mercredi 14 mai 2014

Côte d'Ivoire : Blé Goudé – un opportuniste petit-bourgeois à La Haye

Bilan et critique du “patriotisme” à l'ivoirienne


On a beaucoup parlé de Blé Goudé ces derniers temps, vu son transfert à la Cour pénale internationale le mois passé. Le personnage de Blé Goudé est un des plus controversés, un de ceux qui suscitent les réactions les plus virulentes de part et d'autre. Pour certains, il est “le ministre de la Jeunesse, le général de la rue, un héros national, grand patriote, le plus fidèle soutien de Gbagbo” ; pour d'autres, il s'agit d'“un tortionnaire, un démagogue propageant un discours de haine, responsable de la mort de centaines de personnes”.

Comme pour tout ce qui touche à la crise ivoirienne, vu le haut niveau de propagande, de mensonge et de passions de part et d'autre, il est très difficile de définir clairement qui a fait ou n'a pas fait quoi lors de ces sombres mois. C'est pourquoi dans cet article, nous avons décidé de nous cantonner aux vidéos des discours de Blé Goudé disponibles sur Youtube, afin d'analyser sa position réelle sur base de faits concrets et non d'accusations et de racontars.

Analyse par Jules Konan, CIO-CI


Blé Goudé a des qualités, il est vrai : il parle relativement bien, et est capable dans ses discours d'impliquer les masses en utilisant de nombreuses métaphores imagées, en laissant la foule terminer ses phrases et en répétant plusieurs fois ses slogans les plus chocs, jusqu'à en faire une sorte de mélopée. Le problème est que le discours est creux, très creux. Et qu'il n'a rien de révolutionnaire.

En effet, après des heures de visionnage de diverses vidéos de discours et d'interviews, le verdict ne pourrait cependant être plus clair concernant le personage : une ignorance crasse de l'histoire africaine (en-dehors de la Côte d'Ivoire) ou européenne, l'absence d'une stratégie de mobilisation et de lutte autre que “la résistance aux mains nues”, le manque de principes, la contradiction entre différentes positions, un refus de discuter d'économie, l'absence de toute alternative au système, et finalement, un discours libéral et un soutien sans faille à l'État bourgeois et au capitalisme.

Pour le reste, difficile de voir par où commencer. Mais bon, allons-y.

Tout d'abord, la plupart des discours de Blé Goudé, comme d'ailleurs tous les discours du FPI, Affi N'Guessan en tête ces derniers temps, tournent uniquement autour de “Qui est responsible de la crise ?”, on parle de “démocratie”, de “justice”, etc. et rien d'autre. Selon eux, Laurent Gbagbo était un candidat véritablement national qui ne rentrait pas dans le jeu de la Françafrique, ce qui risquait d'encourager d'autres pays africains à élire eux aussi de tels candidats, et c'est pourquoi la France a encouragé la rébellion, en se servant de Compaoré comme de son agent dans la région, afin de placer Ouattara, candidat de la France, à la tête de l'État ivoirien. À ce titre, la responsabilité de la crise ivoirienne est en premier celle de la France. Nous sommes en gros d'accord avec cette analyse, mais nous avons de nombreuses critiques à y formuler, comme nous l'avons déjà fait dans notre article sur le bilan des années Gbagbo.

Nous ne pensons pas que le FPI soit le “parti de tous les Ivoiriens”. Le FPI est le parti d'une aile plus ou moins radicale de la bourgeoisie nationale ivoirienne, désireuse de plus d'autonomie dans la gestion de “ses” affaires, et consternée devant le pillage des ressources du pays par des entreprises étrangères. Le RDR et le PDCI sont des partis bourgeois néocoloniaux dont les dirigeants sont les principaux piliers de l'impérialisme dans notre pays. Mais d'une part, il faut préciser que cet impérialisme n'est pas que français (mais aussi américain, et de plus en plus également russe, chinois, turc, indien…). Et que deuxièmement, le FPI porte lui aussi une lourde responsabilité dans le cadre de cette crise : celle de ne pas avoir agi en révolutionnaires, mais d'avoir tout fait pour cantonner la lutte au cadre strict de la “démocratie” bourgeoise et nationale.

Le “consultant en communication politique” Blé Goudé à la Haye.
On dirait qu'il a perdu sa casquette.

Des ennemis devenus des amis, puis redevenus des ennemis

Le FPI (et de manière plus large, la LMP) a constamment cherché à trouver des compromis avec l'impérialisme, afin de rétablir “le dialogue”. Les entreprises françaises n'ont jamais été inquiétées (au contraire, le port d'Abidjan a été privatisé et vendu à Bolloré par Gbagbo lui-même), Soro a été nommé Premier Ministre, on a tenté d'intégrer des chefs rebelles dans l'armée, on a laissé Ouattara se présenter aux élections, on a poursuivi le démantèlement de la Caistab, etc.

Il y a une vidéo datant de 2007 où on voit Blé Goudé accueillir Guillaume Soro dans son village, afin de le réconcilier avec les populations locales, en tant que geste d'amitié, où Soro vient demander pardon… Quelques années plus tard, Soro était qualifié par le même Blé Goudé de « putschiste éternel et sanguinaire ». D'ailleurs, il semble même que Blé Goudé savait que « des plans avaient été concoctés depuis des années, avant même que Gbagbo n'ait prêté serment, pour le chasser du pouvoir ». Alors, ami ou ennemi ?

De la même manière, dans un discours à la Sorbonne, Blé Goudé réalise que Compaoré a trahi son rôle de médiateur. Mais alors, pourquoi avoir accepté sa médiation ? Sachant comment Compaoré est au pouvoir, sachant qui Compaoré représente, n'aurait-on pas pu prévoir à l'avance ce qui allait se passer ? S'il s'agit ici d'une lutte à mort entre deux camps irréconciliables, et que nous le savons, alors pourquoi toutes ces concessions ? Les “patriotes” n'ont-ils donc guère de suite dans les idées ?

Aujourd'hui, toutes ces tentatives de rétablir le “dialogue” sont pour nos “patriotes” autant d'exemples pour prouver que la justice est de leur côté, que c'est eux qui avaient raison, que c'était eux les gentils, et le RHDP les méchants. Nous répondons : « OK les gars c'est très bien, mais vous avez quand même perdu ! ».

