50 ans après la mort du grand combattant
socialiste révolutionnaire
Cinquante
ans après sa mort, l'image du Che est toujours aussi connue pour la
plupart des gens. Si beaucoup de gens arborent son image par simple
effet de mode, pour d'autres (les plus nombreux), il s'agit d'une
véritable déclaration politique, d'une commémoration du souvenir
du Che en tant que symbole de lutte, de courage, d'internationalisme,
en vue du combat pour un monde meilleur, un monde socialiste.
– Tony Saunois,
SG du CIO international, 09/10/2017
Comme
nous l'écrivions en 2007, c'est à juste titre que Che Guevara
reste perçu, aujourd'hui encore, comme un combattant révolutionnaire
honnête et dévoué.
« Tire donc,
lâche, ce n'est qu'un homme que tu vas tuer ». Tels auraient
été les dernières paroles de défi prononcées par Che Guevara
avant son exécution, le 9 octobre 1967 en Bolivie. Il avait
39 ans. Si
Felix Rodriguez, le conseiller de la CIA dépêché auprès de
l'armée bolivienne, responsable de son exécution, pensait que tuer
le Che lui permettrait également d'enterrer son charisme et son
aura, il s'est trompé !
En ce
jour anniversaire de l'exécution du Che, il nous revient de saluer
sa lutte contre l'oppression, tout en tirant des leçons de ses
expériences, en analysant les aspects positifs mais aussi les
erreurs qui ont été commises. Cela est en effet on ne peut plus
important pour la lutte que mènent les prolétaires d'Amérique
latine et du monde entier.
Il ne
fait aucun doute qu'Ernesto Rafael Guevara, étudiant en médecine
originaire d'Argentine, aurait pu s'assurer une vie bien plus
confortable que celle qu'il a choisie. Mais comme les meilleurs
éléments issus de la classe moyenne de gauche radicale, il a
préféré tourner le dos à ce confort pour se consacrer à une vie
de combat contre le capitalisme.
C'est
au cours de ses deux célèbres voyages à travers le continent
sud-américain en 1952 et 1953-4, décrits dans le livre et
le film Carnets de voyage,
qu'Ernesto a été témoin d'une grande misère mais aussi de
nombreux combats, ce qui l'a convaincu de participer à la lutte
politique.
Lors
de ses voyages, il a rencontré des socialistes du Pérou, des
mineurs de cuivre communistes au Chili, a participé à la magnifique
révolution bolivienne et à toute une série d'autres mouvements. Il
a notamment été fortement ébranlé par son séjour au Guatemala,
avec notamment les nombreuses luttes menées sous le gouvernement de
gauche populiste radical de Jacobo Árbenz.
Árbenz
avait tenté d'introduire toute une série de réformes sociales
relativement limitées dans son pays, mais sans rompre décisivement
avec le capitalisme. Il s'était alors retrouvé coincé, ce qui
avait donné le temps à la contrerévolution de s'organiser pour
préparer son renversement. Árbenz a refusé d'armer les masses,
préférant s'en remettre aux forces armées « loyales à la
constitution démocratique ». Il a finalement été évincé
par un coup d'État soutenu par la CIA.
Suite
à son expérience au Guatemala et aux discussions qu'il avait sur
Cuba, Che voyait d'un mauvais œil les partis communistes, dont il
trouvait l'approche trop « conservatrice » et
« orthodoxe ». En réalité, ces partis n'avaient pas
pour objectif de lutter pour le socialisme, mais de renforcer tout
d'abord la « démocratie parlementaire », de développer
l'industrie et l'économie nationales et de passer par un stade de
développement capitaliste avant d'envisager une éventuelle prise de
pouvoir par la classe ouvrière.
De ce
fait, dans de nombreux pays, le mouvement prolétarien était
paralysé et désarmé. Che a rejeté cette approche, même si
lui-même n'avait pas d'alternative bien concrète à proposer. C'est
inspiré par la lutte qui se développait contre le régime Batista à
Cuba qu'il a rejoint le « mouvement du 26 juillet »
au Mexique. Ce mouvement, qui tirait son nom d'une attaque (échouée)
sur la caserne de Moncada le 26 juillet 1953 par Fidel Castro,
était alors une organisation relativement large. Même si elle
incluait aussi une aile démocratique libérale, Che y a émergé en
tant que principal représentant des éléments les plus radicaux.
