La Russie annexe la Crimée après un référendum contesté
Le référendum du
16 mars en Crimée s'est soldé par un vote à une écrasante
majorité en faveur de l'annexion à la Russie. Selon le résultat
officiellement proclamé, 96,77 % des votants se seraient
prononcés pour l'intégration à la Russie, avec un taux de
participation de 83,1 %. Des dizaines de milliers de personnes
ont fait la fête à Simferopol, la capitale de la Crimée. Mais qu'implique cette décision, comment réagiront les grandes puissances européennes, et surtout, quel avenir pour les travailleurs et la lutte des classes en Ukraine et en Russie ?
Article par Niall
Mulholland, secrétariat international du CIO
Voir aussi nos autres articles parus sur notre site CIO-CI et sur les autres sites du CIO :
- Article du 06/03, rédigé au moment où l'armée russe prenait pied en Ukraine
- Article du 27/02, rédigé après le dégagement de Yanoukovitch
- Article du 23/02, rédigé à la suite de plusieurs mois de contestation
Le 17 mars, le
parlement régional a déclaré l'indépendance de la république de
Crimée. Le président Poutine et les dirigeants criméens ont
ensuite signé un accord le 18 mars pour formaliser
l'incorporation de cette région à la Russie.
Sergueï Aksionov,
dirigeant criméen autoproclamé, a annoncé que la Crimée allait
officiellement introduire le rouble la semaine suivante en tant que
seconde devise au côté de la hryvna ukrainienne. Le parlement de
Crimée a décidé que l'ensemble des actifs de l'État ukrainian se
trouvant sur la péninsule seront nationalisés, et que les unités
militaires ukrainiennes se trouvant sur le territoire criméen seront
“démobilisées”.
Le référendum a été
dénoncé par les dirigeants occidentaux comme “illégitime et
illégal”. Ils ont condamné Poutine pour provocation de divisions
ethniques. L'UE et les États-Unis ont décidé de quelques sanctions
complètement inoffensives (interdictions de visa, gels de compte en
banque) à l'encontre de quelques dirigeants russes et criméens, en
menaçant d'aller plus loin. Mais les puissances occidentales sont
divisées quant à l'ampleur des sanctions à prendre contre la
Russie. La plupart des États européens craignent que des sanctions
trop hâtives à l'encontre de la Russie n'aggravent encore plus
l'état de l'économie européenne.
Il parait tout de
même plutôt incroyable que les États-Unis et les puissances
européennes se déclarent si outragées par rapport à l'intervention
russe en Crimée, lorsqu'eux mêmes ne sont habituellement pas si
vites gênés pour faire pareil – mais de manière encore plus
sanglante et virulente. Violant leurs propres lois internationales,
les puissances impérialistes occidentales ont envahi et occupé
l'Iraq et l'Afghanistan « afin d'organiser des “élections” »
dans ces pays (et plus récemment encore, la Libye, le Mali, la
Centrafrique…). Les puissances occidentales ont elles aussi
organisé un référendum très contesté pour l'indépendance du
Kosovo en 1999, après des mois de bombardement contre la
Serbie.
Il ne fait aucun
doute que le référendum en Crimée n'a pas été organisé dans des
conditions qui permettent un réel débat démocratique et un
véritable choix. À la suite du dégagement (soutenu par l'Occident)
du premier ministre ukrainien, Viktor Yanoukovitch, des
milices russes d'“auto-défense” (composées d'habitants mais
aussi très vraisemblablement de soldats russes non identifiés) ont
pris le contrôle des bases militaires et autres points stratégiques
de Crimée.
Le parlement de
Crimée, en tant que province à majorité russophone, a voté la
sécession d'avec l'Ukraine et le rattachement à la Russie. Le
référendum a été organisé seulement par après, dans le but de
faire valider par la population une décision en réalité déjà
prise, en ne donnant que deux options : l'intégration à
la Russie, ou une autonomie accrue.
Tous les médias
pro-Ukrainiens ont été fermés, et pendant des semaines, les médias
d'État n'ont plus fait que balancer pendant des semaines la
propagande nationaliste pro-russe. Les populations minoritaires de
Crimée (Tatars et ukrainophones, qui constituent 40 % de la
population) se sont plaint de l'ambiance d'intimidation, et la
plupart ont boycotté le référendum.
Malgré tout cela, il
est clair que le vote pour l'adhésion à la Russie a été
immensément populaire parmi la majorité des Criméens. Cela est en
très grande partie dû au caractère réactionnaire du nouveau
régime de Kiev, et à la manière dont il est arrivé au pouvoir.
Les habitants célèbrent leur rattachement à la Russie |
Des mois de manifestations
Le mouvement de masse
contre Yanoukovitch qui a duré pendant des mois était surtout
alimenté par des années de stagnation économique et de misère
croissante, en plus d'une profonde colère contre le régime
autoritaire et corrompu et contre ses sponsors milliardaires.
Cette révolte
comportait de nombreux aspects d'une révolution ; elle a
rapidement révélé au grand jour l'absence de tout soutien parmi la
population pour le régime pourri de Yanoukovitch. La brutalité avec
laquelle le mouvement a été réprimé par les gendarmes sur la
place de l'Indépendance (Maïdan Nezalejnosti) a provoqué le dégout
des larges couches, et le régime a fini par s'effondrer.
