jeudi 3 octobre 2013

Théorie : Histoire marxiste 1

La conception matérialiste de l'histoire et le communisme primitif


Cet article est le premier d'une série d'articles sur l'histoire de l'humanité telle que comprise par les marxistes. La connaissance du développement des sociétés humaines est en effet indispensable non seulement pour comprendre d'où vient le capitalisme et comment le combattre, mais aussi pour comprendre ce que représente le socialisme qui pour nous n'est pas seulement un idéal à atteindre, mais l'étape suivante inéluctable du développement de la société humaine, l'aboutissement d'un processus millénaire de développement et d'évolution qui tend de plus en plus vers la réalisation du socialisme en tant que nouvelle période historique. 

Jules Konan, groupe sympathisant du CIO en Côte d'Ivoire

La tâche des marxistes et des révolutionnaires n'est donc pas d'arriver au pouvoir d'État pour voter des réformes, mais de faire accoucher le socialisme, qui naitra des terribles convulsions révolutionnaires de la crise du capitalisme. Sans nous cependant, le risque est que cet enfant terrible de l'humanité ne soit mort-né. L'histoire nous a déjà délivré plusieurs fausses couches qui toutes se sont soldées par des destructions sans précédent. Or aujourd'hui, nous ne pouvons nous permettre une nouvelle guerre mondiale. C'est pourquoi il importe d'étudier l'histoire et d'en comprendre les lois scientifiques, afin de pouvoir accomplir notre tâche historique.

Dans cette première partie, nous expliquerons quel était l'état de l'humanité au moment de son apparition sur Terre, et comment de la société communiste primitive correspondant à l'état de vie sauvage, s'est déclenché le processus d'accroissement des forces productives qui a lancé tout le processus civilisationnel, en même temps qu'il a mené à la division de la société en classes sociales


La conception historique marxiste

Comme déjà mentionné dans l'introduction ci-dessus, les marxistes envisagent l'histoire sous une forme scientifique. Un des plus grands apports en effet de Karl Marx à la pensée humaine, et qui a bouleversé la conception que se faisaient les hommes de leur passé, est l'approche dite “matérialiste” de l'histoire. C'est-à-dire que pour les marxistes, l'histoire ne s'est pas déroulée au rythme de grands courants d'idée ou de la naissance de tel ou tel grand homme ; au contraire, pour les marxistes, toutes ces idées, ces grands hommes, n'ont jamais été que le reflet de l'évolution de la société à leur époque, une évolution matérielle, basée sur le développement des outils, des sources de matières premières, de la technologie. L'histoire de l'humanité est donc une histoire matérielle qui dépend de l'évolution des forces productives. 

Ces forces productives imposent une certaine organisation du travail et des échanges, de la “superstructure” organisationnelle, étatique, etc. Ce sont les hommes ensuite qui, pour justifier dans leur propres yeux l'ordre ainsi établi, pour l'éducation des enfants, etc. inventent eux-mêmes des idées et des courants idéologiques qui ne font jamais que refléter dans leur esprit ce qu'ils observent déjà autour d'eux. De même, les grands hommes ne naissent pas au hasard, mais sont le fruit des contradictions de l'époque où ils sont nés. C'est-à-dire que pour les marxistes, ce n'est pas un hasard si par exemple Staline est devenu qui il est : l'aurait-on tué, un autre Staline serait apparu à sa place.

Dans le même ordre d'idées, si on parle d'histoire des religions, de très nombreux prophètes ou philosophes (notamment ceux du mouvement “cynique”, comme Diogène) tenant le même discours que Jésus sont apparus avant et après lui dans la même région du monde. Mais un seul de ces prophètes a créé à ce moment une religion capable de toucher le monde entier, car le discours qu'il a tenu est arrivé au bon endroit et au bon moment – la société, la conscience sociale, était prête pour accueillir cette idée à ce moment exact. Une idée qui apparait à un moment où la société n'est pas prête à la recevoir, reste une idée morte. 

C'est pourquoi ce ne sont pas les idées qui font l'histoire. La conscience humaine évolue en même temps qu'évolue la société. D'ailleurs, nous remarquons que la religion chrétienne s'est extrêmement modifiée au cours des siècles. Des très nombreux courants chrétiens du début, un seul, le catholicisme romain, est sorti, qui s'est, après toutes sortes de péripéties, complètement transformé avec l'avènement du protestantisme et de ses différents courants. La religion vit avec son époque, c'est-à-dire que la conception que se font les hommes de Dieu (et donc, semble-t-il, de Dieu lui-même) se modifie constamment au fur et à mesure de l'évolution de la société.

