Mali : non à l'intervention impérialiste !
Un soldat français heureux de faire son travail |
Ce 11 avril a marqué non seulement les deux ans du président Alassane au pouvoir, mais aussi trois mois d'intervention française au Mali. L'armée française, avec ses alliés tchadiens, a certainement obtenu une grande victoire militaire par son écrasante supériorité technologique et logistique. Cependant, cette victoire reste à assurer sur le terrain avec le danger d'un glissement vers une situation de menace terroriste permanente, en plus d'avoir d'importantes conséquences politiques. Plusieurs de nos camarades ont écrit les mois derniers sur les implications et les véritables causes et raisons de cette nouvelle guerre impérialiste, mais aussi sur les alternatives populaires qui auraient pu être mises en avant à la place. Ci-dessous, une sélection de quelques-uns de ces articles.
Intervention au Mali : impérialisme ou “guerre humanitaire” ?
Face aux terribles méthodes réactionnaires des djihadistes qui ont pris le pouvoir dans le nord du Mali aux côtés du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), l’intervention militaire française (qui reçoit entre autres l’appui logistique de l’armée belge) s’est présentée comme une aide extérieure – à la demande des Maliens “eux-mêmes” – pour défendre la “démocratie” et les “droits de l’homme”. Il est certain que les terribles méthodes des groupes djihadistes réactionnaires sont absolument répugnantes. Doit-on pour autant soutenir cette intervention ? Quelles solutions sont réellement capables de pacifier la région ?
Article par Nicolas Croes, du PSL/LSP (Parti socialiste de
lutte / Linkse Socialistische Partij), section belge du
CIO, publié le 4 février 2013
Une situation sociale désastreuse
Malgré ses grandes ressources naturelles (le Mali est le
troisième producteur d’or d’Afrique), ce pays est aujourd’hui
l’un des plus pauvres au monde. En 2011, il s’est classé
175e sur les 187 pays pris en compte par l’Indice de
développement humain du Programme des Nations-Unies. Le taux de
mortalité infantile est faramineux, de même que la malnutrition,
l’analphabétisme… ce à quoi s’ajoute aussi la pratique
largement répandue de l’excision.
Toute la région au nord du “Mali vert” connait une
situation plus dramatique encore. Cette région a toujours été
défavorisée en termes d’investissements et d’infrastructures,
tant durant la période de la colonisation française qu’après
l’indépendance (en 1960), et plus particulièrement encore
sous la dictature du général Moussa Traoré (à partir
de 1968). De plus, les pluies se tarissent en raison du
réchauffement climatique, une catastrophe pour tous les peuples de
la région qui dépendent quasi uniquement de l’élevage et de
l'agriculture. Cette situation globale liée à la chute du tourisme
(en conséquence de la crise et de l’augmentation des violences) a
laissé des villes comme Tombouctou totalement sans ressources à
l’exception de l’aide humanitaire limitée – et souvent
non désintéressée – venue d’Occident et d’ailleurs
(notamment, précédemment, de la Libye de Kadhafi).
Il n’est pas exagéré de dire que les zones désertiques du Nord constituent un véritable océan de misère, de colère et de désespoir. Voilà le terreau pourri sur lequel ont pu proliférer mafias de trafiquants de drogue, milices armées, combattants de type al-Qaïda, kidnappeurs, etc.
La misère au nord du Mali |
La responsabilité du régime de Bamako
Les problèmes dans le nord du Mali sont connus de longue date. Les révoltes y ont été nombreuses, particulièrement en 1990. Ces rébellions ont d’ailleurs été l’un des facteurs (mais ni le seul, ni le plus important) qui a conduit à la chute de la dictature de Traoré en 1991. Il a fallu attendre 1996 pour que les différents groupes touaregs brulent symboliquement leurs armes en échange de promesses d’investissements destinés à améliorer les terribles conditions de vie en vigueur dans cette région. Mais ils ont largement été trahis, et n'ont pas été les seuls dans ce cas.
La dictature de Traoré s’est effondrée non pas du simple fait
des rébellions touaregs, mais surtout à la suite d’une véritable
révolte des masses, avec une mobilisation extraordinaire de la
jeunesse (qui a connu de régulières explosions de colère
depuis 1977), des femmes et de la base de l’Union nationale
des travailleurs du Mali (UNTM). Grèves générales et
manifestations de masse ont déferlé sur le pays pour réclamer la
fin de la dictature, mais aussi plus de justice sociale.
