lundi 26 octobre 2015

Monde : Hausse des tensions entre États-Unis et Chine, sur fond de panne de l'économie chinoise

À bas le nationalisme, la répression et les « réformes » néolibérales qui caractérisent le régime de Xí Jìnpíng


Le président chinois Xí Jìnpíng a commencé sa visite d'une semaine (du 22 au 29 septembre) aux États-Unis par la ville de Seattle, où il a rencontré les DG des plus grandes entreprises technologiques états-uniennes, Apple, Amazon et Microsoft. Partout sur son chemin, il a été accueilli par des groupes de manifestants. Parmi eux, les camarades du CIO de la ville de Seattle accompagnés par notre conseillère Kshama Sawant, qui ont tenu à afficher leur solidarité avec les travailleurs chinois en soutenant la revendication de pouvoir créer des syndicats indépendants en Chine.

Cette toute première visite d'État du président Xí aux États-Unis survenait à un moment particulièrement difficile pour le régime chinois. En effet, l'économie chinoise a fortement ralenti cette année, poursuivant sur les mauvais résultats de 2014. Les dernières données économiques ne font qu'ajouter au marasme. L'indice des directeurs d'achat industriels, qui mesure la production à l'usine et qui était de 47,3 en aout, est passé à 47,0 en septembre (tout chiffre en-dessous de 50,0 indique une réduction de la production). Le résultat de septembre est le plus bas depuis la crise financière mondiale de 2008-2009.

– analyse par notre camarade Vincent Kolo du Forum ouvrier chinois, section du CIO en Chine


Révision à la baisse des prévisions de croissance

Les marchés boursiers chinois, qui ont perdu 40 % de leur valeur depuis le mois de juin (avec la perte de 5000 milliards de dollars en actions), se sont encore dépréciés à la suite de la publication de cet indice. Cela a contrarié l'objectif de la visite de Xí aux États-Unis, qui visait à « restaurer la confiance » dans l'économie chinoise.

Les dernières chutes des bourses de Shànghǎi et de Shēnzhèn ont été accompagnées de fortes baisses sur les marchés mondiaux, y compris à Wall Street. Les financiers craignent que la Chine, censée être le moteur de l'économie mondiale, en particulier en ce qui concerne les soi-disant « pays émergents » et autres pays exportateurs de matières premières, pourrait plonger le monde entier dans une nouvelle récession. Quelques jours avant l'arrivée de Xí aux États-Unis, plusieurs banques et institutions internationales (y compris la Banque asiatique de développement, l'OCDE et la banque Barclays) ont révisé à la baisse leurs prévisions en ce qui concerne la croissance du PIB chinois.

Lors d'un long entretien avec le Journal de Wall Street (propriété de M. Rupert Murdoch, magnat des médias mondiaux et 32e personne la plus puissante au monde, qui sortait d'une audience en privé avec M. Xí à Pékin une semaine auparavant), Xí a rassuré son public américain du fait que son plan de réformes capitalistes se poursuivra « coute que coute ». Ces réformes incluent un rôle accru pour le capital privé et étranger dans l'économie, plus de dérégulations et de privatisations. Fidèle à son style rhétorique, Xí a déclaré que ses réformes sont telles « une flèche qui, une fois tirée, ne peut plus revenir en arrière ». 

Alors que la croissance phénoménale des dernières années était jugée « rationnelle »,
la chute soudaine des marchés boursiers est, elle, jugée « irrationelle ».
Logique ?

Des messages contradictoires

Les États-Unis désiraient faire pression sur le président chinois quant aux dossiers de la militarisation de la mer de Chine méridionale (mer hautement stratégique située entre la Chine, Taïwan, le Vietnam, l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et Singapour, à travers laquelle transitent un tiers des bateaux du monde entier) et de la cybersécurité, tentant de tirer profit des difficultés actuelles du régime chinois. Mais Xí considérait cette visite avant tout comme une tribune à partir de laquelle calmer les craintes de ses investisseurs quant à la possibilité d'une récession chinoise. Son problème est que tous ses discours sont constamment décrédibilisés par les données en provenance de l'économie de son pays et par la fragilité de l'économie mondiale qui dépend de plus en plus de la Chine.

Les dirigeants capitalistes du monde entier sont de plus en plus inquiets face au ralentissement de l'économie chinoise qui se fait de plus en plus sentir et face à l'instabilité financière qui menace les plans de réformes de Xí. En aout, Pékin a pris le monde par surprise en changeant subitement de politique monétaire. Il s'agissait d'une tentative tout autant couteuse que futile de contrer la déroute des marchés boursiers. Cela n'a fait qu'accroitre les craintes d'une dévaluation de la monnaie chinoise tout en faisant perdre à Xí et à son équipe la confiance placée en eux par les capitalistes ainsi que leur autorité. Alors que les dirigeants chinois étaient perçus partout comme des gestionnaires compétents, ce point de vue est de plus en plus remis en cause.

