Mais seule la lutte de
masse pourra assurer la défense des intérêts des masses populaires
sous la présidence Buhari
Les élections du
28 mars 2015 ont sans nul doute constitué un important
point tournant dans l'histoire du Nigeria. C'est la première fois en
55 ans depuis l'indépendance du Nigeria qu'un parti dirigeant a
été chassé du pouvoir par les élections – en l'occurrence,
il s'agit du départ du Parti démocratique populaire (PDP) qui
dirigeait le pays depuis maintenant 16 ans (soit depuis la fin
de la dictature militaire en 1999). Bien que 14 partis et
candidats aient concouru, le scrutin s'est essentiellement joué
entre les deux principaux partis politiques de l'élite
procapitaliste du pays : le PDP au pouvoir, et le Congrès
panprogressiste (APC).
Analyse du Comité exécutif national du Mouvement socialiste démocratique (DSM, section nigériane du CIO)
Le vainqueur des élections
est le candidat de l'APC, le général Muhammadu Buhari, un
ancien dictateur militaire, musulman originaire du nord-ouest du
pays, d'ethnie peule. Ces élections sont sa quatrième tentative de
se faire élire. Il a obtenu 15 424 921 voix (54 %),
remportant le scrutin avec 2,6 millions de voix de plus que le
candidat du PDP et président sortant, Goodluck Jonathan, qui a
reçu 12 853 162 voix. Ce n'est pas une très grande
différence si on la compare aux résultats des autres élections qui
ont eu lieu depuis le retour du régime civil en 1999, mais cela
représente malgré tout une importante défaite pour le PDP.
Le PDP sera désormais un
parti minoritaire au sein de la prochaine Assemblée nationale, vu
que l'APC, en même temps qu'il a remporté la présidence, a aussi
gagné plus de 60 sièges de députés au sénat comme à la
chambre des représentants. Cependant, malgré cela, l'APC n'a pas pu
obtenir la majorité des deux tiers à l'Assemblée qui est
nécessaire pour pouvoir faire passer des décisions importantes.
Néanmoins, c'est la première fois que l'APC se retrouve en position
de pouvoir nommer les responsables de l'Assemblée nationale.
Les élections précédentes
ont souvent vu le PDP se maintenir au pouvoir en utilisant la force
conférée par son mandat présidentiel, les fonds étatiques, la
police et de l'armée pour organiser une fraude électorale massive
en sa faveur. La confiance que le PDP avait placée dans son immense
machine de fraude électorale était telle qu'un des anciens
présidents du parti a été jusqu'à proclamer que son parti allait
encore certainement rester au pouvoir pour les 60 prochaines
années.
Mais ces élections ont
consacré un transfert du pouvoir d'une section de la classe
dirigeante à une autre faction de cette même classe. Pour la
plupart des Nigérians qui ont participé aux élections, celles-ci
ont représenté l'occasion de se débarrasser d'un gouvernement qui
était fortement méprisé à cause de la politique antisociale
menée, malgré le fait qu'il avait été porté au pouvoir par une
vague de « relatif soutien populaire ».
Mais en janvier 2012,
soit un an à peine après son élection, Jonathan a surpris
tout le monde en augmentant le prix de l'essence, qui est subitement
passé de 65 à 140 naïras/litre (de 180 à
420 francs CFA/litre). Cette décision a provoqué la
colère des masses ; des millions de travailleurs partout au
Nigeria sont partis en grève générale.
À présent, après que
l'élite dirigeante à la corruption exubérante a dilapidé les
bénéfices du cours élevé du pétrole pour son propre compte, la
menace d'un redoublement de la politique d'austérité couplée à
l'inaptitude du gouvernement à faire cesser l'insécurité
représentée par Boko Haram n'ont fait que s'ajouter à la
colère populaire qui s'est exprimée dans les urnes.
Malgré le fait que le
vainqueur de ces élections n'est jamais qu'un autre représentant de
l'élite dirigeante capitaliste, les masses pauvres et laborieuses
ont à présent pris la pleine mesure de leur pouvoir qui est la
possibilité de punir un parti par la voie des urnes et de forcer un
changement de gouvernement. « S'il n'y a pas de changement dans
notre situation, alors nous allons changer de gouvernement tous les
quatre ans » : cette phrase est devenue comme un
refrain repris en chœur par toute une couche de la population.
Pour les socialistes et
pour les militants de gauche, cependant, il faut tirer les leçons de
ces élections. Cela signifie par exemple que dans la période à
venir, un parti politique prolétarien authentique pourrait émerger,
se battre pour le pouvoir et gagner. Même s'il y a très peu de
chances pour que le parti de la classe dirigeante accepte de céder
le pouvoir de manière pacifique au cas où il serait battu lors des
élections par un véritable parti du « changement »,
càd. un parti politique prolétarien qui remette fondamentalement en
question les intérêts du capitalisme et les privilèges de l'élite
dirigeante corrompue. Cependant, la confiance que les masses
laborieuses et la jeunesse ont acquises en participant à ces
élections sera cruciale pour mener à bien la construction d'une
telle alternative politique prolétarienne de masse.
