Réponses à quelques contrevérités
La cherté de l'électricité qui
s'aggrave de facture en facture ne manque pas de susciter la
controverse en même temps que la colère. Au vu des récents
évènements dans ce pays et des discours qu'on entend de part et
d'autre pour nous présenter autant de soi-disant « solutions »,
il nous semble indispensable de relever ces différents arguments
point par point :
« – Le gouvernement a pris en compte les doléances des populations
– Le courant est cher parce qu'on en vend à l'étranger
– Quand la CIE augmente ses factures, c'est la France qui nous prend notre argent
– La facture doit augmenter pour encourager le privé à faire les investissements
– La libéralisation est la solution
– On ne peut rien faire contre la CIE parce que l'État a signé un contrat
– La nationalisation n'a pas marché dans le passé, c'est justement pourquoi on avait libéralisé » –– autant de phrases qu'on entend et qui sont fausses. C'est à ces différents thèmes que nous répondons pour rétablir la vérité, avant de proposer notre propre slogan : « renationalisation immédiate de la CIE sans rachat ni indemnité, sous contrôle des travailleurs et des usagers ».
1. Le gouvernement a pris en compte
les doléances des populations
Cet argument est le plus facile à
démonter : le gouvernement ne s'est jamais préoccupé le moins
du monde du sort des populations, et lorsqu'il le fait, c'est
uniquement parce qu'il s'y retrouve forcé par peur de voir une
révolte généralisée de la part de la population. Alors que la
grogne commençait à enfler avant le premier mai avec la menace de
grève dans plusieurs secteurs, le président de la République s'est
contenté de faire comme s'il ne savait rien avant de promettre un
remboursement des trop perçus et de distribuer une forte somme aux
structures syndicales (traduisez : à leurs dirigeants) afin
qu'elles calment leur base. Résultat : aucun changement, la
facture est toujours aussi élevée.
Même après les émeutes du mois de
juillet, le gouvernement n'a finalement fait qu'un demi-pas en
arrière, en reportant simplement de plusieurs mois le paiement. Mais
la facture reste à payer ! Le vol des populations continue.
2. Le courant est cher parce qu'on
en vend à l'étranger
Cette thèse chère aux milieux
« patriotiques » est totalement erronée. Certaines
personnes aiment à répéter ça parce qu'elles ont entendu que la
Côte d'Ivoire exporte de l'électricité et que ça leur permet
d'affirmer selon elles qu'Alassane est un agent étranger. Comme si
on n'avait jamais eu de président ivoirien pour brader nos
ressources nationales à l'étranger avant ça. Cet argument est
aussi censé expliquer les nombreuses coupures chez nous.
En réalité, la production
d'électricité en Côte d'Ivoire dépasse largement la consommation
nationale et ne fait qu'augmenter. Celle-ci était de 8100 GWh
en 2014, et devrait doubler d'ici 2020 avec la réalisation de
plusieurs projets comme le barrage de Soubré et de nouvelles
centrales thermiques à Azito, Vridi et Bassam. Au même moment, la
consommation n'était que de 5500 GWh en Côte d'Ivoire et les
exportations s'élevaient à 900 GWh. C'est-à-dire que ces
exportations ne représentent que 10 % de notre production
d'électricité, tandis que la consommation nationale est largement
couverte et le sera dans le futur.
En réalité, ce devrait être une
fierté pour la Côte d'Ivoire d'être capable de produire assez
d'électricité pour elle-même tout en rendant service à ses
voisins, sans oublier que la vente d'électricité représente une
source de revenus. Mais à qui ces revenus sont-ils versés ?
C'est une autre question !
Même si cela peut sembler trivial à
nos amis « patriotes » antipanafricanistes, la raison
véritable des nombreuses coupures est tout simplement le mauvais
entretien du réseau. Les pertes d'électricité s'élèvent ainsi à
20 % de la production totale, soit deux fois plus que la
quantité vendue à nos voisins.
