Une révolte de masse qui ébranle le
régime dans ses fondations
Le Parti ouvrier et socialiste
d'Afrique du Sud salue les travailleurs et les jeunes du Zimbabwé
pour leur courage et pour leur détermination dans leur résistance
contre la dictature du régime de Robert Mugabe.
Nous condamnons la
déclaration du secrétaire général de l'ANC qui décrit cette
révolte des masses comme étant l'œuvre de « forces
obscures » : cela ne fait que démontrer que l'élite
dirigeante de l'ANC considère les masses zimbabwéennes avec le même
mépris qu'elle a pour son propre peuple en Afrique du Sud. Pour ce
régime, comme pour le régime de l'apartheid avant lui, la
population est incapable de comprendre son oppression et de se
dresser contre elle.
En vérité, les « forces obscures » qui ont
poussé le peuple à la lutte ne sont personne d'autre que le
chômage, la misère, la corruption et l'effondrement de l'économie
orchestrés par le régime capitaliste ZANU-PF lui-même.
Déclaration du Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud (section sud-africaine du CIO)
Le Zimbabwé décrit par les
Combattants pour la liberté économique (EFF, le parti de Julius
Malema) dans leur discours pour les 40 ans d'indépendance de ce
pays n'existe que dans l'imagination enfiévrée de leur direction.
Cette image est bien loin de la réalité de la vie pour les masses
sous la dictature de Mugabe – un des modèles favoris de Malema
pour son art de la rhétorique pseudoradicale.
Le chômage au
Zimbabwé touche 90 % de la population : seuls
700 000 habitants sur 12 millions gagnent une forme de
travail. La pire sècheresse depuis des décennies a poussé à la
famine 4 millions de gens (un tiers de la population). Un pays
qui était autrefois le grenier de l'Afrique australe a été
transformé en désert. La dislocation économique, le chômage, la
corruption, la répression ont mené à un exode massif hors du pays,
réduisant la population de plus d'un tiers.
L'économie stagne, avec une croissance
de 0 % en 2014 et une « hausse » de 0,9 %
en 2015. Les prédictions « optimistes » de la
Banque mondiale misent sur un petit 3 % en 2018, qui, quand
bien même il serait réalisé, n'offrirait que peu de réconfort à
la population par rapport à la politique capitaliste désastreuse
mise en place par Mugabe.
Mugabe, un dirigeant révolutionnaire ?
Depuis sa prise du pouvoir, la
politique capitaliste de la ZANU-PF (Union nationale africaine du
Zimbabwé – Front populaire) a été un désastre pour l'économie
du Zimbabwé comme pour les masses. Les dernières mesures
économiques ne font que compléter la longue liste de toutes les trahisons des
objectifs de la lutte de libération telle que le peuple l'avait
envisagée. Les premières étapes de cette histoire de trahisons ont été la signature des
accords de Lancaster House en 1979, dont l'essence était la
promesse de Mugabe de préserver la dictature économique de la
classe capitaliste.
Par ces accords, Mugabe acceptait de ne
pas toucher à la propriété capitaliste, d'honorer la dette d'État
contractée par le régime blanc de Smith, de fermer les bases à
partir desquelles l'ANC organisait sa lutte armée en Afrique du Sud,
et de ne pas toucher aux terres des riches planteurs blancs. Tout au
long de ces 36 ans de revirements brusques et variés, allant de
la capitulation totale face aux intérêts des capitalistes aux
réformes pseudoradicales entreprises par son régime bonapartiste
bourgeois, on constate que ce qui a dicté et dicte au final l'ensemble de la politique de la ZANU-PF depuis lors, est toujours la subordination des
intérêts des masses à ceux de l'élite post-libération et à ceux
des capitalistes nationaux et internationaux.
Alors qu'aux débuts du règne de la
ZANU-PF, la rhétorique politique de Mugabe était pleine d'éléments
de langage radicaux, voire socialistes, sa politique gouvernementale
n'a jamais dévié de la ligne capitaliste dans ses fondements. Au
départ, les illusions que la population pouvait avoir envers le
règne de Mugabe étaient renforcées par les importantes réformes
entreprises : la reconstruction du pays après la fin de la
guerre civile, l'annulation du budget de guerre du régime de la
minorité blanche en faveur d'une politique sociale, ainsi que
l'arrêt des sanctions internationales qui avaient lourdement frappé
le régime Smith.