C'est
le 2 décembre 1956 qu'un petit groupe mal organisé de
82 combattants, y compris Che Guevara et Castro, a débarqué
sur l'ile de Cuba pour y entamer une rébellion qui allait durer deux
ans, culminant avec la chute de la dictature de Batista et le début
de la révolution cubaine.
Le
rôle du Che était d'autant plus héroïque que, toute sa vie, il a
lutté contre l'asthme. Chaque obstacle, chaque sacrifice, chaque
effort nécessaire pour tenir bon pendant la guérilla était
exacerbé par son état de santé. Seule sa détermination
révolutionnaire lui a permis de surmonter sa maladie pour jouer un
rôle décisif au cours de cette lutte.
La
guerre progressait, avec des hauts et des bas, tandis que les
rebelles bénéficiaient d'une sympathie croissante de la part des
paysans. Dans les cités, la colère et la haine du régime Batista
atteignaient également un point proche de l'explosion. Avec
l'effondrement du régime, les rebelles sont entrés dans les villes
du pays le 1er janvier
1959, accueillis par l'éruption d'une grève générale de masse.
Mais
la manière dont s'était déroulée la lutte a fait que la classe
prolétaire des villes s'était retrouvée cantonnée dans un rôle
auxiliaire tandis que la rébellion jouait le premier rôle.
L'absence d'un mouvement prolétarien organisé et conscient à la
tête de la révolution n'a pas été sans conséquences.
Dans
les premières heures de la révolution, après l'entrée de Castro
et du Che à La Havane, la capitale, il était difficile de prévoir
le cours qu'allaient prendre les évènements. Si le Che était un
socialiste convaincu, Castro disait encore vouloir un capitalisme
« humain », plus « libéral ».
Fidel Castro et Che Guevara |
Le
renversement du capitalisme
À
partir de 1959, la révolution cubaine a continué à progresser
à la suite d'une série d'interventions de la part des États-Unis,
jusqu'à ce que, trois ans plus tard, le capitalisme soit aboli ainsi
que le règne des grands propriétaires terriens.
Cela a été possible
parce qu'il existait à l'époque une combinaison de facteurs qui
favorisaient une telle orientation – et non des moindres, la
pression massive de la part des prolétaires et des paysans. De son
côté, l'impérialisme états-unien n'a même pas envisagé la
moindre possibilité d'accepter le nouveau régime pour tenter de
l'influencer ou de l'amadouer. Au lieu de ça, il a imposé un
boycott de l'ile qui perdure jusqu'à aujourd'hui.
Un autre facteur crucial
était l'existence, à l'époque, d'une série de pays fonctionnant
sur base d'une économie planifiée centralisée, notamment l'Union
soviétique et les États d'Europe de l'Est. Même si ces États
étaient dirigés par d'impitoyables dictatures bureaucratiques, ils
présentaient néanmoins une alternative au capitalisme.
C'est l'ensemble de ces
facteurs qui a encouragé l'instauration à Cuba d'une économie
planifiée centralisée. Cette énorme avancée sociale a eu un effet
incroyable dans le monde entier. Che Guevara a joué un rôle
important dans cette décision. Dès le début, il insistait sur le
fait que la révolution allait devoir adopter une orientation plus
« socialiste » et sur l'idée qu'elle allait devoir
s'étendre à l'échelle internationale. Che a été un des
principaux auteurs de la Deuxième Déclaration de La Havane, un
texte qui continue à résonner aujourd'hui encore.
Ce texte répond entre
autre à la question de savoir pourquoi les États-Unis ont réagi
avec une telle fureur face à la révolution dans cette ile
relativement petite :
« Les
États-Unis et les classes dirigeantes craignent que les
travailleurs, les paysans, les étudiants, les intellectuels et les
couches progressives des classes moyennes puissent prendre le pouvoir
par des moyens révolutionnaires … Il craignent que les populations
du continent, dépouillées de tout, ne prennent les armes contre
leurs oppresseurs et, comme à Cuba, ne déclarent la libération des
peuples d'Amérique. »
Il ne fait aucun doute que
le Che aspirait à une révolution socialiste internationale.
