La restriction du port
d'arme est-elle la solution à la violence des armes ?
Une analyse par notre camarade Tom Crean, groupe Alternative socialiste
(section du CIO aux États-Unis)
Cet article avait été à
l'origine rédigé à la suite de la tuerie de l'école de Sandy Hook
en décembre 2012, lors de laquelle un jeune homme avait
massacré 20 enfants de CP1 et 6 de leurs maitresses
après avoir également abattu sa propre mère, et avant de se
suicider lui-même. Cet article avait été initialement rédigé
pour servir de base de discussion à un débat sur cette question au
sein de notre Comité exécutif national, qui en a discuté et l'a
amendé avant de le publier en tant que position officielle de notre
organisation.
Nous avons aujourd'hui
décidé de republier cet article réactualisé suite à la tuerie de
Las Vegas en octobre 2017 (58 morts et 851 blessés
par un homme âgé de 60 ans qui s'est lui-même donné la mort
ensuite), à celle de Sutherland Springs en novembre 2017
(26 morts dans une église, dont un enfant encore dans le ventre
de sa mère, tués par un jeune homme qui s'est, une fois de plus,
suicidé juste après) et à celle du lycée de Stoneman Douglas en
février 2018 (17 morts et 14 blessés par un jeune
homme qui vient d'être arrêté), ces récents massacres ayant une
fois de plus renouvelé le débat autour de ce véritable cauchemar
que sont les tueries de masse aux États-Unis et de ce qu'il convient
de faire pour y remédier, tout en encourageant la création de
nouveaux mouvements de lutte.
Les politiciens libéraux
appellent à plus de restrictions sur le port des armes. Même
l'Association nationale des armes à feu (NRA), le tout-puissant
syndicat des fabricants et vendeurs d'armes (qui regroupe aussi de
nombreux « usagers »), a récemment accepté que des
limitations soient placées sur la vente des chargeurs de
mitrailleuses qui permettent à des meurtriers comme Stephen Paddock,
l'auteur de la tuerie de Las Vegas, de transformer un simple fusil en
une véritable machine à tuer, capable de projeter plus d'un millier
de balles sur une foule en à peine dix minutes.
Si les tueries de masse
sont évidemment le genre d'évènement qui attire le plus
d'attention et suscite le plus d'horreur, ces actes, aussi terribles
soient-ils, ne comptent toutefois que pour une infime fraction du
nombre de morts par balles aux États-Unis. Un rapport récemment
publié révèle en effet que plus de citoyens des États-Unis sont
morts victimes des armes à feu dans leur propre pays au cours des
50 dernières années qu'au cours de toutes les guerres
auxquelles ont participé les États-Unis partout dans le monde
depuis leur indépendance !
La question que nous nous
posons est donc de savoir si une telle situation, où la société
est virtuellement submergée par le nombre d'armes à feu en
circulation, est intéressante pour la classe prolétaire. Nous
voulons également dans cet article expliquer pourquoi nous nous
opposons tant au « droit de se défendre par les armes »
défendu par la droite qu'aux propositions de restreindre le port
d'arme défendues par les libéraux.
Nous devons également
remarquer que malgré toutes ces horribles tueries de masse qui
tendent à battre des records (celle de Las Vegas était la plus
meurtrière tuerie commise par un homme seul de l'histoire des
États-Unis et celle de Sutherland Springs était la plus meurtrière
perpétrée dans un lieu de culte), on ne voit finalement que peu de
gens défendre les restrictions au port d'arme à feu. Un sondage
mené en octobre 2017 révélait qu'à peine 64 % de la
population était pour plus de restrictions (une hausse d'à peine
3 % sur les dernières années). De plus, très peu de gens
soutiennent une interdiction totale et parmi les 64 % de
personnes qui se déclarent en faveur de plus de mesures, les avis
divergent fortement sur les mesures à prendre ou non.
En fait, quand on regarde
l'évolution à long terme, au cours des 20 dernières années
par exemple, on se rend compte que la tendance dans l'opinion
publique va en sens inverse : selon un sondage réalisé par
Gallup, alors que seule 57 % de la population était pour
l'interdiction de la vente libre de fusils d'assaut en 1996, cette
proportion a diminué à 46 % en 2012 et à 36 % en
2016.
