vendredi 6 mars 2015

Monde : Rapport de la réunion du Comité exécutif international du CIO (7)

La question nationale – un trait crucial de la crise politique du capitalisme





Une solution socialiste à l'oppression nationale

Matt Dobson, Parti socialiste en Écosse (CIO en Écosse)

Notre camarade Philip Stott du Parti socialiste écossais a introduit la session sur la question nationale pendant la réunion de décembre 2014 du Comité exécutif international du CIO. Philip a souligné le fait que la question nationale constitue un trait crucial de la crise politique du capitalisme partout dans le monde. Cette question est revenue en tête du débat dans de nombreux pays capitalistes avancés ainsi que dans le monde néocolonial.

Ce document constitue la dernière partie du rapport de la réunion du CEI de 2014. Les autres documents sont disponibles en suivant ce lien : CEI 2014


Philip a parlé du référendum sur l'indépendance de l'Écosse au cours duquel 1,6 millions de personnes ont voté « Oui » à l'indépendance en septembre. Le vote pour l'indépendance était l'expression d'une politicisation de masse et de la mobilisation de la couche la plus radicale des travailleurs et des jeunes en révolte contre l'austérité. Il a expliqué le rôle très important joué par le CIO en Écosse par la diffusion d'idées socialistes dans la campagne du référendum aux côtés du célèbre dirigeant socialiste Tommy Sheridan. 

Plus de 30 000 personnes ont participé aux meetings pour une indépendance socialiste de l'Écosse. Nous sommes également intervenus lors de mobilisations de masse pour le « Oui » au cours des jours qui ont précédé le référendum. On a vu se développer une forte polarisation de classe pendant le référendum : la majorité des grands patrons, des banques, des principaux partis politiques et même des dirigeants mondiaux comme Obama et le pape se sont ligués dans une campagne d'intimidation pour le « Non » à l'indépendance, menaçant d'un effondrement économique. Malgré la victoire du « Non », on voit que la majorité des zones qui ont voté « Oui » sont des quartiers urbains prolétaires, ce qui montre que les travailleurs et les jeunes qui aspiraient à un changement fondamental de leurs conditions de vie et espéraient obtenir un tel changement grâce à l'indépendance ont refusé de se laisser effrayer par la propagande.

Cette politisation était bien plus à gauche que le Parti national écossais (SNP, Scottish National Party) et les autres dirigeants officiels de la campagne pour le « Oui ». Dans les quelques heures et jours qui ont suivi le référendum, des dizaines de milliers de gens se sont empressés de rejoindre différents partis afin de s'organiser politiquement. Le Parti socialiste en Écosse a immédiatement appelé à la création d'un nouveau parti des travailleurs avec une politique socialiste et des militants comme Tommy Sheridan à sa tête. Si cet appel avait reçu une réponse favorable, des milliers de personnes auraient immédiatement rejoint. Malheureusement, Tommy a préféré appeler à voter pour le SNP, qui même s'il est le « perdant » du référendum, est en réalité devenu le « gagnant » car il a gagné des dizaines de milliers de nouveau membres.

Après le référendum, la classe capitaliste britannique a été forcée de concéder plus de pouvoirs de décision budgétaire à l'Écosse. En conséquence, partout au Royaume-Uni – au pays de Galles, en Irlande du Nord, dans les grandes villes et régions d'Angleterre –, des voix s'élèvent pour réclamer une décentralisation économique. Il se pourrait même qu'un nouveau référendum soit organisé dans quelques années, surtout si le SNP continue à progresser sur le plan électoral.

Le Royaume-Uni qui était à un moment le plus grand empire jamais vu sur Terre est en plein décomposition. Il n'est pas le seul d'ailleurs, car après une période de calme, la question nationale a refait surface dans des pays comme l'Espagne, où la « consultation populaire » du mois de novembre, organisée par les forces proindépendances en Catalogne, a elle aussi suscité des mobilisations de masse.

Un programme marxiste


Phili a rappelé l'approche des marxistes concernant la question nationale. Il ne faut pas voir la question nationale comme un processus statique, pour lequel il est possible de trouver des formules et revendications toutes faites valables une bonne fois pour toutes et dans tous les cas. Car certains conflits peuvent être extrêmement complexes et leur importance ou perception se modifier au fil du temps. Nous nous devons de définir un programme qui prenne en compte la lutte démocratique pour plus de droits tout en assurant l'unité la plus grande possible de tous les travailleurs. Ce faisant, les marxistes doivent prendre en compte les revirements dans la perception et la conscience de la classe des travailleurs ainsi que la réalité concrète de la situation. Cette approche a permis au CIO partout dans le monde d'adapter son programme sur la question nationale dans différents pays afin de réagir à l'évolution politique et aux changements dans la conscience.