Que fallait-il faire pour gagner ? Voilà la question à laquelle la LMP n'a jamais apporté la moindre réponse ! Puisque tu savais que la France allait continuer à contre-attaquer, puisque tu savais que Soro allait trahir, que Mangou allait trahir, puisque le peuple était dans la rue et te soutenait, pourquoi ne pas avoir pris les devants ? Pourquoi avoir constamment reculé ? Ou bien tu n'as rien compris et tu ments depuis le début ?

On le voit encore une fois lors de son allocution au tribunal de La Haye le mois passé : Blé Goudé annonce fièrement qu'il est innocent et qu'il le sait, qu'il rentrera en Côte d'Ivoire, et qu'il est satisfait du fait que depuis qu'il est à La Haye, “il sait qu'il peut avoir des droits reconnus”. Apparemment la “justice des blancs” vaudrait mieux que celle des noirs ? Alors qu'on la dénonce depuis des années, la Cour pénale internationale aurait-elle tout à coup acquis une légitimité ? Les ennemis de hier seraient-ils devenus nos nouveaux amis ? Comme auparavant, on a affaire ici soit à de l'opportunisme, soit à un manque de cohérence total dans le propos.

Et cela ne favorise pas la mobilisation ni la clarification des objectifs aux yeux des masses. Contre qui se battre, finalement ?

Si tu savais déjà que Guillaume Soro était un “putschiste éternel et
 sanguinaire”, pourquoi l'avoir invité dans ton village ?

La “mobilisation aux mains nues”

Blé Goudé mobilise. Il mobilise contre la France. Contre l'intervention française. C'est la “mobilisation aux mains nues”. La “non-violence”. On envoie une masse de jeunes Ivoiriens devant les chars français, les hélicoptères français, les blindés de l'ONU, on appelle la population à descendre en masse pour aller déloger les soldats français de leur base Licorne.

Lors du meeting de Yopougon du 01 janvier 2011, Blé Goudé proclame que « Libérer l'Hôtel du Golf, c'est affaire de cinq minutes ». Il rappelle comment les jeunes Ivoiriens sont partis défendre la maison de Gbagbo en 2006, comment ils ont repris la RTI malgré les tirs des militaires et des chars français. Interviewé par Babylas Botton sur la chaine Africa24, lorsqu'on lui demande s'il n'éprouve pas du remords d'avoir envoyé au suicide des jeunes Ivoiriens, il rétorque que « C'est triste, mais c'est ceux d'en face qui n'avaient qu'à pas tirer ». Donc si tu envoies un jeune traverser un incendie et qu'il meurt brulé, c'est la faute du feu qui l'a brulé ? Ou bien tu ne pouvais pas prévoir ce qui allait se passer ?

Parce que Blé Goudé envoie des jeunes sans aucune expérience, sans aucun équipement, “aux mains nues”, combattre l'armée d'élite de la France. Mais est-ce que c'est comme ça qu'on va libérer la Côte d'Ivoire ? Est-ce que c'est comme ça qu'on va libérer l'Afrique ? Est-ce que notre problème c'est que des militaires français sont là ? Non. Le problème était déjà là avant. Le problème est quoi ? Le problème le voilà : le problème, c'est que 500 entreprises françaises contrôlent 40 % de l'économie du pays, dont la plupart des secteurs-clés : les banques, le port, l'électricité, le train, l'eau, les usines, les plantations… Voilà le problème ! Mais, on le verra plus loin, Blé Goudé ne veut pas parler d'économie ! Parce qu'il ne faut pas mélanger économie et politique !

Pourtant, Blé Goudé le reconnait lui-même, lorsqu'il ironise à plusieurs reprises (ici, ici) comme avec cette citation : « Ils ont un schéma souterrain que personne ne connait, et le schéma-là, il est simple : exploiter la Côte d'Ivoire. Sinon si vous pensez que notre pays n'est pas important dans votre système, mais laissez-nous en paix ». Oui mais voilà, le pays compte ! Est-ce que envoyer des jeunes occuper la Licorne va changer cette situation ? Non ! Quoi faire alors ? Mais c'est cette emprise économique, et non militaire, à laquelle il faut remédier !

Est-ce que pour atteindre ce but, cela signifie à tout prix maintenir Gbagbo au pouvoir ? Apparemment non, puisque 1) Gbagbo ne s'est pas gêné pour vendre le port d'Abidjan à Bolloré ; 2) lorsqu'on lui demande pourquoi il tient tant à Gbagbo, Blé Goudé répond que c'est surtout pour son “rôle de modèle”, pas pour son idéologie ni son programme (nous y reviendrons tout à l'heure).

Qu'est-ce qu'il fallait faire alors ? Blé Goudé aime dire qu'il veut suivre l'exemple de Sankara. Mais qu'a fait Sankara ? Il a envoyé les jeunes construire des rails. Il a organisé des mouvements de jeunesse et l'éducation. Il a organisé des tribunaux populaires afin de lutter contre la corruption. Il a encouragé l'industrie locale. Il a cherché à libérer les femmes. Sankara comprenait fort bien ce qu'est l'impérialisme. Il s'agissait d'un leader qui cherchait à éduquer son peuple coute que coute.

Mais à aucun moment Blé Goudé ne parle de confisquer les propriétés des Français, d'exproprier les entreprises françaises, de nationaliser, sans même parler du contrôle des travailleurs sur l'économie. Il préfère envoyer les jeunes à la boucherie, puis dire que c'est la faute du boucher. Il voulait montrer qu'« on n'est plus en 1960, 1970, 1980 », lorsque « la France faisait la politique partout en Afrique »

–– Résultat de la “méthode Blé Goudé” ? Après toutes les “mobilisations”, la France continue bel et bien à faire la politique chez nous en 2014, comme elle le faisait en 1960, comme elle le faisait en 1970, comme elle le faisait en 1980 !

La “mobilisation aux mains nues” contre la France ?