Faute d'un prolongement politique résolu à s’en prendre aux
racines du système, il vide politique a été créé. Cela a laissé
l'espace à une aile de la hiérarchie militaire pour opérer un coup
d’État afin d’assurer une “transition démocratique”, avant
tout destinée à préserver la structure de l’État et le système
d’exploitation tout en sacrifiant le dictateur (gracié en 2002).
Malgré tout, le régime présidentiel autoritaire a eu du mal à
être installé, et les protestations de masse se sont poursuivies
(notamment en 1993).
Le régime a continué à se plier en quatre pour servir les
intérêts de l’impérialisme, essentiellement français, et s’est
soumis de bonne grâce aux diktats du Fonds monétaire international
et de la Banque mondiale en appliquant une politique néolibérale
sauvage qui a détruit les services publics existants. Ce fut plus
particulièrement le cas dans les années '2000, sous le règne
d’Amadou Toumani Touré, le putschiste de 1991 élu
à la présidence en 2002.
Le président putsché Amadou Toumani Touré |
Socialisme ou barbarie
Ni en Afghanistan, ni en Irak, ni ailleurs, la guerre n’a jamais
été la solution pour instaurer la démocratie. Par contre, la
“lutte pour la démocratie” a systématiquement servi à masquer
la défense des intérêts impérialistes. Dans le cas du Mali, il
s’agit de s’assurer le contrôle des ressources de la région, au
Mali, mais aussi au Niger voisin. La France puise plus de la moitié
de l’uranium nécessaire à ses centrales nucléaires au Niger
(soit, un tiers de toute son électricité !). Elle vient
d’ailleurs de décider d’envoyer ses troupes spéciales pour
protéger l’uranium du géant français du nucléaire, Areva (c’est
la première fois que les forces spéciales servent de milice pour
une entreprise privée). La “Françafrique” existe toujours bel
et bien, comme l’avait encore illustré l’Opération Licorne en
Côte d’Ivoire, pays lui aussi voisin du Mali. S'il est
possible qu'une grande partie de la population accueille aujourd’hui
favorablement les troupes étrangères face au danger du djihadisme
réactionnaire, la réalité du “Malifrance” ne va pas être bien
longtemps masquée. Aujourd’hui, de nombreux rapports font déjà
état de crimes de guerre commis des deux côtés du conflit, tandis
que les troubles se sont étendus jusqu’à l'Algérie, où les
braises du sanglant conflit interne des années '90 ne se sont
jamais éteintes.
Seul un mouvement organisé sur une base de classe et résolu à
livrer aux masses le contrôle des ressources du pays serait capable
de résoudre les divers problèmes entre ethnies (Touaregs, Bambaras,
Dogons, Bozos...) en éliminant la division fratricide qu'entraine la
lutte pour la survie en désespoir de perspectives communes.
Les travailleurs et les pauvres du Mali jouissent d’une longue
tradition de lutte, un tel mot d’ordre n’a rien d’un fantasme.
Mali : l’intervention impérialiste n’offre aucun espoir à la classe des travailleurs
Du Libéria au Congo et à la Somalie, de la Sierra-Léone au Rwanda et au Burundi, du Soudan au Sud-Soudan et au Kenya, en Côte d’Ivoire, au Nigeria et maintenant au Mali, une grande proportion de pays post-coloniaux et néo-coloniaux d’Afrique sont victimes de faillites étatiques. Comme le Democratic Socialist Movement (DSM) l'a toujours défendu, la raison sous-jacente de cette faillite (qui se manifeste par des guerres, des rébellions, des coups d’états et l’instabilité gouvernementale), c’est l’incapacité des États à satisfaire les besoins essentiels des masses.
Par Lanre Arogundade, du Democratic Socialist Movement, section nigériane du CIO publié le 4 février 2013
Mais le glissement vers le chaos et l’anarchie est encore plus appuyé par, de temps à autre, des questions ethniques non-résolues, dont les racines se trouvent dans la volonté de s’accaparer des ressources naturelles et dans le dessin de frontières artificielles par les anciennes puissances colonisatrices.
Il y a également l’intégration des pays africains néo-coloniaux dans le giron du capitalisme mondialisé – ce qui correspond de facto à un plan de re-colonisation – qui est venue avec l’imposition de politiques publiques néolibérales et anti-pauvres à travers lesquelles la richesse se concentre en un nombre toujours plus restreint de mains pendant que l’immense majorité des pauvres et des travailleurs souffre de privations.
La vraie tragédie de l’Afrique, c’est que ses pays sont riches en ressources humaines et naturelles, à tel point qu’une telle pauvreté devrait être une aberration. Cependant, comme nous le voyons tous les jours, ces ressources sont sources de beaucoup plus de maux que de bénéfices. Ainsi, parfois, plus riche en minerai est le pays (comme la RDC ou le Nigeria) et plus grand est le nombre de guerres, de guerres civiles ou le chaos de ce pays.
