie.

Il est bien compréhensible que la population soutienne les mesures destinées à lutter contre le terrorisme. Le problème est qu'aucune des mesures annoncées pour le moment ne changeront quoi que ce soit. Par contre, les droits démocratiques vont être revus à la baisse, et toute cette présence policière et militaire sera utilisée contre les luttes des travailleurs à des fins économiques ou politiques.

Le police de nos pays a déjà assez d'autorité pour pouvoir arrêter n'importe quelle personne suspecte de crime. Même le Times, journal de droite, prévenait que « le problème fondamental qui ressort des attentats de Paris n'est pas tellement le manque de pouvoirs conférés à la police que l'échec et la négligence des institutions à voir un danger qui a pourtant été annoncé depuis longtemps », tout en avertissant du danger de ces mesures qui vont « éroder les libertés ».

Répression de la marche pour le climat à Paris en décembre. Les policiers
n'hésitent pas à fouler le monument d'hommage aux victimes des attentats
de novembre.

Corbyn
et le Parti travailliste

Jeremy Corbyn, le nouveau président du Parti travailliste britannique, élu par la base en opposition aux dirigeants du parti, se dit opposé au bombardement de la Syrie. Mais une critique que l'on doit lui formuler est qu'il a dit que ce qui le chiffonnait était l'idée d'une intervention militaire qui se déroulerait « sans le soutien des Nations-Unies ».

Auparavant, lorsqu'on parlait d'attaquer l'Iraq ou Assad en Syrie, les politiciens antiguerre pouvaient se cacher derrière les Nations-Unies, en sachant que la Russie et la Chine appliqueraient leur véto à toute demande d'intervention.

Mais voilà que EI a abattu un avion russe et tué un otage chinois. Du coup, l'attitude de ces deux gouvernements s'est modifiée. C'est comme ça que le conseil de sécurité des Nations-Unies a soutenu à l'unanimité la résolution française appelant à mettre en place « tous les moyens nécessaires » pour faire cesser les attaques terroristes, ce qui est pris pour un accord tacite pour les députés britanniques désireux d'aller bombarder la Syrie.

Les Nations-Unies ne sont pas un organe indépendant chargé d'arbitrer les disputes entre nations. Cette agence est avant tout dominée par les grandes puissances, elle n'agit que dans leurs intérêts. Après tout, la guerre de Corée (1952-53), par laquelle les États-Unis ont volé au secours du régime capitaliste de Corée menacé par une révolution « communiste » au nord, a été combattue sous le drapeau des Nations-Unies. Les sanctions cruelles contre l'Iraq dans les années '1990, qui ont causé 500 000 décès dans ce pays, ont elles aussi été adoptées par les Nations-Unies.

Mais Corbyn, ébranlé par des menaces de démissions de la part de la direction de son parti, a fait fausse route en permettant à ses députés de voter comme ils l'entendaient sur la question de l'intervention en Syrie, au lieu de donner des consignes de vote strictes en faveur du « Non ». Cette liberté de vote a permis au Premier ministre Cameron d'obtenir l'assentiment de la majorité du parlement.

Corbyn veut maintenir « l'unité du parti » coute que coute, plutôt que de mener une lutte décisive pour retransformer le Parti travailliste en une force de gauche combative, conformément au mandat qui lui a été donné par les membres. Mais au lieu de ça, il se laisse mener en bateau par les députés de droite.

La droite au sein du parti va tout faire pour chasser Corbyn et le contraindre à l'erreur. S'il veut conserver le soutien qui lui a permis d'accéder à cette position de dirigeant et l'utiliser pour avancer, Corbyn doit rester ferme et se servir de ce soutien pour renforcer sa position et faire progresser le processus de reconstruction d'une force prolétarienne de masse.

Car si l'idéologie islamiste de droite est capable aujourd'hui d'attirer à elle tellement de jeunes dans ce contexte de crise profonde de la société capitaliste, c'est uniquement en raison de l'absence de partis de masse démocratiques basés sur l'unité des travailleurs et sur la défense des intérêts du prolétariat.

Ce n'est qu'en construisant un tel parti qu'on pourra obtenir la solution pour supprimer les causes fondamentales du terrorisme et de la guerre, en mettant clairement en avant une alternative socialiste au capitalisme agonisant.

Jeremy Corbyn a aujourd'hui la possibilité de refaire du Parti travailliste un
parti de gauche combatif capable d'unir le prolétariat dans une lutte commune
contre la terreur capitaliste. Mais aura-t-il le courage de se dresser face à ses
adversaires ?

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