Avec les
dernières élections pour le parlement européen, nous assistons à
une véritable révolte des électeurs contre les gouvernements et
les partis traditionnels. Bien que la gauche soit en progrès dans
certains pays, les médias dominants ne parlaient que de la victoire
du Front national en France et de l'UKIP au Royaume-Uni.
Analyse par
Robert Bechert (CIO) à destination de notre magasine
britannique, Socialism Today
Les
élections européennes du mois de mai ont été une succession de
défaites pour les gouvernements et partis traditionnels dans un pays
après l'autre. Beaucoup de politiciens ont cédé à la panique en
voyant de nouvelles forces politiques gagner du terrain, tandis que
les vieilles formations sont en déclin. Malgré le faible taux de
participation, ces élections ont révélé à quel point l'Europe
est ébranlée par les conséquences de la crise économique mondiale
qui a débuté en 2008. Partout dans le continent, le niveau de
vie est en baisse (voire s'est complètement effondré dans certains
cas). Certains pays ont connu d'immenses mouvements de contestation
et de lutte de classe. Tout cela a alimenté les tensions croissantes
au sein de la zone euro et de l'Union européenne. Ces divisions
seront encore accrues par la croissance des forces “eurosceptiques”
et anti-austérité.
Le
Front national français, le parti d'extrême-droite dirigé par
Marine Le Pen, a fait la une des journaux en sortant
premier du scrutin en France. Au Royaume-Uni, les conservateurs ont
été rabaissés à la troisième place pour la première fois depuis
la fondation de leur parti il y a 180 ans – la première
place étant maintenant occupée par l'UKIP (Parti pour
l'indépendance du Royaume-Uni). Dans d'autres pays (Autriche,
Danemark, Grèce, Hongrie, Suède) on voit des partis
d'extrême-droite, voire néofascistes, faire de grands progrès,
sans compter le succès de forces de droite en Belgique et, dans une
moindre mesure, en Allemagne. Tout cela a fait dire aux médias que
l'Europe connait à présent un tournant à droite – malgré
les succès remportés par les forces de gauche et anti-austérité
en Grèce, en Irlande et en Espagne.
Les
élections nous donnent une “photographie” de l'évolution des
évènements à un moment donné, mais ce n'est pas tout le film.
C'est encore plus le cas lorsqu'on parle des élections européennes
pour le soi-disant “parlement” européen, une assemblée qui n'a
en réalité presque aucun pouvoir et qui est généralement
considérée comme n'étant rien de plus qu'un endroit « où on
mange bien ». La conséquence en est que le taux de
participation aux élections européennes est
généralement encore plus faible que celui des élections nationales
– sauf là où ce scrutin est combiné à d'autres, comme en
Belgique où le vote est part ailleurs obligatoire. Néanmoins, ces
résultats sont une illustration de la situation actuelle en Europe.
Ce
scrutin s'est déroulé six ans après le début de la plus grande
crise internationale du système capitaliste depuis les années '30,
dans un contexte de turbulences économiques et sociales continues,
de chômage de masse partout en Europe, avec seulement quelques pays
qui connaissent une reprise vacillante. Par ailleurs, ces élections
se sont également produite dans un contexte de relatif “calme
politique”, avec peu de luttes ou mouvements à grande échelle,
alors qu'en plus, dans la majorité des pays, il n'existe aucun grand
parti qui s'oppose à l'austérité. Malgré cela, les élections de
mai ont bel et bien été révélatrices de la méfiance, de
l'aliénation et de l'opposition croissantes envers les gouvernements
nationaux dans de nombreux pays européens
Le taux de participation aux élections européennes est en baisse continue |
Le vote anti-austérité
Des
années de chute du niveau de vie ont sapé la confiance qui existait
envers l'ordre capitaliste actuel. Les résultats des élections
correspondent bien à ceux d'un récent sondage, en mai 2013,
qui révélait que seulement 31 % des Européens faisaient
confiance aux institutions de l'Union européenne (contre 57 %
en 2007). Pire encore, seuls 25 % des Européens
annonçaient en mai 2013 faire confiance à leur gouvernement
national, contre 41 % en 2007. Ce phénomène est
particulièrement marqué dans les pays qui ont le plus souffert de
la crise.