Des manifestations de joie
spontanées ont éclaté dans la soirée du mardi 31 mars dans
de nombreuses villes comme Lagos, Ibadan, Osogbo et dans le nord du
pays. La dernière fois où on a vu des élections susciter autant
d'engouement populaire était les élections du 12 juin 1993,
dont les résultats avaient été annulés par le régime militaire
du général Badamosi Babangida.
Il est certain qu'aucune
des élections que nous avons connues depuis le retour à un régime
civil il y a 16 ans n'a eu le même impact. Néanmoins, il faut
tout de même remarquer que moins de la moitié des électeurs ont
été voter : le taux de participation n'a été que de 43 %,
ce qui montre que des dizaines de millions de personnes ne se sont
pas senties concernées ou n'ont trouvé aucun candidat qui les
arrange parmi les différents partis en lice.
Goodluck reconnait sa défaite face à Buhari. Il ne s'agit finalement que de deux candidats issus de la même classe et défendant le même système |
Pourquoi ce scrutin a été
exceptionnel
Plusieurs facteurs
économiques et politiques expliquent pourquoi ces élections ont été
si différentes :
Le premier facteur est
l'échec total du PDP sur le plan socio-économique. Ce parti n'a pas
pu apporter la moindre amélioration à la vie des masses populaires
du pays. Pendant 16 ans de pouvoir PDP, les masses laborieuses
n'ont connu que la souffrance, une aggravation de leurs conditions de
vie, sociales et économiques, alors qu'on ne faisait que parler
d'une manne pétrolière.
Malgré le fait que
l'économie se soit accrue jusqu'en 2014 grâce à la hausse des
cours du pétrole et à l'importance des exportations de pétrole
brut, la grande majorité de la population n'a connu que la hausse
des inégalités face à des hauts cadres de l'État qui ne faisaient
que piller les finances publiques et se plonger dans la corruption.
Le département de l'Énergie des États-Unis estime que le pétrole
a fait gagner au Nigeria 200 000 milliards de francs CFA
entre 2010 et 2014. Mais on n'a rien vu de cet immense
revenu ni en termes de développement de l'infrastructure, ni en ce
qui concerne les conditions de vie de la population.
Le deuxième facteur très
important est la crise économique qui touche le pays depuis à peu
près juillet 2014, due à l'effondrement du cours du pétrole
sur le marché mondial. Le pays s'est tout à coup retrouvé
incapable de répondre à ses obligations du fait de la baisse de son
revenu. 18 gouvernements régionaux doivent entre cinq et
deux mois de salaires à leurs employés, y compris dans les
États dirigés par l'APC qui vient de remporter les élections.
Le pétrole compte pour
70 % dans le revenu du Nigeria et 90 % dans le total de ses
exportations. Le déclin du prix du pétrole a causé un trou dans
les finances du pays : la Banque centrale du Nigeria estime que
les réserves en devises étrangères ont encore diminué de 5 %
au mois de mars, pour ne plus s'élever qu'à 18 000 milliards
de francs CFA. À cause de ça, la monnaie nationale, le naïra,
est en chute libre : il a perdu 20 % de sa valeur contre le
dollar (il y a un an, 1 dollar coutait 160 naïras,
mais aujourd'hui c'est 200 naïras), ce qui pèse très
fortement sur les performances des banques et sur les opérations des
industriels et des importateurs.
Juste après les
élections, le magazine The Economist de Londres écrivait que
« l'inflation qui est à présent de 8,4 % … pourrait
atteindre les 15 % d'ici la fin de l'année », et que la
forte baisse du revenu pétrolier pourrait vouloir dire qu'« il
faudra plus de coupes budgétaires. Les projets de construction de
routes et autres seront sans doute gelés parce qu'il n'y a plus
d'argent pour payer les constructeurs ».
Tout cela cause de
l'inquiétude parmi les investisseurs dont la profitabilité est
menacée. Mais surtout, cela suscite évidemment aussi la colère
parmi les masses populaires qui, même si elles n'avaient rien gagné
de la hausse du prix du pétrole, voient pourtant depuis peu leurs
conditions de vie fortement empirer à cause de la baisse de ce même
prix. Il n'est donc pas surprenant de constater que mis à part la
rébellion de Boko Haram, l'enjeu le plus important de la
campagne pour tout le monde était l'économie, notamment la gestion
du revenu national et la corruption du régime.
Le troisième facteur qui
a contribué à l'engouement populaire lors de ces élections est la
perception selon laquelle la présidence Jonathan a été le
gouvernement capitaliste le plus incompétent qu'a connu le pays
depuis 1999. Jonathan avait été élu avec un assez large
soutien populaire en 2011, bénéficiant de 24 millions de
voix (c'est à dire presque autant de voix que celles que lui et
Buhari ont obtenues ensemble cette année !). Les masses pauvres
du pays avaient vraiment espéré que ce cadre du PDP assez peu
connu, issu d'un milieu pauvre, qui déclarait qu'il n'avait même
pas de chaussures à ses pieds pour aller à l'école quand il était
enfant, allait enclencher un nouveau développement économique et
social qui allait permettre au pays de progresser avec toute la
population.
