mercredi 11 mars 2015

Nigeria : journée de la femme

Prises entre deux feux



L'insurrection de Boko Haram met en relief la vulnérabilité des femmes et des filles du Nigeria

H.T Soweto


Cela fait deux ans que le cas de la « Sodomie d'Ejigbo » a mis en relief l'inégalité entre les genres et la violence sans nom à laquelle est soumise le genre féminin dans le pays patriarcal qu'est le Nigeria. Cette affaire a mis en scène trois femmes du quartier Ejigbo de Lagos qui, accusées d'avoir volé du poivre, ont été horriblement molestées par la foule, causant la mort d'une d'entre elles et de son enfant.

Cependant, malgré la triste réalité du Nigeria, il n'y a sans doute rien de plus choquant et de plus brutal que la condition de vulnérabilité des femmes et filles face à l'insurrection du Boko Haram qui dure depuis maintenant six horribles années. C'est dans la nuit du 14 au 15 avril que 276 élèves ont été enlevées du lycée publique de la petite ville de Chibok, dans l'État de Borno (nord-est du pays) par le célèbre groupe islamiste terroriste Boko Haram. Ces filles ont été visées afin de démontrer et affirmer l'opposition de Boko Haram à l'enseignement formel « à l'occidentale » et en particulier à l'éducation des jeunes filles. Plus d'un an après cet enlèvement, aucune de ces filles n'a été retrouvée. Pendant ce temps, elles ont certainement été soumises aux traitement les plus inhumains, y compris le viol, le mariage forcé et l'endoctrinement. 

Mais les horribles conséquences de la rébellion de Boko Haram vont bien au-delà du destin des jeunes filles de Chibok. On trouve à présent plus de 3 millions de réfugiés éparpillés partout au Nigeria et dans les pays avoisinants, dont une très grand partie sont des enfants et des femmes. Certaines de ces femmes ont perdu leur mari et toutes leurs économies ainsi que toute source de revenus. Elles vivent dans des camps de réfugiés, dans des conditions insalubres avec de piètres logements et doivent endurer des conditions de vie atroces.

Les lycéennes enlevées par Boko Haram et mariées de force à des djihadistes

Cette année, à l'occasion de la journée internationale des femmes, le destin des femmes et des enfants pris au piège des conflits ainsi que des femmes confrontées à toutes formes de violences et de discriminations basées sur leur genre devrait nous indigner et réveiller notre volonté de lutter pour une meilleure société. Le thème de la journée internationale des femmes pour cette année, tel qu'annoncé par les Nations-Unies, est « Autonomisation des femmes – autonomisation de l'humanité : imaginez ! » Tout comme l'année passée et les années précédentes, on voit défiler les politiciens, les chefs d'entreprise, les responsables d'ONG pour nous faire de beaux discours et de belles promesses visant selon eux à améliorer la condition des femmes. Quelques accomplissements à court terme, quelques mesurettes symboliques, sont présentées afin de nous “prouver” que le monde, cette année à nouveau, s'est avancé un peu plus vers l'égalité entre les genres. 

Malheureusement, non seulement ce n'est pas vrai, mais comme d'habitude, aucune des promesses qui sortiront de la “fête des femmes” de cette année ne toucheront ni de près ni de loin aux causes fondamentales de l'inégalité des genres dans la société. Les Nations-Unies ne sont jamais qu'une association d'États qui tous défendent le même système capitaliste qui engendre et renforce l'inégalité et la violence contre les femmes. Par conséquent, cette organisation est la moins bien outillée pour résoudre les problèmes des femmes et des filles.

Les femmes constituent la moitié de la population mondiale. Dans leur lutte quotidienne pour défendre leurs familles et prester un travail, les femmes ne font certainement à aucun moment la connaissance de l'“autonomisation” dont leur parlent les politiciens. Ce qui domine dans le tableau de la condition des femmes, c'est plutôt la discrimination, l'humiliation, et l'absence de toute autonomie. En Inde et dans de nombreux pays d'Afrique, les viols sont devenus une véritable épidémie. De même, la violence domestique ne fait que croitre parallèlement à la gravité de la crise économique du capitalisme qui a démarré en 2008 et à l'aggravation des conditions de vie de la classe des travailleurs et des classes moyennes depuis lors.

Les actions de l'élite capitaliste pour remédier à l'oppression des femmes :
« Réunion préparatoire ministériale panafricaine en vue de la 57ème session
de la commission des Nations-Unies sur la condition des femmes »
Avec la ministre des Affaires étrangères nigériane, Mme Onwuliri

Ce qui est particulièrement tragique dans la guerre antiterroriste au nord-est du Nigeria est le fait que les femmes se retrouvent piégées dans un conflit entre deux camps (Boko Haram et de l'État capitaliste nigérian) qui sont tous deux adeptes des idées les plus horribles et les plus rétrogrades concernant le rôle des femmes dans la société. D'un côté, les rebelles du Boko Haram désirent la mise en place d'un régime réactionnaire soumis à leur version de la charia dans lequel les femmes ne seront rien d'autre qu'un objet de satisfaction du plaisir de leur mari, devant rester voilées et dont l'horizon devra se limiter à la cuisine et à la cour de leur mari ; de l'autre, le système capitaliste contraint les femmes à une double exploitation en tant qu'objet à exploiter pour produire du profit mais aussi en tant que victime de relations patriarcales arriérées.