Parmi les mesures de
restriction qui sont toutefois soutenues par une grande partie de la
population, on peut citer un examen du vécu de la personne (casier
judiciaire, etc.) ; la plupart des gens s'accordent aussi à
dire que les personnes souffrant de maladies mentales et certaines
personnes inscrites sur des listes noires gouvernementales ne
devraient pas y avoir accès ; enfin, la majorité de la
population convient aussi de la nécessité de mettre en place une
base de données des ventes d'armes centralisée au niveau nationale.
Alors que la polarisation
politique ne cesse de s'intensifier aux États-Unis, le « droit
à une arme » est aujourd'hui devenu un véritable enjeu
politique. Il est également clair que les arguments des libéraux,
qui se prononcent en faveur de mesures de restriction beaucoup plus
strictes pour le port d'arme, échouent à convaincre une grande
partie de la population. C'est sans doute malheureux, mais il faut
bien reconnaitre que l'argument de la NRA, selon lequel « la
meilleure manière d'empêcher les criminels et les fous de tuer les
simples citoyens, est d'armer les simples citoyens » a
clairement eu bien plus de succès parmi toute une couche de la
population (un argument d'ailleurs repris par Donald Trump avec sa
proposition d'armer les enseignants eux-mêmes) : ce fait doit
absolument être pris en compte par la gauche si elle veut pouvoir
formuler une position appropriée quant à la meilleure manière de
combattre l'épidémie de violence armée dans notre société.
Quelle
position adopter suite aux tueries dans les écoles aux États-Unis ?
La
restriction du port d'arme est-elle la solution à la violence des
armes ?
(article de 2012)
Les 26 victimes de l'école primaire de Newtown |
Objectif et démarche
Le meurtre de 20 élèves
de CP1 et de 7 adultes à l'école primaire de Newtown,
Connecticut, en décembre 2012 par un jeune homme mentalement
dérangé a réouvert le débat sur le contrôle des ventes d'armes à
feu aux États-Unis. C'est ainsi que l'administration Obama a annoncé
en janvier 2013 vouloir mettre en place des mesures qui
rendraient obligatoire un examen du vécu pour toute personne
désireuse d'acheter une arme, l'interdiction de la vente d'armes de
guerre du type armes semi-automatiques, et des restrictions sur les
chargeurs de plus de 10 balles. Cette proposition de mesures
fort limitées visant à restreindre le port d'arme a été vertement
décriée par l'Association nationale des armes à feu (NRA), même
si certains sondages indiquent qu'une part croissante de la
population serait en faveur de telles mesures.
Néanmoins, les
tentatives de renforcer les lois sur le port d'arme au niveau fédéral
sont maintenant bel et bien mortes, puisque le projet de loi d'examen
du vécu de l'acheteur d'armes n'a pas pu obtenir les 60 voix
requises au Sénat pour éviter l'obstruction – quand bien même
cela peut sembler étrange dans un pays où cette proposition serait
soutenue par près de 90 % de la population. Il faut cependant
insister sur le fait que ce vote et l'abandon temporaire de ce projet
de loi ne signifient pas que le débat sur le contrôle des armes est
terminé. D'autres mesures ont été votées et appliquées au niveau
régional, tandis que le débat sera forcément relancé par les
prochaines tueries qui surviendront encore à l'avenir puisque cela
semble inévitable à l'heure actuelle. Il est également clair
qu'une importante fraction de la classe dirigeante désire, – pour
des raisons qui lui sont propres –, mettre au pas le syndicat
des armes.
En tant qu'organisation
marxiste devenant de plus en plus connue au niveau national et
international, il est important que nous puissions adopter une
position claire au sein de ce débat. Pour ce faire, il nous faut
tout d'abord nous pencher sur le contexte historique du « droit
à se défendre par les armes » et des mesures de contrôle sur les
armes aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Il nous faut
analyser les causes complexes qui expliquent l'énorme niveau de
violence armée dans la société états-unienne. Nous devons
également comprendre les motivations réelles derrière les
arguments des deux camps bourgeois qui s'opposent sur cette question
– celui qui veut plus d'armes en circulation et celui qui en veut moins. Ce
n'est qu'ensuite que nous pourrons envisager des revendications et
des solutions socialistes à ce fléau.
L'aspect fondamental de
notre questionnement est sans doute de nous poser ces deux questions :
1) le fait
d'armer une grande partie de la population états-unienne, dans le
contexte du 21e siècle et au vu de l'idéologie individualiste
réactionnaire qui promeut cet armement, est-il ou non un avantage pour
la classe prolétaire ?