Mais tout comme les
camarades du DSM (Mouvement socialiste démocratique, section du CIO
au Nigeria) l'avaient expliqué, la présidence Jonathan était un
gouvernement capitaliste qui œuvrait dans les intérêts de ce
système et de l'impérialisme. Sa politique antisociale de
privatisation a été une catastrophe pour les travailleurs et les
pauvres. De même en ce qui concerne la corruption à grande échelle
de son gouvernement et son échec à tous points de vue, y compris
face à la rébellion du Boko Haram dans le Nord-Est.
C'est ainsi que huit mois
à peine après avoir été élu, le président Jonathan a été
confronté dès janvier 2012 à un mouvement de masse à
l'échelle nationale accompagné d'une grève générale, déclenché
par le triplement du prix de l'essence à cause de l'abandon des
subsides étatiques.
Dans ce contexte, de
nouvelles divisions se sont ouvertes au sein de la classe dirigeante,
et de nouvelles alliances ont été nouées entre les divers clans
rivaux, culminant avec l'abandon de Jonathan par l'ancien président
Obasanjo et une épidémie de départs du PDP. Son autorité
affaiblie, Jonathan a rapidement vu les principales puissances
impérialistes prendre leurs distances par rapport à lui.
Malgré la nature
bourgeoise de celui qui a gagné les élections, la défaite de
Jonathan et du PDP est un évènement qui mérite d'être célébré ;
il s'agit d'une défaite bien méritée. Déjà en janvier 2012,
alors que le mouvement de contestation atteignait son paroxysme, les
masses avaient appelé à la chute du régime Jonathan.
Donc, en réalité, le
gouvernement antisocial du président Jonathan aurait déjà dû
avoir été dissout dès 2012 ; la seule chose qui l'a
sauvé a été la trahison de la direction du Congrès nigérian du
Travail (NLC) et du Congrès des syndicats (TUC) qui, apeurée par
l'ampleur de la radicalisation qui se développait dans la rue et qui
était en train de donner naissance à un sentiment révolutionnaire
dans tout le Nigeria, a appelé à mettre fin à la grève sans avoir
obtenu la moindre revendication, pas même le retour des subsides
étatiques sur l'essence (sans parler de la chute du gouvernement).
Donc au vu de tout cela,
les élections du 28 mars 2015 ont essentiellement
constitué un référendum sur la présidence de Jonathan. D'une
certaine manière, c'était également un verdict populaire contre
l'inefficacité et la tactique de collaboration de classes suivie par
la direction syndicale. Dans tous les cas, c'est cette revendication
politique, formulée dès janvier 2012, que les masses rendues
furieuses par la politique antisociale et procapitaliste du
gouvernement PDP en plus de tous ses échecs (notamment vis-à-vis du
Boko Haram) ont à présent concrétisée dans les urnes.
Grève de 2011 : « Les Nigérians ensemble contre la corruption : supprimez la corruption pas les subsides sur l'essence » |
Buhari
Le quatrième facteur dans
ces élections a été la candidature du général Muhammadu Buhari,
un ancien dictateur militaire qui a dirigé le Nigeria de son coup
d'État de décembre 1983 jusqu'au coup d'État d'aout 1985
qui l'a chassé du pouvoir. Pendant ses vingt mois passés à la
tête de l'État, il avait entrepris beaucoup d'efforts pour mettre
un terme à la corruption et au gaspillage de l'argent public, mais
avait en même temps perpétré de nombreuses attaques contre les
droits démocratiques, avec la fermeture de plusieurs journaux, la
censure, l'expulsion des travailleurs immigrés, la répression
brutale des grèves et des manifestations, et des licenciements
collectifs pour les travailleurs grévistes. Tout cela avait été
accompagné par une politique d'austérité capitaliste destinée à
freiner les dépenses publiques par des coupes budgétaires
drastiques.
Il est intéressant de
constater que le régime Buhari avait rompu les liens avec le FMI
lorsque cette institution avait ordonné à son gouvernement de
dévaluer le naïra de 60 % ; cependant, les réformes
qu'il avait mises en place par lui-même étaient tout aussi
rigoureuse et brutales que celles exigées par le FMI. Par exemple,
Buhari avait décidé d'arrêter les subsides aux restaurants
étudiants sur les campus des universités publiques, ce qui avait
suscité une opposition de masse, en particulier de la part des
étudiants. En 1984, la Nans (Association nationale des
étudiants nigérians), dirigée par Lanre Arogundade, avait
organisé une grève et une marche nationale pour manifester contre
les attaques antisociales de Buhari dans l'enseignement. Parmi les
autres mesures prises par lui à l'époque, on peut citer la fin du
recrutement au service civil fédéral et l'arrêt de plusieurs
grands projets d'État.
Il ne fait aucun doute que
le régime Buhari de 1983-85 s'est véritablement démené pour faire
cesser la corruption et le gaspillage. Parmi ses efforts, on peut
citer l'arrestation de nombreuses personnes accusées de détourner
les fonds publics, de spéculateurs et de blanchisseurs d'argent,
ainsi qu'un décret pour condamner à la peine de mort les coupeurs
de route et braqueurs, qui a été appliqué avec effet rétroactif
(en violation flagrante de tous les droits démocratiques).
Cependant, et comme c'est bien souvent le cas de la part des
réformistes procapitalistes, la plupart de ces actions ont échoué
pour la bonne raison qu'elles cherchaient à soigner les symptômes
de la maladie plutôt que la véritable racine du problème : le
système capitaliste qui est la source fondamentale de la corruption.