Les relations entre la Chine et les États-Unis sont entrées dans une nouvelle phase de turbulences. La montée en puissance de la Chine contraint les États-Unis à réagir pour maintenir leur position en tant que « gendarme du monde ». C'est surtout le cas en Asie, où les tensions entre les différents pays sont en train de monter, comme cela s'est illustré récemment lorsque le parlement japonais a décidé d'abolir les clauses pacifistes de sa constitution, ce qui permet désormais au Japon, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a 70 ans, d'envoyer ses troupes combattre à l'étranger aux côtés de ses alliés américains et autres. Shinzō Abe, le Premier ministre japonais, un nationaliste de droite, est soutenu dans sa politique militariste par l'administration Obama, au grand dam d'une grande majorité de la population japonaise. Il ne s'est pas caché du fait que sa « réinterprétation » de la constitution de 1947 du royaume du Japon vise essentiellement à répondre à la « menace chinoise ».

Tandis que les députés se bagarraient à coups de poing, des dizaines de milliers
de Japonais manifestaient devant le parlement pour protester contre la révision de
la constitution qui permet désormais au Japon d'envoyer ses troupes à l'étranger.
En vain.
(sur les panneaux : « Pas de guerre – la paix seulement » ; « La paix, pas la guerre »)

La mer de Chine méridionale

La modification de la constitution japonaise n'est qu'un des nombreux changements qui sont en train de s'opérer sur la carte géopolitique de l'Asie, de même que la décision du président Obama de renforcer son « pivot » militaire sur le continent, afin de contrer la domination économique croissante de la Chine dans cette région.

La Chine est maintenant devenue, et de loin, le plus important partenaire commercial des dix pays qui forment l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), une sous-région qui compte 600 millions d'habitants. Le commerce entre la Chine et le bloc ASEAN s'élevait à 480 milliards de dollars en 2014, comparé aux 100 milliards de dollars entre la même sous-région et les États-Unis. La puissance financière de la Chine dans la sous-région – en tant que principal acheteur du fer australien et principal financier des banques indonésiennes – est aussi devenu un important contre-pouvoir face à la domination américaine et japonaise. C'est dans ce contexte que se développe à présent ce qui pourrait devenir un conflit dangereux dans la mer de Chine méridionale, qui pourrait engendrer des échanges houleux entre Obama et Xí au cours de la visite du président chinois. 

Plusieurs iles inhabitées dans cette mer, ainsi que leurs territoire maritime, font l'objet d'un contentieux entre la Chine et d'autres pays (notamment le Vietnam et les Philippines). Ces iles sont censées être riches en minerais et en pétrole, mais jouent également un important rôle stratégique du point de vue militaire. Les porteparoles états-uniens ont durci leur discours au cours des derniers mois contre les prétentions chinoises, la Chine désirant s'installer sur cet archipel pour y construire des bases aériennes et autres infrastructures militaires.

Les États-Unis et son allié le Japon ont renforcé leur coopération militaire avec les États du Vietnam et des Philippines, qui sont tous deux mêlés dans divers conflits avec la Chine quant au contrôle de ces iles et de leur territoire maritime.

Quel que soit le gagnant de ce conflit, les perdants sont déjà les travailleurs et paysans pauvres de Chine, du Vietnam, des Philippines et d'autres pays asiatiques, qui voient leurs gouvernements entonner des refrains patriotiques et augmenter leurs budgets militaires au détriment des budgets pour l'enseignement, les logements et la protection de l'environnement (tels que des barrages pour protéger les populations de la montée des eaux et autres plans de lutte contre le changement climatique). Loin de tenter de trouver une solution, les élites états-unienne et chinoise ne font qu'envenimer le problème dans leur lutte pour la prééminence régionale. On parle même d'une « nouvelle guerre froide ».

Avant la visite de Xí, l'administration Obama a lancé toute une série d'accusations contre Pékin, selon lesquelles le gouvernement chinois serait coupables d'attaques de hackers contre différentes entreprises et institutions états-uniennes. La Chine a répondu en envoyant à Washington le chef de son service de sécurité intérieure, M. Mèng Jiànzhù, afin d'aplanir cette dispute avant la visite de M. Xí. Obama a demandé la mise en place d'un cadre de concertation internationale pour empêcher que l'internet ne devienne un terrain d'opérations militaires, sans vouloir avouer sa propre culpabilité dans le cadre de cette affaire.