Mine d'or artisanale au Mali |
Les racines de la crise malienne
Au-delà de cela, la crise qui secoue le Mali n’est que le dernier chapitre d’un conte sordide. La réalité reste qu’en dépit de l’intervention de l’impérialisme français et des forces de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), ce ne sera pas la dernière crise à cause de la fragilité croissante des soi-disant “démocraties” africaines. C’est cette fragilité qui a fait que la classe dirigeante malienne (civile ou militaire) s’est jetée dans les bras des forces d’intervention étrangères. Les jeunes officiers formés par les États-Unis, qui avaient préalablement planifié un coup d’État contre le gouvernement civil, ont dû se rétracter quand ils se sont rendus compte du sous-équipement et de la sous-motivation de leurs troupes.
Aucune défaite des forces islamistes au Nord-Mali ne pourra sortir la grande majorité des Maliens de la pauvreté, aussi longtemps que le système d’oppression capitaliste se maintiendra aux commandes.
Bien que la cause immédiate de la crise actuelle est la pression des restes des forces touaregs (qui ont conservés leur loyauté d’autrefois à l’ex-régime de Muhammar Kadhafi) pour obtenir par la force leur État propre, le facteur déterminant dans cette crise reste le fait que le gouvernement de Bamako a pratiquement perdu toute légitimité à cause de son incapacité à résoudre les problèmes fondamentaux auxquels est confrontée la population malienne. En lançant un appel à l’intervention militaire étrangère, la classe dirigeante malienne a agit de façon à “classer” l’affaire, après avoir précipité l’économie dans un état de dépendance envers l’aide étrangère qui lui permet à peine de survivre.
Comme Walter Rodney le disait dans son livre Comment l’Europe a sous-développé l’Afrique : « Si le pouvoir économique est situé en dehors des frontières nationales de l’Afrique, alors le pouvoir politique et militaire est de fait situé en dehors des frontières nationales jusqu’à ce que les masses des paysans et des travailleurs se mobilisent pour offrir une alternative à ce système de parodie d’indépendance politique ».
En effet, c’est cette dépendance économique qui rend le Mali si vulnérable à n’importe quelle crise sur le marché des matières premières puisque les deux piliers de son économie restent la production agricole et la prospection d’or. En 2001, le Mali est devenu le 3e plus grand extracteur d’or d’Afrique avec 41 tonnes par an (après l’Afrique du Sud et ses 391 tonnes, et le Ghana avec 72 tonnes). Il n’est pas exclu que les riches réserves d’or du pays aient été une motivation majeure pour les rebelles, de même que les vastes ressources minières de la RDC continuent d’encourager des rébellions armées répétées, ou tout comme les “diamants du sang” ont constitué le facteur central dans la guerre menée par les rebelles de Charles Taylor qui a touché la région de la rivière Mano au Libéria, en Sierra-Léone et en Côte d’Ivoire à partir des années ’90 jusqu’à tout récemment.
Pourtant, le Mali figure dans le classement des 25 pays les plus pauvres au monde selon l’Observatoire économique africain. La croissance économique s’est effondrée pour ne plus atteindre que 1,1% en 2011, une situation économique attribuée en partie « à la crise post-électorale de la Côte d’Ivoire, à la guerre en Lybie et à la flambée des prix du pétrole, du gaz et de la nourriture », avec comme conséquence un boom de la pauvreté, tandis que le chômage frappe les catégories les plus jeunes de la population, dont 15,4 % des 15-39 ans. « Les jeunes sans emploi représentent 81,5 % du total des sans-emplois du pays ». Tout cela est arrivé après que le pays ait accepté le prêt du FMI qui a précédé chronologiquement l’incursion rebelle au Nord-Mali.
Les djihadistes du Mali |
Une guerre qui coutera cher au pays
Malheureusement, ce niveau de pauvreté n’arrêtera pas les impérialistes dans leur volonté de faire payer au pays les frais liés à l’entrée en guerre, tout comme l’Irak a dû le faire et doit toujours le faire pour la guerre du Golfe, via ses ressources pétrolières, ou comme le Liberia a dû financer sa propre guerre avec ses abondantes plantations d'hévéa qui sont désormais vendues cadeau à des intérêts économiques étrangers. Le plus grand planteur mondial d'hévéa peut se vanter de ne pas avoir sur son territoire national la moindre usine de caoutchouc, même pas pour les semelles de pantoufles !