De plus, certaines de ces
actions étaient ciblées et visaient des critiques du régime. C'est
ainsi que le grand chanteur d'afrobeat Fela Kuti, qui avait
beaucoup critiqué Buhari, a été arrêté le 4 septembre 1984
à l'aéroport de Lagos au moment où il allait prendre son avion
avec son groupe pour aller jouer aux États-Unis. Fela était accusé
d'avoir exporté de l'argent étranger illégalement, alors qu'il
était évident que cette opération avait pour but le financement de
ses musiciens qui étaient déjà partis sur le terrain pour préparer
sa tournée américaine. Son arrestation a suscité un scandale au
Nigeria et un peu partout à l'étranger, avec des déclarations
d'Amnesty International, etc. Mais cela n'a pas empêché que
Fela soit enfermé pour cinq ans.
On a aussi vu de nombreux
journalistes comme Tunde Thompson et Nduka Irabor du
Guardian se faire arrêter au nom du fameux « décret nº4 »
selon lequel était interdite tout « fausse accusation »
envers des cadres du régime.
Par contre, au même
moment, le 10 juin 1984, l'émir de Gwandu (un émirat
haoussa du nord-ouest du pays), dont le fils était l'aide-de-camp de
Buhari, est revenu d'Arabie saoudite avec 53 valises remplies de
billets de banque sans qu'aucune de ces valises ne soit contrôlée
par la douane à l'aéroport.
En même temps, Buhari a
aussi lancé une « guerre contre l'indiscipline » le
20 mars 1984, par laquelle le régime avait décidé de
remédier à ce qu'il considérait comme un manque de moralité
publique et de responsabilité citoyenne dans la société nigériane.
Ainsi, les fonctionnaires qui arrivaient en retard au travail étaient
humiliés et forcés de « faire la grenouille » devant
les soldats. On forçait également les Nigérians « turbulents »
à faire de jolis rangs aux arrêts de bus encadrés par l'armée,
laquelle avait le droit de fouetter toute personne jugée « pas
assez sage ».
C'est pourquoi, malgré
toutes les tentatives faites aujourd'hui par les propagandistes de
son parti pour embellir son passé, le régime militaire de Buhari
était à l'époque haï pour sa politique procapitaliste brutale et
pour ses nombreuses attaques à l'encontre des droits démocratiques,
des droits de l'homme et des conditions de vie.
Mais malgré toutes ces
caractéristiques dictatoriales et procapitalistes de Buhari, il
reste perçu par les populations pauvres du nord du pays (et
également à présent par de larges couches des masses populaires et
des jeunes des villes du Sud) comme une personne incorruptible, au
train de vie modeste voire austère, qui a toujours refusé de vivre
dans le luxe affiché par les anciens dirigeants du pays. Les
populations pauvres du Nord voient aussi Buhari comme quelqu'un qui
ne fait pas partie de l'élite bourgeoise ni de l'aristocratie
haoussa/peule qui détient le pouvoir dans le nord du pays.
C'est donc cette
combinaison de plusieurs facteurs : l'image de Buhari, l'absence
d'une alternative politique prolétarienne authentique et crédible,
l'abandon de la lutte par la direction syndicale, en plus de
l'incompétence flagrante du gouvernement Jonathan, qui a suscité
toute cette popularité et cet enthousiasme dans le cadre de ces
élections. Il ne faut par conséquent pas considérer ce résultat
comme étant un plébiscite en faveur de Buhari et/ou de l'APC.
Buhari et l'APC sont
plutôt les bénéficiaires d'un désir ardent de dégager un
gouvernement antisocial qui avait échoué à tout point de vue. Si
un véritable parti prolétarien de masse avait pu mener campagne
avec un programme politique et économique socialiste et
anticapitaliste, Buhari et l'APC n'auraient sans doute pas pu
constituer un tel point de ralliement ; parce que la population
aurait vu qu'il aurait existé une véritable alternative par rapport
à la corruption, à la décadence et à l'arriération représentée
par le PDP autant que par son frère jumeau qui est l'APC.
Cependant, confrontées à
la possibilité d'un nouveau mandat de quatre ans pour le PDP
qui promettait un nouveau tour de politique antisociale, les masses
laborieuses ont décidé que Buhari représentait le « moindre
mal » ou, selon le bon mot du magazine The Economist :
« le moins affreux des deux ».
Le général Buhari dans les années '1980. Entre deux coups d'État… |
Les pièges ethniques et
religieux
Malheureusement,
l'éternelle division du Nigeria selon des lignes ethniques et
religieuses s'est inévitablement invitée dans la campagne
électorale. Cela ne veut cependant pas dire que les facteurs
ethniques et religieux ont été aussi déterminants que lors des
élections précédentes. Mais cela démontre qu'à cause de la
question nationale du Nigeria qui reste jusqu'ici non résolue,
l'élite dirigeante nécoloniale et procapitaliste du Nigeria, qu'il
s'agisse du clan rangé derrière le PDP ou de celui de l'APC, reste
incapable de formuler un véritable discours politique pour tout le
Nigeria sans que la question ethnique ou religieuse ne pointe encore
et toujours sa vilaine tête. Il suffit de jeter un œil aux
résultats région par région pour s'en rendre compte.
