Le
Comité exécutif international du CIO discute des perspectives pour
l'Europe
Dans sa session consacrée
à l'Europe, le Comité exécutif international du CIO s'est penché
sur l'instabilité et les troubles politiques que l'on a vus cette
année à travers tout ce continent. La session a été introduite
par notre camarade Tony Saunois, du Secrétariat international du
CIO, qui a tout d'abord insisté sur le fait que le CIO doit être
prêt à répondre à toutes les ouvertures qu'offrira la crise
politique des élites capitalistes européennes.
– Compte-rendu de notre camarade Matt Dobson, Parti socialiste écossais (section du CIO en Écosse)
Theresa May et son Parti
conservateur, en tant que « vainqueurs » des élections
générales britanniques de l'été, avec leur très brève campagne
électorale, sont rapidement devenus de vrais perdants au vu de
l'immense hausse de soutien pour Corbyn et son programme de réformes
radicales. Les divisions qui se sont ouvertes au sein de la
bourgeoisie suite au Brexit ont vu le Parti conservateur, enfant
chéri du capitalisme britannique depuis plus de 150 ans, perdre
plus que des plumes. Au vu de l'âge moyen de sa base de soutien, on
peut dire de ce parti qu'il est littéralement en train de mourir de
vieillesse.
Le problème le plus
grave qui s'est posé au capitalisme européen à la fin de cette
année a été la crise catalane, une crise qui comporte des
caractéristiques révolutionnaires. Mais l'instabilité politique
s'est aussi propagée dans le nord de l'Europe, en Allemagne, où les
résultats peu concluants des élections ont rendu difficile la
formation d'un gouvernement. Angela Merkel, considérée comme un des
dirigeants les plus « stables » du monde, apparait à
présent vulnérable. En Irlande aussi, le vice Premier ministre
vient d'être contraint à la démission à la suite d'un scandale
policier ; il est possible que de nouvelles élections générales
soient convoquées dans les semaines qui viennent. Les principaux
partis capitalistes d'Irlande, le Fine Gael et le Fianna Fail, ont
beau s'opposer à cette idée, cela reste toujours une possibilité
pour janvier.
Cette instabilité
politique est due à l'émergence, partout en Europe, de mouvements
et de luttes de masse du prolétariat et de la jeunesse. La
Calatalogne a connu une des plus grandes grèves générales de son
histoire, contre la répression du référendum sur l'indépendance.
Il y a aussi eu d'importants mouvements de contestation en France
contre la politique néolibérale de Macron.
Derrière Corbyn au
Royaume-Uni, derrière Mélenchon en France, on trouve de nouvelles
couches de travailleurs et de jeunes radicalisés mais aussi des
militants issus de la classe moyenne. Cependant, les bataillons
lourds de la classe ouvrière ne sont pas encore entrés en action de
façon décisive. Cette indécision s'explique en partie par le fait
que les « nouvelles forces de gauche » comme France
insoumise, Podemos en Espagne, le Bloc de gauche au Portugal ou La
Gauche en Allemagne ne sont pas encore intervenues de façon tranchée
dans les évènements. Ces forces manquent d'une perspective de
développement de la lutte (notamment en ce qui concerne leur
direction) et affichent même une tendance au compromis.
Notre camarade Cécile de
France a parlé de l'immense soutien potentiel à la France insoumise
de Mélenchon, même si ce mouvement n'a pas jusqu'à présent créé
de structures démocratiques permettant une participation de masse et
une orientation envers la lutte. Les camarades belges ont aussi
indiqué observer des traits similaires chez le Parti du Travail de
Belgique, un parti ex-maoïste qui représente aujourd'hui une
référence pour de nombreux travailleurs mais qui, sans parler des
limites de son programme, devient de plus en plus électoraliste et
ne s'oriente pas vers la lutte.