Tout cela avait notamment permis au gouvernement de
la ZANU-PF de doubler le nombre d'élèves scolarisés et de
construire des milliers de nouvelles écoles dans les cinq ans qui
ont suivi l'indépendance. Dans cette première période, Mugabe
dénonçait systématiquement les ministres ZANU-PF qu'il accusait
d'imiter les capitalistes parasites, allant jusqu'à comparer la bourse à un
bordel.
Mais malgré leur animosité envers les
discours radicaux de Mugabe, les capitalistes ont bien vite réalisé
que ces discours n'étaient jamais suivi de la moindre action correspondante. Comme le dit Leo Zeilig dans son ouvrage Crisis in Zimbabwe, « selon, un des plus
grands banquiers des États-Unis, les dirigeants des
principales entreprises du pays (TA Holdings, Lonrho, Anglo American,
etc.) lui paraissait impressionnée et satisfaite de la gestion de
Mugabe et de la compréhension croissante du gouvernement
envers les considérations commerciales … Il me semble que cela
devient comme une tradition pour Mugabe de se lancer dans un grand
discours radical et anticapitaliste juste avant que son gouvernement
ne prenne de nouvelles décisions favorisant les grandes entreprises ».
Un député ZANU de
gauche, Lazarus Nzareybani, concluait en 1989 que « Le
programme socialiste a été reporté à une date indéterminée.
Comment parler de socialisme dans un parti dirigé par de riches
propriétaires terriens, qui emploient en masse une main-d'œuvre bon
marché ? Lorsque les combattants étaient en brousse avec les
armes, ils luttaient non pas pour déranger le système, mais pour le
démanteler complètement. Et que voyons-nous aujourd'hui ? Des
dirigeants qui s'empressent de faire appliquer les mêmes mesures
qu'ils combattaient auparavant. »
Malgré tous les discours, Mugabe n'a jamais rompu avec l'impérialisme, bien au contraire (ici avec la Première ministre britannique Thatcher) |
Quel repartage des terres ?
Mugabe avait
évidemment tout à fait raison lorsqu'il dénonçait l'hypocrisie du
gouvernement britannique, qui n'a jamais envoyé les fonds prévus par les accords de Lancaster House pour dédommager les planteurs
blancs dont les terres devaient être redistribuées. Mais en quoi
cela l'empêchait-il d'accomplir sa réforme ? Si la
redistribution des terres avait été appliquée dans le cadre d'un
programme socialiste de transformation de l'économie, le manque de
financement n'aurait même pas pu constituer un obstacle !
Mais,
fidèle à sa politique utopiste qui cherchait à satisfaire les
intérêts des masses tout en tentant en même temps de maintenir le
capitalisme et de fournir à la classe bourgeoise noire toutes les
opportunités d'enrichissement dont elle rêvait, Mugabe a fini par
faire de son programme de réforme agraire un véritable fiasco tant
politique qu'économique.
Les confiscations
de terre qui ont finalement été accomplies ont couté
200 000 postes de travailleurs agricoles. Même si beaucoup
de paysans noirs ont pu avoir accès à ces terres, Mugabe a surtout
utilisé son programme pour affermir son soutien politique en
distribuant les meilleurs terrains à ses amis politiciens, juges,
généraux d'armée et commissaires de police. Mugabe était ainsi
déterminé à s'assurer que ses amis, déjà privilégiés, se
retrouvent en tête de la file d'attente.
Une gestion calamiteuse de l'économie
La crise actuelle
découle en premier lieu directement des mesures désespérées
prises par le régime Mugabe pour tenter de sortir son pays du
marasme économique profond dans lequel il s'était retrouvé au début des années '2000. L'inflation a atteint
231 millions % (la deuxième plus forte inflation de
l'histoire) – ce qui veut dire que certains jours, les prix doublaient
d'heure en heure ! La seule solution avancée par la banque nationale
pour tenter de contrer ce déluge océanique a été d'introduire le
billet de 100 millions de milliards de dollars zimbabwéens – le
record historique de chiffres sur un billet, pour une monnaie qui ne valait
absolument plus rien du tout.
Mais, tout comme la « cure »
d'austérité brutale censée servir de remède à la crise provoquée
par le Plan d'ajustement structurel, lui-même imposé en 1991
pour résoudre la crise des années '80, s'est finalement avérée
pire que le problème, les mesures censées résorber cette
hyperinflation ont transformé le désastre en une catastrophe.
Finalement, contre le poison de l'hyperinflation, le régime a opté pour
l'équivalent économique d'une transfusion sanguine : faire
disparaitre le dollar zimbabwéen de la circulation pour le remplacer
par le rand sud-africain et par le dollar états-unien. Cette
humiliation auto-infligée signifiait la perte d'un aspect critique
du pouvoir de la banque nationale (la possibilité de dévaluer la
devise nationale afin de renforcer la compétitivité et donc
accroitre les exportations). L'avenir de l'économie zimbabwéenne
s'est retrouvé désormais encore plus lié à celui de l'économie
sud-africaine et de l'économie mondiale.