Par exemple, mis à part
le Sud-Ouest (région de Lagos et pays yoruba) où les deux candidats
ont obtenu à peu près la même proportion de voix, Jonathan et
Buhari ont obtenu des votes massifs et décisifs dans les régions
dont ils sont originaires. Buhari, un musulman nordiste, a obtenu
1,9 millions de voix dans la ville de Kano ; Jonathan, un
chrétien sudiste, a quant à lui reçu 1,4 millions de voix
dans l'État des Rivières (région de Port Harcourt dans le
delta du Niger, en pays igbo). Le taux de participation au Nord comme
au Sud était aussi bien plus élevé qu'au Sud-Ouest. Dans le
Sud-Ouest, le facteur ethnique et religieux a eu très peu
d'importance (mis à part certaines personnes originaires de l'Est,
du delta du Niger ou du Nord qui ont voté selon des lignes
ethniques) vu qu'aucun des candidats ne venait de cette région.
Mais surtout, les masses
laborieuses de la région ont déjà connu des gouvernements PDP et
APC au niveau régional, qui ont tous rivalisé dans la politique
antisociale et dans la corruption. Quatre États du Sud-Ouest sont
dirigés par l'APC. Le plus important d'entre eux est l'État de
Lagos, qui est dirigé par l'APC depuis maintenant 16 ans. Ce
parti n'a jamais rien fait pour améliorer le sort de la grande
majorité des pauvres Lagotiens.
Tout en affirmant vouloir
transformer Lagos en une « métropole moderne », le
gouvernement APC de Lagos a perpétré des attaques brutales sur les
masses laborieuses. Les chauffeurs de taxi-moto se sont fait ôter
leur revenu, les chauffeurs de bus et de taxi sont constamment
harcelés par toutes sortes de taxes de même que les artisans et les
commerçants ruinés par les impôts, les médecins du public et
autres fonctionnaires qui s'étaient vus contraints de partir en
grève se sont faits licencier pour ce motif, etc.
Il y a trois ans, les
frais d'inscription à l'université publique de Lagos sont passés
de 75 000 francs CFA à un million de francs par an !
Ce n'est que par une lutte de masse des étudiants, alliés au
personnel de l'université, à laquelle ont activement participé
aussi la Campagne pour le droit à l'enseignement et le Front
d'action uni, que le gouvernement a été forcé d'annuler cette
hausse des frais.
Dans d'autres États
dirigés par l'APC, comme l'État de Osun, les fonctionnaires n'ont
pas été payés depuis cinq mois. Alors que les gouvernements
régionaux prétendent que leurs finances sont à sec à cause de la
baisse du cours du pétrole, ces mêmes gouvernements régionaux ont
trouvé les moyens pour financer la campagne électorale de l'APC.
Tout cela a créé parmi
la population du Sud-Ouest un sentiment d'indifférence par rapport
au jeu politicien entre le PDP et l'APC. C'est pour cela que les
deux partis ont obtenu à peu près les mêmes scores dans la
plupart des États du Sud-Ouest. À Lagos, seuls 1 495 975
personnes sont venues voter sur un nombre total d'électeurs de
5 827 846, soit un taux de participation d'à peine 26 %.
Cela montre bien que les gens sont fatigués et de l'APC et du PDP,
mais sans qu'aucune alternative ne soit proposée. Si à Lagos,
792 460 personnes ont voté pour Buhari et 632 327 pour
Jonathan, le troisième candidat, celui de l'Alliance pour la
démocratie, n'a obtenu de son côté qu'à peine 4453 voix.
Bien entendu,
contrairement à 2011, le PDP a perdu de nombreux États qui
avaient autrefois voté pour lui au Nord comme au Sud, tandis que
Buhari a obtenu pour la première fois dans l'histoire de son parti
un très grand nombre de voix dans le Sud, y compris la majorité
dans cinq des six États du Sud Est (delta du Niger).
La doctrine de « changement » promue par l'APC a
certainement eu un effet sur les électeurs au-delà des divisions
ethniques et religieuses. Les efforts du PDP pour effrayer les
électeurs chrétiens en leur racontant que « Buhari cherche à
islamiser le Nigeria » n'ont pas eu le moindre effet.
Il est instructif de noter
que Buhari a obtenu un important soutien dans les États centraux,
dont la population est essentiellement chrétienne. Il y a gagné la
majorité dans quatre des six États. Dans ces États, surtout
dans l'État de Benué (où vit l'ethnie Tiv, chrétienne), la
population a mis de côté la question religieuse pour punir le
gouvernement PDP qui ne payait pas les salaires des enseignants et à
cause de qui les écoles ont été fermées pendant plusieurs mois
entre 2013 et 2014 alors que le pétrole se vendait
toujours au-dessus des 100 $ du baril. En outre, les
fonctionnaires de cet État n'ont pas été payés depuis six mois.
Mais d'un autre côté,
Buhari a pu compter sur les voix des Nordistes qui lui ont permis de
remporter les élections de manière décisive. S'il est vrai qu'on a
vu la population fêter la victoire de Buhari dans tout le pays, y
compris à Port Harcourt (qui est la base de Jonathan), cela ne
fait que masquer la division ethnique qui reste cachée telle une
bombe à retardement.