2) Comment réagir dans une situation où l'État a de plus en plus de
pouvoirs, ce qui représente clairement une menace pour toute couche
de la société états-unienne qui déciderait de s'opposer aux
dictats de la classe dirigeante ?
Il est évident qu'on ne peut
trouver une réponse à ces deux questions hautement complexes en
quelques phrases désinvoltes.
Un nouveau front est en train de s'ouvrir pour la lutte sociale, contre la violence armée endémique |
Le
contexte historique
Selon le Deuxième
Amendement de la Constitution des États-Unis, « Une milice
bien organisée étant nécessaire pour la sécurité d'un État
libre, il ne sera pas contrevenu au droit du peuple à détenir et à
porter des armes ». Le contexte de cet amendement, qui date de
l'année 1791, était celui de la guerre d'indépendance
révolutionnaire que les Treize Colonies qui allaient ensuite former
les États-Unis d'Amérique ont menée contre le royaume de
Grande-Bretagne. À l'époque, les Pères fondateurs des États-Unis
étaient convaincus que la lutte contre la Couronne britannique
n'était certainement pas terminée – comme l'histoire l'a
d'ailleurs prouvé plus tard, lorsque les Britanniques ont pris et
incendié la ville de Washington lors de la guerre anglo-américaine
de 1812. Il y avait alors une forte opposition à l'idée d'une
armée de métier, vu l'expérience historique de l'Europe et la
récente expérience avec l'armée britannique. Les armées de métier
étaient correctement identifiées par les révolutionnaires
américains comme autant d'instruments de répression entre les mains
des tyrans.
Par conséquent, dans la
jeune république américaine, une large couche de la population
blanche masculine était armée, principalement pour des raisons
militaires. Il n'était évidemment pas question pour la classe
dirigeante d'autoriser les Noirs, libres ou esclaves, à porter des
armes. De nombreux États exigeaient des propriétaires d'armes
qu'ils se fassent inscrire, et interdisaient le port d'armes
dissimulées (c'est-à-dire que toute personne portant une arme
devait afficher cette arme en permanence en la portant à sa
ceinture, on ne pouvait pas la garder cachée dans la poche de sa
veste par exemple).
De manière générale
donc, le Deuxième Amendement et la Déclaration des droits dont elle
fait partie font bel et bien partie intégrante de l'héritage
progressiste de la révolution bourgeoise américaine contre le
féodalisme britannique. Mais au fur et à mesure du développement
du capitalisme, la question du contrôle des armes est devenue
inséparable de la lutte de classe du Capital contre le Travail, et
notamment du désir de la classe dirigeante de maintenir soumise la
population afro-américaine.
Il y a eu, au cours de
l'histoire des États-Unis, de nombreux exemples d'horribles
massacres de prolétaires en lutte pour leurs droits. En 1914,
durant une grève des mineurs dans le Colorado, 21 hommes,
femmes et enfants ont été tués à Ludlow par la milice étatique
armée de mitrailleuses. En 1937, la police a ouvert le feu à
Chicago sur une marche pacifique de travailleurs de l'acier et leurs
famille : dix travailleurs ont été tués et 40 blessés
– tous par des balles tirées dans leur dos.
D'un autre côté, il y a
également eu de nombreux cas de travailleurs qui se sont armés pour
organiser leur autodéfense face aux attaques de l'État et/ou des
badauds engagés par leurs patrons afin de briser leurs grèves. Dans
les années 1880, le mouvement ouvrier de Chicago (Nord), très
militant (notamment parce qu'il comptait alors de nombreux membres
originaires d'Allemagne où le Parti socialiste était alors très
fort et combattif), a été jusqu'à créer une milice ouvrière. Il
ne s'agit d'ailleurs pas seulement de quelque chose relégué à un
lointain passé. Encore dans les années 1970, certaines grèves
de mineurs se sont armées pour organiser leur autodéfense.
De même, pendant le
grand mouvement pour les droits civiques des années 1960,
l'organisation des Diacres pour la défense et la justice a été
formée en Louisiane (Sud) par d'anciens combattants noirs pour
protéger les militants des droits civiques contre les attaques des
forces étatiques et des associations d'extrême-droite comme le Ku
Klux Klan. Cette organisation a été très efficace et a joué un
important rôle auxiliaire pour les mouvements de masse qui étaient
au cœur de la lutte.