Nous constatons également l'apparition de phénomènes historiques, qui font que dans des conditions similaires de développement, différents peuples, ayant des cultures complètement différentes et vivant à des milliers de kilomètres les uns des autres, connaissent les mêmes bouleversements et changements de structure lorsqu'ils arrivent au même point de contradictions dans leur évolution. Aujourd'hui d'ailleurs, alors que le capitalisme mondial a unifié, mondialisé l'histoire de l'humanité – toutes les civilisations humaines partagent à présent une même histoire commune alors qu'elles vivaient auparavant relativement séparément les unes des autres –, nous voyons les mêmes phénomènes se produire dans différentes régions du monde au même moment.

La révolution en Tunisie a inauguré un nouvel âge de luttes et de révolutions au niveau mondial, alors que “l'histoire semble se répéter” avec la crise. Partout nous voyons aussi les dirigeants mondiaux appliquer malgré eux la même politique et la même attitude d'arrogance envers leurs populations, privatiser les derniers services publics, mener la guerre contre les mendiants et les petits commerçants plutôt que contre la pauvreté, dépenser de l'argent dans de grands projets de prestige tout en coupant dans les budgets des services publics. Mais partout aussi, nous voyons apparaitre de nouvelles coalitions militantes larges qui partagent des caractéristiques communes, notamment en Afrique avec le Y en a marre sénégalais, le Balai citoyen burkinabé, la Cici en Côte d'Ivoire, l'Alternative citoyenne au Bénin, le Joint Action Front nigérian et le parti WASP en Afrique du Sud. Partout, au moment où la lutte atteint une certaine ampleur, on voit se développer le même type d'organisation populaire – comités de salut en Tunisie, kurultays en Kirghizie, camps Occupy aux États-Unis, assemblées en Grèce et en Espagne, agoras en Côte d'Ivoire. Tout cela n'est pas le fruit du hasard, mais des lois historiques qui gouvernent l'évolution de l'humanité.

Pour les marxistes, l'histoire de l'humanité est celle de la lutte des classes,
elle-même subordonnée à l'histoire des moyens de production et de la technologie

Le communisme primitif

À ses débuts, l'humanité vivait dans un état de sauvagerie, soumise aux lois de la nature, mais en même temps vivant en harmonie avec elle. Les premiers hommes étaient des chasseurs-cueilleurs, qui vivaient uniquement de ce que la nature leur donnait tout prêt, tout comme les autres animaux. Les humains de cette époque ne se considéraient pas comme étant au-dessus des animaux ou des plantes. S'ils croyaient en l'âme, ils pensaient logiquement que tout être vivant était doté d'une âme aussi – et même certains rochers ou autres corps naturels. Pour eux, chaque journée était la même. Ils n'avaient pas de notion du temps, de “demain” ou de “hier”. Comme eux-mêmes ne créaient rien si ce n'est quelques objets provisoires et grossiers (abris de branchages destinés à tenir uniquement jusqu'au prochain orage, etc.), que leur société ne connaissait aucun progrès significatif et qu'ils n'avaient aucun moyen de marquer le temps, ils n'avaient aucun concept d'un dieu qui aurait créé le monde, puisqu'ils n'étaient même pas capable d'imaginer un tel concept même si on le leur avait expliqué.

Les hommes primitifs vivaient en petits groupes relativement isolés les uns des autres. Si les ressources venaient à manquer à un endroit, ils se déplaçaient jusqu'à trouver un endroit où le gibier serait un peu plus abondant. Chez ces peuples, aucune accumulation n'était possible : non seulement les moyens de production (quasi-inexistants, basés sur des “outils” faits à base de pierre et de bois, facilement fabriqués, jetés ou abandonnés puis remplacés) étaient extrêmement faibles, mais il n'y avait pas non plus aucune possibilité de conserver le fruit d'une cueillette ou d'une chasse particulièrement abondante (vu qu'il n'y a pas de poterie, ni de caisse, ni de bâtiment). Que faire si on avait tué un éléphant ? On était forcé d'inviter les clans voisins pour le partager avec eux. Pendant la bonne saison, on trouve beaucoup à manger. Puis vient la mauvaise saison, mais comme on avait fait aucune provision, on était obligé de migrer pour la saison, à moins de devoir sacrifier certains membres du clan.

Tout surplus était immédiatement consommé, et obtenu sur une base irrégulière. Dans un tel contexte, on imagine bien qu'il n'y avait dans ces sociétés aucune possibilité pour que se développe une classe sociale privilégiée. Évidemment il fallait bien qu'il y ait un chef pour régler les palabres qui pouvaient se développer au sein du groupe et organiser les évènements importants. Mais ce chef n'avait aucun statut autre que celui que lui conférait son autorité. Il pouvait tout aussi bien être une femme qu'un homme. De même, il était impossible de voir se développer la moindre exploitation, vu que les moyens de production disponibles à la société ne permettaient que de tout juste satisfaire aux besoins immédiats de la société (et encore). 