Au Mali, cette volonté se présente sous la forme d'une nouvelle exploitation impitoyable des gisements d’or et d'une nouvelle politique économique néolibérale, via la privatisation des principaux secteurs de l’économie.
L'aide du Nigeria
Des pays comme le Nigeria sont extrêmement désireux de contribuer à l’envoi de troupes au Mali, car ils sont confrontés à leurs propres crises internes. La classe dirigeante nigériane s’appuie sur les services secrets étrangers (américains, israéliens et anglais) pour faire face aux campagnes de bombardements de Boko Haram (organisation islamiste nigériane qui est en rébellion armée dans ce pays et est également présente au Mali). Apparemment, cette intervention est aussi un moyen d’envoyer l’avertissement que l’utilisation de la force brute soutenue par des puissances étrangères peut devenir une option au Nigeria.
Cependant, nous devons mettre en garde contre cette réponse musclée et militaire qui échouera à enrayer la menace posée par l’insurrection de Boko Haram. Il convient de rappeler que ce sont les brutales réponses militaires – avec le meurtre de sang-froid du leader de Boko Haram, Mohammed Yusuf, en 2009 – qui ont conduit à l’escalade des activités de Boko Haram avec son cortège de massacres insensés et de destructions debridées des institutions d’État et de bâtiments d'église, tous deux perçus comme des ennemis.
Pareillement, après des années d’expéditions militaires par les pouvoirs capitalistes mondiaux menés par les États-Unis – et qui ont coûté des milliards de dollars et la vie de centaines de milliers (si ce n’est de millions) de soldats et de personnes sans défenses – des pays comme l’Afghanistan, l’Irak, le Pakistan ou encore la Libye où les forces impérialistes ont mené une guerre contre les soi-disant terroristes, restent les pays les plus instables au monde, où la pauvreté règne, des pays non-démocratiques et plus divisés que jamais.
Évidemment, les conséquences de l’actuelle expédition impérialiste au Mali ne vont qu’empirer la situation politique et sociale du Mali et du Nigeria qui a donc envoyé des soldats en tant que partie prenante des troupes de la CEDEAO. Les insurgés tuant déjà beaucoup de soldats déployés au Mali.
La direction de la force “pan-africaine” a été donnée à un général nigérian |
Contre l'intervention impérialiste
Les véritables socialistes et les véritables militants de la classe ouvrière continueront de s’opposer à l’intervention impérialiste au Mali et dans d’autres parties de l’Afrique car elle n'offre aucune perspective d’espoir pour les travailleurs. Mais les forces de la désintégration continueront d’être présentes tant qu’il n’y aura pas d’intervention décisive de la classe ouvrière agissant de concert avec les paysans pauvres et les fermiers.
Il est donc devenu impératif de faire s'accroitre la conscience sociale des travailleurs à travers la construction d’un puissant mouvement politique, avec l’objectif de conquérir le pouvoir sur base des idées socialistes.
Seul un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres pourra opposer la garantie du droit à l’autodétermination aux tentatives des groupes armés de s’imposer non démocratiquement et par la force aux populations.
Du Mali au Nigeria, au Liberia, au Kenya et au Soudan, un tel gouvernement devra prendre les décisions pour aller vers la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous contrôle démocratique et sous gestion des travailleurs dans l’objectif de libérer les ressources nécessaires à la réalisation d’un programme d’investissement public massif dans l’éducation, la santé, les logements et les infrastructures rurales.
La démocratie française en marche |
Sahel : Non à la guerre au Mali ! L'intervention impérialiste va approfondir la crise et l'instabilité
La crise des otages de quatre jours qui a eu lieu dans le complexe gazier d'In Amenas dans le sud-est de l'Algérie ainsi que son issue sanglante a constitué un véritable choc au niveau international. Ce raid et la riposte de l'armée algérienne ont tué au moins un travailleur algérien, 37 otages et 29 preneurs d'otages. Ces derniers étaient membres de la brigade al-Mouthalimin, la “Brigade des Masqués”, qui a annoncé de nouvelles attaques contre des intérêts étrangers à moins que ne cesse l'offensive militaire étrangère au Mali. Dans la foulée, le premier ministre britannique, David Cameron, a prévenu que la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord pourrait continuer “des décennies”.
Nombreux sont ceux qui sont légitimement repoussés par les
actions des groupes djihadistes réactionnaires tels que celui qui a
effectué cette opération en Algérie. Cela s'est ajouté aux
nombreux rapports faisant état des horribles méthodes qui prévalent
sous le joug imposé par les combattants islamistes dans le nord du
Mali (exécutions sommaires, tortures, amputations, lapidations,
interdiction de la musique, destruction de lieux saints…). Cette
barbarie constitue la principale réserve de munitions idéologiques
des défenseurs de l'intervention militaire de l'armée française
dans cette région, qui semble actuellement avoir un important taux
de soutien dans l'opinion publique. Les derniers sondages indiquent
que le soutien pour “l'Opération Serval” au sein de la
population française est actuellement de plus de 60 %.