De nombreuses références historiques…

Blé Goudé justifie sa méthode en proclamant qu'il suit l'exemple de Lumumba, de Martin Luther King, de Gandhi, de Mandela…

Mais Lumumba avait un programme. Lumumba ne mobilisait pas uniquement dans le but de mobiliser. Il a organisé des grèves, des occupations… Et il était animé par une idéologie qui, sans être socialiste au sens où nous l'entendons, s'en rapprochait puisqu'il aspirait à rapprocher son pays de l'Union soviétique, qu'il considérait comme un modèle. – c'est d'ailleurs pour cela qu'il a été tué.

Quel modèle de développement prône Blé Goudé ? “Notre propre modèle”. C'est-à-dire ? On n'en sait pas plus. Votez Gbagbo c'est tout.

Martin Luther King était un homme d'une grande sagesse et d'une grande humilité, inspiré par un idéal de paix et de lutte qui incluait la création de comités populaires afin d'organiser la solidarité et des grèves ciblées. À aucun moment il ne s'est fait appeler “général”. Son parcours politique l'a amené à comprendre que l'inégalité et le racisme n'étaient pas le fait d'un peuple ou d'un pays, mais le fait du système capitaliste dans son ensemble. Il a compris que les Blancs et les Noirs devaient s'unir dans un même combat contre l'ensemble du capitalisme, car tous en souffrent. C'est pourquoi il a été tué.

Blé Goudé ne parle jamais du capitalisme, ni de l'impérialisme d'ailleurs. Il préfère parler de la “Françafrique” qui, selon lui, « exploite l'ensemble des pays africains ». Non seulement il montre ici qu'il ne connait rien de la situation réelle sur le continent africain, ou qu'il s'en fout (l'Afrique étant, comme chacun le sait qui n'a pas acheté son diplôme, le terrain de jeu de différentes puissances impérialistes, France, Belgique, Royaume-Uni et États-Unis en tête, mais rejoints dans ce jeu par la Chine, la Russie, l'Iran, la Turquie…), mais il évite soigneusement de remettre en cause le système économique dans son ensemble, préférant présenter la situation actuelle comme le résultat d'un “complot” ourdi de longue date.

À certains moments, il va même jusqu'à expliquer qu'il s'agit d'un simple problème de relations personnelles entre ADO et Sarkozy. Il ne cherche pas à comprendre les racines historiques de l'impérialisme, n'y voit aucune part de responsabilité des dirigeants africains eux-mêmes, ne tire aucune conclusion sur les méthodes d'action à employer. « On va lutter », c'est tout – comment, pour atteindre quel but ? On n'en sait rien.

Le personnage de Gandhi est beaucoup plus ambigu. Tandis que Gandhi, dirigeant petit-bourgeois, passait au devant de la scène médiatique avec ses manifestations de masse et son discours nationaliste souvent réactionnaire (il prônait l'abandon de l'industrie et le retour au village, c'est-à-dire qu'il craignait le rôle révolutionnaire du prolétariat et préférait le voir retourner à la paysannerie), les communistes mobilisaient dans les syndicats et les associations de paysans, et organisaient des actions autrement plus radicales que celles prônées par Gandhi. La lutte de Gandhi pour l'indépendance a duré 30 ans, mais ce n'est pas un hasard si l'indépendance de l'Inde n'est arrivée qu'en 1947, à une période où l'Union soviétique sortait renforcée de la Seconde Guerre mondiale, où l'Europe et le Japon étaient submergés par une vague révolutionnaire dans laquelle les communistes jouaient un rôle important, et où, surtout, il devenait clair que Mao Zedong allait être vainqueur de la guerre civile et installer un régime communiste en Chine.

Si l'Inde est devenue indépendante donc, ce n'était pas parce que la lutte de Gandhi était si efficace que le clame Blé Goudé, mais parce que l'impérialisme avait peur de voir la lutte se radicaliser et le pays passer lui aussi au communisme – qui déjà quittait la Chine pour s'exporter au Vietnam, à l'Indonésie, etc. À ce titre, Gandhi, leader petit-bourgeois, n'a dû sa notoriété et n'est sorti vainqueur de sa lutte que dans la mesure où la bourgeoisie était à la recherche d'un individu charismatique capable de faire dévier la lutte des masses et de la diriger vers une issue bien plus “sure” du point de vue du capitalisme. De ce point de vue donc, Blé Goudé peut à juste titre se réclamer de Gandhi ! Sauf que le contexte aujourd'hui est beaucoup moins favorable pour une telle lutte qu'il ne l'était dans les années '40.

La lutte de Mandela suit un peu le même schéma que celui de Gandhi (voir notre article). Nos camarades sud-africains ont toujours dit que sans se débarrasser du capitalisme, l'apartheid ne pourrait être vaincu en Afrique du Sud, et qu'il fallait se battre contre le système et non simplement contre un de ses symptômes. Cependant, au début des années '90, l'impact idéologique de la chute de l'Union soviétique a permis à la bourgeoisie de faire une série de concessions majeures sans craindre que ces concessions ne déclenchent une révolution. D'autant que Mandela lui avait donné toutes les garanties qu'une fois l'égalité entre Noirs et Blancs établie, il poursuivrait une politique néolibérale qui permettrait à la bourgeoisie et à l'impérialisme d'engranger de grands profits. Voilà qui s'est passé en Afrique du Sud avec Mandela, dans le cadre de ces années '90 qui ont également été le “triomphe de la démocratie” partout dans le monde, y compris en Côte d'Ivoire.

Quel est le résultat ? En Afrique du Sud s'est créée une nouvelle bourgeoisie noire, dirigée par les Zuma et les Mbeki, qui exploite les travailleurs noirs tout autant que le faisait l'ancienne bourgeoisie exclusivement blanche – laquelle n'a d'ailleurs rien perdu dans l'histoire. Pour l'immense majorité des Noirs sud-africains, rien n'a changé, tout est devenu pire. Mais l'Afrique du Sud est devenu une petite puissance impérialiste à l'échelle sous-régionale – un pays “émergent” –, tout en restant le pays le plus inégal au monde. Mais bon, ça, ça ne compte pas pour Blé Goudé : pour lui ce qui compte, c'est que « Aujourd'hui, ce pays est tellement puissant qu'on lui concède même l'organisation de la Coupe du monde » –– c'est tout dire !

