vendredi 12 janvier 2018

Soudan : nouvelle explosion sociale

La contestation éclate face à la politique d'austérité du gouvernement


Des marches ont éclaté ce 8 janvier dans toute une série de villes du Soudan dont la capitale Khartoum, les villes du Sud (Nyala, Geneina et al-Damazin), ainsi que dans l'Ouest (Darfour).

La raison de ces mobilisations est le prix du pain qui a doublé après que, dans leur budget 2018 adopté le mois dernier, les autorités ont décidé de supprimer les subventions à cette denrée de base. Le ministère de l’Intérieur a déclaré que les manifestants seraient traités « avec force ». Un étudiant a été tué dans la répression qui a suivi, tandis que les dirigeants des partis d'opposition ont été arrêtés et que six journaux critiquant la baisse des subventions ont été interdits de vente.

– Sympathisant du Comité pour une Internationale ouvrière à Khartoum, Soudan


En octobre dernier, les États-Unis ont levé la majorité des sanctions économiques qu'ils imposaient au Soudan. En dépit des espoirs des masses, la situation économique de la majorité de la population s’est détériorée, l’inflation atteignant de nouveaux records. Les trois quarts du nouveau budget de l’État ont été alloués aux dépenses militaires et sécuritaires. Et le gouvernement fait face à la pression du FMI pour réduire les subventions à l'énergie qui constituent pourtant une bouée de sauvetage pour de nombreuses familles pauvres et prolétaires.

Le régime corrompu et brutal d’Omar el-Béchir ne peut à présent plus se cacher derrière les sanctions infligées par l’impérialisme américain pour blâmer la mauvaise situation économique qui frappe le peuple soudanais. Le pillage des richesses par l’élite au pouvoir, la corruption de masse et le gaspillage des ressources dans des guerres sanglantes sont exposés à la vue de tous. Des manifestations comme celles qui ont eu lieu ce 8 janvier constituent un signe avant-coureur des choses à venir, alors que la colère contre le régime s’intensifie de toutes parts.

À la fin de l’année 2017, et après une longue attente, le gouvernement soudanais a présenté une proposition de budget pour l’année 2018 qui a été discutée au parlement. Après quatre années de baisse des subventions aux carburants (une mesure défendue par le gouvernement comme représentant un « remède à la détérioration de l’économie »), l’économie n’a fait qu’empirer et le déficit budgétaire est monté à 28 milliards de livres soudanaises (2000 milliards de FCFA), soit une hausse spectaculaire par rapport à l’année précédente. Le nouveau budget a établi la poursuite de la politique de guerre du gouvernement, la part des dépenses de sécurité et de défense s’élevant à plus de 20 milliards de livres (1500 milliards de FCFA), tandis que la part totale de l’éducation et de la santé ne dépasse pas 1 milliard. Ce sont pourtant les secteurs pour lesquels la population soudanaise souffre particulièrement, avec un taux d’analphabétisme très élevé, un système de soins de santé extrêmement dégradé et des prix des médicaments qui augmentent à des niveaux que les gens ordinaires ne peuvent tout simplement pas se permettre.

Et ça ne s’arrête pas là. Le gouvernement s'apprête à poursuivre sa politique de suppression graduelle des subventions gouvernementales aux hydrocarbures, qui avait pourtant provoqué des mouvements massifs en 2012 et 2013. Le gouvernement avait à l'époque tiré à balles réelles pour réprimer les marches, causant la mort de dizaines de manifestants. Quelques jours avant le budget, le gouvernement a également annoncé la suppression des subventions sur le dollar douanier, ce qui dévalué la livre soudanaise pour la faire passer de 7 livres pour un dollar à 18 livres pour un dollar. Cette dévaluation de la livre soudanaise par rapport aux autres monnaies aura un impact terrible sur la hausse des prix, à un moment où les gens se plaignent déjà de la poursuite de l’inflation (qui est actuellement d’environ 25 %). Cette politique étouffera encore plus les pauvres, puisqu’ils ne pourront même plus satisfaire leurs besoins de base.

Pendant que le gouvernement augmente son budget militaire, il harcèle un certain nombre de militants et de politiciens par l’entremise de ses agences de sécurité. C'est ainsi que les dissidents politiques Ilham Malik et Ehssan Ebdalaziz ont été appréhendés la semaine passée. Depuis, le Service national du renseignement et de la sécurité les interroge chaque jour, sans leur expliquer pourquoi, en les faisant attendre de nombreuses heures entre deux séances, sans aucune raison donnée, comme moyen de contrôle psychologique. Le président d'un syndicat d'agriculteurs, Hassbo Ebrahim, a également été arrêté dans la matinée du 28 décembre.