Cette mesure a causé une forte hausse
des prix, handicapant l'industrie locale et forçant les
consommateurs et les entreprises à ne plus compter que sur
l'importation de marchandises bon marché provenant d'Afrique du Sud
et de Chine. Les parrains politiques du Zimbabwé en Chine n'ont
montré que peu de sympathie à leur allié de longue date, laissant
Mugabe rentrer de Beijing les mains vides, incapable de rembourser sa
dette envers le FMI.
L'inondation du marché national sous les
marchandises importées à bon marché a provoqué une aggravation de
la crise de la balance de paiement et des tensions insoutenables sur
la demande de devises pour financer les importations. Sans aucun
contrôle sur les devises qui circulent dans le pays ni sur
l'impression ou l'approvisionnement de monnaie, il n'en fallait pas
plus pour que le pays soit bientôt dépourvu de la moindre
liquidité.
Mais ça, c'était avant la crise
financière internationale de 2007-2008 – la pire crise du
capitalisme mondial depuis 70 ans ! Suite à cette Grande
Récession, l'économie zimbabwéenne a coulé tout droit jusqu'au
fond de l'océan économique. Le fameux « supercycle des matières
premières » s'est avéré n'avoir été rien d'autre qu'un
mirage pour les marchés émergents.
Enfin, comme s'il faisait un concours
avec lui-même pour le prix de l'incompétence en matière de
gouvernance, le régime Mugabe a cherché le salut dans une aventure
militaire, en envoyant l'armée zimbabwéenne se battre au
Congo-Kinshasa, pour participer aux côtés d'autres forces au
pillage des ressources de ce pays, réduisant l'armée de libération
nationale au rang de mercenaires au service d'une élite corrompue.
Loin de récupérer, l'économie est entré dans une nouvelle phase
de dépression prolongée.
Attention à ne pas confondre le billet de 50 millions et le billet de 50 milliards ! En attendant le billet de 100 millions de milliards…… |
Les masses endurent une crise après l'autre…
Un peuple fier d'avoir vaincu la
minorité blanche, qui avait atteint le plus haut niveau
d'alphabétisation du continent dans la période qui a suivi
l'indépendance, se voit maintenant réduit à la mendicité, forcé
de devenir une nation d'émigrants économiques prêts à accepter
n'importe quel petit travail, transformé en un réservoir de
main-d'œuvre bon marché pour les pays voisins. Pendant ce temps, le service de soins de
santé qui était relativement décent est à présent détruit,
dépassé par une épidémie de sida qui touche désormais plus d'un million de
Zimbabwéens.
Pendant que les masses s'enfoncent
dans la pauvreté, le régime Mugabe et ses disciples ont poursuivent leur orgie d'enrichissement personnel : la corruption s'est
répandue comme un virus dans chaque secteur de l'économie. En
pleine crise, le gouvernement s'est vu contraint d'avouer qu'il était
incapable de dire où étaient passés les 15 milliards de dollars
(9000 milliards de FCFA) issus de l'exploitation des diamants du
pays. Cette somme a tout simplement « disparu » !
Le fil rouge dans toutes ces tentatives
de résoudre les nombreuses crises économiques survenues tout au
long de ces 36 ans est qu'à chaque nouveau soubresaut, le fardeau de la crise a
été placé sur le dos de la population. Depuis l'austérité
imposée par le plan d'ajustement structurel de la Banque mondiale
(que Mugabe, en bon disciple de l'impérialisme, a appliquée malgré
l'importante contestation populaire), jusqu'aux retards des salaires
et aux restrictions actuelles sur les importations, c'est toujours le
prolétariat qui a payé le prix de ces mesures « anticrises ».
En plus des limites aux importations et
du manque criant de liquidités, le régime a décidé d'introduire
des « obligations d'État » dont la valeur est fixée par rapport à celle du
dollar mais qui n'ont aucune valeur en-dehors du Zimbabwé. Cette
proposition a été perçue comme une tentative secrète de restaurer
le dollar zimbabwéen que personne ne veut plus voir ! Ce qui a
suscité un vent de panique : des foules se sont précipitées
pour retirer leur argent à la banque, aggravant en fait la pénurie
d'argent liquide.