La hausse de la répression partout en Europe ne fait que démasquer la véritable nature des régimes « démocratiques » et renforcer la détermination des masses |
Une faible croissance qui accroit les inégalités et la rancœur
On voit toute une série
de discours optimistes sur la croissance économique en Europe, mais
en réalité, cette croissance reste très faible, sans aucune
possibilité d'amélioration du niveau de vie de la classe
prolétaire. Si le taux de chômage reste faible en Allemagne et au
Royaume-Uni, c'est parce que les salaires y sont eux aussi fort bas
pour de nombreuses personnes, surtout au vu de l'explosion des
contrats temporaires ou « zéro heures » (contrat de
disponibilité permanente pour l'entreprise sans que le travailleur
ne reçoive le moindre horaire fixe, tout en n'étant payé que pour
les heures effectivement prestées). Notre camarade Andros de Grèce
a expliqué que la crise de la dette est toujours bien présente. Il
y a toujours la possibilité d'une résurgence de la crise grecque et
d'un nouveau crach financier. Certains pays comme l'Italie ont connu
une énorme accumulation des dettes souveraines et bancaires, tandis
que la « toxicité de la dette souveraine » infecte
désormais même les pays scandinaves. Le chômage de masse est
toujours là en Espagne, au Portugal et en Grèce, touchant
particulièrement les jeunes.
Notre camarade Lucy
d'Allemagne a dépeint un sombre tableau de la situation économique
dans son pays, ce qui explique pourquoi la classe dirigeante
allemande est si peu réceptive à l'appel de Macron à plus
d'intégration européenne. Même s'il est possible qu'on assiste
bientôt à la formation en Allemagne d'un gouvernement avec le Parti
social-démocrate (SPD) qui, lui, soutient ce projet, Merkel et les
grands patrons allemands sont de plus en plus mis sous pression par
l'Alternative pour l'Allemagne. Ce parti de droite anti-immigration
et anti-euro a beaucoup progressé lors des dernières élections. Il
y a aussi un sentiment largement partagé parmi la société comme
quoi « l'Allemagne est en train de payer » pour la crise
du reste de l'UE. Le camarade Micha d'Allemagne a expliqué pourquoi
l'Alternative pour l'Allemagne reste un mouvement extrêmement
instable et comment une campagne plus offensive de la part de La
Gauche aurait pu et pourrait contrer son essor.
La même crise sociale et
les mêmes inégalités que l'on voit en Amérique latine existent
aussi en Europe, ce qui cause énormément de rancœur, comme on l'a
vu lors du scandale de l'incendie de la tour Grenfell à Londres qui
a enragé le prolétariat. Des revirements dans la conscience et une
volonté de lutte pourraient également survenir du fait justement de
l'annonce d'une soi-disant « reprise » par le
gouvernement. C'est le cas en Irlande : dans ce pays où, depuis
des décennies, on n'avait vu que très peu d'actions syndicales, on
voit tout d'un coup se développer une véritable vague de grèves.
La victoire de nos camarades et d'autres accusés lors du procès dit
de Jobstown (jugés pour avoir soi-disant brutalisé une ministre du
gouvernement lors d'une manifestation) a également contribué à
relever la confiance du prolétariat.
Kevin et Paul d'Irlande
ont expliqué le rôle crucial qu'a joué le CIO dans la bataille
contre l'installation des compteurs d'eau et contre la tentative de
l'État de réprimer les manifestants de Jobstown. L'État
capitaliste et sa police ont été démasqués. En 2018, il y
aura un référendum sur le droit à l'avortement, qui sera
certainement un nouveau pôle de radicalisation pour les femmes et
les jeunes.
Elin de Suède a décrit
la « grève des femmes » pour le droit à l'avortement en
Pologne et le mouvement « #moiaussi » contre le
harcèlement et la violence sexuels en Italie, en Suède et ailleurs
dans le monde. Plusieurs sections du CIO ont lancé des initiatives
féministes socialistes combattives dans leurs pays, comme les
campagnes « Rosa » en Irlande et en Belgique (Résistance
contre l'oppression, le sexisme et l'austérité), et « Libres
et combattantes » en Espagne.