Comme le militant Edward Snowden l'a révélé, les  États-Unis ont mis sur écoute les téléphones de 120 chefs d'État dans le monde et sont à la tête d'un gigantesque réseau de cyberespionnage. Lorsqu'on lui a demandé de commenter les mesures de représailles prises par les hackers du gouvernement chinois, M. Michael Hayden, un ancien directeur de la NSA et de la CIA, s'est exclamé : « Qu'est-ce qu'on va faire ? Voler les secrets d'État de la Chine ? On les a déjà ! » Il est possible qu'au cours de la rencontre entre les deux dirigeants à Washington, un « code de bonne conduite » soit annoncé pour limiter l'ampleur de ces attaques, mais il est très peu probable que ce protocole soit respecté dans la pratique.

Le contentieux dans la mer de Chine méridionale. En bleu : limites des
eaux attribuées aux différents pays par le droit international (la zone centrale
étant non attribuée). En rouge : territoire maritime revendiqué par la Chine.
En gris : iles disputées par les différents pays.

Interdépendance 

Mais comme le démontre la foule de chefs d'entreprises américaines qui font le rang pour venir serrer la main du président chinois (y compris Bill Gates, Warren Buffet et Tim Cook, le PDG de Apple), la relation entre les deux plus grandes économies mondiales est extrêmement complexe. Il s'agit d'une interdépendance économique, qui croit de jour en jour en même temps que s'accroit la rivalité sur le plan stratégique. Pour l'entreprise Boeing, que Xí a visité le mercredi 23 septembre, la Chine représente aujourd'hui près d'un quart de ses ventes d'avions. Pour Apple, la Chine est le plus grand marché au monde ainsi que sa principale base de production. 

À la mi-septembre, la banque fédérale américaine a décidé de postposer à nouveau la hausse de son taux directeur. Cela fait neuf ans que ce taux directeur n'a pas été relevé. Cette décision a elle aussi été prise en raison des puissants liens financiers et économiques entre les États-Unis et la Chine. La banque fédérale américaine a reconnu la fragilité des marchés émergents qui comptent pour 40 % de la production mondiale et qui sont les plus touchés par le ralentissement de l'économie chinoise. Maintenant que les États-Unis ont décidé de cesser leur politique monétaire d'« assouplissement quantitatif » et de taux d'intérêt proche de zéro, on voit s'accélérer les flux de capitaux hors de ces pays « émergents » et plonger le cours de leurs monnaies.

Cette interdépendance s'exprime aussi dans le fait que sur le terrain diplomatique, les États-Unis ne mentionnent jamais plus le problème des « droits de l'homme » (c-à-d. de la répression étatique) lors de rencontres officielles, mis à part quelques références purement décoratives dans les médias. Pour les gouvernements capitalistes, le plus important est avant tout la négociation de bons contrats et les concessions d'ordre purement économique.

M. Xí en visite dans l'usine Boeing de Seattle au côté de grands patrons américains

« Révolution démocratique » ?

De même, alors que les médias chinois avaient furieusement dénoncé la tentative, selon eux, des puissances occidentales et en particulier des États-Unis de fomenter une « révolution démocratique » à Hong Kong l'année passée (en référence au mouvement de masse qui s'était développé pour réclamer des élections démocratiques à Hong Kong, voir article ici), cet aspect a complètement disparu du discours de Pékin lors de la visite de Xí aux États-Unis. 

L'absurdité de cette accusation est démontrée par le fait qu'au même moment où le président chinois était reçu par le président américain, trois représentants du soi-disant mouvement pour la démocratie de Hong Kong, venus aux États-Unis en même temps que cette visite d'État, peinaient à trouver quelqu'un pour les loger. Malgré le fait que leur « ONG » Maison de la liberté est financée par le Parti démocrate états-unien, ces représentants n'ont pas pu obtenir la moindre audience avec des cadres du gouvernement. Pour le gouvernement américain, la « démocratie » est aussi précieuse que l'est l'« unité nationale » pour le régime chinois : il ne s'agit que d'armes de propagande destinées à promouvoir leur puissance et leurs intérêts économiques, et rien de plus.