La majorité de la population dépend aujourd'hui
de transferts d'argent de l'étranger ou du commerce
transfrontalier : lorsque le gouvernement a décidé de placer
des restrictions aux montants pouvant être retirés au guichet, cela
a encore allongé les banques ; lorsqu'il a décidé d'interdire
l'importation de toute une série de produits de base tels que le
lait pour café, les pommades, les mèches artificielles, les matelas
ou les engrais, cela a privé les masses du dernier gagne-pain qui
leur restait.
Les restrictions à l'importation
signifient que ce régime qui se trouve à la tête d'une économie
incapable de donner un travail à 90 % de la population
empêchait désormais tous ces sans-emplois de gagner leur vie d'une
autre manière. Pour la population, les dernières réserves de
patience et de courage face à l'adversité ont été épuisées.
C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le mouvement de masse
actuel. Le dos au mur, le peuple n'a plus d'autre choix que de se
lever pour résister.
Marche des femmes du 16 juillet 2016. Les manifestantes frappent des marmites pour montrer que celles-ci sont désespérément vides. |
La manipulation pour réprimer les masses
Ce renouveau de la lutte de masse suit
plus de quinze ans de réaction politique et de marasme économique.
Ébranlé par l'étroitesse de sa victoire frauduleuse sur le MDC (Mouvement pour le changement démocratique) aux élections législatives de 2000, Mugabe est résolu à
conserver le pouvoir par n'importe quel moyen. Il a « gagné »
depuis chaque élection présidentielle et législative en recourant
à la manipulation (notamment en supprimant des registres électoraux
les nombreux Zimbabwéens de l'étranger) accompagnée de campagnes
de violences et de brutalités exercées par l'armée et les vétérans
de la guerre, devenus les ennemis du peuple alors qu'ils étaient
censés être ses libérateurs.
Les dirigeants du MDC et autres
militants ont été chassés, persécutés, enlevés et tués. Mugabe
a exploité et abusé de la loyauté des vétérans de guerre qui
avaient participé à la répression des mouvements de masse dans les
années '90, a transformé les membres de la jeunesse de la
ZANU-PF en loubards tout juste bons à agresser les opposants. Au
même moment, Mugabe continue ses discours pseudoradicaux dans
lesquels il accuse l'impérialisme occidental de tous les maux, que
ce soit la crise économique, le mécontentement populaire ou même
la sècheresse.
Dans notre sous-région d'Afrique
australe, Mugabe bénéficiait de l'autorité d'un dirigeant qui
avait dirigé un mouvement de libération nationale tel qu'il avait
forcé l'impérialisme à s'assoir à la table des négociations ;
il traitait d'ailleurs avec mépris Mbeki et Zuma, incapables de prétendre à
de tels faits d'armes. À l'exception de Seretse Khama Ian Khama, le
dirigeant du Botswana (lui-même loin d'être un démocrate), les
dirigeants de la CDAA (Communauté de développement de l'Afrique
australe) se contentaient de se courber devant Mugabe, lui
renouvelant à chaque fois son siège de chef de la Sécurité et de
la Défense de la CDAA, un organe dont la véritable fonction est
l'écrasement de toute contestation dans les différents pays de la
sous-région.
Le président sud-africain Mbeki ainsi
que son successeur Zuma n'ont jamais livré les conclusions de la
commission d'enquête constituée autour des élections
présidentielles de 2002 au Zimbabwé. Le rapport des juges de
la cour constitutionnelle Kampempe et Moseneke, dont la révélation
s'est faite sous la contrainte d'une décision de justice portant sur
la liberté d'information, n'a fait que confirmer ce qui était bien
connu mais qui était officiellement tu depuis plus de dix ans,
c'est-à-dire que ces élections n'avaient pas été transparentes ni
honnêtes.
Le gouvernement
de l'ANC a joué un rôle très important dans le maintien de Mugabe
au pouvoir contre la volonté du peuple, entrainant dans la foulée
tous les dirigeants de la CDAA. Un fameux exemple de sa collusion
avec la ZANU-PF est la manière dont il a couvert le coup d'État
parlementaire dénommé « élections législatives »
de 2005 : le ministre sud-africain des Mines et de
l'Énergie de l'époque, Phumzile Mlambo-Ngcuka, qui dirigeait alors
l'équipe des observateurs de la CDAA au Zimbabwé, a déclaré ces
élections « ouvertes, transparentes et professionnelles, …
avec une importante attention portée sur l'égalité des genres et
sur la représentation de la jeunesse ». C'est cet acte
répugnant qui a valu à Mlambo-Ngcuka son poste de vice-président
de la république sud-africaine. Parallèlement à cela, l'ANC avait
envoyé son propre représentant du parti à la tête de sa propre
mission d'observation, en la personne du ministre du Travail
Membathisi Mdladlana, qui a lui aussi déclaré ces élections libres
et transparentes, s'étant selon lui « déroulées dans un
climat politique apte à la bonne tenue de la campagne électorale ».