Les
gouvernements qui étaient au pouvoir au début de la crise ont été
vaincus, et ceux qui les ont remplacé n'ont pas suscité plus
d'enthousiasme. Par exemple, en Espagne, depuis la chute de la
dictature de Franco à la fin des années '70, les deux
principaux partis qui ont dominé les gouvernements successifs
étaient le Parti populaire (conservateur) et l'ancien parti
social-démocrate PSOE ; ces deux partis obtenaient
traditionnellement toujours beaucoup de voix : en 2009,
81 % des électeurs espagnols avaient voté pour l'un ou
l'autre. Mais aujourd'hui la somme de leurs votes n'atteint que 49 %.
Par contre, on voit de tout nouveaux partis, formés à peine quelque
mois avant les élections, obtenir un franc succès, comme le parti
de gauche “Podemos” (“On peut”) qui a fait 8 % des voix
et est ainsi déjà devenu le 4ème parti du pays. La troisième
place est quant à elle dévolue à la Gauche Unie (IU,
Izquierda Unida) qui a remporté 10 % (+4 % par
rapport au dernier scrutin).
En
Irlande, le Parti travailliste a perdu énormément de voix à
la suite de sa participation au gouvernement pro-austérité, tandis
que les forces anti-austérité – et notamment le Sinn Féin
(parti nationaliste irlandais) – ont beaucoup progressé. À
la suite de cette véritable raclée électorale, Eamon Gilmore,
président du Parti travailliste, qui était aussi
vice-Premier ministre de ce gouvernement, a démissionné de son
poste ; tout comme d'ailleurs le dirigeant du PSOE espagnol
Alfredo Rubalcaba. Le soutien que le Socialist Party
(section irlandaise du CIO) a obtenu pendant les élections
européennes combinées à des élections partielles à Dublin-Ouest,
a démontré la puissance de la base que notre section s'est
construite lors de sa lutte contre l'austérité et pour une
alternative véritablement socialiste. (Notre député Joe Higgins
a été réélu, et nous avons en plus obtenu une deuxième députée,
Ruth Coppinger ; par contre, nous avons malheureusement
perdu notre siège au parlement européen occupé par Paul Murphy,
en grande partie à cause du fait que d'autres partis de gauche ont
présenté leur propre candidat face au nôtre, plutôt que de nous
soutenir).
Dans
d'autres pays, la situation n'évolue pas si clairement à gauche.
Aux Pays-Bas, le Parti travailliste (PvdA, Partij van de
Arbeid), un parti bourgeois qui participe à la coalition du
gouvernement, s'en est sorti avec à peine 9 %. On est loin de
son score d'il y a trente ans, qui était de 34 % !
Mais pas besoin d'aller si loin : il y a deux ans
seulement, ce parti avait remporté 25 % lors des élections
législatives. À présent, le vote du Parti travailliste
néerlandais est même inférieur à celui du Parti socialiste
(SP, un parti de gauche plus radical) – 10 %. Cependant,
le SP néerlandais, même s'il bénéficie du soutien critique du
CIO, est loin de proposer un programme socialiste véritable aussi
clair que celui qui est proposé par les partis affiliés au CIO dans
le reste du monde. Certes, le SP a accru son vote (il était de 7 %
aux élections européennes de 2009), mais il est en (légère)
baisse par rapport à celui des élections législatives de 2012,
et bien en-dessous du score obtenu en 2006, qui était de 17 %.
Néanmoins, le fait que le SP se présente en tant que force de
gauche en opposition à l'austérité a permis de limiter l'avancée
de l'extrême-droite populiste du “Parti de la liberté” (PVV,
Partij voor de Vrijheid) dirigé par Geert Wilders – même
si ce parti a quand même obtenu 13 %.
Les
forces de gauche ou anti-austérité n'ont réellement progressé que
dans un tout petit nombre de pays, parmi lesquels la Belgique,
l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et les Pays-Bas. Même en Grèce, où
Syriza (Synaspismós Rizospastikís
Aristerás, “Coalition de la gauche
radicale”) est sortie première du scrutin, ce résultat n'a pas
été dû au fait qu'elle se soit renforcée depuis les élections
cruciales de 2012 (où elle avait failli s'emparer du pouvoir),
mais tout simplement par dépit, tandis que les électeurs se
détournent de “Nouvelle Démocratie”, le parti au pouvoir.
