mercredi 15 juin 2016

Nigeria : Grève contre la hausse du prix de l'essence

La grève des syndicats a été trop faible pour obtenir la moindre concession


C'est le 22 mai que le Congrès du travail nigérian (NLC), fraction Ayuba Wabba, a levé son mot d'ordre d'action de grève illimitée contre la hausse du prix de l'essence décrétée par le gouvernement de Muhammadu Buhari, trois jours à peine après qu'elle ait été lancée. Cette grève qui a début le 18 mai a été la moins réussie des dix grèves nationales qu'a connues le Nigeria depuis la fin de la dictature militaire en 1999. Il s'agit de la première grève contre la hausse du prix de l'essence qui n'ait pas gagné la moindre concession en termes de réduction du prix. 

Cette défaite a encouragé les ennemis du peuple à partir à l'offensive en critiquant l'appel à la grève, espérant ainsi éviter de nouveaux appels à la mobilisation dans le futur. En tant que militants, nous devons rejeter toute tentative de neutraliser les syndicats, tout en tirant les leçons de cette expérience afin de nous assurer que nos luttes futures puissent être victorieuses.

Si cette action a été relativement impressionnante dans certains États, elle a connu des échecs retentissants dans les deux villes les plus importantes du pays, Lagos et Abuja. Les grandes villes de Kano et Port Harcourt n'ont elles aussi que peu été touchées par la grève. Dans ces villes, les bureaux, les banques, les entreprises et les marchés sont restés ouverts, bien qu'il y ait eu de petites marches de contestation çà et là. Dans des villes comme Ibadan, où il y a bel et bien eu grève, l'action est très loin d'avoir eu l'ampleur du mouvement de 2012, lorsque toute la société, y compris les entreprises privées et les marchés, a été mise à l'arrêt. Cependant, l'accueil réservé par les populations à ces marches à Ibadan, à Osogbo et à Ifé a bien indiqué le rejet massif de la hausse du prix de l'essence.

– camarade Peluola Adewale, Mouvement socialiste démocratique (section du CIO au Nigeria)


La grève a bien fonctionné dans certains États

La grève a été fort suivie dans les États d'Oyo et d'Osun, deux États où nos camarades du DSM ont été particulièrement actifs, en plus de Lagos et Abuja. Selon les médias, certains États comme Imo et Akwa Ibom ont été eux aussi fortement touchés par le mouvement : les écoles et la fonction publique étaient bien fermées. On a aussi vu le mouvement s'étendre aux États du Plateau, de Cross River, de Bauchi, d'Edo, d'Ogun et d'Ekiti. À Bayelsa, les travailleurs étaient déjà en grève par rapport à leurs salaires non payés, avant de rejoindre la grève nationale contre la hausse du prix de l'essence.

De manière générale, la grève a été suivie surtout dans les États où il y a des luttes locales autour de retard de paiement des salaires ou pensions, et où la hausse du prix de l'essence vient aggraver une situation déjà précaire. De plus, les travailleurs ont vu le mouvement comme une occasion d'exprimer leur ras-le-bol, après que les dirigeants des syndicats aient échoué ou aient refusé d'organiser la moindre action à ce sujet, malgré la souffrance des travailleurs.


La grève n'a pas été correctement préparée

Si cette grève a échoué pour toute une série de raisons, le principal facteur a été le manque de préparation et en fait, de sincérité de la part de la plupart des dirigeants du NLC qui avaient appelé à partir en action. Cela ne doit pas non plus atténuer la responsabilité des dirigeants du Congrès syndical (TUC), de la faction du NLC dirigée par Joe Ajaero, du NUPENG et du PENGASSAN qui ont refusé de soutenir le mouvement et ont donc joué le rôle de casseurs de grève.

Le fait est qu'il n'y a pas eu de mobilisation ni de sensibilisation correcte des travailleurs et des masses au préalable. Depuis les élections de l'année passée, la situation du Nigeria a beaucoup changé. D'un côté, beaucoup de gens espéraient que l'administration Buhari apporte un véritable « changement » ; de l'autre, il y a les conséquences de plus en plus sévères de la crise économique mondiales qui se font sentir, surtout depuis l'effondrement du prix du pétrole exporté. 