Comme les
camarades du CIO en Afrique du Sud l'ont fait remarquer, ces
« rapports d'observation » ont été émis malgré le
fait que la ZANU-PF avait remporté les voix d'environ 3 millions
d'électeurs fantômes, après avoir gonflé le nombre d'électeurs à
6 millions – un nombre extraordinaire dans un pays qui compte
12 millions d'habitants mais dont 4 millions, qui vivent à
l'étranger, n'avaient pas le droit de prendre part au scrutin. Dans
un flash-info à la télévision nationale, la ZANU-PF avait même au
départ annoncé recevoir un nombre de voix supérieur à la
population en âge de voter du pays !
La cour suprême
du Zimbabwé avait aussi autorisé sept candidats de la ZANU-PF à se
présenter malgré le fait que ces candidats avaient été déclarés
coupables de fraudes lors des élections de 2000. Comme notre
correspondant à Harare nous l'a rapporté, le MDC s'est vu interdire
d'organiser des meetings et se trouvait sous de nombreuses pressions
visant à l'intimider.
Les limites des
circonscriptions électorales ont été retracées afin d'accroitre
le nombre de sièges des zones rurales et de diminuer ceux des zones
urbaines. Les votes des forces armées n'ont pas été supervisés ni
vérifiés ; de nombreux soldats se sont plaint de ne pas avoir
voté ou qu'on ait voté à leur place. Les médias ont refusé de
diffuser les publicités du MDC ; tous les journaux indépendants
ont été fermés.
Mugabe et son meilleur ami Jacob Zuma |
Un dirigeant discrédité parmi ses soutiens traditionnels
Mugabe,
irrévocablement marié au capitalisme, est désormais à cours
d'options. Chaque mesure adoptée par lui au cours des trente-cinq
dernières années n'a fait qu'aggraver la crise, que ce soient les
plans de privatisation, d'africanisation, de réforme monétaire ou
de contrôle sur les importations. Mugabe, face à cette crise à la
fois politique et économique, est comme pris au piège de sables
mouvants : plus il se débat, plus il s'enfonce.
L'incapacité de Mugabe à payer les
salaires des soldats à temps, le sentiment généralisé qu'il n'a
pas la moindre solution à offrir face à la crise politique,
économique et sociale qui étrangle le pays, les grondements
clairement audibles de l'éruption à venir de la révolte des
masses… tout cela va contraindre l'armée à se tourner vers des
solutions radicales et jusque là, impensables. Mugabe ayant épuisé
toutes ses dernières réserves de crédibilité politique, il n'est
plus le maitre de son univers. Les masses ne sont pas les seules à
s'en être rendu compte : la classe dirigeante en est elle aussi
bien consciente.
La déclaration émise par les vétérans
de guerre le 22 juillet 2016 a été adoptée à
l'unanimité par l'ensemble de leurs structures dans les dix
provinces du pays, et signée par chacun des présidents d'arrondissement
et des représentants de branches économiques. Cela représente un
point tournant, que Mugabe prend visiblement très au sérieux
puisqu'il s'est empressé de faire arrêter le porteparole et le
secrétaire général des vétérans.
Cette déclaration confirme
l'évaporation des dernières illusions qui avaient liés ces combattants à
Mugabe et qui avaient fait d'eux le principal pilier de son pouvoir
pour la répression des masses et pour le maintien de sa dictature.
Ce pilier fait à présent défaut à Mugabe ; la prise de
position des vétérans de guerre en faveur des masses aura des
répercussions à tous les échelons de l'armée, ce qui va accroitre
les tensions entre l'armée et la faction toujours loyale à Mugabe.
Il n'est pas impossible que Mugabe, face à des pressions provenant à
la fois de l'intérieur et de l'extérieur (via l'Afrique du Sud, la
CDAA et l'UA), ne finisse par accepter de démissionner « pour
le bien du pays », afin d'éviter la descente dans le chaos.
De profondes divisions au sein de la
ZANU, paralysée sur la question de la succession, ont été révélées par la formation de la faction G40 dont le but est d'assurer la
continuation de la dynastie Mugabe via sa femme, Grace Mugabe
(pourtant très peu populaire) et l'élimination de tout candidat
rival à la succession. Emmerson Munangwaga, dont la promotion au
poste de vice-président semblait à l'époque être le signe d'une
désignation en tant que successeur favori de Mugabe, s'est retrouvé
marginalisé au point qu'il aurait été exclu d'une récente réunion
du bureau politique de la ZANU. Mugabe s'accroche autant que possible
au pouvoir, annonçant même qu'il sera encore candidat aux élections
de 2018 alors qu'il aura 94 ans, de peur que son départ ne
provoque une guerre de succession ouverte et l'éclatement de la
ZANU.