Au même moment, on voit toujours un franc soutien au parti
néofasciste “Aube dorée” (Khrysí Avgí).
En
Allemagne, bien qu'une relative stabilité et un fort taux de
participation aient permis à Angela Merkel et à ses
chrétiens-démocrates (CDU, Union chrétienne-démocrate) de gagner
en nombre de votes (mais pas en termes de pourcentages), un nouveau
parti formé l'an passé, appelé “Alliance pour l'Allemagne”
(AfD, Allianz für Deutschland) a remporté 7 %. Les alliés
bavarois de Merkel, regroupés dans le CSU (Union
chrétienne-sociale), dégringolent carrément, leurs électeurs se
détournant vers l'AfD. Le parti de gauche “Die Linke”, au
sein duquel participe le CIO, a lui aussi gagné en termes de nombre
de voix (près de 200 000 électeurs), tout en perdant en
termes de pourcentage (7 %).
En
Italie, le nouveau gouvernement de Matteo Renzi, 100 jours
après sa mise en place, s'en est bien sortie. Le Parti démocratique
(PD, un parti “social-démocrate” similaire au PS français, a
remporté son meilleur score jamais obtenu : 41 %. Cela
reflète en réalité l'ampleur du désespoir qui s'est emparé dans
ce pays à l'économie dévastée. L'Italie a en effet perdu 25 %
de sa capacité industrielle depuis le début de la crise en 2008.
Même si le Mouvement 5 étoiles (M5S, Movimento Cinque Stelle)
s'est plutôt tassé lors de ces élections, il pourrait se maintenir
pendant un certain temps sur base de la désillusion qui grandira
envers Renzi après que celui-ci se soit installé au pouvoir, et
tant qu'il n'existe pas une réelle alternative de gauche et de la
classe des travailleurs.
Sur le
court terme, beaucoup de gens espèrent que Renzi pourra faire sortir
l'Italie de sa crise profonde. Leurs espoirs se fondent en partie sur
la mise en place d'une baisse de taxe de 80 € par mois pour
toutes les personnes qui gagnent entre 18 000 et 23 500 €
par mois. Mais sa popularité pourrait ne pas durer bien longtemps,
vu que Renzi désire en réalité utiliser sa victoire pour mettre en
place un programme néolibéral. Parviendra-t-il à le réaliser ?
Rien n'est moins sûr…
La
tendance général partout en Europe était la perte du soutien
envers les gouvernements nationaux. En Suède, les “modérés”
(conservateurs de droite) du Premier ministre Fredrik Reinfeldt
sont tombés à la troisième place, à 14 %, derrière les
social-démocrates et les écologistes. Au Portugal, les partis de
droite au gouvernement n'obtiennent ensemble que 28 % ; par
contre, on voit des groupes marginaux comme le Parti de la Terre
(MPT), un parti écologiste conservateur, passer de 0,6 % à 7 %
des voix.
Dans des
pays où le pouvoir est détenu par des partis qui se déclarent de
“gauche”, ce sont généralement les partis de droite, et bien
souvent d'extrême-droite, qui ont progressé. La France est vraiment
l'exemple le plus frappant de cette tendance : le
Parti “socialiste” de François Hollande continue à
péricliter, tandis que le Front national (FN) est maintenant
devenu le premier parti. Cela n'a fait qu'intensifier les tensions et
rivalités au sein de l'UMP (“Union pour une majorité populaire”,
le parti de Sarkozy et Chirac).
De même,
au Danemark, c'est le Parti du peuple (DF – Dansk Folkeparti,
de droite) qui a tiré le plus grand profit de l'impopularité des
social-démocrates au pouvoir (dont le parti est passé de 25 %
en 2011, à 19 % à présent). Avec cette perte de soutien,
il n'est pas étonnant de voir la Première ministre (et
présidente du parti social-démocrate) Helle Thorning-Schmidt
maintenant raconter à tout le monde qu'elle cherche un poste à
l'Union européenne. Ce que nous voyons en France comme au
Danemark, est que les partis d'opposition qui sont véritablement de
gauche n'ont pas tiré les leçons de la dégénérescence (voire de
la trahison) des partis de “gauche” qui sont au gouvernement.