C'est dans ce contexte que le gouvernement a lancé un véritable bombardement de propagande pour affirmer la nécessité selon lui de déréguler le marché des carburants et supprimer les subsides. En plus de tout ça, les dirigeants des syndicats ont vu leur image ternie depuis la grande grève de janvier 2012, où on les a vus abandonner le mouvement du jour au lendemain pour aller signer un accord pourri avec le gouvernement.

Même si des actions de lutte spontanée peuvent éclater ici et là, une véritable action de grève est un processus qui suppose une sensibilisation des travailleurs et des masses, une mobilisation pour l'action, qui leur permet de s'approprier le processus de lutte. Au contraire, la méthode bureaucratique par laquelle le syndicat déclare une grève du haut de son bureau ou par voie de presse, se fonde avant tout sur la loyauté des travailleurs envers leurs « patrons » dans les syndicats plutôt que sur une véritable mobilisation. Même si cette méthode peut paraitre particulièrement confortable aux yeux des dirigeants des syndicats, l'action prolétarienne ne peut pas être allumée et éteinte aussi simplement que l'interrupteur d'une lampe. 

Dans le Nigeria d'aujourd'hui, cette méthode ne garantit plus automatiquement le succès d'un mouvement, surtout dans la mesure où l'enjeu n'est pas seulement économique mais aussi politique. Si des assemblées de travailleurs avaient été organisées sur les différents lieux de travail, les dirigeants auraient pu correctement juger l'humeur de leur base et élaborer un plan de mobilisation adéquat en fonction de ce facteur, en plus d'une stratégie destinée à impliquer les larges couches du prolétariat, des sans-emplois et des pauvres.

Avant la grève, les camarades du DSM avaient appelé, au cours de différents meetings et dans leurs déclarations, à organiser d'abord une grève de 48 ou 72 heures, afin de lancer un avertissement et de permettre en même temps la formation de comités d'action sur les lieux de travail et dans les quartiers aux niveaux local, régional et national, en vue de la mobilisation et de l'organisation d'un mouvement puissant. Cela aurait permis de construire une base ferme permettant de poursuivre la bataille. Malheureusement, les dirigeants du NLC ont simplement préféré déclarer une grève illimitée sans la moindre mobilisation ni préparation.

Les méthodes « traditionnelles » de mobilisation, où la direction appelle à
l'action du haut de son podium, semblent avoir fait leur temps au Nigeria :
il est temps pour un véritable travail de terrain et pour une mobilisation en-
dehors des seuls syndiqués

Quel programme, quelle stratégie adopter ?

On est même en droit de douter du fait que les principaux dirigeants de la fraction du NLC dirigée par M. Wabba aient été eux-mêmes convaincus de leur action, vu qu'aucun véritable mot d'ordre n'a été lancé aux travailleurs par la plupart des différentes branches sectorielles. Dans le quartier d'Ajegunle à Lagos, notre camarade Dagga Tolar, président de la section locale du Syndicat des enseignants du Nigeria (NUT), a pu mobiliser l'ensemble des enseignants de son arrondissement pour participer à la grève : cela montre bien que si les sections locales avaient donné un mot d'ordre, beaucoup de travailleurs et de syndicats auraient pu participer de manière active, y compris à Lagos et à Abuja. 

Le fait est que de nombreux dirigeants syndicaux sont eux-mêmes convaincus que la politique de dérégulation et de privatisation est la meilleure manière de diriger l'économie, comme ils l'ont d'ailleurs laissé entendre en refusant d'organiser la moindre lutte contre la privatisation de l'électricité avant qu'elle ne soit effectivement mise en place par le gouvernement Jonathan. À ce défaut idéologique, il faut aussi ajouter les illusions dans le fait que le gouvernement Buhari serait plus social ou plus à l'écoute.

Tout cela explique que ces dirigeants n'aient pas agi de manière décisive pour mobiliser les travailleurs dans la résistance contre cette attaque néolibérale, même alors qu'on l'avait clairement vue venir. Dans les faits, ces dirigeants ont suscité un climat de désespoir et d'abandon parmi les travailleurs et les masses qui ont été incapables de réagir face à cette attaque. 

Cela fait par exemple des mois que le pays connait une pénurie d'essence, sans que la direction syndicale ne fasse quoi que ce soit. Le mois passé, les syndicats ont menacé d'organiser une grève générale pour protester contre la pénurie du pétrole ; le gouvernement les a pris tellement peu au sérieux qu'ils ont été incapables de mettre en pratique cette menace avant que le gouvernement ne décide de poursuivre sur sa lancée avec l'annonce de la hausse du prix. 