Les vétérans de la guerre de libération, qui avaient toujours soutenu le régime, considèrent de plus en plus Mugabe comme ayant trahi leurs idéaux |
Comment en sommes-nous arrivés là ? Mouvement populaire, direction petite-bourgeoise
Cette vague de manifestations et de
grèves représente la plus grande contestation au Zimbabwé depuis
le mouvement de masse qui a ébranlé le régime ZANU-PF en 1996-98
et qui a failli le renverser. D'importantes leçons doivent être
tirées de l'expérience de ces luttes, du rôle du MDC et, en
remontant plus loin, des résultats de la lutte de libération
elle-même.
À chaque fois, la classe ouvrière n'a pas pu
s'organiser de manière indépendante en tant que classe, se laissant
représenter par des éléments issus d'autres classes qui, toutes,
partageaient la conviction que le système capitaliste pourrait être
géré d'une manière telle qu'il puisse bénéficier à la société
dans son ensemble.
Pourtant, tant la ZANU, qui avait émergé en tant
que force la plus militante du pays et qui a joué le premier rôle
dans la lutte contre le régime de la minorité blanche, que la ZAPU
de laquelle elle était issue, ont été en fait les produits directs
de la lutte du prolétariat, et particulièrement de la grève
générale de 1948. Mais malgré son caractère plus radical, la
ZANU, tout comme la ZAPU, étaient dirigées par des éléments
originaires de la classe moyenne, qui n'avaient aucun programme de
renversement du capitalisme en tant que partie prenante de la lutte
pour la libération nationale.
Dans les années '90 tout comme
aujourd'hui, les travailleurs du secteur public étaient à la tête
du mouvement. Ils avaient été rejoints par les travailleurs de
l'industrie et du commerce, par les femmes qui ont organisé les
trois jours de « révolte du pain » contre la hausse du
prix des denrées alimentaires, par les étudiants, par les
travailleurs agricoles qui ont organisé des occupations de terres,
par des vétérans de guerre, le tout accompagné d'une grève
générale.
Ce mouvement a appelé à la formation d'un nouveau parti
des travailleurs, ce qui a forcé la direction du Congrès syndical
zimbabwéen à fonder (à vrai dire contre son gré) le Mouvement
pour le changement démocratique (MDC) en septembre 1999.
Malheureusement, la direction du MDC, l'enfant politique de la
révolte des années '90, a été incapable de résister aux
nombreuses attaques lancées par Mugabe et s'est avérée indigne du
mouvement qui l'avait fait naitre. Compromis dès le départ par
l'influence d'hommes d'affaires libéraux, le MDC a adopté une
politique économique procapitaliste en vérité à droite de celle de la
ZANU-PF.
Jusqu'au lancement officiel de cette organisation en septembre 1999, ce parti était dominé par
des syndicalistes, mais un bloc de classe moyenne, représentant les
intérêts du patronat local et international, a rapidement commencé
à s'implanter dans la direction du parti. C'est ainsi qu'Eddy Cross, un important
homme d'affaires, est devenu le porteparole du MDC sur les affaires
économiques. Lors des élections législatives de juin 2000,
les travailleurs ne constituaient déjà plus que 15 % des
candidats.
La politique du parti s'est également rapidement modifiée : le
parti a commencé à se chercher des parrains parmi les dirigeants
occidentaux et annonçait, dans son programme électoral, vouloir
promouvoir le « libre marché », la « privatisation »,
les « investissements directs » et une réforme agraire
qui était encore plus à droite que celle de la ZANU-PF, n'offrant
que très peu de redistribution de terres à destination des pauvres.
Le MDC est devenu le poulain de l'Occident, ne faisant en fin de compte qu'étayer la rhétorique anti-impérialiste pseudoradicale de
Mugabe.
Une fois élu dans plusieurs conseils
municipaux, le MDC s'est retrouvé infecté de la même corruption,
du même factionnalisme et de la même autocratie que la ZANU-PF.
Après d'innombrables scissions, aucune de ces factions rivales
issues du MDC n'a été capable de mettre en avant une direction apte
à trouver l'issue à l'impasse dans laquelle se trouve la société
zimbabwéenne. Accablées par la misère, l'indigence et la famine,
les masses se sont retrouvées forcées de supporter encore la dictature de
Mugabe jusqu'à ce qu'elles n'en puissent décidément plus.