Voilà l'émergence que veut Blé Goudé, voilà l'indépendance que veut Blé Goudé : faire de la Côte d'Ivoire une puissance impérialiste en Afrique de l'Ouest, sur base d'un capitalisme ivoirien, qui permettrait aux businessmen ivoiriens de s'enrichir et de dépasser leurs patrons français et américains, tout en laissant le peuple vivre dans l'exploitation la plus abjecte. L'Afrique du Sud comme modèle, et pourquoi pas le Nigeria ?

En tous cas, ce qui est clair, c'est que Blé Goudé ne se revendique pas de Che Guevara – dont l'effigie est pourtant présente sur toutes les motos, toutes les gbakas et tous les taxis du pays –, ni de Mao, ni de Hồ Chí Mnh, ni de Fidel Castro. Certes, ces personnes ne sont pas des socialistes au sens où nous l'entendons, mais les mentionner permettrait d'entamer un débat sur une base déjà bien plus élevée que celle prônée par Goudé. Blé Goudé ne se revendique évidemment pas non plus de véritables révolutionnaires tels que Lénine ou Trotsky. Et il ne fait bien entendu aucun mention du socialisme d'ailleurs, malgré l'allégeance supposée de son patron.

Bill Clinton
Mandela n'était pas un révolutionnaire au sens où nous l'entendons,
mais un dirigeant bourgeois qui a su imposer à l'impérialisme
la nouvelle bourgeoisie noire sud-africaine

Économie ? Moi pas connaitre !

L'économie est un sujet douloureux pour Charles Blé Goudé. Tellement que lorsque sur le plateau de la télévision ivoirienne le journaliste qui l'interviewe lui parle de la BCEAO, il s'exclame : « La BCEAO, c'est un instrument économique. Il faut éviter d'inviter l'économie dans la politique ». C'est une des citations les plus consternantes du personnage. Comment peut-on faire de la politique sans faire d'économie ? Est-ce que la politique, ce n'est pas justement, décider de la manière dont seront réparties les richesses d'un pays – c'est-à-dire, prendre des décisions basées sur des faits économiques justement ? Apparemment, Blé Goudé n'a pas besoin de ça.

Le journaliste lui demande quelles sont ses solutions pour sortir de la situation de dépendance. Pour Blé Goudé, tout se résume à « battre notre propre monnaie ». Hum. On lui demande si ça ne sera pas difficile. Il dit que « Le Ghana l'a fait, il n'est pas mort ; la Guinée, le Nigeria, la Mauritanie ont leur propre monnaie, et ces pays vivent ». Forcément, on ne va pas les effacer de la carte, mais… La Guinée est un pays en crise depuis son indépendance. La Mauritanie est un désert, un des pays les plus pauvres et les moins peuplés du continent. Le Nigeria est un pays où aucun Ivoirien ne peut vivre plus d'une semaine sans ressentir un besoin pressant de rentrer chez lui au pas de course tant la vie y est un cauchemar quotidien.

Quant au Ghana… le journaliste répond que sa monnaie est en réalité liée à la livre britannique ! « Oui, le Ghana n'a pas stabilisé sa propre monnaie en 2-3 mois, mais ils l'ont fait afin d'affirmer la nation ghanéenne. Il y a des difficultés, tout accouchement est difficile » Avant de surenchérir : « Je veux qu'on ait notre propre monnaie ! J'invite nos économistes à se mettre au travail dès aujourd'hui ! ». Héééé c'est que c'est sérieux alors !

Le journaliste signale que la Côte d'Ivoire n'a qu'un PIB de 2000 milliards, contre une dette de 7000 milliards, afin de donner un exemple des véritables difficultés concrètes auxquelles fait face le pays. Pour tout révolutionnaire conséquent, ç'aurait été l'occasion de dénoncer le rôle de cette dette, de dénoncer son origine, d'appeler à son non-remboursement, comme l'a fait Sankara, comme l'ont fait les révolutionnaires russes dirigés par Lénine. Mais Blé Goudé fait comme s'il n'avait pas entendu (a-t-il seulement compris la question ?), continue à dire qu'il veut sa propre monnaie, quelles que soient les difficultés, et nous invite à nous mettre au régime : « Même s'il faut manger des feuilles de manioc – on va le faire ! ».

Dans cette même interview édifiante, on revient un peu sur les relations entre la France et les pays africains : « Toutes ces institutions sont des agences de Paris » ; « Tous les chefs d'État d'Afrique, la journée sont d'accord avec la France, la nuit la dénoncent. Parce qu'ils sont liés quelque part. » – oui, mais où ? Comment ? Que faire pour éviter cette situation ? Est-ce qu'il aurait pu en être autrement ? Pas de réponse, vu qu'on ne se pose même pas la question !

Allez, un petit passage amusant : « Regardez comment Bongo est mort. Un matin la France se réveille : “Biens mal acquis – il faut poursuivre le président Bongo”. Il a tellement été choqué, qu'une semaine après, il en est décédé ! Le président Mobutu qui avait été tant choyé, n'a même pas eu droit à une sépulture honorable, n'a même pas pu avoir le visa pour aller se soigner en France ou en Belgique. C'est comme cela qu'ils nous traitent : nous sommes leurs chouchous tant que nous sommes des présidents dociles, mais une fois qu'ils ont tout eu de nous, ils nous exposent. » C'est tout de même incroyable : comme s'il fallait avoir pitié de traitres comme Bongo et Mobutu, parce que les “méchants Blancs” les auraient “blagués”, les pauvres !

Blé Goudé dit qu'il ne faut pas parler d'économie.

La crise ivoirienne – la crise de toute l'Afrique ?

Blé Goudé se déclare panafricaniste. L'Afrique, c'est sûr, il connait. Elle est toute entière sous la coupe de la Françafrique. C'est pourquoi il invite « Tous les Africains, où qu'ils se trouvent, qu'ils soient en France, qu'ils soient au Gabon, qu'ils soient au Togo, au Cameroun : levez-vous ! »

Pas un mot sur les pays africains anglophones ou autres, cependant. Et surtout rien, alors que c'en était l'occasion parfaite lors de cette interview, à propos du peuple révolutionnaire burkinabé. Pourtant, une excellente manière d'en finir avec la crise ivoirienne aurait été d'exporter la “révolution” ivoirienne au Burkina, en appelant au renversement de Compaoré. Mais Blé Goudé est un “grand démocrate”, il est contre tout ce qui sort du “cadre de la Constitution”.