Le parti des Panthères
noires pour l'autodéfense a poursuivi cette tradition, même si son
expérience a aussi démontré les conséquences fatales d'une
approche d'« ultragauche » sur cette question. Au début,
certaines actions menées par les Panthères noires ont bel et bien
permis de démasquer au grand jour la véritable nature de la police,
ce qui a donné le courage à de nombreuses personnes de se lever
pour résister à l'État. Sur le plan politique, les Panthères
noires avaient généralement raison d'appeler à une révolution et
à l'autodéfense et de s'opposer au pacifisme ; elles ont
d'ailleurs mené à bien des actions défensives qui étaient
comprises par de plus larges couches (non encore révolutionnaires)
de la communauté noire et de la classe prolétaire comme des actes
concrets de résistance contre les attaques violentes des forces
racistes.
Cependant, le fait que
leurs militants posent en permanence avec leurs armes, même si cela
pouvait attirer une minorité de jeunes noirs révolutionnaires,
était une grave erreur qui a contribué à isoler les Panthères
noires des larges couches de la classe prolétaire, qui, si elles les
considéraient avec sympathie, n'étaient pas prêtes à rejoindre
une organisation révolutionnaire explicitement armée. Tout ceci a
facilité la tâche à l'État capitaliste qui a pu briser cette
organisation en recourant à sa même violence habituelle.
D'importants militants
comme Huey Newton et Bobby Seale qui dirigeaient le mouvement ont,
bien après, admis s'être trompés. Comme Huey Newton l'écrit dans
son livre Un Suicide révolutionnaire :
« Nous avons bientôt découvert que les armes et les uniformes
que nous portions nous mettaient à part de la communauté. Nous
étions considérés comme un groupe militaire ad hoc,
agissant hors du tissu communautaire, trop radical pour en faire
partie. Peut-être que la tactique que nous employions à l'époque
était trop extrême ; peut-être que nous mettions trop
l'accent sur l'action militaire ».
Huey Newton (1942-1989), un des fondateurs du parti révolutionnaire des Panthères noires pour l'autodéfense. L'approche militaristique du mouvement a contribué à son isolement et à sa répression. |
Même dans une situation ouvertement révolutionnaire, l'enjeu fondamental n'est pas la mobilisation militaire mais bien la mobilisation politique de la classe prolétaire et de tous les opprimés à partir d'un appel défensif et démocratique de résister afin de vaincre toute tentative de la part de l'élite dirigeante, peu nombreuse malgré ses immenses richesses, de recourir à la violence pour soumettre la majorité. C'est précisément ce qui a été réalisé par les bolchéviks en octobre 1917, lors de la révolution la plus démocratique de l'histoire. Les bolchéviks avaient émis un appel de classe envers les simples soldats de l'armée de l'empereur, neutralisant du même coup les forces de l'ancien État qui ne pouvait plus les employer en tant qu'arme au service de son régime autocratique.
Bien entendu, l'histoire
est remplie d'exemples négatifs, lors desquels la classe prolétaire
a manqué d'une direction suffisamment déterminée pour faire face à
la menace que posait l'ancien régime, qui a alors pu librement
déchainer sa violence contrerévolutionnaire. Les tentatives
d'aventuriers qui ont « pris le pouvoir » de façon
prématurée au nom de la « révolution » ont elles aussi
mené à des défaites sanglantes pour la population.
La classe dirigeante
cherche toujours à décrire ses adversaires comme des gens violents.
Les marxistes ont justement la tâche de démontrer à la masse de la
population que la principale source de la violence dans la société
moderne est le capitalisme et la classe capitaliste dominante. Cela
est particulièrement vrai aux États-Unis, où la classe dirigeante
a pour habitude d'organiser elle-même toute une série
d'interventions impérialistes sanglantes partout dans le monde afin
de défendre le règne du profit.
C'est dans ce contexte
que nous devons envisager le contrôle sur les armes. Les tentatives de
restreindre le port d'arme par la population font partie de
l'histoire des États-Unis comme des autres sociétés capitalistes.