Tout
cela signifie-t-il la faillite de la gauche, en plein milieu de la
plus grande crise économique des 80 dernières années ?
Devons-nous nous résigner à voir la droite bénéficier de la
colère croissante de la population ? Nous entendons ces
questions sans arrêt. Bien qu'il nous faille répondre à cette
menace qui nous vient de la droite, il faut également aussi aller
plus loin lorsque nous voyons la manière dont le résultat de ces
élections est présenté dans les médias. Car ce que nous voyons
devant nous, c'est une véritable campagne de propagande
anti-socialiste, orchestrée par tous les médias pour présenter le
“socialisme” (y compris le socialisme véritable, le nôtre)
comme étant quelque chose de démodé, de ringard, appartenant à
une autre époque.
« Les libéraux, les travaillistes, les conservateurs… tous les mêmes Je vote pour l'UKIP » |
La faillite de la vieille “ex-gauche”
Tout
d'abord, nous devons bien nous demander ce que nous entendons par
“gauche”. Ce n'est pas simplement une question du nom du parti.
Aujourd'hui, il y a toute une série de partis pro-capitalistes qui,
pour des raisons soit historiques, soit électorales, s'appellent
“socialistes”, “social-démocrates”, “travaillistes”…
Il est possible que ces partis, jadis, aient défendu les intérêts
des travailleurs, se soient battus pour le socialisme, et même pour
la révolution socialiste. Mais cela fait des décennies que ces
partis ont été dirigés par des politiciens pro-capitalistes qui se
sont efforcés de transformer ces partis en formations complètement
pro-capitalistes. Cela signifie qu'une fois au gouvernement, ils
finissent à présent toujours par défendre le système capitaliste,
même s'ils peuvent être de temps à autre en faveur de la mise en
place de l'une ou l'autre réforme progressiste (assurance-santé,
cantine gratuite à l'école, etc.) – et même ces quelques
réformes semblent avoir disparu de leur programme aujourd'hui. À
cause de la dégénérescence de ces partis et de la perte à présent
quasi-totale de leurs racines ouvrières, nous nous trouvons dans la
plupart des pays devant la nécessité de créer de nouveaux partis
des travailleurs.
C'est
pourquoi la crise à laquelle sont confrontés les gouvernements
soi-disant de “gauche” comme le PS français, n'est pas du tout
une preuve de la faillite du socialisme. Dans beaucoup de pays, ce
sont justement ces partis “socialistes”, “social-démocrates”
ou “travaillistes” qui ont été l'instrument des capitalistes
pour mettre en œuvre leurs attaques néolibérales, comme au
Danemark et en France, ou qui ont participé en tant que partenaires
dans la mise en œuvre de ces attaques, comme en Grèce, en Irlande
ou aux Pays-Bas. C'est cette politique qui est la raison de leur
perte de soutien parmi leur base traditionnelle et qui les rend
dégoutants aux yeux de la jeunesse.
Au
début, nous avions vu dans de nombreux pays une tendance vers la
gauche au moment où la crise a frappé. Il y avait un large
sentiment d'opposition au fait que la “population” soit appelée
à payer les pots cassés pour une crise provoquée par un petit
groupe de banquiers. Dans certains pays, surtout en Europe
méridionale (Espagne, Portugal, Italie, Grèce), on a vu un
renouveau de la lutte de classe. On a vu toute une série de grèves
et manifestations contre les mesures d'austérité, en particulier
contre la dictature de la “troïka” de la Commission européenne,
de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire
international (FMI) avec leurs soi-disant “plans de renflouement”
qui n'ont fait qu'endetter encore plus ces pays tout en semant la
désolation.
Au même
moment, on a vu se développer des mouvements comme Occupy ou les
Indignés, qui ont commencé à remettre en question le règne
des “1 %”, tant sur le plan idéologique que politique,
et même à remettre en question le système capitaliste lui-même.
Un point tournant a été le renversement de Moubarak en Égypte, qui
a contribué à radicaliser ces mouvements. Pendant tout un temps, la
place Tahrir était considérée comme un symbole de révolte.