S'il n'appelle pas à cela, c'est parce qu'en réalité, il n'appelle pas à un soulèvement populaire, mais à une “prise de conscience” ou de décision de la part des élites, comme c'est le cas en Côte d'Ivoire. Tout comme dans sa première apparition publique depuis la fin de la crise, il appelle la “communauté internationale” (la même qui s'est rangée entièrement derrière ADO pour dégager Gbagbo) à « interpeler M. Ouattara » ; rien de plus.

Blé Goudé n'a pas envie de voir une véritable lutte révolutionnaire se propager au reste de l'Afrique, ou en tout cas ne semble pas en comprendre l'importance. Dans la “grande interview” de janvier 2011, il dit ceci : « À défaut d'être une lune pour éclairer toute la terre, soyez au moins une lampe pour éclairer votre maison ; je tente d'éclairer au moins ma maison ; je ne ferai pas cela dans tous les pays africains, mais au moins en Côte d'Ivoire, vous le constatez que mes amis et moi nous le faisons ; à partir de la Côte d'Ivoire il peut y avoir un effet de contagion, c'est ce que nos anciens maitres craignent, c'est pourquoi ils nous ont sanctionnés. À partir de la Côte d'Ivoire on peut changer les choses. Pourquoi la révolution africaine ne partirait pas de la Côte d'Ivoire – je pense que nous sommes bien partis pour ça. »

On voit donc que Blé Goudé envisage une possibilité de voir une révolution “africaine” partir de la Côte d'Ivoire, et il a raison, et c'est bien. Mais de la façon dont il présente la chose, il ne semble pas considérer cela comme un facteur décisif dans le succès de la révolution ivoirienne. Comme si la révolution ivoirienne pouvait faire sa révolution toute seule dans son coin, et en sortir victorieuse. Ensuite, il n'envisage pas le fait que la révolution ivoirienne pourrait partir d'un autre pays africain. Il n'attire pas non plus l'attention sur ce qui se passe dans d'autres pays africains, afin d'en tirer des leçons.

Enfin, il ne se soucie pas du tout du fait que la révolution africaine pourrait se concevoir dans le cadre d'une lutte plus globale contre l'impérialisme : il semble tout ignorer de la situation au Venezuela, en Bolivie, au Chili, en Équateur, en Iran… et surtout, de celle qui, au moment même où il parlait, était en train de se dérouler en Tunisie.

Rien à faire non plus de la classe des travailleurs français, confrontés à une austérité croissante sous Sarkozy à l'époque, sous Hollande aujourd'hui.

Blé Goudé transpire le chauvinisme ivoirien, ne s'intéresse pas le moins du monde à ce qui se passe ailleurs, car n'envisage sa “révolution” que dans le cadre de son pays à lui, dans les limites bien définies qu'il connait – dans les limites de la bourgeoisie nationale ivoirienne.

Mais c'est vrai qu'à cette époque encore, on n'avait pas encore connu l'expérience de la grève générale au Nigeria, de Marikana en Afrique du Sud, de la vague de manifestations au Burkina (à laquelle la presse bleue n'a accordé de l'attention que dans la mesure où “c'est bien fait pour Blaise” et où elle aurait soi-disant confirmé les pseudo-prophéties à l'encontre des “ennemis de Gbagbo”), des mouvements des Indignés et des Occupy un peu partout dans le monde…

Du coup, le discours de Blé Goudé, trois ans plus tard, nous semble à l'heure actuelle un peu éculé. Ce qui ne signifie pas qu'on peut lui passer l'éponge pour autant. Il n'avait pas de solution à l'époque, il n'en a toujours pas aujourd'hui.

Au Burkina comme en Côte d'Ivoire, la population se mobilise.
Plutôt que de chacun lutter dans son coin, il faut réunir les forces
prolétariennes du continent pour un panafricanisme socialiste.

Un discours très libéral

Car ce qui choque également très fort lorsqu'on écoute les discours de Blé Goudé, est le caractère profondément libéral et pro-capitaliste de sa conception politique.

Premier exemple : Dans la “grande interview” de janvier 2011, on lui demande d'expliquer pourquoi il trouve si important de se battre pour Laurent Gbagbo. Est-ce son idéologie ? Non ! Pour Blé Goudé, Gbagbo mérite qu'on se batte pour lui parce qu'il est un “modèle de vie”. Rien d'autre ! On ne parle pas du programme, on ne parle pas de lutte contre l'impérialisme, rien du tout.

Voyez vous, « Gbagbo était pauvre, renié, livré à lui-même, mais il est passé au sommet de l'État. Chacun dans sa vie doit s'identifier à quelqu'un à qui il veut ressembler. C'est pourquoi Gbagbo est un modèle ». Donc, la solution à la misère des Ivoiriens ne passe pas par un programme socialiste de nationalisation et d'industrialisation du pays, d'extension des services publics et de l'enseignement… mais il suffit que quelqu'un montre l'exemple pour encourager les gens à se battre contre l'adversité dans leur vie personnelle – devenir, je ne sais pas moi, entrepreneur ? – parce que Gbagbo a prouvé que dans ce système, même si tu nais en bas de l'échelle, tu peux terminer au sommet.

Voilà la solution ? C'est un discours purement libéral, utopiste, trompeur, le même discours que nous ressortent tous les chantres du capitalisme. Il est vrai que dans cette société, certains individus exceptionnels peuvent accomplir une carrière les portant vers des sommets de plus en plus haut – comme Gbagbo, comme Koffi Annan, comme Mandela… Mais d'une part, le système réagit contre de tels individus qui pensent que leur succès peut être partagé avec d'autres plutôt que de servir fidèlement les maitres – on le voit avec le putsch de Gbagbo –, de l'autre, cela ne vaut pas pour tout le monde : tout le monde ne peut pas devenir grand patron, tout le monde ne peut pas devenir président, tout le monde ne peut pas devenir professeur d'université !