Perte de soutien
généralisée pour les partis traditionnels du capitalisme
Dans toute l'Europe, le
soutien envers les partis capitalistes traditionnels est toujours en
chute libre. C'est ainsi qu'en Allemagne alors que, dans les
années 1990, les chrétiens-démocrates et les
social-démocrates pouvaient toujours compter ensemble sur 80 %
des voix, ils ne sont plus qu'à 50 % aujourd'hui. En France, la
classe capitaliste s'est vue contrainte de créer une nouvelle force
politique avec Macron, ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas lui-même
de plonger rapidement dans les sondages. Du côte des anciens partis
social-démocrates, il s'agit d'un véritable effondrement, à
quelques rares exception près, comme au Royaume-Uni où le Parti
travailliste a été revigoré par Corbyn (mais doit en fait plutôt
être considéré comme contenant deux partis en son sein). En
Espagne, le Parti socialiste ouvrier espagnol (social-démocrate) a
perdu 50 % de sa base électorale depuis 2007 ; en
Allemagne, le Parti social-démocrate (SPD) a connu son pire score
électoral depuis 1945.
Au Portugal, le
gouvernement du Parti socialiste n'a pu se constituer que grâce au
vote de confiance qui lui a été accordé par le Parti communiste et
le Bloc de gauche. Nos camarades Gonçalão et Minerva du Portugal
ont décrit la manière dont les camarades du CIO sont attaqués au
sein du Bloc de Gauche pour le simple fait de critiquer la position
de la direction tout en exigeant du gouvernement qu'il réponde aux
attentes des travailleurs. Nos camarades portugais peuvent compter
sur le soutien d'une partie de la jeunesse, y compris au sein du Bloc
de gauche, et sont occupés à mettre en place un Syndicat étudiant
doté d'un programme de lutte.
Le camarade Tony a aussi
fait ressortir le fait que la répression étatique s'est grandement
intensifiée partout en Europe, avec même la mise en place de
mesures de type bonapartiste dans certains pays, ce qui pourrait
également provoquer une réaction de la part des masses. Cette
perspective a d'ailleurs été confirmée par notre camarade Kacper
de Pologne qui a démontré comment le gouvernement du parti Droit et
justice, malgré son comportement autoritaire, n'a pas empêché la
contestation d'éclater.
Si les nouvelles forces
de gauche ne présentent pas une alternative claire à la politique
menée par la bourgeoisie, cela laisse ouvert un vide qui peut être
occupé par des forces populistes de droite (à la Donald Trump),
comme on l'a vu avec l'émergence de l'Alternative pour l'Allemagne
et les mobilisations de la droite dans des pays comme la Pologne.
Macron est une invention de la classe capitaliste française dont les partis traditionnels ne convainquent plus personne. La supercherie a cependant été rapidement démasquée. |
La question nationale
requiert une approche sensible
Pour percer, il ne suffit
d'ailleurs pas de présenter un programme antiaustérité, surtout
dans les pays où la question nationale représente un enjeu crucial.
C'est ainsi qu'en Espagne, la crise révolutionnaire en Catalogne a
révélé le vrai caractère de Pedro Sánchez (le leader du parti
social-démocrate qui a tenté de se présenter comme un nouveau
Corbyn) ainsi que des dirigeants de Gauche unie et de Podemos. De
même, au Royaume-Uni, Corbyn a refusé de soutenir le droit a
l'autodétermination de l'Écosse – une position incorrecte sur la
question nationale qui a couté au Parti travailliste les élections
dans ce pays et qui y a rendu son mouvement quasiment inexistant. Nos
camarades écossais ont expliqué que malgré l'élection d'un
corbyniste à la tête du Parti travailliste écossais en la personne
de Richard Leonard, élu face au candidat des blairistes (faction
antisocialiste du parti), la question nationale reste un obstacle
majeur pour le soutien au corbynisme dans leur pays.
Aujourd'hui en Catalogne,
comme en Écosse pendant le mouvement de masse de 2014, le CIO a
établi ses perspectives en fonction des sections les plus
combattives des travailleurs et de la jeunesse, dans un contexte où
des millions de gens deviennent tout à coup beaucoup plus réceptifs
à l'idée de lier les revendications indépendantistes à la lutte
pour le socialisme.