En l'absence d'un programme socialiste pour reconstruire le Zimbabwé, le MDC a rapidement été infiltré par des agents de l'impérialisme, renforçant la posture de Mugabe |
Vers où aller ?
Les masses reprennent une lutte que
l'on peut dores et déjà qualifier de nouveau « Chimurenga »,
excepté que cette lutte vise à présent la libération de la
ZANU-PF et du système capitaliste qu'elle représente. Elles le font
dans des conditions qui sont infiniment plus compliquées sur le plan
économique qu'il y a quinze ans, mais dans un contexte politique qui présente une nouvelle opportunité pour les masses de
construire sur la base des acquis de la formidable révolte des
années '90. Il leur faut cette fois bâtir un parti
révolutionnaire des prolétaires et des paysans armé d'un programme
socialiste pour dégager non seulement le régime Mugabe mais aussi
le système capitaliste pourri de crises qui leur inflige misère sur
misère.
La révolte en cours montre toutes les
caractéristiques inévitables des mouvements spontanés qui font
leurs premiers pas : la reconnaissance du problème central, qui
est la dictature du régime ZANU-PF dirigé par Mugabe et l'unanimité
sur le fait que toute solution à la crise sociale doit commencer par
son retrait de la scène politique. Mais à côté de ça, justement
à cause de son caractère spontané, différentes forces mettant en
avant différents programmes et appelant à suivre des trajectoires
différentes se sont également dressées – certaines allant
dans le sens des conclusions que les masses ont tirées, d'autres se
trouvant à la traine, mais aucune n'étant encore parvenue à
présenter un programme proposant l'idée d'un Zimbabwé socialiste
en tant qu'objectif pour après que Mugabe ait quitté le pouvoir.
La personne qu'on nous présente comme
étant le leader du mouvement #Thisflag, le pasteur Evans Mwariri (lequel s'est retrouvé sous les projecteurs de manière purement
accidentelle), intimidé par les accusations selon lesquelles il
serait un agent au service de forces étrangères avides d'obtenir un
changement de régime, appelle maintenant à un « dialogue national » au
cours duquel Mugabe et son parti accepteraient de quitter le pouvoir
par la négociation.
Nous ne pouvons accorder la moindre
confiance à la CDAA, à l'UE ou à l'ONU. Tous les gouvernements
membres de la CDAA sont tout aussi terrifiés du mouvement de masse au
Zimbabwé que Mugabe lui-même. Toute intervention de la CDAA sera
calculée afin d'étouffer l'incendie révolutionnaire. Même si les gouvernements de la sous-région commençaient à appeler Mugabe à laisser le pouvoir, ce serait dans
le but de pouvoir organiser une « transition » vers un
nouvel ordre procapitaliste post-Mugabe.
L'UA a prouvé à de
nombreuses reprises n'être rien d'autre qu'un club pour l'arbitrage
des rivalités entre les différents chefs d'État procapitalistes,
composé de blocs rivaux dont les allégeances sont basées sur les
liens économiques et politiques persistants vis-à-vis de leurs
anciens maitres coloniaux ou d'intérêts économiques régionaux.
L'UA est incapable de résoudre le moindre problème qui se pose aux
masses africaines où que ce soit en Afrique ; dans chaque crise
majeure, elle se contente la plupart du temps de rester là à
observer bouche bée, n'agissant qu'en cas de couverture pour des
interventions françaises ou états-uniennes. L'ONU, une agence qui a
contribué à l'assassinat de Patrice Lumumba, est elle aussi connue pour
son impuissance lors du génocide qui a tué des millions de gens au
Rwanda en 1994.
Les masses ne peuvent avoir confiance
qu'en leurs propres organisations, en leur propre pouvoir et en leur
propre programme. Leur expérience de la lutte va elle-même
certainement finir d'achever les dernières illusions et idées
erronées qu'elles pourraient avoir et forcer les différentes forces
à converger autour d'un programme d'action commune.
Mais pour
s'assurer que le processus de clarification dans la conscience aille
jusqu'à une compréhension de la nécessité de renverser le
capitalisme et d'opérer la transformation socialiste de la société,
la tâche absolument prioritaire reste la création d'un parti
révolutionnaire des prolétaires et des paysans, armé d'un
programme socialiste. Dirigées par un tel parti, les masses
zimbabwéennes pourront briser la chaine du capitalisme mondial à un
de ses maillons les plus faibles, et joindre leurs forces à celles
de la puissante classe ouvrière sud-africaine et à travers toute la
sous-région pour créer un Zimbabwé socialiste, en tant que
première étape vers la fédération socialiste d'Afrique australe,
l'Afrique unie socialiste et un monde socialiste.