Lors du référendum sur l'indépendance de l'Écosse de 1979, le soutien à l'indépendance était limité à une petite minorité. La majorité de la population soutenait plutôt l'idée d'une Écosse dotée d'une plus grande autonomie et de son propre parlement. Le CIO soutenait ces revendications à l'époque, sans pour autant appeler à l'indépendance. Mais à la fin des années '1990, au moment de la création du parlement écossais, il est devenu clair qu'une large couche des travailleurs et des jeunes les plus radicalisés allaient être frustrés par les limites de l'action parlementaire et allaient de plus en plus accepter l'idée d'une indépendance. Par conséquent, prenant en compte ce revirement, le CIO a commencé à mettre en avant l'idée d'une Écosse socialiste indépendante qui pourrait faire partie d'une confédération socialiste volontaire d'Écosse, d'Angleterre, du pays de Galles et d'Irlande, dans le cadre de la lutte pour une Europe socialiste.

Les marxistes se sont opposés à la création de l'État d'Israël en 1948, car cet État a été créé au prix du déguerpissement brutal des Palestiniens que l'on a chassé de leurs foyers et de leur terre. À ce moment, il était plus raisonnable d'appeler à une Palestine socialiste unie, dans laquelle toutes les minorités seraient libres de s'installer et vivre. Mais 70 ans plus tard, dans le contexte d'un violent conflit qui ne semble pas avoir de fin, une conscience nationale israélienne s'est développée, tandis que de plus en plus de Palestiniens souhaitent voir reconnu leur propre État. Les forces du CIO en Israël/Palestine ont pris en compte cette réalité et appellent donc à la formation d'une Palestine socialiste et d'un Israël socialiste tous deux indépendants et qui pourraient rejoindre une confédération socialiste volontaire de tout le Moyen-Orient.

La conscience de la classe prolétaire


On trouve un autre exemple de la flexibilité de notre approche avec la manière dont nous nous sommes positionnés par rapport à l'Irlande du Nord (qui appartient toujours au Royaume-Uni même si le reste de l'Irlande est indépendante depuis presque cent ans), prenant en compte la conscience de l'ensemble de la classe des travailleurs. La revendication d'une Irlande socialiste unifiée était un obstacle qui nous empêchait d'entrer en contact avec les travailleurs protestants (probritanniques), qui craignent de se retrouver en minorité en cas de réunification avec l'Irlande indépendante à majorité catholique et qui plus est, moins développée. Tout en appelant à une Irlande socialiste et en luttant pour l'unité des travailleurs, il nous faut donc à chaque fois, dans la discussion et dans le cadre de notre programme détaillé, rappeler la nécessaire défense des droits des minorités et la possibilité d'une autonomie pour la population protestante si elle le désire, dans le cadre d'une Irlande socialiste. Ce n'est qu'ainsi que l'on peut aujourd'hui se faire entendre des travailleurs protestants relativement privilégiés en Irlande du Nord tout en conservant aussi l'attention des travailleurs catholiques soumis à la discrimination et à la répression en Irlande du Nord et dont la plupart rêvent d'une unification de toute l'Irlande.

Philip a conclu en rappelant la différence entre le nationalisme bourgeois et le nationalisme des opprimés. Le nationalisme bourgeois est le rêve d'une élite régionale de gagner plus de puissance, de richesse et d'influence par l'exploitation des travailleurs et des pauvres de son propre territoire (bien souvent en semant la divison parmi ces travailleurs et ces pauvres). Le nationalisme des opprimés est ce que le révolutionnaire russe Trotsky décrivait comme « la coquille immature du bolchévisme », un désir d'échapper à l'austérité, à la guerre et de changer la société.

La discussion sur la question nationale qui a suivi l'introduction de Philip a été extrêmement enrichissante et a touché la situation dans de nombreux pays tels que la Belgique, le Chili, la Chypre, l'Écosse, l'Espagne, Hong Kong, l'Irlande, Israël/Palestine, la Pologne, la Russie, le Sri Lanka et la Turquie.

Le flux et reflux de la lutte des classes


Un thème important de la discussion a été le fait que la question nationale peut émerger puis temporairement disparaitre en fonction de l'intensification de la lutte des classes. En Belgique, les partis nationalistes flamands tentent de forcer l'austérité en divisant les travailleurs flamands et francophones, mais ont reçu en guise de réponse une opposition féroce sous la forme d'une grève générale de masse unie et suivie à travers tout le pays, accompagnée de manifestations de masse au cours desquelles on voit travailleurs flamands et francophones marcher ensemble.