Cependant, sa plus grande faiblesse – et la raison de sa tragédie –
était son incompréhension de la manière dont cette révolution
pourrait aboutir. Che était convaincu qu'une guérilla pourrait
faire triompher la révolution socialiste. À ce stade, il n'avait
pas encore compris le rôle central que doit jouer la classe
prolétaire dans la transformation de la société.
Même dans des pays où la
classe prolétaire des villes ne constitue qu'une minorité de la
population, le caractère collectif de son action et de sa
conscience, tiré des conditions sociales en vigueur dans les usines
et les entreprises, fait de la classe prolétaire la force décisive
pour pousser et diriger la révolution socialiste. C'est ce qui s'est
passé en Russie lors de la révolution d'octobre 1917.
Dans la pratique, les
classes capitalistes des pays néocoloniaux sont pieds et poings
liées à l'impérialisme ainsi qu'à la propriété terrienne
traditionnelle. Il ne faut donc pas s'étonner si ces capitalistes
locaux ont, à de multiples reprises, démontré leur incapacité à
développer l'économie et l'industrie, échoué à instaurer des
États démocratiques stables ou à résoudre la question nationale.
Ces tâches ont été résolues dans les pays capitalistes avancés
(comme la France ou le Royaume-Uni) par les révolutions
démocratiques bourgeoises.
Toutefois, à l'ère
moderne, dans le monde néocolonial, ces tâches ne peuvent plus être
résolues par les classes capitalistes de ces pays, amorphes,
incultes et impuissantes. Pour les remplir, il faut, comme Trotsky
l'a expliqué dans son célèbre ouvrage Bilans
et Perspectives où il expose sa
théorie de la « révolution permanente », une
transformation socialiste de la société à l'échelle
internationale.
Du fait de l'état avancé
de dégénérescence du régime Batista et du vide politique que ceci
avait ouvert à Cuba, la guérilla a pu y apparaitre comme une
méthode valable pour faire progresser le mouvement. Mais en réalité,
même à Cuba, alors que la guerre avait déjà été gagnée, il a
fallu attendre l'éclatement de la grève générale pour que les
rebelles puissent faire leur entrée à Santa Clara, à La Havane et
dans les autres villes du pays.
Fort de l'expérience de
Cuba, le Che a tiré la conclusion erronée qu'il pourrait répliquer
cette même expérience en Afrique ou en Amérique latine. La
situation dans ces autres pays était complètement différente ;
la classe prolétaire s'y trouvait dans une position bien plus forte,
avec plus de traditions révolutionnaires et une expérience de
luttes bien plus riche. Son manque d'une conception ferme et
consciente du rôle que doit jouer la classe prolétaire dans la
révolution socialiste a certainement été la plus grande lacune
politique de Che Guevara.
Le Che à la tribune de l'Assemblée générale des Nations-unies, 1964 |
Les acquis
Même aujourd'hui, alors
que son économie est ravagée tant par la perte du soutien
économique que lui conférait l'Union soviétique (depuis la
restauration du capitalisme en Russie en 1993) que par le
boycott imposé par les États-Unis, les acquis de la révolution
cubaine restent visibles sous la forme d'un des meilleurs systèmes
de santé du monde, entièrement gratuit pour tout un chacun. En
l'espace de quelques années, l'analphabétisme a été éliminé.
Avec un enseignant pour 57 habitants, Cuba reste le pays qui a
le taux le plus élevé d'enseignants par élèves. On peut en dire
autant concernant le nombre de médecins.
Aucun de ces acquis
n'aurait été possible sans la révolution cubaine et la mise en
place d'une économie planifiée. Le Comité pour une Internationale
ouvrière soutient l'ensemble des acquis de la révolution cubaine.
Cependant, en même temps, nous relevons le fait que la forme
initialement prise par la révolution a eu des conséquences sur la
nature du régime qui a été établi à Cuba.
