La conception matérialiste de l'histoire et le communisme primitif
Cet
article est le premier d'une série d'articles sur l'histoire de
l'humanité telle que comprise par les marxistes. La connaissance du
développement des sociétés humaines est en effet indispensable non
seulement pour comprendre d'où vient le capitalisme et comment le
combattre, mais aussi pour comprendre ce que représente le
socialisme qui pour nous n'est pas seulement un idéal à atteindre,
mais l'étape suivante inéluctable du développement de la société
humaine, l'aboutissement d'un processus millénaire de développement
et d'évolution qui tend de plus en plus vers la réalisation du
socialisme en tant que nouvelle période historique.
Jules Konan,
groupe sympathisant du CIO en Côte d'Ivoire
Dans
cette première partie, nous expliquerons quel était l'état de
l'humanité au moment de son apparition sur Terre, et comment de la
société communiste primitive correspondant à l'état de vie
sauvage, s'est déclenché le processus d'accroissement des forces
productives qui a lancé tout le processus civilisationnel, en même
temps qu'il a mené à la division de la société en classes
sociales
La
conception historique marxiste
Comme
déjà mentionné dans l'introduction ci-dessus, les marxistes
envisagent l'histoire sous une forme scientifique. Un des plus grands
apports en effet de Karl Marx à la pensée humaine, et qui a
bouleversé la conception que se faisaient les hommes de leur passé,
est l'approche dite “matérialiste” de l'histoire. C'est-à-dire
que pour les marxistes, l'histoire ne s'est pas déroulée au rythme
de grands courants d'idée ou de la naissance de tel ou tel grand
homme ; au contraire, pour les marxistes, toutes ces idées, ces
grands hommes, n'ont jamais été que le reflet de l'évolution de la
société à leur époque, une évolution matérielle, basée sur le
développement des outils, des sources de matières premières, de la
technologie. L'histoire de l'humanité est donc une histoire
matérielle qui dépend de l'évolution des forces productives.
Ces forces productives imposent une certaine organisation du travail
et des échanges, de la “superstructure” organisationnelle,
étatique, etc. Ce sont les hommes ensuite qui, pour justifier dans
leur propres yeux l'ordre ainsi établi, pour l'éducation des
enfants, etc. inventent eux-mêmes des idées et des courants
idéologiques qui ne font jamais que refléter dans leur esprit ce
qu'ils observent déjà autour d'eux. De même, les grands hommes ne
naissent pas au hasard, mais sont le fruit des contradictions de
l'époque où ils sont nés. C'est-à-dire que pour les marxistes, ce
n'est pas un hasard si par exemple Staline est devenu qui il est :
l'aurait-on tué, un autre Staline serait apparu à sa place.
Dans
le même ordre d'idées, si on parle d'histoire des religions, de
très nombreux prophètes ou philosophes (notamment ceux du mouvement
“cynique”, comme Diogène) tenant le même discours que Jésus
sont apparus avant et après lui dans la même région du monde. Mais
un seul de ces prophètes a créé à ce moment une religion capable
de toucher le monde entier, car le discours qu'il a tenu est arrivé
au bon endroit et au bon moment – la société, la conscience
sociale, était prête pour accueillir cette idée à ce moment
exact. Une idée qui apparait à un moment où la société n'est pas
prête à la recevoir, reste une idée morte.
C'est pourquoi ce ne
sont pas les idées qui font l'histoire. La conscience humaine évolue
en même temps qu'évolue la société. D'ailleurs, nous remarquons
que la religion chrétienne s'est extrêmement modifiée au cours des
siècles. Des très nombreux courants chrétiens du début, un seul,
le catholicisme romain, est sorti, qui s'est, après toutes sortes de
péripéties, complètement transformé avec l'avènement du
protestantisme et de ses différents courants. La religion vit avec
son époque, c'est-à-dire que la conception que se font les hommes
de Dieu (et donc, semble-t-il, de Dieu lui-même) se modifie
constamment au fur et à mesure de l'évolution de la société.
Nous
constatons également l'apparition de phénomènes historiques, qui
font que dans des conditions similaires de développement, différents
peuples, ayant des cultures complètement différentes et vivant à
des milliers de kilomètres les uns des autres, connaissent les mêmes
bouleversements et changements de structure lorsqu'ils arrivent au
même point de contradictions dans leur évolution. Aujourd'hui
d'ailleurs, alors que le capitalisme mondial a unifié, mondialisé
l'histoire de l'humanité – toutes les civilisations humaines
partagent à présent une même histoire commune alors qu'elles
vivaient auparavant relativement séparément les unes des autres –,
nous voyons les mêmes phénomènes se produire dans différentes
régions du monde au même moment.