3. Quand la CIE augmente ses
factures, c'est la France qui nous prend notre argent
En fait, Bouygues a vendu il y a un an
ses dernières actions à la société d'assurances AXA. La CIE
appartient à 56 % au groupe « Eranove », qui
détient aussi Ciprel (production d'électricité), Awalé (transport
d'électricité), la Sodeci et… la Sénégalaise des eaux. Le
groupe Eranove appartient elle-même à un holding financier appelé
Emerging Capital Partners, un groupe international qui investit dans
le commerce, les télécommunications, les infrastructures et la
finance dans 40 pays africains et dont la majorité des patrons
sont noirs.
Parler de CIE = France revient à tenir
en fait un discours éculé, à adopter une posture de colonisé qui
rejette systématiquement la faute sur l'ancienne puissance coloniale
alors que le problème est beaucoup plus fondamental : il s'agit
de raisonner non pas en termes de « nation contre nation »,
« race contre race », mais en termes de lutte des
classes, de la population opprimée de Côte d'Ivoire face à
l'emprise de groupes capitalistes multinationaux sur nos richesses
nationales de manière générale.
Ne vous inquiétez donc pas, soyons
certains, citoyens de Côte d'Ivoire, que lorsque vous payez votre
facture, certains de nos « frères » noirs mangent dedans
tout autant que les Blancs. Est-ce que ça change quelque chose pour
nous ? Pas vraiment.
4. La facture doit augmenter pour
encourager le privé à faire les investissements
Aussi curieux que cela puisse paraitre,
la CIE n'est pas une entreprise bénéficiaire. L'entretien du
réseau, la production d'électricité, l'extension du réseau…
sont des activités extrêmement lourdes et couteuses. La CIE et ses
structures-sœurs ne peuvent survivre sans subsides monstrueux que
lui verse l'État chaque année. Alors que l'idée de la
privatisation de l'électricité était d'alléger la facture pour
l'État, ce même État se retrouve contraint de verser d'importantes
sommes de l'ordre de plusieurs milliards de francs afin de garantir
que les actionnaires privés de la CIE puissent continuer à bien
manger.
La véritable raison pour la hausse du
prix étant que le FMI justement, fidèle à sa logique
d'« amaigrissement de l'État », insiste pour que l'État
ivoirien réduise ce type de dépenses. Vu le manque à gagner pour
les patrons privés, la différence doit donc logiquement se
répercuter sur les consommateurs que nous sommes.
5. La libéralisation est la
solution
Une des raisons qui explique l'apparent
manque de contrôle de l'État sur la CIE est que celle-ci, étant en
situation de monopole (n'ayant pas de concurrents sur le marché),
est libre de fixer ses prix comme bon lui semble et donc de nous
saigner jusqu'à l'os.
Tout d'abord, c'est un raccourci :
l'État conserve bel et bien la main-mise sur le prix du courant,
puisqu'il est régulateur sur le territoire national et qu'il a tous
les moyens de faire appliquer sa politique (vu que c'est lui qui a,
jusqu'à nouvel ordre, la police, la justice et l'armée).
D'ailleurs, Alassane Ouattara n'a pas hésité à affirmer que la CIE
allait rembourser le trop-plein perçu sur les factures de courant :
c'est donc bien que c'est à lui qu'il revient de fixer le tarif ?
Du reste, les population ne sont pas dupes, puisque lors des
dernières émeutes, elles s'en sont autant pris aux sièges de la
CIE qu'aux institutions représentant l'État (préfectures, etc.).
Dans ce cadre, la libéralisation
reviendrait justement à moins de contrôle de l'État sur le secteur
de l'électricité. La libéralisation équivaut en fait à
l'anarchie, tous les exemples d'application de cette mesure dans
d'autres pays le prouvent, que ce soit en Afrique ou en Europe.
D'ailleurs, l'échec de la libéralisation est si flagrant qu'une
grogne vit par exemple en Europe, avec des initiatives comme le
lancement d'une pétition paneuropéenne contre la libéralisation.