Cela faisait un mois que les travailleurs et les pauvres faisaient le rang pendant des heures ou se démenaient sur le marché noir pour acheter de l'essence à un prix supérieur au nouveau prix officiel de 145 naïras le litre (435 FCFA). Tout à coup, avec la hausse du prix officiel, les files ont disparu et l'essence coule à nouveau à flot !? Bien que ce répit pourrait bien s'avérer de courte durée, la hausse du prix est donc perçue par beaucoup de gens comme un médicament amer mais seule condition de guérison.

Au cours des 16 années depuis la fin de la dictature militaire en 1999, le NLC a organisé neuf grèves générales, dont la plus importante en termes de participation et d'impact a été celle de janvier 2012, survenue à un moment où les masses populaires avaient perdu toute confiance dans le gouvernement PDP. À ce temps-là aussi, il n'y avait pas la division et la polarisation que l'on observe aujourd'hui au sein du mouvement syndical.

« Arrêtez d'importer. Faites travailler nos raffineries ! »

La dérégulation n'est pas une solution à la crise permanente dans le secteur des carburants

Cependant, pour beaucoup de gens, vu que toutes ces grèves dans le passé n'ont jamais pu résoudre la crise permanente dans le secteur des carburants, ont décidé de donner au gouvernement Buhari « une chance », en espérant que la dérégulation dont on parle puisse effectivement résoudre les problèmes dans ce secteur. De plus, les dirigeants des syndicats ont échoué à proposer la moindre alternative qui aurait pu parler aux gens. C'est tout cela qui a créé cet état de confusion actuel. Lorsque la grève générale de 2012 a été annulée tout à coup par le NLC, alors dirigé par Abduwahed Omar, cela a été perçu par les masses comme une véritable trahison, à juste titre d'ailleurs. C'est pourquoi la crédibilité du NLC est aujourd'hui au plus bas, ce qui s'est d'ailleurs illustré dans le faible taux de participation à la fête du Premier Mai ces dernières années.

Le gouvernement a fait passer un discours selon lequel la dérégulation mettra un terme à la corruption massive dans le secteur pétrolier, puisque les négociants ne recevront plus de subsides et que cet argent de l'État sera utilisé à la place pour le développement de l'infrastructure. Le fait cependant est que, vu que l'industrie pétrolière est dominée par des privés et vu la politique néolibérale mise en place par le gouvernement, il est illusoire de rêver d'une raffinerie publique fonctionnelle produisant des carburants à prix abordables. On voit déjà de nombreux partisans de la dérégulation affirmer que la hausse actuelle de prix n'est pas suffisante. Leur argumentation est qu'il faut aller vers une dérégulation totale du marché. Ce gouvernement qui est si attentif aux intérêts des profiteurs privés pourrait bien vendre les raffineries existantes pour accomplir une dérégulation totale et la domination totale des privés dans le secteur.

Le gouvernement et ses griots disent aux masses que la dérégulation finira à terme par faire diminuer le prix des carburants. Il s'agit d'un gros mensonge. Le diesel est dérégulé depuis 2009, pourtant le prix reste élevé (155 naïras / 465 FCFA) malgré l'effondrement du prix du pétrole, qui est passé de 100 à 45 $ en l'espace d'une année. Un régime dérégulé est tout simplement plus profitable aux négociants qu'un régime régulé où ils doivent attendre de recevoir le paiement d'un subside qui parfois tarde à arriver. Ces compagnies pétrolières forment un cartel qui déterminera lui-même le prix qu'il veut afin de maximiser son profit.

La dérégulation n'apportera rien de bon aux masses. Tout ce nous obtiendront sera une intensification de l'exploitation, l'augmentation constante des prix des carburants et une aggravation des conditions de vie pour les masses laborieuses. Il ne fait aucun doute que les effets de la dérégulation se feront sentir avant tout sur les plus pauvres. Même si cela pourrait les contraindre à mener une lutte tôt ou tard.

Les attaques des grandes entreprises sur la régulation et le régime de subsides montrent que la seule alternative viable capable de desservir les intérêts de la vaste majorité des masses populaires est la nationalisation totale du secteur pétrolier (c'est-à-dire, le rendre totalement public) ainsi que des secteurs stratégiques de l'économie, sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs et des consommateurs. C'est la seule manière de libérer ce secteur des mains avides du secteur privé corrompu et de ses collaborateurs dans le public et le gouvernement.