La
révolution en Tunisie a inauguré un nouvel âge de luttes et de
révolutions au niveau mondial, alors que “l'histoire semble se
répéter” avec la crise. Partout nous voyons aussi les dirigeants
mondiaux appliquer malgré eux la même politique et la même
attitude d'arrogance envers leurs populations, privatiser les
derniers services publics, mener la guerre contre les mendiants et
les petits commerçants plutôt que contre la pauvreté, dépenser de
l'argent dans de grands projets de prestige tout en coupant dans les
budgets des services publics. Mais partout aussi, nous voyons
apparaitre de nouvelles coalitions militantes larges qui partagent
des caractéristiques communes, notamment en Afrique avec le
Y en a marre sénégalais, le Balai citoyen
burkinabé, la Cici en Côte d'Ivoire, l'Alternative citoyenne
au Bénin, le Joint Action Front nigérian et le parti WASP
en Afrique du Sud. Partout, au moment où la lutte
atteint une certaine ampleur, on voit se développer le même type
d'organisation populaire – comités de salut en Tunisie,
kurultays en Kirghizie, camps Occupy aux États-Unis, assemblées en
Grèce et en Espagne, agoras en Côte d'Ivoire. Tout cela n'est
pas le fruit du hasard, mais des lois historiques qui gouvernent
l'évolution de l'humanité.
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Le
communisme primitif
À
ses débuts, l'humanité vivait dans un état de sauvagerie, soumise
aux lois de la nature, mais en même temps vivant en harmonie avec
elle. Les premiers hommes étaient des chasseurs-cueilleurs, qui
vivaient uniquement de ce que la nature leur donnait tout prêt, tout
comme les autres animaux. Les humains de cette époque ne se
considéraient pas comme étant au-dessus des animaux ou des plantes.
S'ils croyaient en l'âme, ils pensaient logiquement que tout être
vivant était doté d'une âme aussi – et même certains
rochers ou autres corps naturels. Pour eux, chaque journée était la
même. Ils n'avaient pas de notion du temps, de “demain” ou de
“hier”. Comme eux-mêmes ne créaient rien si ce n'est quelques
objets provisoires et grossiers (abris de branchages destinés à
tenir uniquement jusqu'au prochain orage, etc.), que leur société
ne connaissait aucun progrès significatif et qu'ils n'avaient aucun
moyen de marquer le temps, ils n'avaient aucun concept d'un dieu qui
aurait créé le monde, puisqu'ils n'étaient même pas capable
d'imaginer un tel concept même si on le leur avait expliqué.
Les
hommes primitifs vivaient en petits groupes relativement isolés les
uns des autres. Si les ressources venaient à manquer à un endroit,
ils se déplaçaient jusqu'à trouver un endroit où le gibier serait
un peu plus abondant. Chez ces peuples, aucune accumulation n'était
possible : non seulement les moyens de production
(quasi-inexistants, basés sur des “outils” faits à base de
pierre et de bois, facilement fabriqués, jetés ou abandonnés puis
remplacés) étaient extrêmement faibles, mais il n'y avait pas non
plus aucune possibilité de conserver le fruit d'une cueillette ou
d'une chasse particulièrement abondante (vu qu'il n'y a pas de
poterie, ni de caisse, ni de bâtiment). Que faire si on avait tué
un éléphant ? On était forcé d'inviter les clans voisins
pour le partager avec eux. Pendant la bonne saison, on trouve
beaucoup à manger. Puis vient la mauvaise saison, mais comme on
avait fait aucune provision, on était obligé de migrer pour la
saison, à moins de devoir sacrifier certains membres du clan.
Tout
surplus était immédiatement consommé, et obtenu sur une base
irrégulière. Dans un tel contexte, on imagine bien qu'il n'y avait
dans ces sociétés aucune possibilité pour que se développe une
classe sociale privilégiée. Évidemment il fallait bien qu'il y ait
un chef pour régler les palabres qui pouvaient se développer au
sein du groupe et organiser les évènements importants. Mais ce chef
n'avait aucun statut autre que celui que lui conférait son autorité.
Il pouvait tout aussi bien être une femme qu'un homme. De même, il
était impossible de voir se développer la moindre exploitation, vu
que les moyens de production disponibles à la société ne
permettaient que de tout juste satisfaire aux besoins immédiats de
la société (et encore).
C'est-à-dire qu'on ne pouvait pas donner
un outil à une personne puis le faire travailler pour le compte de
quelqu'un d'autre – son travail n'aurait alors pas suffi à
permettre à le nourrir lui-même. L'esclavage ne pouvait exister.