Ensuite, rien ne prouve que le prix
diminuera automatiquement lorsque des concurrents à la CIE
arriveront sur le marché. Imaginons qu'il se trouve sur un marché
une dame qui vend des pains à 200 francs ; elle en vend 50
par jour, ce qui lui rapporte 10 000 francs ; après
qu'elle ait enlevé dedans le prix d'achat de ses pains, il lui reste
2000 francs : tout juste de quoi manger pour elle-même.
Maintenant, que se passerait-il si une deuxième dame venait vendre
ses pains sur le même marché ? Les deux dames ne vendent plus
maintenant que 25 pains par jour, ce qui fait que le bénéfice
pour chacune n'est plus de 2000 francs, mais de 1000 francs
– nos commerçantes se retrouvent maintenant dans la
pauvreté ! L'offre a augmenté, une concurrence a été créée,
mais est-ce que le prix des pains ne va pas augmenter ??
– Et voilà que toutes les
théories et les beaux graphiques des économistes s'effondrent.
De plus, le secteur de l'électricité,
répétons-le, n'est pas bénéficiaire. La libéralisation ne peut
s'opérer que sur base d'un désengagement total de l'État. Si un
petit désengagement a produit des hausses capables de pousser les
populations ivoiriennes au désespoir, imaginons ce que signifierait
un retrait total des subsides !
Toute la politique de la libéralisation
repose sur l'idée qu'en invitant plus de gens à venir nous manger,
nous serions moins mangés ! On a beau faire tous les beaux
discours qu'on veut, nous ne voyons pas la logique là-dedans.
Pourtant, cette idée de libéralisation
est tellement « populaire » qu'elle est reprise en cœur,
comme une évidence, par l'ensemble des associations de consommateurs
et des partis politiques, y compris par ceux qui se disent « de
gauche ». Lorsque le PR a annoncé envisager la libéralisation
prochaine du secteur, tous ces « opposants » n'ont fait
que le critiquer pour ne pas oser le faire plus vite. Pourtant, la
libéralisation fait bel et bien partie intégrale du programme
néolibéral d'Alassane Ouattara, qui n'est jamais heureux que
lorsqu'il peut trouver de nouvelles idées « d'investissement »
pour ses amis patrons internationaux de tous horizons (marocains,
turcs, chinois, japonais, américains, allemands, et même français).
Propager le discours de la
libéralisation, c'est en fait utiliser le mécontentement des
populations pour faire passer une mesure extrêmement antisociale et
dangereuse pour la souveraineté nationale. Dans la bouche de la
droite, il s'agit d'un véritable piège qui nous est tendu. Dans la
bouche de la « gauche », il s'agit d'un véritable
suivisme idéologique qui ne nous aide aucunement à mener le moindre
combat pour la libération de notre peuple.
6. On ne peut rien faire contre la
CIE parce que l'État a signé un contrat
De tous ces arguments, c'est celui qui
nous fait le plus rire. Nous vivons dans un pays où l'État est
capable d'envoyer des bulldozers détruire en quelques minutes des
usines entières et des hôtels cinq étoiles en prévenant la veille
et où ce même État enferme à tout propos des individus pour
« atteinte à la sureté de l'État ». On ne voit
vraiment pas en quoi tel ou tel contrat signé avec tel ou tel groupe
ne pourrait être remis en cause à tout moment, au nom de
« l'intérêt national ». Tout est problème de volonté
politique.
Nous disons simplement :
« Renationalisation immédiate, sans rachats ni indemnités !
Les Ivoiriens ont assez payé ! »
7. La nationalisation n'a pas marché
dans le passé, c'est justement pourquoi on avait libéralisé
Nous voulons renationaliser la CIE. On
nous objecte que la CIE ne fonctionnait pas lorsqu'elle se trouvait
entre les mains de l'État, et que de manière générale, toutes les
expériences de filières étatisées n'ont jamais fonctionné et que
le privé « gère mieux ».