En Europe, la classe dirigeante a fait de grands efforts pour
désarmer les forces révolutionnaires et prolétariennes à la suite
des troubles révolutionnaires de 1848, et plus tard pour
désarmer la Résistance après la Deuxième Guerre mondiale, alors
qu'elle avait vaillamment combattu les nazis pendant que les
capitalistes avaient pris la fuite ou collaboraient avec l'occupant.
De manière générale,
quels que soient les prétextes employés à ce moment-là, la
plupart des tentatives de contrôle des armes ont été au moins en
partie motivées par le désir de la classe dirigeante de désarmer
ses potentiels adversaires, dont le plus important est la classe
prolétaire. C'est ainsi que la Loi Mulford, votée en Californie
en 1967 et dont l'objet était d'interdire le port en public
d'une arme à feu chargée, était une réponse directe à
l'émergence des Panthères noires. La Loi fédérale de 1968 sur le
contrôle des armes était elle aussi en partie motivée par la
crainte de voir la population noire prendre les armes, surtout après
les troubles de 1967.
Les marxistes se sont
toujours opposés à ces tentatives de la classe capitaliste de
s'assurer le monopole des armes et de la violence. Nous nous opposons
à l'idée selon laquelle l'État seul devrait être armé, en tant
qu'arbitre « neutre » entre les classes. En effet, toute
l'expérience historique montre encore et encore que les forces
armées au service de l'État ne sont pas neutres, mais servent
uniquement les intérêts de la classe dirigeante.
Comment le débat sur le
port d'arme a changé de nature
Pendant la plus grande
partie du 20e siècle, les mesures visant à contrôler les armes au
niveau fédéral avaient le soutien des Démocrates comme des
Républicains. Mais après la défaite de l'aile radicale du
mouvement des droits civiques, l'effondrement du stalinisme,
l'affaiblissement drastique du mouvement ouvrier et de toute
véritable menace interne au règne du capitalisme états-unien, la
classe dirigeante a commencé à se désintéresser de l'idée de
désarmer ses adversaires potentiels.
On a pu voir ce
revirement dès la présidence de Ronald Reagan (au pouvoir de 1981 à
1989), avec le développement de la « Nouvelle Droite »,
pour qui toute restriction au « droit de porter une arme »
était une atteinte au Deuxième Amendement. Cela faisait partie
d'une évolution plus générale du Parti républicain, qui amorçait
alors son tournant vers une approche plus populiste et plus orientée
vers la religion.
L'enjeu du port d'arme
s'est retrouvé lié au populisme de droite et aux discours de
« lutte contre la criminalité » avec des arguments au
racisme à peine voilé pour mobiliser certaines couches de la classe
prolétaire et de la classe moyenne blanches. L'objectif des
Républicains ce faisant était de se doter d'une base électorale et
politique plus large pour pouvoir en même temps rendre plus
acceptable leur programme capitaliste néolibéral dont le caractère
se faisait de plus en plus agressif.
La NRA a vu ses pouvoirs
s'accroitre. Malgré quelques déconvenues comme l'interdiction de la
vente de fusils d'assaut entre 1994 et 2004, son influence a continué
à s'accroitre. Aux niveaux local et régional, elle a connu toute
une série de petites victoires en vue de la suppression des
restrictions au « droit » de porter des armes
dissimulées. Ainsi, selon David Frum du journal L'Atlantique,
« Depuis la tuerie de Newtown, une vingtaine d'États ont
étendu le droit de porter des armes à des lieux où elles étaient
jusque là interdites : bars, églises, écoles, universités,
etc. » Même si nous ne sommes pas d'avis que ce que les Pères
fondateurs avaient à l'esprit lorsqu'ils ont rédigé la Déclaration
des droits en 1789 représente forcément un argument encore à
l'heure actuelle, il nous semble toutefois intéressant de souligner
que ces mêmes Pères fondateurs n'auraient jamais autorisé le port
d'armes dissimulées dans des bars !
D'où
la NRA tire-t-elle donc son importance, quels sont les facteurs à
l'origine de cette campagne contre les mesures de contrôle sur les armes
à feu ?
Tout
d'abord, il est évident que la NRA dispose de moyens conséquents.