Le patriarcat est une relation sociale qui affirme la dominance et la supériorité de l'homme en toutes choses, y compris dans la famille, à l'école, sur le lieu de travail et dans la société en général. Bien que le patriarcat ait déjà été présent dans les sociétés précapitalistes du Nigeria, les décennies de pillage colonial des richesses du Nigeria et l'implantation du système d'exploitation capitaliste ont grandement contribué à renforcer la barbarie dans les relations sociales, surtout lorsqu'on parle d'inégalités entre les genres. 

Le capitalisme exploite évidemment l'ensemble des travailleurs, hommes comme femmes, mais les femmes sont plus exploitées encore. Tout d'abord via la somme de travail non payé que les femmes, en tant que filles ou en tant qu'épouses, sont censées prester pour la famille : cuisine, nettoyage, lessive, vaisselle, soins aux personnes malades et aux personnes âgées dans la famille, etc. Cela libère la classe dominante qui ne se sent par conséquent pas responsable pour l'ensemble de ces services qui devraient être organisés par la société mais qui ont un cout certain. 

Le fait que les femmes soient celles qui exécutent l'ensemble de ce travail est justifié par les normes sociales patriarcales : les coutumes, la culture… autant d'institutions conçues pour avantager les hommes, considérés comme les “gagne-pains” de la famille. Par exemple, il est difficile de faire pression sur le gouvernement pour le forcer à mettre en place des maisons de retraite publiques pour les personnes âgées, parce que ce travail est déjà accompli gratuitement par les femmes dans des millions de foyers partout dans le pays.

Enchainées au travail domestique, les femmes se retrouvent incapables d'avoir du temps libre pour leur développement personnel, pour se construire une carrière, avoir des loisirs, s'impliquer dans des activités politiques ou tout simplement se reposer, prendre des vacances loin des responsabilités familiales. Ainsi, la norme défendue par la culture patriarcale en ce qui concerne le modèle de femme, épouse ou mère laborieuse et prospère à suivre par toutes les autres femmes, est une femme dont les seuls buts dans la vie sont la satisfaction du bonheur de son mari et prendre soin de sa famille. C'est ce qu'on appelle des « valeurs familiales ». Toute remise en question de ces valeurs est considérée comme tabou.

Mais un changement d'attitude parmi les femmes et de nombreuses pressions économiques poussent de plus en plus de femmes à chercher un travail en-dehors du foyer – qu'il s'agisse d'un emploi salarié, d'un petit commerce ou d'un champ à cultiver. Cela ne veut pas dire que les femmes se libèrent de l'exploitation – au contraire, elles se retrouvent doublement exploitées. La discrimination spécifique auxquelles sont confrontées les femmes dans les entreprises se traduit par de moins bons salaires et des conditions de travail différentes par rapport aux hommes, pour le même travail. Il y a également des discriminations au niveau des promotions, etc. C'est sans tenir compte des femmes travailleuses qui sont parents uniques. 

En plus de tout cela, on voit le manque d'infrastructures sociales indispensables telles que des crèches sur les lieux de travail, afin de permettre aux femmes de jouer leur rôle de mère tout en étant au travail. Cela veut dire que les mères se retrouvent contraintes de faire la navette entre la crèche et leur entreprise chaque jour, malgré de longues distances. Cela signifie qu'il est très difficile pour une femme travailleuse de donner naissance, et force de nombreuses femmes à choisir leur famille au détriment de leur carrière. Bien entendu, en perdant sa source de revenus, la femme perd en même temps sa seule source d'indépendance par rapport à la famille. Elle est alors réduite à une situation dans laquelle elle dépend entièrement de son mari pour tous ses besoins de base, ce qui prépare le terrain pour une relation abusive dans laquelle la femme sert de paillasson à son mari.

Dans les écoles aussi, on voit une telle situation, où c'est la société qui empêche les femmes de progresser. Dans un rapport du journal the Guardian du jeudi 5 mars 2015, il a été révélé que le manque de toilettes dans les écoles nuit à l'éducation des jeunes filles. Selon M. Jide Dada, responsable du bureau national de la santé en milieu scolaire pour le programme Assainissement, hygiène et eau au Nigeria, la plupart des élèves féminines préfèrent rester à la maison pendant leurs menstrues, vue le manque de toilettes correctes dans leurs écoles. On estime que cela est la première cause d'absentéisme à l'école dans le nord du pays. Au Nigeria, plus de 10 millions d'enfants ne vont pas à l'école, dont la grande majorité sont des filles.