On est dès lors en droit de se
demander pourquoi tout va bien dès lors que les infrastructures se
retrouvent entre les mains d'investisseurs privés ? « Parce
que le privé a un intérêt à tirer des bénéfices de son
entreprise et donc investit dans la production et dans la qualité du
service ». Et l'État ? L'État n'a-t-il donc pas
d'intérêt à gagner de l'argent tiré des bénéfices des
entreprises sous son contrôle ? « Si, mais les
fonctionnaires d'État ne gagnent rien à gérer plus ou moins bien
les entreprises d'État ». Comme si les employés d'une
entreprise privée touchaient, eux, les bénéfices de l'entreprise
dans laquelle ils travaillent ?
Le véritable problème, pourquoi les
entreprises étatiques ont toujours été mal gérées dans le passé,
est que nos États sont gérés par des individus qui sont des
capitalistes, des patrons, eux-mêmes désireux de s'enrichir par le
biais d'entreprises qu'ils créent. Or, tant qu'une entreprise comme
la CIE appartient à l'État, quand bien même ces individus se
trouveraient à la tête de l'État, il n'y a rien à manger pour eux
dedans. Leur intérêt est donc de saboter le travail des entreprises
publiques pour susciter un mécontentement artificiel et ensuite,
convaincre les populations que tout serait mieux si on donnait ça au
privé.
Ainsi, on constate que, quand l'État
gérait, le réseau n'était pas développé, les infrastructures
s'effondraient, la production était insuffisante… par manque de
moyens. Et maintenant que c'est le privé, tout va mieux, des
investissements ont été faits.
Mais comment se fait-il qu'un État qui
est le premier producteur mondial de cacao, premier producteur
mondial d'anacarde, premier producteur africain de mangues et
d'hévéa, deuxième port d'Afrique… etc., etc. n'a pas les moyens
de financer correctement son réseau électrique, alors que des
individus privés venus d'on ne sait où ont, eux, ces moyens ??
C'est tout simplement une question de
mauvaise volonté politique. Le problème n'est pas le fait que « le
public » ne fonctionne pas. Le problème est que « le
public » n'est pas géré par des personnes se reconnaissant
dans cet intérêt public, parce que leur intérêt privé de
capitalistes passe avant tout.
Au passage, c'est pour la même raison
qu'on ne trouve pratiquement aucun panneau solaire en Côte
d'Ivoire : celui qui a un panneau ne paie pas facture !
Alors, qui est fou ? Mieux vaut pour nos politiciens
capitalistes ne pas mettre ça à la portée de chaque citoyen, et
continuer à extraire et importer du gaz et du pétrole bien cher
tout en polluant la planète – pourvu que nous crachions à
chaque facture nos petites économies.
Conclusion
C'est pourquoi, nous appelons à la
renationalisation de la CIE et de l'ensemble du secteur de
l'électricité pour garantir à chaque habitant une électricité
constante et à bas prix, des branchements dans chaque village, de
véritables investissements dans les énergies renouvelables
(panneaux solaires, micro-barrages, biomasse, énergie marémotrice,
etc.). L'électricité centralisée et nationalisée sera financée
par les bénéfices tirés de l'exploitation des autres richesses
naturelles du pays : le cacao, l'anacarde, les vivriers, mais
aussi par notre industrie en pleine croissance.
Et afin d'éviter que notre électricité
nationale ne soit à nouveau sabotée par des individus égoïstes
qui n'ont aucun intérêt à nous apporter l'électricité dont nous
avons besoin, qui payent leur facture en rigolant et qui ont de toute
façon leur propre générateur à dix millions bien positionné dans
la cour de leur villa ! Nous mettrons à la tête de la nouvelle
CIE des personnes ayant un intérêt direct à ce que l'électricité
continue à venir, et qui réagiront si les choses ne se passent pas
bien : des représentants des travailleurs de la CIE et des
différents villages et quartiers de Côte d'Ivoire, élus parmi la
population, ne touchant pour ce faire qu'un salaire moyen, et
révocables à tout moment.
C'est ainsi que nous entendons gérer
notre électricité, au bénéfice de nos populations.
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