Chose étonnante, c'est le
journal The Nation, l'organe de l'APC, qui a été le premier à
annoncer cette inquiétude dans la presse bourgeoise du Nigeria. Dans
son édition du 1er avril consacrée aux résultats des
élections, son rédacteur en chef Emmanuel Oladesu a souligné
les points suivants : « Contrairement aux élections du
12 juin 1993 qui avaient élu le candidat du Parti
social-démocrate, feu chef Moshood Abiola, le mandat octroyé
au général Buhari pourrait ne pas être perçu comme un mandat
pannigérian, vu le vote qui s'est beaucoup exprimé selon des lignes
ethniques ou religieuses ».
Poursuivant, il écrit :
« La position prise par le Nord musulman dans la bataille pour
la présidence a été clairement façonnée par son désir de voir
un changement de pouvoir. De même, le comportement des électeurs
dans le Sud et le Sud-Est a également été influencé par la
question ethnique et religieuse ». Dans son commentaire sur le
nouvel alignement des forces politiques causé par les résultats
électoraux, Emmanuel Oladesu dit aussi que : « L'alliance
apparemment naturelle entre le Nord et le Sud/Sud-Est qui datait
d'avant la Première République a maintenant disparu. Pour la
première fois, c'est le Sud-Ouest et le Nord qui semblent s'être
mis d'accord ».
Même si cette
problématique a pour l'instant été mise en sourdine par le fait
que le président Jonathan a admis sa défaite publiquement et
immédiatement même avant que tous les votes ne soient comptés, le
mécontentement
ethnique va inévitablement revenir sur le devant de la scène à
partir d'un certain moment.
Ceci,
parce que le capitalisme – que Buhari et son parti l'APC
comptent bien perpétuer avec leur accès au pouvoir – est à
sa base un système injuste qui empêche toute distribution équitable
des richesses, puisqu'il a pour mécanisme leur concentration entre
quelques mains. Seule une action décisive du mouvement syndical peut
unifier les luttes de la population ; par contre, sans cette
unification, le mécontentement des masses pourrait prendre un
caractère ethnique ou religieux. Les factions rivales au sein de la
classe capitaliste peuvent chercher à exploiter les divisions
ethniques. Ce n'est donc pas un hasard si, dans son allocution à la
suite de la proclamation des résultats par la CEI, l'agent national
du PDP, l'ancien ministre Godsdey Orubebe, a accusé le
président de la CEI, M. Jaga, d'être un « tribaliste ».
Cela
pourrait signifier qu'à partir d'un certain moment, les habitants du
delta du Niger et du Sud qui produisent le pétrole vont à nouveau
commencer à se sentir marginalisés et délaissés, malgré le fait
que la situation de la population de cette région ne s'est
aucunement améliorée lorsque le « fils du Sud »
Jonathan était au pouvoir. Dans la plupart des États du Sud, y
compris l'État de Bayelsa où est né Jonathan, la majorité de la
population reste pauvre, souffre de l'exploitation et de la
répression par les multinationales pétrolières, n'ont pas accès à
l'électricité, aux routes ou à l'infrastructure. De nombreux
jeunes désespérés se lancent dans le raffinage informel du pétrole
afin de survivre.
Le
magazine Financial Times le souligne également : « Selon
des dirigeants politiques du delta du Niger, il y a un risque
important que d'anciens militants qui ont profité de la présidence
de M. Jonathan tentent à présent de se maintenir coute que
coute en provoquant des troubles » (31 mars 2015).
Explosion de joie dans les rues de Kaduna (pays haoussa, nord du Nigeria). « Votez APC : Le changement est possible » |
Des élections pas si
libres et ouvertes
Comme la plupart des
observateurs locaux et internationaux l'ont rapporté, ces élections
se sont distinguées par un nombre qualifié de très bas
d'irrégularités, de fraude et de violence. Cela n'a tout de même
pas empêché, selon la Commission national des droits de l'homme,
50 personnes de se faire tuer pendant le vote samedi 28 mars.
On a aussi entendu parler d'actes de violence dans l'État des
Rivières, où quatre personnes ont trouvé la mort, y compris
un soldat. Cela, malgré le fait que 360 000 policiers
avaient été déployés dans tout le pays à des emplacements
stratégiques avec des chiens renifleurs, etc. en plus de la
mobilisation de l'armée.
Dans son rapport, la
Mission d'observation du scrutin de l'Union européenne a
mentionné des failles dans le processus comme par exemple
l'ouverture tardive de certains bureaux de vote, les
dysfonctionnements de l'identification biométrique, certains
incidents violents regrettables et la réouverture des bureaux le
dimanche. Selon le Groupe de suivi de la transition, les voix de
l'État des Rivières et d'autres États du Sud (base du président
sortant Jonathan) semblent avoir été fortement gonflées pendant le
comptage.
Lundi, des milliers de
manifestants ont assiégé le bureau de la CEI pour exiger la tenue
d'un nouveau scrutin dans leur État. Lors d'un de ces accidents, le
siège d'une délégation locale de la CEI dans l'État des Rivières
a été incendié par les manifestants. On a également eu des
rapports selon lesquels dans le Nord, qui soutient Buhari, des
mineurs sont venus voter et les voix ont été exagérées lors du
comptage.