Néanmoins, les récents développements en Algérie indiquent que
cette offensive militaire terrestre, contrairement aux arguments
officiels, est susceptible de générer davantage de crise et de
violence dans la région.
Article par Cédric Gérôme, représentant du CIO au
Maghreb, publié le 24 janvier 2013
Pour le moment, la plupart des rapports des médias indiquent que les Maliens, dans leur grande majorité et en particulier dans le Sud, accueillent favorablement l'intervention française. Avec la propagande qui accompagne inévitablement de tels épisodes de guerre, à ce stade, beaucoup de Maliens pourraient véritablement penser et espérer que l'intervention du gouvernement français pourrait les protéger contre certains des groupes armés qui terrorisent la population du Nord.
L'état d'esprit de la population dans les différentes régions du pays est toutefois difficile à estimer de façon indépendante, surtout dans le Nord, puisque tant le “gouvernement de transition” malien (qui est essentiellement la façade politique d'un régime militaire) que les militaires français interdisent l'accès aux zones de combat aux journalistes. Dans ces zones, les soldats ont reçu l'ordre de ne pas laisser passer les journalistes, certains ont même vu leur matériel saisi par les autorités.
Le fait que tant d'efforts soit effectué afin d'éviter toute
libre information est en soi une raison suffisante pour faire naitre
de sérieux soupçons quant au véritable agenda des dirigeants
maliens et de l'impérialisme français. Cela pourrait-il être lié
d'une façon ou d'une autre avec le nombre croissant de rapports qui
parlent d'atrocités commises par l'armée malienne ? Quelques
jours seulement après le début des opérations militaires, la
Fédération internationale des droits de l'homme, Human Rights Watch
et Amnesty International dénonçaient déjà des cas d'exécutions
sommaires du fait de l'armée malienne et des milices
pro-gouvernementales.
François Hollande, initiateur d'une nouvelle Françafrique |
Représailles ethniques et violations des droits de l'homme par l'armée malienne
Lors de la reprise de villes précédemment perdues par l'armée
malienne, soutenue par les forces françaises et de la CEDEAO (la
Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest), les
punitions collectives contre la population locale et les règlements
de comptes sanglant avec les minorités touarègue et arabe, en
particulier, on connu une escalade.
Dans les villes de Sévaré et de Niono, au centre du Mali, les
preuves de massacres, de “chasse à l'homme”, de cadavres jetés
dans les puits par l'armée, de soldats empêchant les témoins de
quitter la ville et d'autres graves violations se sont accumulées
depuis quelques jours. Deux jeunes habitants interrogés par un
journaliste français ont expliqué que « Être
arabe, touareg ou habillé de façon traditionnelle pour quelqu'un
qui n'est pas de Sévaré suffit à vous faire disparaitre. Le port
de la barbe est un suicide ».
Port du turban interdit dans le Nord-Mali |
Le modèle malien
Ces exemples dévoilent le côté sombre d'une guerre engagée
sous la bannière des “droits de l'Homme” et de la “démocratie”.
Tout cela porte un sérieux coup à la version d'une guerre du “Bien
contre le Mal” telle que décrite par les politiciens capitalistes
occidentaux. Un rapport d'Amnesty International a par exemple
mis en lumière, avant même que l'offensive militaire n'ait
commencé, que le recours à des enfants-soldats n'est pas la
pratique exclusive des combattants djihadistes. Des officiers maliens
et des milices pro-gouvernementales font de même.
La réalité est que l'exemple malien de “démocratie” et de “stabilité” tant vanté n'a jamais existé. Le régime d'Amadou Toumani Touré (“ATT”) était corrompu, clientéliste et autoritaire. Beaucoup de ses propres hauts fonctionnaires ont directement été impliqués dans le trafic de stupéfiants et ont trempé dans des trafics et des enlèvements de toutes sortes, avec l'aide de certains de ces gangsters du Nord et du Sahara actuellement désignés comme étant des “terroristes” et contre qui se mène la guerre actuelle.
La vérité qui dérange, c'est que les activités d'AQMI
(al-Qaïda au Maghreb islamique) et d'autres groupes armés ont été
tolérées des années durant par le régime de Bamako. Ces groupes
ont été un élément essentiel dans les circuits criminels qui ont
contribué à l'enrichissement personnel et à la corruption de hauts
fonctionnaires du gouvernement et de l'armée (d'après le Bureau de
lutte contre la drogue des Nations-Unies, 60 % de la cocaïne
présente en Europe aurait transité par le Mali). Ces groupes
avaient également l'avantage de pouvoir être utilisés comme un
contrepoids à l'influence et aux exigences des Touaregs.