Le système ne se contente pas de harceler les activistes et d’attaquer les libertés individuelles ; il extorque aussi de l’argent aux citoyens par le biais de la loi sur « l’ordre public », qui vise à déterminer jusqu'au style vestimentaire de la population. Vingt-quatre jeunes filles ont été arrêtées au cours du mois écoulé et présentées devant les tribunaux pour « attentat à la pudeur ». Ces accusations ont ensuite été abandonnées après que cette affaire a provoqué un scandale international. Mais de nombreux cas ne sont pas signalés par les médias. Des statistiques récentes montrent que plus de 40.000 cas de « trouble à l’ordre public » sont enregistrés chaque année dans la seule région de Khartoum ! La loi sur l’ordre public est très floue et son interprétation est à la seule discrétion des agents de police en charge. En plus d’être un outil de soumission (en particulier contre les femmes), cette loi s’applique beaucoup plus vers la fin de l'année car elle est utilisée par le gouvernement pour obtenir le plus d’argent possible afin de parvenir à boucler son budget.

La répression féroce contre le peuple soudanais

Des revirements dans la politique étrangère

En même temps que le gouvernement annonçait son budget, il a reçu la visite du président turc Erdoğan, au cours de laquelle de nombreuses réunions ont eu lieu et des accords ont été signés entre les deux pays sur des questions économiques et militaires. Un accord a été plus particulièrement conclu pour remettre la ville portuaire de Suakin, une ile située sur la côte ouest de la mer Rouge (et où trouve des monuments archéologiques datant de l’époque turque ottomane), à la direction du gouvernement turc pour une période de 99 ans. Des militants ont protesté contre cette décision, arguant qu’elle porte atteinte aux droits fonciers des populations locales et que le territoire du Soudan appartient à ses citoyens et ne devrait pas être négocié par les gouvernements.

Cette visite a été accompagnée d’une réunion tripartite entre les dirigeants des forces militaires turques, soudanaises et qataries. Il y a lieu de penser que Suakin pourrait devenir un avant-poste militaire turc au Soudan, suite à l’échec des pourparlers en vue de l’établissement d’une base militaire russe sur le rivage de la mer Rouge qui ont eu lieu lors de la visite d’el-Béchir en Russie le mois dernier.

La visite du président en Russie, ainsi que l’influence militaire, économique et politique croissante de la Turquie au Soudan, illustrent les changements rapides dans les relations extérieures et dans l’attitude du régime soudanais vis-à-vis de l’alliance turco-qatarie dans la région, alors que les relations autrefois solides entre le Soudan et l’Arabie saoudite passent par une zone de turbulences. La brutalité du régime saoudien envers les Houthis dans la guerre du Yémen a créé un grand malaise à Khartoum. Les relations ont commencé à se détériorer récemment suite à un affrontement entre forces militaires émiraties et soudanaises dans le sud du Yémen.

L'ambiance devient ainsi de plus en plus tendue entre le Soudan et le pôle régional constitué autour de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. Les médias égyptiens ont vivement critiqué ce récent rapprochement, craignant que la présence d’une base militaire au Soudan ne constitue une menace pour les pays voisins. Les relations entre l'Égypte et le Soudan se sont elles aussi dégradées en raison de nouveaux conflits autour des territoires contestés de Hala’ib et de Shalatin, ainsi qu’en raison du soutien du Soudan à l’Éthiopie pour la construction d’un immense barrage hydroélectrique (le barrage de Nahdha, ou « barrage de la Renaissance ») sur le Nil bleu, qui aura un impact sur le cours du Nil en Égypte.

Tous ces développements surviennent à un moment où les différents partis se préparent aux prochaines élections législatives d’avril 2020. De plus, le parlement débat d’une décision visant à amender la Constitution pour permettre à el-Béchir de se présenter pour un troisième mandat (la Constitution actuelle ne lui permet pas de se présenter plus de deux fois). Les dernières élections ont eu lieu en 2015 et ont été boycottées par les principaux partis d’opposition. On s’attend cependant cette année à ce que certains partis participent aux élections, puisqu’ils sont entrés depuis lors dans un « dialogue national » convoqué par le régime.


Le Comité pour une Internationale ouvrière au Soudan estime que ce « dialogue » avec le régime n’est qu’une plaisanterie dont le but est de compromettre l’opposition dans un accord qui préserve l’essence même de la politique procapitaliste du régime. Ce « dialogue » est d'ailleurs rejeté par la grande majorité de la population soudanaise. Nous préconisons plutôt la construction d’un mouvement de lutte prolétarienne indépendant pour renverser le régime pourri d’el-Béchir. Ce régime doit être remplacée par un gouvernement constitué de représentants démocratiquement élus dans toutes les régions et communautés soudanaises pour lancer la reconstruction socialiste du pays, sur base de la planification des richesses et dans l’intérêt de toute la population soudanaise.

La lutte n'est pas finie au Soudan pour la dignité du peuple



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