En outre, un des traits
distinctifs de ces élections a été les sommes astronomiques
dépensées tant par le PDP que par l'APC. Bien entendu, le PDP qui
était le parti au pouvoir au niveau fédéral disposait d'une source
quasi illimitée de fonds pour financer sa campagne. Le régime du
PDP a mis à profit la période de six semaines de report des
élections (du 14 février au 28 mars) pour dépenser des
milliards et des milliards de naïras pour sa campagne avec des
publicités, des meetings, des réunions avec divers regroupements et
associations, des clips et des documentaires de propagande.
Mais l'APC n'était pas
loin derrière. Des milliards de naïras ont également été
dépensés par l'APC qui a plongé les mains dans les finances de
tous les États sous son contrôle. Cela explique en partie pourquoi
dans de nombreux États, comme l'État d'Osun, les fonctionnaires
n'ont pas été payés depuis cinq mois.
Dès le départ, au moment
de choisir les formulaires de vote, le PDP comme l'APC avaient déjà
décidé que le résultat du scrutin serait une simple affaire de
savoir qui des deux factions rivale de l'élite dirigeante
allait dépenser le plus d'argent, tandis que les masses populaires
étaient malheureusement reléguées au rang de simples spectateurs
tout juste bons à applaudir l'un ou l'autre dirigeant.
Malgré son discours
contre la corruption et pour le « changement », Buhari a
pris le formulaire
de nomination présidentiel
de l'APC pour 27,5 millions de naïras (80 millions de
francs), tandis que le président Jonathan a payé 22 millions
de naïras pour le formulaire du PDP (65 millions de francs).
C'est une autre raison
pour laquelle les illusions des masses dans la présidence de Buhari
vont certainement être rapidement réduites à néant. C'est celui
qui paye le musicien qui décide de la musique. Buhari a parcouru
tout le pays d'un bout à l'autre en volant dans des jets privés :
il n'aurait jamais pu se lancer dans une campagne aussi couteuse
– bien plus couteuse que ses trois dernières campagnes
réunies –, sans d'énormes investissements de la part des
nombreux escrocs et détourneurs de fonds publics qui abondent au
sein de l'APC.
Ces individus vont à
présent certainement exiger un retour sur investissement et des
compensations en termes de contrats juteux et de mesures économiques
favorables après l'intronisation de Buhari. Cela veut donc dire que,
comme cela s'est passé avec tous les gouvernements précédents,
malgré ses bonnes intentions affichées, l'argent censé financer
l'enseignement, la santé ou les services sociaux terminera à la
place dans les poches et sur les comptes en banque des riches
soutiens et parrains de son parti, qui ne vont pas perdre de temps à
s'emparer de leur part du gâteau dès que le nouveau gouvernement
aura été mis en place.
« Le Nigeria a besoin de M. Buhari pour : sécurité maximum, corruption zéro, discipline » |
Les perspectives pour les
masses populaires
Les masses populaires,
surtout les couches qui ont placé le plus d'illusions dans Buhari,
vont entrer dans une nouvelle période où ces illusions seront
soumises aux tests et vérifications les plus sévères. Il sera
extrêmement important que les socialistes et les militants de gauche
utilisent la période actuelle pour maintenir et renforcer les liens
avec la classe des travailleurs, la jeunesse et les masses pauvres
ainsi qu'avec leurs organisations afin de tirer ensemble les leçons
que nous réserve la nouvelle période qui s'ouvre au Nigeria.
À la suite de ces
élections, l'enthousiasme délirant des dernières semaines semble
en train de doucement faire place à une certaine sobriété. Même
le journal Punch, dans son éditorial du mardi 2 avril 2015,
a reconnu le fait que « Le Nigeria a déjà vu de fausses
aurores auparavant, surtout après les élections générales
de 2011, lorsque les électeurs ont porté Jonathan au pouvoir
sur une vague de sympathie à la suite du décès soudain du
président Umaru Yar' Adua ».
Il ne fait aucun doute que
le nouveau gouvernement de Buhari va prendre le pouvoir dans une
période extrêmement sombre pour le capitalisme. Les revenus d'État
sont en chute libre à cause de l'effondrement du cours du pétrole.
La naïra a perdu une grande partie de sa valeur, tandis que
l'inflation s'est accrue de +0,25 points de pourcentage entre janvier
et février pour atteindre 8,4 %.
Après que ses
prédécesseurs aient dilapidé la majorité du revenu provenant de
la vente du pétrole lorsque l'économie se portait bien, le nouveau
gouvernement va avoir relativement peu de moyens (pour un
gouvernement capitaliste) avec lesquels démarrer. Pour ce
gouvernement capitaliste dans lequel les larges masses populaires ont
placé leurs espoirs et leurs aspirations à une vie meilleure,
l'évolution de la situation économique va le restreindre
sérieusement et le forcer à abandonner bon nombre de ses promesses
à un moment où la population s'attend justement au « changement ».
Il ne fait aucun doute que le gouvernement Buhari sera un
gouvernement de crise.