Cependant, en
l'absence d'organisations de masse des travailleurs capables de
suivre une ligne de classe indépendante de la bourgeoisie, ce sont
des politiciens réactionnaires de l'opposition, y compris des
ultra-nationalistes ukrainiens et l'extrême-droite, qui ont fini par
dominer le mouvement de contestation. Les membres de Svoboda
(“Liberté”), un parti antisémite, et du Pravy Sektor
(“Secteur droit”), une organisation fasciste, ont joué le rôle
de brigades de choc sur le terrain à Kiev et ailleurs. Ils ont
attaqué physiquement tout syndicaliste ou militant de gauche qui
cherchait à rejoindre le mouvement.
La rhétorique
anti-russe du nouveau régime de Kiev et l'implication de
l'extrême-droite, dont certains membres ont reçu des postes
ministériels très importants, a provoqué la frayeur des Ukrainiens
d'ethnie russe, qui vivent surtout dans l'est (“Donbass”) et dans
le sud du pays (Crimée, etc.). Une des premières décisions du
parlement ukrainien a été de faire perdre à la langue russe son
statut de seconde langue officielle du pays. Il a également décidé
d'interdire le Parti “communiste”, un parti bourgeois
pro-russe.
Alors que la Crimée
est déjà une des régions les plus pauvres d'Ukraine (l'Ukraine
étant elle-même le plus pauvre pays d'Europe après la Moldavie),
de nombreux Criméens craignaient que le nouveau régime de Kiev ne
décide de signer les accords financiers avec l'Union européenne
et avec le FMI, ce qui engendrerait une politique d'austérité très
dure, et donc une nouvelle baisse du niveau de vie pour la
population.
Mais le résultat de
ce référendum n'apportera pas la paix, la stabilité et la
prospérité pour le peuple de Crimée. L'intégration de la Crimée
à l'économie russe qui se rapproche de la crise n'apportera pas la
moindre amélioration de son niveau de vie.
Si le régime
autoritaire de Poutine et de ses très riches sponsors a décidé
d'intervenir en Crimée, ce n'est pas pour la population, mais
uniquement dans le but de défendre ses propres intérêts
géostratégiques (tout en administrant au passage une nouvelle dose
énorme de nationalisme russe à la population russe et en renforçant
énormément la cote de popularité du gouvernement à ses yeux). La
péninsule est devenu le point focal des tensions croissantes entre
la Russie et Kiev et ses soutiens occidentaux – dont le but
est d'étendre l'influence de leur puissance impérialiste jusqu'aux
frontières russes.
Toute cette situation
a mené à une dangereuse escalation militaire. La semaine passée,
Washington a entamé des exercices militaires en Pologne, en
Lithuanie et dans la mer Noire. Après le référendum, le
parlement ukrainien a approuvé la mobilisation partielle de
40 000 réservistes. Les deux camps disent ne pas vouloir
aller jusqu'à la guerre, mais l'aggravation des tensions pourrait
tout de même mener à des conflits “localisés”. 0
Le nouveau premier ministre ukrainien putschiste Yatseniouk, serrant la main de son patron Obama |
La démagogie des politiciens
Ce sont les
travailleurs d'Ukraine qui vont payer le prix fort pour toute
escalade de la crise. Plusieurs personnes ont été tuées le
week-end du référendum lors de bagarres entre manifestants et
miliciens pro-ukrainiens et pro-russes à Donetsk et à Kharkiv, deux
villes à forte présence russophone. De telles bagarres pourraient
faire boule de neige et mener à de nouveaux appels au référendum
dans d'autres régions à majorité russophone, à des tentatives de
sécession et potentiellement à un repartage sanglant du pays sur
base de nettoyages ethniques en série.
Seule la classe
ouvrière unie et organisée selon une ligne internationaliste et
indépendante des politiciens bourgeois, peut contrer de manière
décisive le nationalisme réactionnaire et mettre un terme à
l'intervention des grandes puissances capitalistes.
Les politiciens
nationalistes démagogues à Kiev, Simferopol et Moscou pourraient
bénéficier d'un soutien populaire tant qu'ils instrumentalisent à
leur propre compte les craintes de la population, mais leur politique
néolibérale et leur nationalisme ne permettront pas d'améliorer le
niveau de vie du peuple ni de mettre un terme à la corruption et à
l'oppression. Déjà nombre de ceux qui s'étaient opposés à
Yanoukovitch se plaignent du fait que c'est une nouvelle bande qui
s'est emparée du pouvoir et qui a donné les postes de gouverneurs à
leurs amis milliardaires.
Comme l'a montré la
récente révolte des travailleurs et des jeunes en Bosnie, de
nouvelles vagues de protestation contre la situation sociale et
économique et contre les politiciens corrompus sont inévitables,
mais elles requièrent une expression politique organisée afin
d'apporter à la classe ouvrière une alternative socialiste.
Poutine ! Je suis russe, j'habite en Ukraine, y a pas besoin de me sauver, dégage ton armée de Crimée ! |
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