Pas parce que tout le monde n'a pas à la naissance la capacité intellectuelle de devenir patron, mais parce qu'il faut quand même bien que quelqu'un cultive les feuilles de manioc que Blé Goudé nous invite à manger ! Il faut quand même bien que quelqu'un fabrique le papier que tu vas signer, que quelqu'un fabrique l'encre avec laquelle tu la signes, que quelqu'un fabrique le stylo avec lequel tu le signes, le fauteuil de président sur lequel tu es assis au moment de signer, la table devant laquelle tu es assis, la caméra qui te filme en train de signer, l'électricité pour la caméra qui te filme, le pétrole pour l'électricité pour la caméra qui te filme !

C'est la classe des travailleurs qui fait fonctionner la société, il n'y a pas de honte à être simple travailleur et à vouloir le rester. Ce qui est honteux, c'est que ces travailleurs justement ne reçoivent pas la juste rémunération de leur travail, vivent dans la misère, pendant que le fruit de leur travail est accaparé par tous ces grands patrons, tous ces présidents, tous ces professeurs d'université.

Notre société reste divisée en classes sociales, que Blé Goudé le veule ou non. Il n'y a pas dans notre société une personne qui est plus importante qu'une autre, le président n'est président que parce qu'il existe un consensus social par lequel le peuple dans son ensemble est d'accord de se soumettre à l'autorité d'un président à la tête d'un État. Mais il n'en a pas toujours et il n'en sera pas toujours ainsi. En attendant par contre, il faut quand même qu'on mange, et si on voulait tous devenir présidents, ça poserait problème.

Pour Blé Goudé, « Gbagbo est un modèle de vie », point.
La question du programme, de l'idéologie, de la stratégie
et des objectifs est secondaire.

Bref, comme nous l'avons déjà dit, Blé Goudé parle constamment d'une “révolution”, mais il s'agit d'une révolution très libérale. Il ne définit à aucun moment la manière dont il compte s'y prendre pour se débarrasser de l'emprise de l'impérialisme sur l'économie du pays. Ah si, j'oubliais : il parle de “battre sa propre monnaie”. Est-ce que ça changera le fait que 40 % de l'économie nationale appartient à des entreprises françaises ? Non !

Blé Goudé respecte la propriété privée, tout comme il respecte le capitalisme et les institutions bourgeoises. Au lieu de remettre en cause le système et l'État capitaliste responsables de perpétuer la domination des capitalistes sur les autres classes de la société, de critiquer le fonctionnement de la démocratie bourgeoise, de chercher de nouvelles formes de contrôle et de gestion populaire, prolétarienne, comme le fait le CIO, lui nous parle de “respecter la Constitution”, le rôle de telle ou telle “commission électorale”, dit que “on ne peut justifier en aucun cas le fait de prendre les armes, que ce n'est pas ça la démocratie” (interview sur Africa24), invite les jeunes à rejoindre l'armée (bourgeoise) ivoirienne (parce que “c'est ça qui est légal”), etc.

Même lors de son intervention à La Haye, il affirme faire confiance à la “justice internationale”, alors qu'il s'agit ici aussi de rien d'autre qu'un tribunal bourgeois créé par des accords entre plusieurs États bourgeois pour juger ceux qui parmi eux divergent de la ligne communément acceptée, qui est celle de l'impérialisme – c'est-à-dire celle des quelques États bourgeois les plus forts, qui dominent les autres États bourgeois. Goudé dans sa petite intervention à la Haye ne fait une nouvelle fois qu'accuser le pouvoir Ouattara et leur “manque de volonté d'aller au dialogue”, là où un véritable révolutionnaire aurait dénoncé le rôle de cette institution et l'ensemble du système, plutôt que l'une ou l'autre des conséquences fâcheuses de ce système.

D'ailleurs, il est amusant de constater que lorsqu'au début de l'audience, la juge demande à Blé Goudé quelle est sa profession, celui-ci ne répond pas « étudiant », ni « syndicaliste », ni « révolutionnaire professionnel » comme l'aurait fait Che Guevara. Il préfère s'auto-intituler « consultant en communication politique » ! Une profession qui est pourtant quand même le symbole de toute l'hypocrisie et du mensonge des politiciens bourgeois.

Blé Goudé dit qu'il n'en a que faire de l'idéologie, que “socialistes et libéraux, c'est la même chose” – pour preuve, Mitterand était “socialiste” et continuait à aider les dictateurs africains, et c'était un gouvernement “socialiste” lorsque Lumumba a été tué (sauf que le Congo était une ex-colonie belge et non française et que la Belgique était alors dirigée par une coalition… chrétienne-libérale).

Encore une fois, pour lui, c'est “la France” qui est méchante, point. La France qui a également selon lui « humilié l'Allemagne en organisant sur son propre territoire le procès de Nuremberg, qui a condamné l'Allemagne pour avoir fait la guerre » –– parce que l'agression expansionniste fasciste était justifiée peut-être ?!

Transfèrement de Blé Goudé à La Haye: Le piège de la CPI !
Blé Goudé n'est pas contre l'impérialisme en général,
seulement contre l'impérialisme français

Blé Goudé ignore tout de l'histoire du mouvement socialiste, de la trahison des sociaux-démocrates, ignore tout de la différence fondamentale entre le pseudo-socialisme réformiste bourgeois des Mitterand ou Jospin, et le socialisme vrai qui est la doctrine révolutionnaire prolétarienne léguée Marx, Engels, Lénine et Trotsky.