Tout
cela nous a fourni tous les matériaux requis pour construire un
puissant mouvement, capable de lutter contre l'impact de la crise et
de remettre en question le capitalisme. Mais personne n'est venu
construire ce mouvement. Les matériaux se sont gâtés. On n'a vu
aucun programme ou stratégie claire de la part des principaux
dirigeants syndicaux (pour la plupart acquis au capitalisme) pour
lutter contre la crise et l'austérité ; dans beaucoup de pays,
aucune force socialiste, voire simplement de gauche, n'a émergé ou
n'a eu le potentiel de construire un tel mouvement de masse.
En
Allemagne, les dirigeants syndicaux ont accepté l'idée selon
laquelle les travailleurs devraient faire des sacrifices pour garder
leur emploi. Beaucoup de gens pensent que cette stratégie a
fonctionné, vu que l'Allemagne aujourd'hui connait une reprise au
niveau de ses exportations, même si le niveau de vie a continué à
stagner ou à baisser. Mais il suffirait d'une baisse de ces
exportations pour qu'une période de vives turbulences démarre en
Allemagne aussi.
Dans de
nombreux pays européens, il y a eu beaucoup de luttes. En Grèce
surtout, où il y a eu 36 grèves nationales depuis 2010,
sans compter des milliers de manifestations et mouvements partout
dans le pays. Mais ces grèves n'étaient pas connectées à une
campagne de mobilisation constante des masses, non seulement contre
les attaques, mais contre le système lui-même qui a causé cette
crise. Aux yeux de nombreux dirigeants syndicaux, ces mouvements
étaient juste un prétexte pour permettre d'évacuer la colère des
travailleurs puis de laisser le mouvement retomber, tout en leur
permettant de dire qu'ils avaient “fait quelque chose”. Le
résultat ? La population grecque a vécu un véritable
effondrement de son niveau de vie ; c'est le tissu social
lui-même qui a été ébranlé. Les salaires ont été diminués de
60 %, le chômage est officiellement de 27 %, et le
New York Times a écrit qu'entre 800 000 et un million
de gens qui travaillent ont un retard de salaire d'au moins un mois,
et que les services publics comme la santé ou l'enseignement sont au
bord de la faillite.
C'est ce
contexte qui explique l'énorme engouement pour Syriza lors des deux
élections de 2012 en Grèce. Les travailleurs et les jeunes ont
senti que faire grève continuellement un jour - deux jours
ne les mènerait nulle part, et ont donc décidé de passer à
l'action politique. Pendant la campagne électorale de mai 2012,
Syriza appelait à la formation d'un “gouvernement de gauche”,
qui a été largement suivi par la population. Le parti est passé de
5 % en 2009 à 17 % en 2012, pour obtenir 30 %
aux élections un mois après. Mais la direction de Syriza a commencé
à reculer. L'appel à un “gouvernement de gauche” a été élargi
pour inclure également des partis pro-capitalistes “de gauche”,
et les dirigeants ont expliqué qu'ils n'étaient pas pour la
révolution mais qu'ils allaient tenter de travailler dans le cadre
du système. Alors que lors des dernières élections, Syriza avait
fait campagne avec le slogan « Dégagez-les tous », il
n'a pas été capable d'accroitre son soutien, même s'il est devenu
le premier parti du pays.
Les populistes de droite et l'extrême-droite
Voilà
ce qui explique la croissance des néofascistes comme Aube dorée.
Ce parti a remporté 536 400 voix pour les élections
européennes, soit 9 % de l'électorat. Il y a cinq ans, il n'en
avait que 23 550. Lors du premier tour des élections
communales, organisées une semaine avant les élections européennes,
Aube dorée a obtenu 16 % à Athènes (et 11 % pour la
région Attique, qui inclut Athènes).
Tout
comme les partis de droite populiste ou d'extrême-droite dans
d'autres pays, Aube dorée est parvenue à s'emparer des
problèmes réels et à leur fournir une “solution” – une
réponse raciste et nationaliste. Sa croissance impressionnante est
le reflet de la profondeur de la crise en Grèce ; c'est le
résultat de la polarisation politique qui découle inévitablement
d'une telle situation.
Beaucoup
de jeunes font partie des personnes les plus touchées par la crise.