Il s'agit en effet du syndicat d'une industrie incroyablement
profitable, dont les ventes en 2012 ont été estimées par le
Washington Post à 12 milliards de dollars (6000 milliards
de FCFA), avec près d'un milliard de dollars de profits
(500 milliards de FCFA). En 2015, ces ventes s'étaient
élevées à 13,5 milliards de dollars, tandis que les profits
connaissaient une hausse de 50 %, à 1,5 milliard de
dollars. À la suite de la tuerie de Newtown, il a été révélé
que Cerberus Capital, une des plus importantes sociétés
d'investissement de Wall Street, détenait le Groupe « Liberté »,
qui est le fabricant du fusil utilisé par le tueur lors de ce
massacre, le fusil d'assaut Bushmaster 15 (« Maitre de la
brousse »). Les fabricants ne sont pas les seuls à se faire
beaucoup d'argent grâce à la vente des armes : le plus grand
revendeur d'armes à feu et de munitions aux États-Unis aujourd'hui
n'est autre que la chaine de supermarchés Walmart !
Mais
la NRA est aussi poussée par une idéologie libertaire de droite qui
promeut une version d'individualisme particulièrement réactionnaire.
Ce point de vue se combine avec le mythe selon lequel sans un héros, un citoyen armé (et à peau blanche bien entendu), la Constitution risque à tout moment d'être
renversée pour être remplacée par une tyrannie.
Certes, il est vrai que l'État a connu un énorme accroissement de ses pouvoirs au cours des dernières années, justifiant le renforcement de son arsenal sécuritaire d'abord par sa soi-disant « guerre contre la drogue », puis par sa soi-disant « guerre contre le terrorisme », violant au passage les clauses du Quatrième Amendement de la Constitution destinées à protéger le citoyen contre toute « fouille ou confiscation déraisonnable ». Ce n'est pas un hasard si les ventes d'armes sont devenues encore plus importantes depuis qu'Obama a pris le pouvoir en 2008, et se sont encore élevées après que le même Obama, suite à la tuerie de Newtown, ait annoncé vouloir faire du contrôle des armes une priorité.
Comme nous l'avons fait remarquer, si le score obtenu par Obama pour sa réélection en 2012 restait élevé, il ne pouvait être considéré comme remarquable. Parmi les électeurs du Parti républicain, une grande partie a été influencée par les fantasmagories de l'extrême-droite, notamment par l'idée selon laquelle Obama serait une sorte de tyran pro-musulman communiste et anti-américain. Il semble que les milices de droite et autres groupes d'extrême-droite connaissent une croissance depuis 2008, même si aucun de ces groupes ne dispose encore d'une audience de masse. Le Tea Party a beaucoup joué dans cette évolution, même si lui-même a subi un revers à partir de 2011.
Certes, il est vrai que l'État a connu un énorme accroissement de ses pouvoirs au cours des dernières années, justifiant le renforcement de son arsenal sécuritaire d'abord par sa soi-disant « guerre contre la drogue », puis par sa soi-disant « guerre contre le terrorisme », violant au passage les clauses du Quatrième Amendement de la Constitution destinées à protéger le citoyen contre toute « fouille ou confiscation déraisonnable ». Ce n'est pas un hasard si les ventes d'armes sont devenues encore plus importantes depuis qu'Obama a pris le pouvoir en 2008, et se sont encore élevées après que le même Obama, suite à la tuerie de Newtown, ait annoncé vouloir faire du contrôle des armes une priorité.
Comme nous l'avons fait remarquer, si le score obtenu par Obama pour sa réélection en 2012 restait élevé, il ne pouvait être considéré comme remarquable. Parmi les électeurs du Parti républicain, une grande partie a été influencée par les fantasmagories de l'extrême-droite, notamment par l'idée selon laquelle Obama serait une sorte de tyran pro-musulman communiste et anti-américain. Il semble que les milices de droite et autres groupes d'extrême-droite connaissent une croissance depuis 2008, même si aucun de ces groupes ne dispose encore d'une audience de masse. Le Tea Party a beaucoup joué dans cette évolution, même si lui-même a subi un revers à partir de 2011.
En réalité, la NRA est
elle-même une des plus grandes organisations de droite dans le pays,
disposant d'une base de masse : en 2010, elle affirmait
avoir 4,3 millions de membres, 5 millions en 2017.
Elle sert aujourd'hui à promouvoir les intérêts de l'industrie de
l'armement et à mobiliser pour le « droit à porter une
arme », cet enjeu étant, tout comme l'immigration et le droit
à l'avortement, un de ceux que la classe dirigeante utilise afin de
diviser la population et de rallier à sa cause une section de la
population à son programme antisocial.