Le summum de la trahison – en supposant que Goudé ait jamais été révolutionnaire – on le trouve dans l'explication donnée par Blé Goudé lorsqu'il nous dit de ne pas répondre à l'appel à la grève contre Gbagbo lancé par Ouattara. Il se vante du fait que personne ne suit l'appel de Ouattara, et enjoint les Ivoiriens à aller au travail : « Ouattara appelle à la ville-morte, mais personne ne l'écoute. Je veux demander aux Ivoiriens de continuer de vaquer à leurs occupations, de continuer d'aller au travail. Être soudés, être unis, et aller au travail. Seul le travail a sauvé l'Allemagne, seul le travail a sauvé la Chine, seul le travail peut sauver la Côte d'Ivoire. Les gens doivent aller au travail, parce que le salaire, c'est la rétribution du travail. Allez au travail ! Pour avoir un peu d'argent, pour travailler pour vos enfants. Je demande aux forces de l'ordre de prendre les dispositions pour protéger les citoyens honnêtes qui veulent aller au travail. »

On ne pourrait pas faire meilleure apologie de l'exploitation capitaliste ! Dans la société capitaliste, le “travail” n'est pas quelque chose qui permet de développer un pays. Le travail est le procédé par lequel les capitalistes extorquent la force de travail des travailleurs afin de réaliser leur profits. À ce titre, le salaire n'est pas la “rétribution du travail”, parce que le travailleur ne reçoit pour la location de sa force de travail qu'une somme de monnaie lui permettant de se nourrir et de nourrir ses enfants. Le restant, le fruit véritable de son travail, est accaparée par le capitaliste qui réalise la plus-value en vendant les marchandises produites par le travailleur, car elles lui appartiennent à lui et non pas au travailleur qui les a produites.

Lorsque donc un porte-parole de la bourgeoisie dit que le salaire est la rétribution du travail, c'est un mensonge pour faire accepter aux travailleurs leur condition, pour rendre l'exploitation normale à leurs yeux.

En outre, dans la société capitaliste, ce n'est pas “le travail” qui développe un pays. Le travail sert à produire des profits pour les capitalistes, point. À partir de ces profits, les capitalistes peuvent décider de réinvestir une partie de la somme dans l'infrastructure et l'outil de production, certes, ce qui crée de l'emploi et améliore la vie de tous (enfin, tant qu'il ne s'agit pas d'une route à péage qui en plus détruit des villages entiers et cause des accidents, ou d'une usine dont la pollution nuit à la santé des habitants pauvres vivant autour…).

Mais les capitalistes peuvent également très bien décider de “s'asseoir” sur leurs profits, de les mettre à la banque pour jouer en bourse avec, d'acheter des terrains et de laisser aller la spéculation, de les investir dans un autre pays, ou de les dépenser tout simplement en hélicoptères privés, séjours aux iles Maldives, soins dans des hôpitaux de luxe à Paris ou que sais-je encore.

Tout ça pour dire que dans le cadre du capitalisme, le développement d'un pays ne dépend pas du “travail” de ses habitants, mais du seul bon vouloir des capitalistes, qui par ailleurs font et défont les gouvernements par le jeu du financement de leurs partis politiques que sont le FPI (pour les capitalistes locaux et une partie des capitalistes étrangers) et le RDR/PDCI (pour les capitalistes des grandes puissances étrangères).

Contrairement à ce qu'affirme Blé Goudé, l'Allemagne a pu se relever après la Deuxième Guerre mondiale non pas parce que les Allemands sont “naturellement travailleurs”, mais parce qu'il y avait une volonté manifeste des capitalistes européens d'aider ce pays à se reconstruire, vu leur effroi devant la vague révolutionnaire européenne des années 40-50, qui aurait en outre pu encourager l'URSS (un État prolétarien bureaucratiquement dégénéré) à poursuivre son extension – rappelons d'ailleurs qu'une moitié de l'Allemagne avait alors été annexée par le bloc “communiste”, qui a aussi apporté sa pierre au développement du pays.

La Chine, tout comme le Vietnam, s'est construite non pas sur base d'un “travail” dans le cadre du capitalisme, mais au cours de nombreuses années de durs labeurs sous la direction d'un État prolétarien (bien que bureaucratiquement déformé), avec l'expropriation des capitalistes, la nationalisation de l'économie et une vaste redistribution des richesses à l'échelle nationale.

Blé Goudé donc, lorsqu'il cite ces deux pays en exemple, soit n'a rien compris, soit cherche à tromper le peuple.

Le Vietnam a mené une véritable lutte pour l'indépendance politique
et économique, en nationalisant les entreprises étrangères
et en mobilisant l'ensemble de la nation dans la lutte

Les “patriotes” ivoiriens n'ont aucune alternative !

La seule solution, dans le cadre de la crise ivoirienne, aurait été de cesser le faux dialogue qui était dès le départ voué à l'échec, d'arrêter les concessions à l'impérialisme qui n'ont fait qu'affaiblir le gouvernement, et de procéder à l'expropriation des multinationales françaises et des grandes plantations par justement la grève et l'occupation, avant de passer à la redistribution des terres pour tous les paysans – quelle que soit leur ethnie ou nationalité – et à la nationalisation des secteurs-clés de l'industrie, sous le contrôle démocratique d'une population qui était par ailleurs déjà mobilisée et organisée via le mouvement des agoras et les nombreux syndicats.

En même temps, on aurait pu envoyer les jeunes volontaires effectuer de grands travaux comme, par exemple, la construction d'un rail jusqu'à San Pedro, ou mobiliser une armée d'enseignants et infirmiers volontaires à l'échelle du pays, dans le cadre de l'effort révolutionnaire.

Une telle politique aurait permis de montrer l'exemple, d'afficher clairement la différence qu'il y a à vivre dans le cadre d'un gouvernement socialiste et non capitaliste, et par là même, cela aurait permis d'appeler la population du Nord à se soulever contre les Com'zones, en leur envoyant des renforts du Sud. C'est cette politique et aucune autre, qui a assuré la victoire du Vietnam contre la France puis les États-Unis, qui a assuré la victoire des révolutionnaires russes contre 18 armées interventionnistes étrangères et autant de “rébellions” sur un front long de plus de 4000 kilomètres – la crise ivoirienne est un très petit problème à côté de ça !

Mais quand Blé Goudé propose aux jeunes de rejoindre l'armée régulière, “parce que c'est légal”, est-ce qu'il réfléchit une seule minute à ce qu'il dit ? L'armée régulière reste une armée à la solde d'un État bourgeois, organisée selon une chaine de commandement de haut en bas. Si le général s'en va, l'armée s'en va aussi. C'est ce qui s'est passé avec le passage de Mangou au camp du RHDP – lui qui était intervenu devant la foule à Yopougon pour dire que jamais il ne trahirait (en fait, il a dit « Jamais je ne ferai de coup d'État » – il a donc en réalité tenu parole).