Tableau représentant la société de communisme primitif en Europe
C'est-à-dire qu'on ne pouvait pas donner un outil à une personne puis le faire travailler pour le compte de quelqu'un d'autre – son travail n'aurait alors pas suffi à permettre à le nourrir lui-même. L'esclavage ne pouvait exister. C'est pourquoi, en cas de conflit ou de “guerre”, on ne prenait pas de prisonniers – les ennemis étaient soit tués, soit adoptés en temps que membres du clan de plein droit. La faiblesse des moyens de production signifiait aussi que les métiers n'existaient pas : chacun était tour à tour chasseur, constructeur, artisan, pêcheur, gardien d'enfants, etc. en fonction des besoins. Quand quelqu'un était fatigué d'un travail, il allait se reposer, puis trouvait autre chose à faire, en fonction de son humeur du moment. Car dans ces sociétés, il n'existait pas de concept d'interdire quoi que ce soit à qui que ce soit, de dire à qui que ce soit ce qu'il devait faire (même pas aux enfants).

L'absence d'accumulation de quoi que ce soit signifiait aussi l'absence de propriété privée – et évidemment, l'absence du concept même de propriété privée. Une personne pouvait utiliser un outil et l'abandonner quelque part dès qu'il n'en avait plus besoin, ou se le faire prendre par un autre à tout moment. Il n'existait pas non plus d'exclusivité en ce qui concerne la reproduction – c'est-à-dire, pas de mariage. Chaque femme, chaque homme, était libre de choisir avec qui il ou elle s'accouplerait, et vice-versa, à tout moment, et de changer de partenaire quand il ou elle le souhaitait, sans que personne n'ait rien à y redire et sans que n'existent des idées telles que la jalousie. Dans un tel cadre, il était impossible de savoir qui était le père d'un enfant. Un enfant n'avait qu'une mère. Pour le reste, il était “l'enfant du clan”, et chacun était responsable de son éducation à parts égales. Cela avait aussi pour conséquence que ces sociétés étaient normalement matriarcales – c'est-à-dire qu'en cas de “mariage” entre deux clans (pour les peuples qui l'avaient instauré), c'était l'homme qui déménageait dans le clan de la femme. Au cas où un quelconque héritage existait (une robe, un collier, une arme…), il passait aux enfants de la mère uniquement, où, si cela avait appartenu à un homme, aux enfants de sa sœur.

Les peuples primitifs ne connaissaient pas (et ne pouvaient imaginer) le concept d'inégalité, ni celui de Dieu, ni celui d'autorité, ni celui de propriété, ni celui d'exploitation. En ce qui concerne les nombres, ils s'en sortaient généralement uniquement avec les chiffres “1, 2, beaucoup”. En ce qui concerne les couleurs, il leur suffisait de savoir qu'existe le noir, le blanc, et le rouge. Étaient-ils heureux ? Sans doute oui, sans doute non. Certains peuples primitifs qui existent encore de nos jours refusent systématiquement tout contact avec la civilisation. Mais il fallait bien qu'à un moment, certains aient perçu un manque dans leur existence et aient cherché un autre mode de vie, puisque nous en sommes arrivés là où nous en sommes à présent.

Partage d'une chasse chez les peuples primitifs d'Amazonie (Brésil)

Comment savons-nous cela sur des peuples primitifs qui n'ont laissé aucune trace autre que quelques ossements ? C'est parce que de nos jours encore, de tels hommes existent, qui vivent en petits groupes primitifs dans des endroits reculés. Ce sont les explorateurs, anthropologues et missionnaires qui ont vécu parmi eux qui nous ont rapporté leurs croyances et leurs coutumes. 

C'est grâce à ces récits aussi que nous savons aujourd'hui que les peuples sauvages d'Amérique du Nord, d'Afrique (pygmées, bushmen), d'Asie (peuples des montagnes indochinoises), d'Océanie (papous), dans cet état brut primitif de non-développement, partagent tous les mêmes caractéristiques sur le plan social et culturel (moins l'influence du milieu naturel évidemment – le mode de vie est différent pour les Inuits du pôle nord, les Lakotas des grandes plaines ou les Pirahãs d'Amazonie, mais la structure sociale reste la même). 

Et donc, sur cette base, nous pouvons tirer la conclusion qu'à un moment de l'histoire humaine, tous les hommes vivaient de la sorte dans de telles sociétés, y compris en Europe, en Asie et en Afrique. Tous les grands peuples civilisés – Akans, Maliens, Égyptiens, Arabes, Chinois, Français, Allemands, Américains… – sont à un moment de leur histoire passés par ce stade de vie dans la sauvagerie, à l'état purement naturel, avant que ne s'accomplisse le processus qui allait déclencher la civilisation.

La suite de l'histoire marxiste ici.

Les Bushmen de Namibie, peuple de chasseurs-cueilleurs primitif

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