Mais il nous faut être conscients que si de nos jours la NRA et ses soutiens se contentent de promouvoir le droit à porter des armes pour des individus sans véritablement encourager la formation de milices, dans un futur proche, une importante partie de sa base fortement armée et entrainée pourrait facilement être transformée en une force ouvertement contrerévolutionnaire destinée à terroriser les militants de gauche, les travailleurs en lutte, les personnes de couleur, les immigrés, les personnes homosexuelles, etc. en tant que force paramilitaire au service de l'État capitaliste.
Mais il nous faut être conscients que si de nos jours la NRA et ses soutiens se contentent de promouvoir le droit à porter des armes pour des individus sans véritablement encourager la formation de milices, dans un futur proche, une importante partie de sa base fortement armée et entrainée pourrait facilement être transformée en une force ouvertement contrerévolutionnaire destinée à terroriser les militants de gauche, les travailleurs en lutte, les personnes de couleur, les immigrés, les personnes homosexuelles, etc. en tant que force paramilitaire au service de l'État capitaliste.
Le Deuxième Amendement dans l'esprit des Pères fondateurs (à gauche) et dans l'esprit de la NRA (à droite) |
La violence armée aux
États-Unis aujourd'hui
Il nous faut également
nous pencher sur les caractéristiques et causes particulières du
niveau extrêmement élevé de violence armée dans la société
états-unienne.
On estime à pas moins de
300 millions le nombre d'armes à feu détenues aux États-Unis
par des citoyens qui en sont les propriétaires légaux. En 2004,
il y a eu dans ce même pays un taux de 5,5 homicides pour
100.000 habitants, un nombre trois fois plus élevé qu'au
Canada (1,9 homicides par 100.000 habitants par an) ou six
fois plus élevé qu'en Allemagne. Pour ne citer que l'association
Occuper la NRA, une branche du mouvement Occuper Wall Street, « Les
États-Unis représentent à peine 5 % de la population
mondiale, mais détiennent la moitié de l'ensemble des armes à feu
en circulation dans le monde, et comptent à eux seuls pour 80 %
des décès par balles des 23 pays les plus riches du monde ».
Il faut cependant
reconnaître que le taux d'homicides a fortement diminué depuis les
années 1990. En 2009, le taux d'homicides était à son
niveau le plus bas depuis 1964, la moitié de son niveau des
années 1980. Même si nous pouvons nous féliciter de cela, le
nombre de morts violentes reste ahurissant : 13.000 tués par balles pour la seule année 2015, sans compter toutes les autres personnes assassinées au couteau, etc. Au Japon, le nombre de personnes tuées par balles la même année était de 1.
Le taux d'homicides a
pratiquement doublé de 1965 à 1980. À 1980, il était de
10,2 personnes tuées par 100.000 habitants, avant de
diminuer à 7,9 tués par 100.000 habitants en 1984.
Il est de nouveau monté dans les années 1991, avec un pic à
9,8 tués par 100.000 habitants en 1991. De 1992
à 2000, le nombre d'homicides avait fortement diminué, mais il
est de nouveau en hausse partout dans le pays et ce, de façon
particulièrement dramatique dans certaines villes telles que
Chicago. Et bien que les taux d'homicides soient aujourd'hui revenus
à leur niveau des années 1960, le taux de criminalité
violente (qui fait intervenir un grand nombre d'armes) reste à un
niveau bien plus élevé que ce qu'il était il y a 50 ans.
Si l'attention des médias
se focalise principalement sur des tueries comme celle de
l'université Virginia Tech à Aurora, la violence armée reste
essentiellement concentrée dans les quartiers pauvres des grandes
villes, où la plupart des victimes sont des personnes de couleur et
pauvres. L'exemple le plus extrême est sans doute celui de la
Nouvelle-Orléans (Sud), où le taux d'homicides en 2004 était
de 52 personnes tuées pour 100.000 habitants, soit dix
fois la moyenne nationale.
La ville de Chicago a
récemment connu une forte hausse de la violence armée. Mais, comme
l'a fait remarquer le New York Times, sur plus de 500 personnes
tuées en 2012 à Chicago, plus de 400 l'ont été dans
seulement la moitié des 23 arrondissements de police de la
ville, soit les quartiers Sud et Ouest de la ville.