Au contraire, le modèle d'armée mis en avant par les révolutionnaires russes était celui d'une armée nouvelle, révolutionnaire, prolétarienne, dans laquelle les volontaires élisaient eux-mêmes leurs officiers, révocables à tout moment, afin d'assurer qu'au cas où l'un d'entre eux passerait à l'ennemi, quelqu'un serait là pour le remplacer, et d'assurer le fait que les officiers resteraient liés à leurs troupes par les liens de classe (contrairement à l'armée bourgeoise dans laquelle les officiers sont généralement issus de la bourgeoisie). Plus tard, Trotsky a réformé l'armée avec un commandement unique centralisé, dont les chefs étaient élus par les soviets (“agoras”) locales, régionales et nationales.

Est-ce que c'est légal ? Non. Est-ce que ça respecte la Constitution ? Non. Mais Blé Goudé, est-ce qu'une “révolution” même est légale ?! Puisqu'elle vise à renverser l'ordre établi. Il faut savoir de quoi tu parles ! Malheureusement, on dirait que toi-même tu ne sais pas trop…

Affiche du temps de la révolution russe.
« Tout le pouvoir aux soviets (agoras). Vive la révolution mondiale.
Les travailleurs ont pris le pouvoir en Russie. Les travailleurs vont prendre
le pouvoir dans le monde entier. »
En bas de l'image à droite, on voit les patrons et curés en train de dégager.

Conclusion

Tout d'abord, à l'analyse de ses discours, Blé Goudé n'est un révolutionnaire que dans la mesure où il veut se battre contre “l'impérialisme / la Françafrique” mais en restant dans le cadre du capitalisme. Il parle bien, il mobilise les foules de la jeunesse désemparée, en utilisant un discours mêlant un pseudo-radicalisme petit-bourgeois national à un style populaire et à une phraséologie aux consonances semi-mystiques. Mais en tout cela, il ne se différence en rien de pseudo-opposants du même accabit comme par exemple Alexeï Navalny en Russie, ou les partisans de Youliya Tymochenko qui ont récemment pris le pouvoir en Ukraine.

Son horizon est borné, il mobilise, il mobilise, mais sans proposer une seule véritable stratégie pour la victoire, dont l'objectif est d'ailleurs extrêmement étroit lui aussi : maintenir Gbagbo au pouvoir, parce qu'il est “un modèle”, “le candidat des Ivoiriens”, point.

Ses références historique sont également des personnages au rôle ambigu comme Gandhi ou Mandela, et il ne va jamais jusqu'à citer des personnes ayant eu un véritable impact dans la lutte contre l'impérialisme, comme Lénine, Che Guevara ou Hồ Chí Mnh (ces deux derniers ayant eux aussi suivi une ligne que nous jugeons en grande partie erronnée, mais qui avaient au moins le mérite de viser à obtenir un autre type de société et pas seulement une amélioration dans le cadre du capitalisme).

Blé Goudé ne mentionne à aucun moment le rôle des syndicats ni n'encourage à les rejoindre. À aucun moment il n'imagine que les agoras pourraient être des organes de pouvoir populaire, plutôt que des simples espaces où faire des discours, des courroies de transmission de la propagande étatique.

Clairement, Blé Goudé et la bourgeoisie ivoiriennes ont peur de voir la lutte leur échapper. Ils veulent bien parler de révolution tant que cela reste dans les frontières qu'ils se sont fixées – celles du capitalisme, celles d'un capitalisme ivoirien national, – qui est en fait, malheureusement pour eux, une utopie.

L'ensemble de la lutte dirigée par la LMP lors de la crise ivoirienne a été une édifiante démonstration par l'absurde de la théorie de la révolution permanente telle que prônée par Trotsky en 1905. La bourgeoisie nationale est incapable de diriger la lutte pour l'émancipation nationale – c'est-à-dire, pour sa propre émancipation en fait – car elle est obligée pour cela de mobiliser les larges masses prolétariennes et paysannes, seules détentrices du véritable pouvoir économique – ce même pouvoir économique, cette même économie dont Blé Goudé ne veut pas entendre parler !

Mais ce faisant, la bourgeoisie cherche à simplement s'asseoir sur le dos de ces masses pour se maintenir au pouvoir, et freine toute tentative d'auto-organisation par les masses, les démobilise à la première “négociation” avec l'impérialisme, affaiblissant ainsi ses propres positions, ce qui encourage l'impérialisme à passer à l'offensive derechef.

Blé Goudé et ses camarades ont prouvé par le bilan de l'ensemble de leurs actions, la validité de la théorie et du modèle socialistes révolutionnaires tels que prônés par le CIO. C'est pourquoi nous appelons tous les jeunes et moins jeunes qui se disent révolutionnaires et panafricanistes, mais qui vivent encore dans l'illusion de tous leurs beaux discours, – et en premier lieu nos “patriotes” – à ouvrir les yeux et à nous rejoindre pour une véritable lutte révolutionnaire, aux côtés de nos camarades d'Afrique du Sud, du Nigeria, du Soudan, de Tunisie et du monde entier, dirigée par le prolétariat et pour le prolétariat, et non pour la seule notoriété et la carrière politique de quelques populistes, opportunistes petit-bourgeois, tels que M. Charles Blé Goudé.

– Jules Konan

Pour qui marche vraiment Blé Goudé ?

PS : Ceci dit, ce n'est pas parce que nous ne sommes pas d'accord avec Blé Goudé que nous tolérons son emprisonnement ni son transfert à La Haye. Pour nous, l'ensemble des prisonniers politiques doivent être libérés, Blé Goudé et Laurent Gabgo doivent être ramenés en Côte d'Ivoire pour y être jugés tout comme l'ensemble des responsables de la crise ivoirienne (Ouattara, Soro, Wattao…), non pas par la justice bourgeoise corrompue et à la solde du régime actuel, mais par un tribunal exceptionnel composé de représentants élus de l'ensemble des travailleurs et paysans de Côte d'Ivoire. Voir notre article à ce sujet.


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