Dans l'armée, les généraux siègent dans des bureaux richement
décorées tandis que les soldats sont parfois envoyés au champ de
bataille sans matériel appropriés, sans bottes par exemple. Le
ressentiment et la colère des soldats du rang contre la corruption
de la hiérarchie et contre le refus du régime d'ATT de mener une
lutte sérieuse contre les groupes armés du Nord ont constitué un
élément clé dans le processus qui a conduit au coup d'État
militaire de mars 2012 réalisé par des officiers subalternes.
Ce coup d'État, ironiquement, a été dirigé par un capitaine de
formation américaine, Amadou Sanogo, et a entrainé la
disparition du “régime démocratique” d'ATT.
Les puissances occidentales, dans un premier temps, ont craint que
la nouvelle junte au pouvoir n'échappe à leur contrôle et l'ont
donc rejetée. Ils ont même décidé, après le coup d'État, de
suspendre l'aide au Mali, entrainant toute la société dans une
pauvreté plus grande encore. Ils ont ensuite changé d'attitude en
se rendant compte que Sanogo, qui avait tout d'abord adopté une
rhétorique anti-élite et populiste afin de s'attirer du soutien,
était hésitant et s'est finalement montré prêt à collaborer avec
l'impérialisme.
Le régime malien est très dépendant de l'“aide” occidentale |
Le nord du Mali : un désastre social et humanitaire en cours
Les effets dévastateurs provoqués par les politiques
néolibérales du régime d'ATT, soutenu par l'Occident, ont permis
au capital français de dominer des pans importants de l'économie
malienne, ont ruiné la vie de beaucoup de gens et ont
considérablement augmenté le chômage de masse, la pauvreté, la
précarité.
Le Mali est aujourd'hui l'un des pays les plus pauvres au monde,
se classant 175e sur 187 pays en 2011 selon la grille de
l'Indice de développement humain du Programme des Nations Unies. Ce
pays a un taux de mortalité infantile et maternelle, de maladies et
de malnutrition plus élevé que dans la plupart des pays d'Afrique
sub-saharienne, et un taux d'analphabétisme de 75 %.
La marginalisation sociale de longue date du nord du pays ainsi
que le manque d'investissements et d'infrastructures dans cette
région ont créé un océan de misère extrême et un niveau très
élevé de ressentiment et de désespoir.
En outre, tous les experts affirment que la sécheresse va
s'approfondir dans le Sahel et que les pluies se tarissent en raison
du réchauffement climatique. Il s'agit d'un désastre
environnemental de grande ampleur pour tous les peuples de la région,
car ils dépendent presque entièrement de l'élevage et de l'agriculture.
La forte baisse de l'activité économique touristique suite à
l'augmentation du niveau de violence a été un facteur aggravant,
avec un impact désastreux sur certaines régions et villes
complètement dépendantes du tourisme pour leur survie (comme
Tombouctou).
Ce cocktail a créé une catastrophe sociale monumentale qui a été
le terreau fertile du développement d'un territoire quasiment sans
droit, fait d'une interaction complexe de mafias de trafiquants de
drogue et de milices armées, aux côtés de combattants de type
al-Qaïda, de kidnappeurs et de bandits de toutes sortes.
François Hollande prend un bain de foule à Gao, capitale historique de l'empire Songhaï |
Une guerre pour la domination et le profit
Une série de turbulences politiques ont été connues depuis
l'épisode du coup d'État de Sanogo, qui a reflété la crise
politique organique du pays et est l'acte de naissance de l'actuel
gouvernement intérimaire. Formellement, la légitimité démocratique
de ceux qui détiennent le pouvoir à Bamako est zéro. Cela
n'empêche pourtant pas le gouvernement français d'exploiter le fait
que ce régime militaire a “demandé” à la France d'intervenir.
Il ne s'agit que de la propagande destinée à alimenter l'idée que
l'intervention militaire a été décidée suite à la demande d'aide
du “peuple malien” !
Mais combien de temps sommes-nous censés croire que cette guerre
n'a rien à voir avec le fait que le Mali possède de l'or, de
l'uranium, du bauxite, du fer, du manganèse, de l'étain et du
cuivre ? Ou avec le fait que ce pays est voisin du Niger, la
source de plus d'un tiers de l'uranium utilisé dans les centrales
nucléaires françaises ?