Le chômage des jeunes est en moyenne de 24 % en Europe (56 %
en Grèce, 53 % en Espagne). Tous ces jeunes sont en concurrence
les uns avec les autres pour obtenir un emploi, ce qui signifie
qu'ils accepteront plus facilement un travail mal payé et dans de
mauvais conditions – cela a pour effet une diminution générale
des salaires, un affaiblissement des syndicats (beaucoup de jeunes ne
reçoivent pas de contrat mais un travail “à la semaine” ou “à
la journée”) et, dans le contexte de la libre circulation des
personnes, cela peut susciter de l'hostilité entre travailleurs de
différents pays. En France, le chômage des jeunes est de 24 %,
et les sondages montrent que, parmi les jeunes de 18-24 ans, le
FN est le premier parti – 26 % –, tandis que le
dirigeant du Front de gauche, Mélenchon, n'obtient que 16 %.
Le FN
est parvenu à se construire une base en utilisant des revendications
sociales, l'hostilité envers les politiciens traditionnels et le
nationalisme (« Une politique française, pour les Français et
avec les Français »). Mais le Front de gauche n'a pas
apporté une réponse claire par rapport aux problèmes concrets, et
n'est pas non plus très clair par rapport à ses relations avec la
coalition de François Hollande. Malgré la descente
vertigineuse du PS au gouvernement, le FdG qui obtenait auparavant
95 000 voix n'en obtient toujours que 1 200 000
(6 %), tandis que le FN est passé de 3 619 000 à
4 711 000 voix (25 %).
En même
temps, ces élections-ci ont tout de même prouvé que la montée de
la droite et de l'extrême-droite n'est pas quelque chose
d'inévitable. Nous voyons que la gauche, même avec un programme
limité, est capable d'empêcher la droite de progresser – c'est
le cas en Espagne, en Allemagne et aux Pays-Bas. Mais ce ne sera pas
pour toujours. Tout échec de la gauche peut ouvrir la porte à la
droite. La polarisation en Grèce est en partie le résultat de la
crise, mais elle est également à imputer à la faillite totale de
la social-démocratie représentée par le parti Pasok (Panellínio
Sosialistikó Kínima, Mouvement socialiste panhellénique). Au
moment des élections de 2009, la crise venait à peine de
commencer, et beaucoup de gens espéraient que la “gauche” les
tirerait de là : le Pasok était sorti grand vainqueur avec
44 %, 3 millions de voix. À ce moment-là, Aube dorée
ne faisait même pas 10 000 voix (0,29 %). Mais
aujourd'hui, Aube dorée fait plus de voix que
l'“Alliance Olivier” qui inclut entre autres le petit parti
qu'est devenu le Pasok.
L'extrême-droite est
aussi très présente en Europe centrale et orientale, comme en
Hongrie où le parti néofasciste Jobbik (Jobboldali
Ifjúsági Közösség, Alliance des jeunes de droite)
a également obtenu environ 7 % (il a en fait perdu 70 000 voix,
vu que le taux de participation a fortement chuté – 29 %
de la population a voté seulement). La Slovaquie bat tous les
records avec un taux de participation d'à peine 13 %. Même en
Croatie, qui vient de rejoindre l'Union européenne,
l'enthousiasme ne semble pas être de mise, vu que le taux de
participation était d'à peine 25 %.
Malgré
le faible taux de participation, ces résultats constituent un
avertissement pour tous les politiciens de la classe dirigeante qui
soutiennent encore ce qu'ils appellent le “projet européen”. Le
renforcement des forces eurosceptiques, surtout de droite, et le
regain de croissance des forces de gauche et anti-austérité dans
certains pays, nous mène vers encore plus de tensions au sein de
l'Union européenne, surtout au sein de la zone euro.
La crise est toujours là
Juste après les
élections, le Financial Times citait François Heisbourg,
président (français) de l'Institut international d'études
stratégique, un “think-tank” londonien, qui disait que « La
crise de l'euro est comme un cancer en rémission – une menace
qui peut réemerger à tout moment ». De nombreuses menaces
pèsent en effet toujours sur l'euro.
Le danger d'une
baisse du commerce mondial pourrait être source de gros problèmes
pour les pays qui comptent sur leurs exportations pour se sortir de
la crise, surtout en ces temps d'austérité à tous les niveaux.
