Rapport de l'école d'été du CIO : Bilan de la situation en Chine
Ces derniers mois, le
développement des contradictions s’est fortement accéléré en
Chine, tant sur le plan économique que politique. La Chine, qui
semblait être “l’usine du monde à croissance sans fin” il y a
quelques années, s’apparente de plus en plus à un Concorde qui
tomberait en panne en plein vol.
Par notre camarade
Baptiste du Parti socialiste de lutte/Linkse Socialistische Partij
(section belge du CIO)
Au cours du 2e
trimestre de l’année 2013, la croissance annuelle du PIB
chinois a encore diminué pour arriver à 7,5 % selon les
chiffres officiels du gouvernement chinois. Il s’agit des plus
mauvais chiffres de croissance depuis plus de 15 ans. Selon
certains commentateurs, ces chiffres sont gonflés et la réalité
serait bien plus proche d’une stagnation. Mais même en se fiant
aux chiffres officiels, il apparait clairement que la Chine est
entrée dans une situation de crise économique inédite, aussi bien
du fait de ses caractéristiques que de son ampleur.
Durant la décennie
de présidence de Hu Jintao (2002-2012), la croissance annuelle
du PIB a été en moyenne de 10,6 %, principalement basée sur
les exportations vers les pays à forte consommation, États-Unis en
tête. Mais aussi importante ait-elle été, cette croissance était
complètement déséquilibrée puisqu’aucun marché intérieur
permettant un développement de la consommation n’a été
développé, conséquence directe d’un taux d’exploitation
paradisiaque pour les patrons. La consommation en Chine équivaut
aujourd’hui à environ 30 % du PIB, alors qu'aux États-Unis
ou en Europe, elle représente 70 % du PIB.
Les travailleurs
n’ont pas profité des fruits de l’expansion économique, ils
n’en ont vu que l’exploitation. Au final, c’est même l’inverse
du développement d’un marché interne qui a eu lieu : la
croissance s’est accompagnée de l’amplification des inégalités,
avec d’un côté l’apparition de “princes” dans les sphères
du business et, de l’autre, la précarisation des conditions de vie
pour les travailleurs. Lorsque Hu Jintao est arrivé au pouvoir
en 2002, il n’y avait en Chine aucun milliardaire en
dollars. Aujourd’hui, ces milliardaires sont 251, et ce alors
qu’environ 500 millions de Chinois vivent avec moins de
1000 francs par jour et sans accès à l’eau potable.
Les travailleurs chinois n'ont que très peu profité de la croissance du pays |
Au secours de l’économie mondiale ?
La condition
indispensable à l’expansion économique de la Chine était donc la
croissance des États-Unis et des pays de l’UE principalement. En
aucun cas la Chine ne remplissait les conditions pour devenir “la
nouvelle locomotive” de l’économie mondiale, que ce soit seule
ou accompagnée d’autres puissances émergentes.
Non seulement la
Chine n’a pas été le sauveur de l’économie mondiale, mais elle
subit aussi les effets de la crise capitaliste, ce qui est logique
pour une économie aussi dépendante des exportations. Lorsque la
récession mondiale a pris place dans la foulée de la crise
financière aux États-Unis et en Europe en 2008, la Chine a
tenté de maintenir sa croissance en dopant l’économie avec un
plan de relance d’un montant de 586 milliards de dollars.
L'appareil ne s'attendait bien sûr à aucun effet pervers, vu que
toute l’économie, officiellement planifiée, est considérée
comme étant sous contrôle.
Ce plan de relance,
même s’il a maintenu la croissance en Chine quelques années de
plus, n’a évidemment pas créé de toute pièce un marché
intérieur mais a surtout eu pour effet d’exacerber les travers de
l’économie chinoise. Par exemple, l’ensemble des crédits a
atteint aujourd’hui un montant de 23 000 milliards
de dollars (soit 2,5 fois le PIB national ! ou… 1000 fois
le PIB ivoirien !) contre 9000 milliards de dollars
en 2008. Un tel développement, aussi rapide et à une échelle
si large, est du jamais vu dans l’histoire économique de
l'humanité, tout comme le montant actuel des intérêts consécutifs
à ces créances : 1000 milliards de dollars !
Une dette de plus en plus étouffante… à l'image de l'air à Pékin |
Bulle immobilière gonflée sur fond de dettes : un cocktail explosif pourtant bien connu…
Le plan de relance a
permis de maintenir une croissance apparente de l’économie en
poussant les gouvernements locaux à s’endetter pour investir
massivement notamment dans l’infrastructure. À défaut d’un
marché interne capable de soutenir une économie de consommation,
ces investissements ont surtout permis la construction
d’infrastructures aussi pharaoniques qu’inadaptées.