Nous devons aussi être
conscients de la nécessité de lutter pour l'unité de la classe
prolétaire. Notre camarade Ciaran d'Irlande du Nord a expliqué
comment le Brexit et la chute du gouvernement local ont encore plus
attisé les tensions entre communautés, surtout avec l'apparition
d'un débat autour d'un éventuel « référendum sur la
frontière » (de savoir si malgré la sortie de l'UE, la
frontière avec l'Irlande du Sud devrait rester ouverte ou non). Ce
référendum aurait pour effet de diviser les prolétaires
catholiques (traditionnellement pour la sortie de l'Irlande du Nord
du Royaume-Uni et l'unification avec l'Irland du Sud) et protestants
(traditionnellement pour le maintien de l'Irlande du Nord dans le
Royaume-Uni). Ciaran a également donné des exemples de la manière
dont une action syndicale et une lutte de classe communes peuvent
permettre aux prolétaires de surmonter les divisions. Notre section,
le Parti socialiste d'Irlande du Nord, joue un rôle crucial dans ces
efforts pour l'unité de classe.
En refusant de soutenir la revendication populaire de l'indépendance de l'Écosse, Corbyn s'est complètement fermé aux masses de ce pays |
Les nouvelles forces
de gauche en Europe : une avancée positive
Une des principales
caractéristiques de la discussion a été la reconnaissance du fait
que les nouvelles forces de gauche représentaient une avancée
positive en parvenant à faire progresser également la conscience de
gauche. La conscience commence ainsi à rattraper son retard sur la
réalité objective qui a suivi la crise économique de 2007-8.
Cependant, ces nouveaux courants de gauche restent bien moins
radicaux que même les programmes réformistes mis en avant par la
gauche traditionnelle dans les années 1970 et 1980, avec toutes
leurs limites.
Le CIO, tout en mettant
en avant un programme de principe, participe aux processus qui se
développent autour des nouvelles forces de gauche tout en maintenant
un profil indépendant, comme nous le faisons en Espagne vis-à-vis
de Gauche révolutionnaire et sa direction du Syndicat étudiant. Nos
camarades Paula, Judy et Lenny d'Angleterre et du pays de Galles ont
débattu des contradictions du corbynisme. Alors que le programme mis
en avant par Corbyn lors de sa campagne électorale avait suscité un
grand enthousiasme, cela ne se reflète pas forcément dans les
structures du Parti travailliste ni même de Momentum (la principale
organisation de soutien à Corbyn). Cela a été particulièrement
clair lors de la grève victorieuse des éboueurs de Birmingham qui
luttaient contre un conseil municipal travailliste de droite et
auxquels le CIO a apporté son aide (aide pour laquelle nous avons
été publiquement remerciés par la direction du syndicat Unir).
Nous avons appelé à la
resélection obligatoire des députés traitres et à une révision
constitutionnelle pour ouvrir le Parti travailliste à toutes les
forces antiaustéritaires et pour que la direction de Corbyn
contribue à la construction d'un mouvement estudiantin de masse
contre les frais d'inscription. La perspective d'un gouvernement
Corbyn est maintenant plus possible que jamais. Cependant, notre
camarade Judy a mis en garde contre l'approche de John McDonnell qui
préfère rencontrer les financiers du centre de Londres pour tenter
de les amadouer plutôt que préparer les travailleurs et les jeunes
à lutter contre les tentatives de sabotage par la classe capitaliste
d'un éventuel gouvernement de gauche.
Notre camarade Denis de
Russie a décrit le mouvement contre Poutine qui a rassemblé plus de
100.000 personnes cette année, alors que des élections
présidentielles sont attendues en 2018. La crise économique
accroit l'opposition au régime. En l'absence d'un puissant mouvement
prolétarien indépendant, c'est Navaľny, un populiste de droite,
qui gagne le plus de ce mécontentement.
Notre camarade Hannah
Sell du Secrétariat international du CIO a conclu la discussion sur
l'Europe en soulignant le fait que le CIO peut devenir un facteur
crucial dans cette nouvelle prise de conscience politique. Au
Royaume-Uni, la droite du Parti travailliste se réfère aujourd'hui
abondamment à l'histoire de notre groupe, espérant par là effrayer
le public : c'est grâce à ces « attaques » que
nous avons pu organiser en 2017 notre plus grand évènement
« Socialisme » jamais vu, tout comme l'ont fait nos
camarades d'Allemagne et d'Irlande.
Les nouveaux mouvements comme la France insoumise de Mélenchon sont d'importants pas en avant mais manque encore d'une vision claire. Nous voulons œuvrer de concert à leur développement. |
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