Cela affaiblirait notamment la position de l'Allemagne. La crise
ukrainienne menace les banques autrichiennes, et de nouvelles
sanctions contre la Russie nuirait également fortement aux intérêts
allemands. Au sein de la zone euro, la France et l'Italie réclament
plus de flexibilité par à l'austérité imposée par l'UE, et
espèrent une réduction de la valeur de l'euro – ce qui
pourrait avoir lieu, vu que la BCE cherche à éviter la déflation
(la déflation étant une crise inverse de celle de l'inflation,
lorsque tous les prix diminuent sans arrêt).
Il est clair que le
système bancaire de la zone euro présente toujours de nombreuses
faiblesses. La BCE a déjà pompé 1000 milliards d'euros dans
le système financier européen afin d'éviter son effondrement. Mais
le Financial Times estimait début avril qu'il faudrait encore
700 milliards d'euros pour maintenir le système, au même
moment où le FMI annonçait que les problèmes des banques de la
zone euro constituent une menace pour la stabilité du système
financier mondial. Il y a beaucoup de discussions autour de quelle
stratégie employer pour éviter la déflation et pour renforcer la
croissance, mais cela pourrait couter très cher. Le journal allemand
Frankfurter Allgemeine Zeitung rapportait également en avril
que pour faire monter l'inflation de 0,2 % (pour contrer la
déflation), la BCE devra encore racheter des actifs pour une valeur
de 1000 milliards d'euros. Il est vrai que Mario Draghi, le
gouverneur de la BCE, a déclaré en 2012 qu'il fera “Tout ce
qu'il faudra” pour sauver l'euro, il y a tout de même des limites
à ce que les différents pays – surtout l'Allemagne –
sont prêts à dépenser pour sauver leurs voisins.
Malgré une reprise
de la croissance dans certains pays, le PIB de la zone euro était
toujours début 2014 2,5 % en-dessous de ce qu'il était à
son maximum avant la crise, début 2008. La situation est
toujours incertaine. L'an dernier, les entreprises européennes ont
remboursé des “mauvaises dettes” pour un total de 360 milliards
d'euros, soit 3,1 % de leur chiffre d'affaires total. Mais
début 2014, ce chiffre d'affaires a diminué. Une nouvelle
vague de crise ébranlerait également les pays les plus stables
comme l'Allemagne, la Belgique, l'Autriche, etc. tout en brisant tout
espoir de développement en Europe centrale et orientale.
Un retour de la crise
attiserait à nouveau les tensions entre différents pays. Dans de
telles circonstances, il y aurait de plus en plus de pressions pour
une scission ou une réorganisation de la zone euro, du fait que les
classes dirigeantes des différents pays auraient à lutter pour
leurs propres intérêts nationaux tout en cherchant à contenir la
colère au sein de leurs propres pays. Beaucoup de gens sont déjà
très fâchés par rapport à la “troïka” dans les pays qui ont
le plus souffert des soi-disant “plans de renflouement”. De
manière plus générale, beaucoup de gens sont indignés par rapport
à ce qu'ils considèrent comme une domination allemande (ou plus
précisément, de l'impérialisme allemand) au sein de l'UE. Tout
cela peut évidemment mener à plus de rivalités nationales, à plus
de décisions prises de manière unilatérale par tel ou tel pays, et
donc à la désintégration de l'euro et de l'Union européenne telle
que nous la connaissons.
Les dirigeant de la zone euro, comme Merkel et Hollande, sont en “palabre” par rapport à l'avenir de la monnaie unique et la manière de sortir de la crise. Qui va payer pour les autres ? |
Les défis à venir
Juste avant les
élections, le Financial Times remarquait que : « Les
Européens voient un monde dans lequel les bénéfices de la
mondialisation ne concernent que les 1 % les plus riches. Tout
ce qu'ils voient, c'est que leur revenu stagne, que leur emploi est
précaire, et que leurs enfants sont sans travail ». Dans de
nombreux pays, nous connaissons en ce moment une période de calme au
niveau des luttes ; il ne faut pas se tromper dans notre analyse
de ce que cela veut dire. Ce calme ne veut pas dire que la population
accepte passivement la situation ou accorde le moindre crédit dans
les beaux discours des politiciens et des gouvernements. Les
résultats des élections montrent bien que toute une série de
tensions sont en train de se développer sous la surface, qui sapent
l'ancien ordre établi.