Régulièrement, des
exemples absurdes sont exposés dans la presse internationale, comme
la construction de villes d’une capacité d’accueil de
300 000 habitants mais ne comptant pas un habitant
effectif, ou encore la construction d’hôtels de ville mégalos
dans de petites villes de province.
“Investissement
dans l’infrastructure” est en réalité un bien beau terme pour
parler d’argent gaspillé dans les projets de prestige et dans la
spéculation immobilière. En 2008, la situation dans
l’immobilier n’était déjà plus sous contrôle : le prix
de l’immobilier avait quadruplé par rapport à 2004.
Aujourd’hui, la situation est telle qu’environ un logement sur
deux est inhabité, ce qui fait dire à de nombreux commentateurs
qu’il s’agit de la plus grande bulle immobilière de l’histoire
du capitalisme.
Des villes entières dans lesquelles personne n'habite… le fruit de la “croissance” chinoise (et du gaspillage inhérent au capitalisme) |
Le plan de relance a précipité une crise bancaire
Cette explosion du
crédit signifie mécaniquement une explosion des dettes dans
l’économie chinoise. Une explosion au sens propre du terme,
puisque les dirigeants chinois ont perdu le contrôle sur le système
financier du pays avec l’émergence de la “finance de l’ombre”
(shadow banking) : il s’agit d’un système parallèle de
banques, illégales, qui interviennent dans l’économie pour
octroyer des crédits à des personnes, entreprises et gouvernements
locaux qui n’ont plus rien de solvable, étant donné la montagne
de dettes qui vient d’être générée. Et de sorte à pousser le
vice à l’extrême, la titrisation est évidemment de mise dans ces
banques.
Ce phénomène est un
symptôme illustratif du chaos au-dessus duquel se retrouve
l’économie chinoise, et une série d’économistes n’hésitent
plus à faire la comparaison avec la bulle des “subprimes” juste
avant son explosion. Le point de rupture tend de plus en plus à
apparaitre, comme le 30 juin dernier, lorsque 244 milliards
de dollars de crédits arrivaient à échéance le même jour et
devaient être renouvelés. Les négociations n’ont pas tardé à
tourner à la panique, mettant en scène un début de crash sur les
marchés du crédit.
On estime que les
montants prêtés par les banques fantômes représentent 50 %
des nouveaux crédits octroyés en Chine durant l’année 2012,
et qu’au total cela représenterait aujourd’hui un montant de
4700 milliards de dollars, soit 55 % du PIB de la
Chine ! Les gouvernements locaux représentant la majorité des
dépenses publiques ; elles portent sur leurs épaules une
grosse partie de ces dettes. La perte de contrôle par le
gouvernement central est totale : en atteste l’audit lancé
fin juillet par la Cour des comptes chinoise auprès des pouvoir
locaux, de sorte à pouvoir faire une estimation plus concrète de
l’ampleur des dégâts. Selon le FMI, la dette publique de la
Chine, tous niveaux de pouvoir confondus, aurait atteint aujourd’hui
45 % du PIB (officiellement ; la Chine défend quant à
elle le chiffre de 22 %). Comparativement, il y a 20 ans,
cette dette publique n’existait pas.
Un autre concept typique de la Chine actuelle : le super centre commercial géant hyper moderne mais… désespérément vide |
Vers une période de réformes économiques ?
C’est dans ce
contexte que le gouvernement du nouveau président Xi Jinping a
annoncé vouloir mettre en place une série de réformes économiques.
Ces réformes sont sans surprise pro-capitalistes, et visent
principalement à assainir le secteur financier (quitte à procéder
à des mises en faillites ciblées), augmenter la part des
investissements privés dans l’économie et développer la
consommation intérieure. La stratégie défendue est de poser
l’économie chinoise sur les rails d’une croissance plus modérée
mais plus saine. Bref, en apparence un virage à 180° par rapport au
plan de relance de 2008.
Cette approche, bien
que d’apparence “pragmatique et équilibrée”, est néanmoins
très risquée. Si la banque centrale ferme les robinets et
n’intervient plus dans l’économie comme elle l’a fait avec le
plan de relance, le danger d’explosion des bulles spéculatives sur
lesquelles reposent des montagnes de dettes risque de devenir
réalité. Il en va de même pour des secteurs économiques qui
reposaient sur le dopage financier de la dernière période.
L’exemple le plus
impressionnant est celui des chantiers navals : d’ici 2015,
1600 chantiers devraient fermer parmi lesquels un des plus
grands chantiers navals au monde (20 000 emplois). Ce
dernier, qui se retrouve sans la moindre commande, a été récemment
mis en faillite. L’ironie de l’histoire pour le gouvernement est
que si ce n’est pas la banque centrale qui intervient pour éviter
les faillites, cela laissera encore plus d’espace aux banques
illégales !