Sous Xí Jìnpíng, on a vu augmenter le nombre d'arrestations d'opposants, se durcir le contrôle et la censure de l'internet, en plus du développement d'une répression des « valeurs occidentales » au niveau des universités et des médias d'État. L'aile libérale du régime est tombée dans un profond pessimisme. Cette couche de l'élite chinoise aspire à une ouverture graduelle et limitée du système autoritaire actuel, de peur qu'une répression trop forte ne finisse par mener à une véritable explosion révolutionnaire. La « campagne anticorruption » menée par Xí a été utilisée avant tout pour consolider sa mainmise sur l'appareil tout en gagnant une certaine popularité auprès de la population. Cette campagne a suscité d'énormes tensions entre les dirigeants et aggravé le déclin économique du pays. Le nationalisme et la répression, mélangées à des promesses de réformes néolibérales, voilà la recette de la présidence Xí.

La jeunesse hongkongaise dans les rues pendant tout le mois d'octobre 2014.
Tous financés par les États-Unis ? Une absurdité.
(voire article ici)

Les entreprises américaines ont été les premières à bénéficier des lois draconiennes et de la stricte discipline dans les usines où les travailleurs chinois sont réduits à un état de quasi esclavage. Les entreprises technologiques que Xí visitera au cours de son séjour aux États-Unis, parmi lesquelles on compte Apple, Dell, HP… utilisent des sous-traitants en Chine pour qui le non respect des mesures de sécurité et des lois antidiscrimination font partie de la vie de tous les jours, en plus des longues heures supplémentaires non payées et des salaires de misère, inférieurs au salaire minimum légal. 

Tout comme le gouvernement américain avec son discours de « démocratie », l'adoption de « codes éthiques » par les multinationales américaines n'a pour seul but que de blaguer les consommateurs. En réalité sur le terrain, aucune de leurs belles mesures n'est jamais appliquée, et la seule force qui pourrait faire appliquer ces normes, de véritables syndicats indépendants et entre les mains des travailleurs, est continuellement proscrite.

Prenons pour seul exemple l'usine de Lónghuá à Shēnzhèn (ville de 20 millions d'habitants de la région de Canton, située à la « frontière » entre la Chine proprement dite et Hong Kong), un des sous-traitants de Foxconn. Cette usine où travaillent 100 000 ouvriers est le plus important exportateur de Chine. C'est là que sont fabriqués la plupart des produits Apple vendus dans le monde entier, tels que les iPhones. 

Cette usine est réputée pour ses pratiques proches d'un camp militaire, qui ont suscité une vague de suicides parmi ses jeunes travailleurs en 2010 (l'entreprise s'est vue contrainte d'attacher des filets à chaque étage pour empêcher les nombreux candidats au suicide de se jeter par la fenêtre). Le 8 septembre, tandis que l'entreprise se préparait à recevoir son propriétaire venu en visite, un milliardaire taïwanais du nom de Terry Guō Táimíng, 15 braves travailleurs ont déroulé une banderole en signe de protestation contre le non-paiement de leurs cotisations sociales, dans une tentative héroïque de lancer un mouvement parmi leurs collègues. Ils ont été licenciés le jour même. (voir aussi ici cet article par rapport au sort qui est réservé aux syndicalistes indépendants en Chine)

Une petite partie de l'usine d'Apple à Shēnzhèn

Tandis que les capitalistes et politiciens américains ferment les yeux sur cette situation tout en en tirant d'immenses profits, les socialistes américains tels que les camarades du CIO à Seattle proclament leur solidarité avec les travailleurs chinois en lutte pour leurs droits. Kshama Sawant a ainsi publié une lettre ouverte au président Xí Jìnpíng dans laquelle elle dit : « Nous sommes solidaires des travailleurs de Chine dans leur lutte pour les droits démocratiques, y compris le droit de s'organiser en syndicats indépendants. Les multinationales qui exploitent les conditions atroces en vigueur dans les usines chinoises, approuvées par votre gouvernement, auront à faire face à notre opposition et à notre résistance. »

Meeting de Kshama Sawant en solidarité contre la venue de Xí Jìnpíng
et en solidarité avec les travailleurs chinois

Autres articles sur la Chine :

  • Rapport 2015 sur la situation mondiale : la situation générale en Asie (ici)
  • Rapport 2015 sur la situation mondiale : conflit entre Chine/Russie et États-Unis en Amérique latine (ici)
  • La « révolution des parapluies » à Hong Kong en septembre-octobre 2014 (ici)
  • Rapport de l'école d'été 2013 du CIO sur la situation en Chine (ici)
  • Appel à la solidarité pour protester contre l'arrestation d'un militant syndicaliste d'une usine de Shēnzhèn (ici) (octobre 2013)
  • site de notre section chinoise (en anglais et chinois) : ici

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