Il y aura
inévitablement de nouvelles luttes, de nouveaux mouvements des
travailleurs, de la jeunesse, et d'autres couches de la population,
parmi lesquels de plus en plus de gens tireront la conclusion qu'ils
ne peuvent pas continuer comme ça, quand une crise vient après
l'autre. De nouvelles expériences seront faites, de nouvelles leçons
seront tirées. Il y aura de plus en plus de concurrence entre les
différentes organisations qui misent sur le mécontentement pour se
construire une base. Au Royaume-Uni, la question reste posée de
savoir si l'UKIP sera vraiment capable de s'implanter en tant que
formation durable dans le paysage politique (comme le FN en France ou
le FPÖ en Autriche) ou s'il n'est que phénomène temporaire mais
qui pourrait mener à de nouveaux développements à droite.
Nous allons voir
toute une série de nouvelles occasions pour la gauche, qui lui
donneront la possibilité de damer le pion à l'extrême-droite.
L'extrême-droite n'a en réalité rien à offrir derrière ses
slogans populistes, parce qu'elle ne remet pas en question le système
capitaliste. Cela veut dire que son programme ne permettra pas
d'apporter la moindre solution aux problèmes réels de la population
laborieuse. Si nous disposions d'une force de gauche socialiste,
armée d'un programme socialiste largement diffusé, et qui montre
qu'elle est véritablement prête à réaliser ce programme, alors
nous pourrions vaincre l'extrême-droite. Notre défi est de
construire cette force.
Les élections du
mois de mai ont été révélatrices de la situation de la gauche en
Europe. Dans beaucoup de pays, comme la Grèce, l'Espagne, les
Pays-Bas, le Portugal ou l'Allemagne, les partis de gauche ont
d'importantes positions, qui peuvent être utilisées pour faire
progresser les luttes et reconstruire le mouvement des travailleurs.
En Belgique, le succès du Parti du Travail (PTB/PvdA), qui vient de
gagner ses tous premiers députés au niveau national et régional,
lui donne la possibilité de jouer un rôle crucial – la
question restant cependant posée, de savoir si les dirigeants de ce
parti sont prêts à abandonner l'approche dirigiste qu'ils ont
héritée de leur passé maoïste. En Irlande, le vote anti-austérité
a été si puissant que nous voyons s'ouvrir une nouvelle période,
qui peut nous offrir de nouvelles possibilités pour construire une
force socialiste.
Mais des victoires
électorales ne sont pas par elles-mêmes une garantie de l'avenir
d'un parti ou du rôle qu'il jouera. Nous avons toujours en mémoire
le triste exemple de la Refondation communiste en Italie ou du
Parti socialiste écossais, qui ont gaspillé leur incroyable
potentiel. Les partis sont sans arrêt soumis au test des évènements,
sans arrêt confrontés à de nouveaux défis.
Les élections ne
sont pas la plus facile des formes de lutte, et les résultats ne
progressent pas de manière linéaire. En Irlande, Paul Murphy,
candidat du Parti socialiste (CIO irlandais) n'a pas été réélu
à son siège de député européen, en partie parce qu'un autre
parti de gauche, le Parti ouvrier socialiste (SWP) a présenté
son propre candidat contre lui. Mais le même jour, notre camarade
Ruth Coppinger a été élue au parlement irlandais (ce qui
porte à deux le nombre de nos députés en Irlande), et nous avons
également gagné de nouveux conseillers communaux.
Les victoires
électorales remportées par la gauche peuvent devenir d'importants
points de soutien pour aider les luttes à venir et contribuer à
reconstruire le mouvement des travailleurs. Mais cela ne se fera pas
de manière automatique. Le progrès de l'extrême-droite et des
néofascistes est un avertissement. L'Europe capitaliste sera frappée
par de nouvelles crises et de nouveau troubles. De nouveaux
mouvements des travailleurs et de la jeunesse surviendront
inévitablement. L'épreuve pour tous sera la victoire ou non des ces
luttes, et la reconstruction effective du mouvement ouvrier dans le
cadre d'une perspective socialiste.
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