C'est pourquoi, en cas de conflit ou de “guerre”, on ne prenait
pas de prisonniers – les ennemis étaient soit tués, soit
adoptés en temps que membres du clan de plein droit. La faiblesse
des moyens de production signifiait aussi que les métiers
n'existaient pas : chacun était tour à tour chasseur,
constructeur, artisan, pêcheur, gardien d'enfants, etc. en fonction
des besoins. Quand quelqu'un était fatigué d'un travail, il allait
se reposer, puis trouvait autre chose à faire, en fonction de son
humeur du moment. Car dans ces sociétés, il n'existait pas de
concept d'interdire quoi que ce soit à qui que ce soit, de dire à
qui que ce soit ce qu'il devait faire (même pas aux enfants).
L'absence
d'accumulation de quoi que ce soit signifiait aussi l'absence de
propriété privée – et évidemment, l'absence du concept
même de propriété privée. Une personne pouvait utiliser un outil
et l'abandonner quelque part dès qu'il n'en avait plus besoin, ou se
le faire prendre par un autre à tout moment. Il n'existait pas non
plus d'exclusivité en ce qui concerne la reproduction
– c'est-à-dire, pas de mariage. Chaque femme, chaque homme,
était libre de choisir avec qui il ou elle s'accouplerait, et
vice-versa, à tout moment, et de changer de partenaire quand il ou
elle le souhaitait, sans que personne n'ait rien à y redire et sans
que n'existent des idées telles que la jalousie. Dans un tel cadre,
il était impossible de savoir qui était le père d'un enfant. Un
enfant n'avait qu'une mère. Pour le reste, il était “l'enfant du
clan”, et chacun était responsable de son éducation à parts
égales. Cela avait aussi pour conséquence que ces sociétés
étaient normalement matriarcales – c'est-à-dire qu'en cas de
“mariage” entre deux clans (pour les peuples qui l'avaient
instauré), c'était l'homme qui déménageait dans le clan de la
femme. Au cas où un quelconque héritage existait (une robe, un
collier, une arme…), il passait aux enfants de la mère uniquement,
où, si cela avait appartenu à un homme, aux enfants de sa sœur.
Les
peuples primitifs ne connaissaient pas (et ne pouvaient imaginer) le
concept d'inégalité, ni celui de Dieu, ni celui d'autorité, ni
celui de propriété, ni celui d'exploitation. En ce qui concerne les
nombres, ils s'en sortaient généralement uniquement avec les
chiffres “1, 2, beaucoup”. En ce qui concerne les couleurs, il
leur suffisait de savoir qu'existe le noir, le blanc, et le rouge.
Étaient-ils heureux ? Sans doute oui, sans doute non. Certains
peuples primitifs qui existent encore de nos jours refusent
systématiquement tout contact avec la civilisation. Mais il fallait
bien qu'à un moment, certains aient perçu un manque dans leur
existence et aient cherché un autre mode de vie, puisque nous en
sommes arrivés là où nous en sommes à présent.
Comment
savons-nous cela sur des peuples primitifs qui n'ont laissé aucune
trace autre que quelques ossements ? C'est parce que de nos
jours encore, de tels hommes existent, qui vivent en petits groupes
primitifs dans des endroits reculés. Ce sont les explorateurs,
anthropologues et missionnaires qui ont vécu parmi eux qui nous ont
rapporté leurs croyances et leurs coutumes.
C'est grâce à ces
récits aussi que nous savons aujourd'hui que les peuples sauvages
d'Amérique du Nord, d'Afrique (pygmées, bushmen), d'Asie
(peuples des montagnes indochinoises), d'Océanie (papous), dans cet
état brut primitif de non-développement, partagent tous les mêmes
caractéristiques sur le plan social et culturel (moins l'influence
du milieu naturel évidemment – le mode de vie est différent
pour les Inuits du pôle nord, les Lakotas des grandes plaines ou les
Pirahãs d'Amazonie, mais la structure sociale reste la même).
Et
donc, sur cette base, nous pouvons tirer la conclusion qu'à un
moment de l'histoire humaine, tous les hommes vivaient de la sorte
dans de telles sociétés, y compris en Europe, en Asie et en
Afrique. Tous les grands peuples civilisés – Akans, Maliens,
Égyptiens, Arabes, Chinois, Français, Allemands, Américains… –
sont à un moment de leur histoire passés par ce stade de vie dans
la sauvagerie, à l'état purement naturel, avant que ne
s'accomplisse le processus qui allait déclencher la civilisation.
La suite de l'histoire marxiste ici.
La suite de l'histoire marxiste ici.
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