« L'APC (parti de Buhari) a oublié toutes ses promesses »

De plus en plus de gens prennent conscience de la véritable nature de ce gouvernement

Bien qu'on ne puisse pas dire que cette grève ait été une réussite, la hausse du prix de l'essence a contribué à définir de manière plus nette, aux yeux d'une partie croissante de la population, que ce gouvernement, malgré sa propagande anticorruption continue, est un gouvernement antisocial. Tous les prétextes ont été oubliés : il est clair désormais que Buhari est du côté des profiteurs privés, uni avec eux contre les masses pauvres. Buhari est incapable de résoudre la crise profonde qui afflige aujourd'hui le capitalisme. C'est pourquoi de plus en plus de gens vont perdre leurs illusions dans son gouvernement, un gouvernement qui est incapable de garantir un approvisionnement adéquat en carburants comme il l'avait pourtant promis, et qui continue en même temps les attaques néolibérales. 

Les carburants qui sont vendus en ce moment viennent de stocks empilés par les négociants pendant leur mouvement de « boycott » qui a créé une pénurie artificielle. Mais quand leurs stocks seront finis, il faut s'attendre à revenir au même état de pénurie. Déjà, certains négociants ont commencé à se plaindre de la difficulté d'accéder au marché des changes. De nombreux citoyens qui n'ont pas participé à la dernière grève seront surement plus que prêts à rejoindre une nouvelle grève dans le futur, surtout dans l'éventualité où la pénurie reviendrait. 

C'est ce que nous voyons avec la privatisation de l'électricité : beaucoup de gens ont été trompés par le gouvernement qui affirmait que la privatisation règlerait tous les problèmes du secteur. Mais à présent, tous ces gens sont en train d'organiser des comités de lutte dans leur quartier pour protester contre la hausse des prix, les nombreuses coupures et les surfacturations. Beaucoup d'entre eux ont à présent conclu que la privatisation n'a rien résolu du tout.

Les dirigeants syndicaux doivent commencer à sérieusement et sincèrement s'identifier à la misère des travailleurs et des masses. À présent, vu l'échec de l'appel à la grève du mois de mai, un véritable travail de terrain doit être accompli sérieusement afin de préparer la voie pour de nouvelles luttes bénéficiant d'un véritable soutien populaire. Il ne s'agit pas d'une question de publicité, mais de pouvoir indiquer une stratégie capable de vaincre. 

Les syndicats doivent engager une lutte immédiate autour du problème des salaires non payés qui touche les travailleurs de 26 États du pays. Ils doivent commencer dès à présent une mobilisation déterminée autour de cet enjeu. Une telle campagne pourrait contribuer à susciter un soutien envers la revendication du NLC pour un nouveau salaire minimum de 56 000 naïras (170 000 FCFA), qui n'a déjà que trop tardé vu la hausse constante de la cherté de la vie, encore empirée par la hausse du prix de l'essence. Les syndicats doivent aussi jouer le rôle de coordination pour la lutte dans les divers quartiers contre la hausse du prix de l'électricité et les coupures de courant.

Ses dernières actions montrent que le gouvernement Buhari a été élu dans le but de transférer sur les épaules des pauvres le fardeau de la crise du capitalisme, qui ne montre aucun signe de remède, avec la hausse constante du cout de la vie. La population laborieuse va donc tirer la conclusion du fait que le gouvernement Buhari n'est en rien différent de son prédécesseur, le gouvernement Jonathan, tout aussi proriches et antipauvres. C'est pourquoi les camarades du DSM appellent les travailleurs, la jeunesse et les masses pauvres à nous rejoindre dans nos efforts pour la construction du Parti socialiste du Nigeria, en vue de bâtir un parti prolétarien de masse armé d'un programme socialiste.

Les camarades du DSM ont participé aux grèves, marches et meetings à Lagos, à Abuja et dans les États d'Oyo et d'Osun. Nous avons vendu près de 700 exemplaires de notre numéro spécial de notre journal, Démocratie socialiste, et partagé environ 10 000 copies du tract du Parti socialiste du Nigeria, en plus des 6000 tracts qui ont été distribués pour mobiliser en vue d'un meeting à Ibadan le 30 mai. Dans tous les lieux d'intervention, les camarades du DSM ont rencontré des personnes intéressées à nous rejoindre.


Intervention des camarades du DSM, section nigériane du CIO, au cours de la grève


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