On estime aujourd’hui
que le chômage réel est de 8 %, que 40 % de la capacité
industrielle chinoise n’est pas utilisée, et que l’année 2012
s’est soldée avec 3,2 milliards de dollars de salaires
non-payés. Ce paysage n’a plus rien d’une économie en
expansion, il exprime plutôt la destruction anarchique de richesses
à grande échelle qu’est le capitalisme à l'agonie.
L’État garde de
toute façon d’importants leviers pour intervenir dans l’économie
(la Chine reste un pays hybride avec des éléments capitalistes et
d’autres hérités du stalinisme et de l’économie
bureaucratiquement planifiée) et il est peu probable qu’il soit
décidé d’assainir le secteur financier en le laissant imploser.
Cela a été prouvé récemment : après avoir assisté à la
mini-crise du crédit de fin juin en tant que spectateur, la banque
centrale a décidé d’injecter 3,7 milliards de dollars
le 31 juillet dernier pour éviter de justesse un nouvel
assèchement de crédit. Dix jours plus tard, le gouvernement
décidait de mettre en place une “Bad Bank” (“mauvaise
banque”), institution financière destinée à racheter un bon
nombre de créances douteuses de sorte à ce que le reste du système
financier soit assaini. La capacité d’une telle banque à
accueillir l’ensemble des dettes à risque pour les “extraire du
système” reste cependant illusoire. Le plus probable est que les
dettes soient transférées dans celle de l’État chinois.
Bureau du chômage en Chine |
Le Parti “communiste”
chinois (PCC) ne se porte pas mieux. Les conflits et coups bas
entre les deux factions principales ont pris une ampleur qui n’avait
plus été vue depuis 20 ans, avec d’un côté les “princes
rouges” et de l’autre la “Ligue de la jeunesse”. Les “princes
rouges” sont surtout des descendants d’anciens grands dirigeants
de la période de Mao, et sur cette base, ont acquis aussi bien des
positions puissantes que des fortunes démesurées. Il s’agit
d’environ 200 familles, dont la seule finalité politique est
de maintenir un statu quo à tout prix pour pouvoir assurer la
pérennité de leurs privilèges. Cette faction gagne en importance
puisque pour la première fois ils sont majoritaires au bureau
politique (4 sièges sur 7).
La “Ligue de la
jeunesse” ne représente rien non plus de progressiste : il
s’agit essentiellement des autres bureaucrates, tout aussi
pro-capitalistes, et qui cherchent à se faire une place dans
l’appareil, tout en craignant que l’arrogance et la démagogie
des princes ne leur coute une révolte sociale. La ligne de
séparation entre ces deux factions n’est pas nette, ce qui
s’explique notamment par le fait que cette séparation n’a aucun
contenu idéologique ou politique mais repose uniquement sur la
défense d’intérêts personnels.
L’actuel président
Xi Jinping (prononcé “Chi Tchinping”) est issu d'une famille de “princes rouges” et
possède une fortune personnelle estimée à 376 millions
de dollars (190 milliards de francs), soit trois fois
la somme des richesses personnelles de tous les membres du
gouvernement britannique ! Bien qu’il fasse partie des
“princes rouges”, il cherche à consolider ses positions
également en-dehors des cercles des princes. Cela explique sa
victoire à l’issue du 18e congrès en novembre 2012, à
l’issue duquel il a succédé à Hu Jintao en tant que
secrétaire général du PCC (et en mars 2013 en tant que
président du gouvernement central).
Cette figure de
compromis entre les factions a déjà démontré à maintes reprises
une attitude bonapartiste pour trouver un équilibre. Ce bonapartisme
est illustratif de l’impasse politique du régime chinois, car
c’est le dernier recours pour éviter une fracture ouverte au sein
du PCC.
L'“élection” de Xi Jinping à la tête de l'État chinois est le fruit d'un compromis entre les différentes factions de l'élite dirigeante |
La corruption à tous les étages couronne la crise politique et économique
Parallèlement au
phénomène des banques fantômes, un autre symptôme de la Chine est
la corruption. On estime que la corruption, tous niveaux confondus,
représente un montant de 3720 milliards de dollars…
C’est pourquoi, en
plus de la “réforme économique”, le gouvernement de Xi Jinping
a déclaré vouloir s’attaquer au problème de la corruption. Cela
risque de se traduire plus en une série de procès individuels qu’en
une lutte contre la corruption, étant donné que l’ensemble du
système politique repose sur la corruption. Un exemple récent a été
le procès très médiatisé à l’encontre de Bo Xilai, un
“prince” dont les scandales de corruption et les affaires
criminelles qui lui étaient associées n’étaient plus tenables.