Le gouvernement entrant,
malgré l'intégrité personnelle de Buhari, ne sera jamais qu'un
autre gouvernement capitaliste, càd. un gouvernement dont l'objectif
est de rendre les riches plus riches et ce, aux dépens de la
majorité pauvre, via une politique de privatisation, de
commercialisation et de soi-disant « partenariats
publics-privés ». Né il y a deux ans de la fusion de
différents partis d'opposition et de personnes qui ont quitté le
PDP au pouvoir, l'APC qui a choisi Buhari comme son candidat aux
élections est un parti procapitaliste qui s'inscrit dans la même
idéologie de privatisation et de dérégulation que le PDP, et a
déjà démontré dans les États où il a remporté les élections,
qu'il est bien plus efficace en tant que défenseur du capitalisme.
Le journal The Guardian
du 2 avril 2015 a fait état de l'enthousiasme sur les
marchés à l'annonce de la victoire de Buhari. Selon un rapport, la
capitalisation sur le marché à la bourse du Nigeria s'est accrue de
8,5 % mercredi, soit 906 milliards de naïras de plus
(2700 milliards de francs). Les opérateurs expliquent que « On
n'a jamais connu un tel rebond du marché dans toute l'histoire de
notre bourse informatisée ». Un courtier a décrit cette
amélioration comme étant un signe de « retour de la confiance
des investisseurs ».
Le naïra a lui aussi
opéré un brusque demi-tour en reprenant de la valeur face aux
principales devises alors qu'il ne faisait que baisser jusqu'ici. Le
directeur exécutif de Highcap Securities Limited,
M. Tunde Adanri, a résumé cette humeur en disant qu'il
espère que le nouveau régime soutiendra l'enthousiasme des
investisseurs en mettant en œuvre des « mesures économiques
tournées vers le marché ».
Cela veut dire que, après
quelques concessions temporaires faites au départ afin de répondre
quelque peu aux attentes des masses, il est plus que certain que la
politique de l'administration Buhari sera la même que celle suivie
par les gouvernements précédents, faites de mesures procapitalistes
telles que la privatisation, la dérégulation, le sous-financement
de l'enseignement, la hausse des frais d'inscription, etc. Cela
signifie que le Nigeria restera plongé de manière indéfinie dans
la même situation paradoxale d'une misère de masse au milieu d'une
abondance de richesses.
En particulier, en
conséquence de la baisse du revenu national, le gouvernement va
tenter d'imposer une politique d'austérité tout en lançant
quelques actions symboliques de haut vol contre quelques personnes
notoirement archicorrompues. Mais dans le contexte de chute du cours
du pétrole, l'austérité constituera le gros de la politique qui se
présentera au gouvernement Buhari. L'austérité va mener à des
pertes d'emplois, à la dépression économique et à une aggravation
des conditions de vie. Cela a été confirmé par le Financial Times
du 31 mars 2015 pour qui « ayant pris le pouvoir dans
une période tout aussi morose dans les années '80, le général
Buhari a déjà une bonne expérience pour ce qui est d'imposer
l'austérité ».
Cependant, les masses
laborieuses et la jeunesse dont la puissance a fini par dégager le
gouvernement PDP ne vont pas rester là à regarder sans rien faire
tandis que leurs conditions de vie sont attaquées. La présidence
Buhari pourrait par conséquent mener à une explosion de la lutte
populaire. Des manifestations et grèves de masse pourraient être à
l'ordre du jour tôt ou tard.
On peut voir un
développement de luttes qui, si elles sont menées de manière
décisive, pourraient arracher des concessions. Mais dans ce contexte
de crise, ces concessions ne seront que temporaires. Ce dont nous
avons besoin est un mouvement qui se batte pour une rupture complète
avec le système capitaliste.
Au fur et à mesure que la
déception envers le gouvernement Buhari se répandra et que les
masses commenceront à ouvrir les yeux, de plus en plus de gens vont
partir en quête d'une alternative. Mais si le mouvement syndical,
les socialistes et les militants de gauche ne sont pas prêts avec
une alternative politique sous la forme d'un parti prolétarien de
masse, il y a un risque que des couches de la population et de la
jeunesse déçues placent à nouveau leurs espoirs dans un autre
parti ou candidat de la même élite dirigeante capitaliste. Au
niveau régional, nous avons d'ailleurs déjà vu le pouvoir passer
du PDP à l'APC et vice-versa sans que cela n'amène le moindre
changement dans les conditions de vie des masses.
C'est pourquoi la
meilleure façon d'éviter de se retrouver à nouveau dans cette
situation où la classe des travailleurs met sa foi dans l'une ou
l'autre faction bourgeoise rivale de laquelle elle attend un salut
qui ne vient jamais, est que les syndicalistes, les socialistes et
les militants de gauche commencent la tâche cruciale de la
construction d'une alternative politique sous la forme d'un parti
prolétarien de masse.
Nous, membres du DSM
(section nigériane du CIO) et du Parti socialiste du Nigeria (SPN),
réitérons donc notre appel au mouvement syndical à se hâter, en
particulier suite à ces élections de 2015, de convoquer un
congrès des syndicats, des socialistes et de la société civile où
pourra être posée la question de la construction d'un parti
politique prolétarien de masse représentant une véritable
alternative.
Coalition de la société civile et des syndicats : « Oui à la grève, appliquer le salaire minimum, respect des accords entre patrons et personnel » |
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