Le gouvernement dirigé
par Castro et par le Che après la révolution jouissait d'un
incroyable soutien. Toutefois, le fait que la classe prolétaire
n'était pas organisée pour diriger le processus révolutionnaire de
manière consciente a eu pour effet qu'on n'a pas vu à Cuba
l'instauration d'une véritable démocratie prolétaire et paysanne.
Bien qu'il existe des
éléments de contrôle ouvrier dans les usines, il n'y a pas de
véritable système de contrôle et de gestion démocratique par les
travailleurs. Le résultat de tout ceci est qu'on a vu se développer
un régime bureaucratique avec un commandement du haut vers le bas,
sans que la base n'ait de contrôle sur l'appareil.
Le Che était par nature
opposé à tout privilège pour les cadres du gouvernement. À Cuba,
il se comportait de manière carrément brutale vis-à-vis des
individus de son département qui réclamaient ne serait-ce que le
moindre petit avantage.
Lors de ses voyages en
Union soviétique et en Europe de l'Est, il a été dégouté par le
train de vie luxueux qui était celui des bureaucrates et par le
mépris dans lequel ceux-ci tenaient la classe prolétaire. Les
caractéristiques bureaucratiques qui se manifestaient à Cuba
l'énervaient chaque jour davantage.
À Moscou avec le dirigeant soviétique Nikita Khroushhov |
À la recherche d'une
alternative
Même s'il n'a jamais
caché sa répugnance pour la dictature bureaucratique monstrueuse en
Russie et en Europe de l'Est (qu'il lui arrivait même de qualifier
en des termes extrêmement injurieux), Che Guevara n'a jamais
développé une alternative claire par quoi la remplacer ni une
manière de la combattre. Mais il ne fait aucun doute qu'il était
bel et bien à la recherche d'une telle alternative. La bureaucratie
soviétique a d'ailleurs fini par l'accuser de « trotskisme »
!
Selon certains
rapports, le Che avait avec lui en Bolivie une copie de La
Révolution trahie de Trotsky dans son
sac à dos. En fait, il avait déjà pu faire connaissance auparavant
avec certains des écrits de Trotsky. Ricardo Napurí, un ancien
officier de l'armée de l'air péruvienne connu pour avoir refusé de
bombarder une insurrection de gauche en 1948, lui avait donné
une copie de Bilans et Perspectives
lorsqu'il l'avait rencontré à La Havane en 1959.
Par nature, Che était
quelqu'un qui aimait discuter et analyser différentes idées et
opinions. Malheureusement, même s'il avait pu lire certains des
écrits de Trotsky avant sa mort prématurée, le Che n'avait pas
tiré toutes les conclusions qui s'avéraient nécessaires pour
l'élaboration d'une alternative cohérente et complète.
Cela nécessitait un
gigantesque bond dans sa compréhension. Mais son isolement, le fait
qu'il n'avait aucun contact avec l'extérieur, aucune possibilité de
discuter et d'échanger des idées – contrairement aux militants
actifs dans un parti – le fait qu'il n'avait aucune expérience
révolutionnaire internationale plus large à partir de laquelle
élaborer des conclusions, a rendu un tel bond extrêmement
difficile.
Si Che avait vécu pour
témoigner de luttes à plus grande échelle de la classe prolétaire
(comme celles qui ont éclaté l'année 1968 partout dans le
monde, un an après sa mort) et participer à de plus amples débats,
il en aurait certainement tiré les bonnes conclusions.
Mais les lacunes dans la
compréhension du Che ont eu des conséquences tragiques, non
seulement pour sa propre vie, mais aussi parce qu'elles ont servi de
justification pour le modèle erroné de la lutte par la guérilla.
Néanmoins, ses traits positifs et son souvenir demeurent un symbole
de sacrifice, de lutte incorruptible et inflexible qui reste
aujourd'hui encore une importante source d'inspiration. Si nous
tirons les leçons de ses erreurs, alors sa lutte déterminée pour
une révolution socialiste internationale portera enfin ses fruits.
« Hasta la victoria siempre ! » – « Vers la victoire, toujours ! » |
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