Bo Xilai a été
abandonné par les autres princes pour donner au gouvernement de quoi
se construire une image anticorruption, avec mise en scène
judiciaire à l’appui.
L'incident “Bo Xilai” a en outre révélé l'âpreté de la lutte pour le pouvoir
entre les différentes factions de l'élite chinoise. Bo, un des “princes”, a été arrêté par le président Hu Jintao, de
la faction de la “Ligue de la jeunesse”. Bo était en effet
devenu trop indépendant de Pékin, et la majorité des hauts
dirigeants s'inquiétaient du fait que sa rhétorique pseudo-maoïste
puisse déclencher des mouvements de masse. Malgré son procès et
son probable emprisonnement, les luttes internes pour le pouvoir au sein du
PCC sont loin d'être finies, et l'incident Bo Xilai n'est pas
résolu non plus. Selon nos dernières informations, il semblerait
que la lutte pour le pouvoir pourrait bientôt toucher jusqu'à
Zhou Yongkang, ancien haut dirigeant du parti, allié de Bo et
dirigeant de la faction du “Gang de Shanghaï” à laquelle
appartenait l'ancien président Jiang Zemin. La possibilité
d'une guerre factionnelle ouverte semble donc se profiler.
Cette combinaison de
corruption et de carriérisme, qui reflète bien la nature
bureaucratique des dirigeants du PCC, ne fait qu’envenimer la crise
bancaire. Les élites locales mènent ainsi une véritable course au
prestige entre leurs gouvernements, de sorte à forger une base sur
laquelle ils pourront mieux asseoir leurs positions.
Xi Jinping est
également en reconquête d’autorité vis-à-vis des masses avec
toute une série de propositions populistes. Il ne s’agit bien sûr
que de petites réformes et autres artifices symboliques pour tenter
d’atténuer l’arrogance et les privilèges des princes. Il n’y
a aucune ouverture en termes de liberté démocratique, comme le
démontre l’édition par Xi Jinping d’une liste de
sept sujets interdits d'être discutés à l’école, parmi
lesquels figurent la démocratie, la liberté de presse et la
corruption.
Cependant, toute
ouverture de la part des dirigeants, même symbolique, peut avoir
comme effet d’ouvrir une boite de Pandore en termes de
revendications démocratiques par les masses.
Bo Xilai, milliardaire populiste au centre d'une affaire de règlements de compte entre politiciens |
Le PCC n’offre aucune solution, la lutte des classes décidera de l'avenir du pays
La crise profonde
dans laquelle s’engouffre la Chine constitue une grave menace pour
ses dirigeants, de l’aveu même du PCC. Vu que cette vaste clique
de parvenus immondes n'a aucune solution à offrir aux masses, son
dernier recours quand le contrôle social est perdu est la
répression. Mais cette fuite en avant pourrait rendre la situation
encore plus explosive, comme l’ont prouvé les mouvements récents
en Brésil ou encore en Turquie.
La division de classe
est très marquée en Chine. Le pays est sans surprise l’un des
plus inégalitaires au monde, et les dépenses publiques dans les
soins de santé (5 % du PIB) et dans l’éducation (moins
de 3 % du PIB) sont proportionnellement inférieurs à
ce qui se fait dans des pays comme la Russie, la Tunisie ou encore
l’Afrique du Sud. 60 millions de Chinois sont des
travailleurs temporaires, ce qui signifie l’absence totale de
sécurité sociale et de retraite ; 240 millions de
travailleurs sont en réalité des paysans pauvres en exode partis
“se chercher” en ville et qui se retrouvent à trimer dans des
zones industriels sans même un logement.
Il n’y a aucun
doute que l’aggravation de la crise se fera sur le dos de la classe
ouvrière. La crise politique du PCC et son incapacité à offrir un
avenir décent aux masses pose les fondations pour des possibilités
révolutionnaires dans la période à venir. Les
180 000 protestations de masse dénombrées en moyenne
chaque année (soit 500 par jour, ou une toutes les
trois minutes) en est la meilleure illustration. Chaque lutte
est une école pour les masses, et des révoltes comme celle de Wukan
en 2011, ou les récentes manifestations pour plus de démocratie
à Hong Kong en
sont le meilleur exemple.
Pour arracher des
acquis sur le plan socio-économique et sur le plan des libertés
démocratiques, le mouvement ouvrier doit s’organiser de manière
indépendante à travers les luttes pour collectiviser les
expériences et construire des stratégies victorieuses. Pour cela,
un programme de renversement de la dictature et exigeant la
planification démocratique de l’économie est nécessaire.
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