La dure réalité est que cette escalade militaire dans le Sahel,
sous la bannière de la “guerre contre le terrorisme”, ne vise à
rien d'autre qu'à servir les intérêts impérialistes de la
France : garantir la poursuite du pillage des immenses
ressources de la région aux avantages de ses multinationales et de
ses institutions financières.
Les entreprises françaises ne sont pas les seules à avoir un
appétit croissant pour cette région du monde. Les investissements
directs chinois au Mali ont été multipliés par 300 entre les
années 1995 et 2008. Le Mali occupe effectivement, avec la
Zambie, l'Afrique du Sud et l'Égypte, le sommet de la
liste des pays africains où la Chine réalise ses plus gros
investissements.
Un rapport conjoint de l'office allemand des Affaires étrangères
et du ministère de la Défense montre qu'un budget de plus de
trois millions d'euros a été alloué aux activités allemandes
au Mali depuis le début de l'année 2009. Une dépense
supplémentaire de 3,3 millions d'euros est prévue pour les
années 2013 à 2016. De toute évidence, cette guerre
s'inscrit dans un contexte plus large de compétition entre les
différentes puissances afin d'étendre leur influence régionale et
de garantir leur accès à des ressources et des marchés importants.
La supériorité flagrante de l'armée française dans un pays sous-développé |
Vers un “Sahelistan” ?
Politiciens et commentateurs capitalistes ont averti du danger de l'instauration d'un “Sahelistan”, un paradis pour les groupes terroristes de la région du Sahel.
Bien entendu, aucun militant marxiste ou progressiste ne peut
éprouver la moindre sympathie pour les djihadistes d'Al-Qaïda et
d'autres groupes de ce type, dont l'idéologie et les méthodes
constituent un danger mortel pour le mouvement ouvrier et pour les
masses pauvres en général. Un lieu où les couples d'adolescents
risquent la mort par lapidation s'ils se tiennent la main en public
est une perspective épouvantable pour l'écrasante majorité des
travailleurs et des jeunes.
Ces groupes prétendent appliquer la volonté de Dieu, mais ne
sont pas exempts de contradictions. Ainsi, ces groupes suivent des
pratiques telles que l'amputation ou le fouettement de gens qui
fument des cigarettes, tout en étant eux-mêmes impliqués dans la
contrebande de cigarettes et de drogue. Pour certains de ces groupes,
l'idéologie religieuse n'est qu'une préoccupation de second ordre,
et parfois rien de plus qu'une simple couverture pour leurs activités
mafieuses.
Ces groupes réactionnaires ne sont que des champignons naissant
sur un organe pourri qui est incapable de fournir à la majorité de
la population, et surtout aux jeunes, un moyen d'aller de l'avant et
d'avoir une vie décente. La peur, le manque de moyens de survie,
l'absence de ressources financières, le besoin de protection, ou
tout simplement l'absence d'alternative intéressante pour lutter
contre la corruption des élites locales et les envahisseurs
étrangers sont autant de motivations pour rejoindre ces groupes. En
l'absence d'un mouvement fort et indépendant de la classe ouvrière
uni aux pauvres des villes et des campagnes, capable de se mobiliser
pour offrir une perspective et un programme de changement social et
politique, ces groupes armés peuvent continuer à exister et à se
développer.
Tout cela ne rend pas l'intervention militaire plus justifiable,
de même que cela n'enlève en rien la responsabilité des puissances
impérialistes bellicistes et de leurs marionnettes au pouvoir à
Bamako face à cette situation.
Les premiers rapports des frappes aériennes françaises contre
les villes de Gao et de Konna, la semaine dernière, faisaient état
d'entre 60 et 100 personnes tuées dans ces
deux villes, y compris des enfants déchiquetés par les bombes.
Les responsables militaires français ont eux-mêmes averti que des
dizaines de morts parmi les civils sont presque “inévitables”,
puisque les rebelles vivent parmi la population et utilisent une
tactique de guérilla pour se cacher.
Les méthodes de lutte “très démocratiques” des djihadistes maliens |
L'intervention militaire : une solution miracle ?
Tout cela jette de sérieux doutes sur l'objectif d'une brève campagne militaire de “quelques semaines”. Encore une fois, c'est une chose d'envahir un pays et d'engranger de premiers succès militaires, mais c'en est une autre de se retirer et de compter sur une armée faible, impopulaire, fragmentée et corrompue pour reprendre le contrôle d'un territoire immense sans s'en prendre à la moindre des causes de la situation sociale explosive qui prévaut. La comparaison avec le bourbier afghan vient légitimement à l'esprit : selon le dernier rapport du Pentagone sur les progrès des forces afghanes, à peine une seule des vingt-trois brigades de l'armée afghane est « capable de fonctionner sans aucune aide extérieure ».