Les mauvaises conditions d'apprentissage découragent les filles d'aller à l'école

On ne peut envisager le moindre espoir d'une libération, ni même d'une amélioration des conditions de vie des femmes du Nigeria, sans le démantèlement complet des relations patriarcales et du système capitaliste. Cela veut dire que le mouvement syndical doit prendre ces enjeux plus à cœur pour lutter contre l'inégalité de genre, y compris contre l'exploitation des femmes dans les foyers et dans les entreprises. Malheureusement, la section féminine du mouvement syndical du Nigeria a été transformée en une ONG qui ne joue aucun rôle (ou si peu) dans la vie de la femme travailleuse moyenne. Il faut changer ça. 

En particulier, le Congrès des travailleurs du Nigeria et le Congrès syndical doivent utiliser cette journée internationale des femmes pour lancer une campagne pour faire cesser la discrimination de genre dans les foyers et dans les entreprises, pour mettre un terme aux viols, au harcèlement sexuel et à la violence domestique, et lutter pour faire progresser les droits reproductifs des femmes. Cette campagne doit inclure des conférences, des meetings et des grèves dans les usines et ateliers où les femmes sont soumises aux pires conditions de travail pour un maigre salaire, par des employeurs privés qui n'obéissent que rarement au code du travail. Le mouvement syndical doit insister sur le fait que les conditions minimums ne doivent pas seulement concerner le salaire minimum mais doivent aussi fixer des obligations en tant que conditions de travail et infrastructures pour aider les employées féminines.

Tout comme le racisme, la discrimination de genre a un objectif économique et politique. En renforçant les relations patriarcales, le capitalisme est capable d'exploiter le travail des femmes de manière gratuite dans la plupart des cas. Il nous faut une nouvelle société meilleure, qui remette les femmes à la place qui leur revient de droit : aux côtés des hommes en tant qu'égales. Nous ne parlons donc ici pas seulement du nombre de femmes qui détiennent des postes de responsables, mais du nombre de femmes qui sont réellement indépendantes, pleinement éduquées, qui bénéficient d'un salaire qui leur permet de gagner leur vie et qui sont libres de toute discrimination de genre et de toute oppression quelle qu'en soit la forme.

Les socialistes participent à la campagne contre l'oppression des femmes et cherchent à mobiliser les femmes dans la lutte. Plus les femmes seront impliquées elles-mêmes dans la lutte pour leurs propres revendications et dans la lutte pour les revendications globales des syndicats, plus rapidement nous pourront construire un mouvement capable de pleinement libérer les femmes en rompant avec le capitalisme et en faisant aboutir un système socialiste qui garantira que les richesses du Nigeria seront utilisées de manière démocratique et raisonnée afin de satisfaire aux besoins des grandes masses, hommes ou femmes. 

Des conditions intolérables dans un pays qui est pourtant
un des plus grands exportateurs de pétrole

En appelant à un tel programme, nous voulons aussi rappeler les racines socialistes de la journée internationale des femmes. La première journée des femmes a été organisée en 1909 par les socialistes newyorkais pour célébrer une grève des ouvrières du textile qui avait eu lieu l'année précédente. C'est ce qui a mené à la conférence internationale des femmes socialistes en 1910 qui ont appelé à une “journée internationale des femmes” afin de réclamer l'égalité de droit ; l'année suivante, en 1911, on a vu des manifestations simultanées être organisées dans plusieurs pays européens. Un peu plus tard, la révolution russe de 1917 a démarré par une grève et une manifestation des femmes travailleuses le jour de la journée internationale des femmes. C'est en commémoration de cet évènement que cette journée de contestation s'est répandue partout dans le monde.

Comme les femmes sont devenues plus actives dans leurs revendications démocratiques et qu'elles ont commencé à participer de plus en plus aux luttes globales, on a vu des tentatives d'enterrer les origines socialistes de la journée internationale des femmes et de présenter la lutte des femmes comme n'ayant rien à voir avec le capitalisme.


Le DSM, Mouvement socialiste démocratique du Nigeria, rejette fermement cette séparation artificielle. L'oppression des femmes tire en effet ses racines de l'histoire de la société de classe – qui se maintient aujourd'hui avec le capitalisme. C'est pourquoi nous sommes opposés aux idées réactionnaires de Boko Haram quant au rôle des femmes, autant que nous sommes opposés au système capitaliste actuel qui fait des femmes des citoyens de seconde zone. Au final, la lutte pour le socialisme est impossible sans le réveil des femmes travailleuses à la lutte de masse – de ces mêmes femmes qui composent la moitié de la population mondiale. Le DSM se bat pour un Nigeria socialiste, lié à une confédération socialiste panafricaine et mondiale, qui sera bâtie par les hommes et les femmes de la classe des travailleurs, unis dans une lutte commune contre le patriarcat et le capitalisme.

La présidente de « Debout les femmes » pendant la grande grève
de janvier 2012 contre l'augmentation du prix de l'essence


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