La question nationale est un trait constant de la lutte des classes en Espagne. La sécession de la Catalogne serait une catastrophe pour le capitalisme espagnol, car cette région compte pour un quart du PIB du pays. C'est pourquoi l'État espagnol refuse toute idée de référendum touchant à l'indépendance de la Catalogne. Mais la « consultation » du mois de novembre et les élections catalanes de l'année passée ont également révélé des divergences de classes au sein du mouvement pour l'indépendance.

Tout comme pendant les années '1930, le développement d'un processus révolutionnaire en Espagne sera étroitement lié à la question nationale. Il est donc très important pour les socialistes de formuler un programme correct à ce niveau.

Tout comme en Écosse et en Catalogne où on a vu une radicalisation politique de masse s'exprimer via la question nationale, les forces du CIO interviennent dans des pays en prise à des conflits difficiles qui peuvent constituer une complication constante pour le développement de la lutte des classes.

Les camarades d'Israël/Palestine et d'Irlande du Nord ont donné des exemples de la manière dont des disputes liées au territoire, comme le mont du Temple à Jérusalem ou le  « droit de marche » en Irlande du Nord, peuvent enflammer les tensions et diviser les travailleurs et les jeunes. Le rôle des socialistes est de mettre en avant un programme qui équilibre la défense des droits démocratiques pour tous (droit de prière, droit de réunion, etc.) avec la lutte pour les droits de la classe des travailleurs dans son ensemble à ne pas se voir plonger dans un conflit violent.

Le rôle des socialistes est également de répondre aux idées et aux attitudes chauvines et réactionnaires au sein de la classe prolétaire. Les camarades du CIO au Sri Lanka sont la seule force dans le pays qui défende les droits des Tamouls et de toutes les minorités du pays contre le chauvinisme cingalais encouragé par le régime Rajapakse, tout en appelant à l'unité des travailleurs contre les politiciens réactionnaires et les patrons.

L'approche des bolchéviks


Niall Mulholland, du Secrétariat international du CIO, a conclu la discussion en rappelant l'exemple de la révolution russe. L'approche adoptée par les bolchéviks quant à la question nationale a été un facteur crucial qui leur a permis de mener la classe prolétaire à la conquête du pouvoir tout en renversant un empire qui était une « prison des nationalités ». Il est impossible de construire un mouvement socialiste international sans conserver une approche correcte sur la question nationale.

Dans la conclusion de Niall et au cours de l'excellente discussion, nous nous sommes aussi penchés sur les erreurs monumentales commises par d'autres organisations de gauche en ce qui concerne la question nationale. Le CIO se bat pour les pleins droits de toutes les minorités nationales et de tous les opprimés, et cherche à adopter une méthode de lutte prolétaire capable d'unifier l'ensemble de la classe. Mais certains groupes gauchistes ont par exemple accordé leur soutien total à la campagne de terrorisme individuel menée par l'IRA (Armée républicaine irlandaise, organisation militante patriotique qui recourt à la lutte armée pour l'unification de toute l'Irlande). Pourtant, le terrorisme de l'IRA n'a fait qu'approfondir les divisions sectaires entre protestants et catholiques et a en fait nui à l'objectif de l'unification du pays. Comme dans toute lutte, la classe prolétaire, qui inclut les nationalités opprimées, a besoin de ses propres forces indépendantes de lutte pour ses intérêts, ce qui inclut des partis et des syndicats.

Dans des conflits tels que la Syrie et l'Est de l'Ukraine, il est nécessaire de mettre en avant l'idée de comités d'autodéfense unifiés de toutes les différentes communautés afin de protéger les quartiers prolétaires et de jouer un rôle dans la construction d'une lutte de masse pour les intérêts de la classe des travailleurs et des pauvres.

Le CIO a une approche unique et une histoire inégalée en ce qui concerne la question nationale. Cela contraste fortement avec des organisations telles que la Tendance marxiste internationale (TMI) qui a tout récemment brusquement changé sa position par rapport à l'Écosse. À la suite du résultat du scrutin, malgré le fait qu'elle appelait à voter « Non » à l'indépendance de l'Écosse en septembre, la TMI a maintenant rejoint le Parti socialiste écossais (SSP, Scottish Socialist Party, à ne pas confondre avec le « Parti socialiste en Écosse » ou Socialist Party Scotland, qui est la section écossaise du CIO).


Ce n'est qu'en discutant la question nationale de manière honnête et ouverte sur base des idées marxistes et de l'expérience historique, en tenant compte des revirements de circonstances et de l'évolution de la conscience des travailleurs, etc., que nous pourrons offrir aux travailleurs et aux jeunes un programme pour un changement fondamental.



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