Peter Chilson, des Affaires étrangères américaines, a
écrit : « Le
vaste désert du nord du Mali est un endroit difficile à vivre, sans
même parler de guerre. Pendant huit mois de l'année, la température
y dépasse 48°C pendant la journée, dans un pays vaste et peu
peuplé où il est facile de se cacher, surtout pour les forces
djihadistes qui connaissent bien le terrain. Toute armée, qu'importe
sa taille et son équipement, aura beaucoup de mal à les chasser ».
La France sera incapable d'éviter un engagement à long terme
avec ses propres forces militaires. Au fur et à mesure que le nombre
de blessés civils augmentera et que l'occupation occidentale et ses
abus réveilleront les amers souvenirs de la période coloniale,
cette intervention pourra précisément fertiliser le sol pour les
djihadistes et d'autres groupes réactionnaires et leur attirer de
nouveaux candidats pour participer à la “croisade contre le maitre
colonial”.
À mesure que se poursuivra le conflit et que ses dramatiques
conséquences seront exposées, l'atmosphère de relative acceptation
cèdera place au doute, à la réticence et à l'hostilité.
L'opposition va grandir et devenir plus audible. En France, les
illusions envers la politique étrangère du gouvernement soi-disant
“socialiste”, qui cherche à se faire passer pour
fondamentalement différent de celle de Sarkozy, aura du mal à se
maintenir. Toute l'idée défendue par François Hollande de la fin
de la “Françafrique” sera de plus en plus considérée pour ce
qu'elle est : une plaisanterie cynique.
Par ailleurs, ce qui s'est passé dans le sud de l'Algérie n'est
peut-être que le premier exemple d'une longue série d'effets
“boomerangs”. En conséquence de cette intervention, plusieurs
choses peuvent revenir à la face de l'impérialisme. Le chaos se
répand et les problèmes de la région vont s'accumuler.
L'armée française en terrain très hostile |
Socialisme ou barbarie
Un mouvement organisé sur une base de classe, qui lierait la
lutte contre la réaction fondamentaliste à un programme économique
audacieux visant à exproprier les grandes entreprises et les grandes
propriétés foncières ainsi qu'à résoudre les problèmes sociaux
et la corruption, pourrait rapidement obtenir un large soutien parmi
la population malienne.
Un tel mouvement pour l'égalité sociale devrait respecter les
revendications et les droits de toutes les minorités ethniques et
culturelles de la région afin de gagner en sympathie, dans le pays
comme sur la scène internationale.
La construction d'un tel mouvement de masse peut apparaître comme
une solution lointaine pour beaucoup de gens. Mais il s'agit du seul
moyen de sortir de ce cauchemar grandissant. Le système capitaliste
a montré à maintes reprises, partout sur le continent africain et
au-delà, que le seul avenir qu'il a à offrir est de plonger la
majorité de la population dans un cycle de barbarie, de crise
économique, de guerre et de misère.
L'intervention est globalement soutenue par la population… jusqu'à quand ? |
- Non à l'intervention impérialiste dans le Nord du Mali ! Retrait des troupes étrangères du Mali – retrait des troupes françaises du Sénégal, de Côte d'Ivoire, du Burkina Faso, du Tchad…
- Non à l'État d'urgence, pour le rétablissement de toutes les libertés démocratiques au Mali !
- Pour la construction de comités de défense multi-ethniques démocratiquement organisés par la population malienne afin de chasser toutes les milices réactionnaires, mais aussi de résister à toute tentative d'occupation néocoloniale militaire du Nord !
- Pour l'autodétermination des Touaregs ! Tous les peuples du Sahel et du Sahara, ainsi que tous les peuples au sein de chaque pays, doivent avoir l'égalité des droits, et pouvoir décider eux-mêmes de leur propre avenir !
- Les richesses du Mali appartiennent au peuple malien ! Pour le contrôle et la gestion démocratique des grandes propriétés foncières, de l’Office du Niger, des mines et des secteurs stratégiques de l'économie malienne par les travailleurs et les pauvres, et non pas par des gestionnaires corrompus ! Pour la nationalisation des secteurs-clés de l’économie sous contrôle démocratique !
- Pour le financement d'un plan de développement économique basé sur les besoins des masses maliennes et contrôlé par elles !
- À bas le régime de Bamako ! Pour un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres, afin de commencer la mise en œuvre de politiques socialistes pour développer le pays, sur base de la lutte commune des masse, organisée démocratiquement à la base.
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