L'action du peuple zimbabwéen est déjà
en train d'inspirer les masses dans toute la sous-région. Une
victoire de leur part représenterait une avancée considérable pour
les travailleurs de toute la sous-région et du continent, tout en
instillant une crainte terrible dans les cœurs des régimes de la
CDAA. Nous applaudissons la déclaration de soutien au peuple
zimbabwéen émise par le Cosatu (Congrès des syndicats
sud-africains) ; même si, vu comme l'action de cette fédération
syndicale est limitée par sa participation à l'alliance tripartite
au pouvoir en Afrique du Sud aux côtés du Parti « communiste »
et de l'ANC, il est improbable que cette motion soit suivie d'une
action conséquente.
Tandis que l'ANC insulte les masses
zimbabwéennes et que les Combattants pour la liberté économique,
qui soutiennent Mugabe, se trouvent du mauvais côté des barricades,
le WASP, Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud, est fier de
suivre les traditions internationalistes de sa classe ouvrière
révolutionnaire et d'organiser la solidarité avec la lutte au
Zimbabwé et en Afrique du Sud.
« Mugabe menteur ! » ; « Mugabe affame le peuple » ; « On veut travailler au Zimbabwé ! » |
Nous disons :
– Mugabe dégage ! Pour la
démission immédiate du régime Mugabe.
– Soutien aux manifestations
frontalières de masse. Luttons pour mettre un terme à toutes les
restrictions aux importations ! Construisons un mouvement de
masse des travailleurs des transports et des petits commerçants pour
bloquer le pont de Beit et autres points frontaliers tant que les
restrictions n'auront pas été levées.
– Luttons pour le paiement immédiat
de tous les arriérés salariaux ! Pour un plan tournant de
luttes et de manifestations de masse jusqu'à ce que les salaires
soient payés, sous la direction de comités d'action élus par les
travailleurs.
– Exigeons la libération immédiate
de l'ensemble des prisonniers politiques. Libérez tous les
prisonniers politiques à la suite du pasteur Marawire. Organisons
des manifestations de masse devant les commissariats de police et les
prisons pour exiger leur libération.
– Construisons des comités d'action
prolétariens regroupant les travailleurs, les jeunes, les
sans-emplois, les petits commerçants et les paysans dans chaque
quartier ou village afin de coordonner la contestation de masse.
Toutes les décisions concernant le mouvement des marchandises, la
prestation des services et autres décisions concernant la gestion de
la société doivent être prises par des comités démocratiques de
masse du peuple zimbabwéen.
– Ces comités d'action doivent
organiser des unités d'autodéfense soumises au contrôle
démocratique des masses afin de protéger les protestations et les
militants de l'intimidation et de la violence du régime ;
confisquons les biens de Mugabe, des cadres de la ZANU-PF et autres
cadres du régime en les plaçant sous le contrôle des comités
d'action ; interdiction de voyage pour Mugabe et les cadres de
son régime !
– Faisons perdre tous ses moyens au
régime Mugabe ! Construisons des comités d'action des simples
soldats, policiers et pilotes, avec élection des sous-officiers et
des porteparoles ; désobéissance vis-à-vis de toute ordre
provenant d'officiers attachés au régime ! Associons ces comités
de corps habillés aux comités d'action populaires pour organiser
une lutte unie. À bas les barrages et le racket policier !
– Relions les comités d'action du
peuple zimbabwéen des différentes villes, départements et régions
en une structure nationale qui assurera la fondation d'un
gouvernement des travailleurs et des paysans, et qui organisera le
jugement démocratique de Mugabe et des laquais.
– Aucune confiance dans les
institutions de l'impérialisme que sont l'ONU, l'UA et la CDAA.
Construisons des liens avec les travailleurs de toute l'Afrique
australe. Organisons des comités d'action en-dehors du Zimbabwé
dans toutes les communautés zimbabwéennes à l'étranger, en lien
avec les communautés locales et les organisations syndicales et de
la jeunesse des différents pays. Pour une lutte unie contre la
xénophobie. Luttons pour les droits des immigrés. Organisons les
travailleurs immigrés dans les syndicats partout où ils se
trouvent.
– Construisons un parti
révolutionnaire de masse des jeunes et des travailleurs pour un
Zimbabwé socialiste, dans lequel se retrouveront l'ensemble des
militants du mouvement de masse contre Mugabe.
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