Les personnes qui
s'opposent au contrôle des armes affirment que la forte baisse du
taux d'homicides démontre que le taux de violence n'est pas lié au
nombre d'armes en circulation ni à la sévérité des
réglementations. D'un autre côté, des partisans du contrôle des
armes comme l'ancien maire de New York, M. Mike Bloomberg,
affirment quant à eux que si le nombre d'homicides dans sa ville a
atteint son point le plus bas en 50 ans (334 personnes tuées à
New York en 2016, contre 2245 en 1989), cela démontre
plutôt l'efficacité d'une force de police devenue beaucoup plus
agressive et des mesures prises pour interdire le port d'arme dans
les lieux publics.
En réalité, le contrôle
des armes est bien plus strict dans la plupart des grands centres
villes qu'il ne l'est dans les banlieues et les zones rurales.
D'autre part, si la présence policière massive dans les quartiers
pauvres a certainement eu un effet, cela s'est fait aux dépens de la
population, contrainte de vivre dans des mini-États policiers où la
police oppresse systématiquement les jeunes hommes, en parallèle à
la construction à l'échelle nationale d'un véritable « archipel
du goulag » à l'américaine.
Mais il y a clairement
d'autres raisons pour la baisse du taux d'homicide, dont la fin de
l'épidémie de crack des années 1980. Un facteur plus
récent a été l'amélioration de la médecine d'urgence, qui a
grandement amélioré les chances de survie des personnes blessées
par balles. À ce propos, nous aimerions citer en long et en large un
article du Wall Street Journal en date du 8 décembre 2012, qui
démontre bien ce point essentiel : l'épidémie de violence est
en réalité toujours aussi endémique dans la société
états-unienne :
« Le nombre
d'homicides aux États-Unis diminue depuis vingt ans, mais le pays
est toujours aussi violent.
Les criminologues qui
attribuent la baisse du nombre de meurtres au fait que la police
serait plus efficace et la population vieillissante pour dépeindre
l'image d'une nation de plus en plus calme oublient souvent cette
simple donnée : le nombre de personnes traitées dans les
hôpitaux pour blessures par balles s'est accru de 50 % entre
2001 et 2011. Si les importants progrès qu'a connu la médecine ces
dernières années n'explique sans doute pas à lui seul la baisse du
taux d'homicides, tous les experts s'accordent à dire qu'ils jouent
néanmoins un rôle très important.
Les médecins urgentistes
chargés de soigner les personnes ayant subi des attaques par balles
ou au couteau disent que de plus en plus de gens survivent
aujourd'hui à leurs blessures en raison de la création de nombreux
nouveaux centres hospitaliers de traumatologie spécialisés dans le
traitement des blessures graves, du recours de plus en plus fréquent
à des hélicoptères pour amener les patients à l'hôpital, d'une
meilleure formation des secouristes, ainsi que de l'expérience
acquise sur les champs de bataille d'Iraq et d'Afghanistan ».
En gros donc, le nombre
de blessés par balles continue à augmenter, mais les gens meurent
moins facilement de leurs blessures qu'avant. Et la violence est
toujours aussi omniprésente.
Après avoir « fait leur stage » en Iraq, les docteurs états-uniens sont fins prêts pour soigner un nombre croissant de blessures par balles chez eux |
Pourquoi la société
états-unienne est-elle si violente ?
Il est impossible de
mettre en évidence un seul facteur qui expliquerait à lui seul le
niveau particulièrement élevé de la violence aux États-Unis. Il
est clair que le fait que les États-Unis sont le pays le plus
inégalitaire de tous les pays capitalistes « développés »
doit jouer un rôle majeur. Rappelons au passage que les États-Unis
ont un taux de pauvreté plus élevé (17 % en 2002) que
les 22 autres pays développés membres de l'OCDE. Le taux
d'inégalité contribue en effet directement au sentiment
d'aliénation ressenti par la masse de la population. Mais les
énormes inégalités des États-Unis sont aussi la conséquence des
conditions spécifiques du développement du capitalisme états-unien.
Remarquons d'abord que la
société états-unienne a été plongée dans la violence dès sa
naissance. Historiquement, les États-Unis ont été un pays de
pionniers, où la campagne sanglante destinée à arracher leurs
terres aux peuples autochtones et qui a duré jusqu'à la fin du 19e
siècle a impliqué l'armement d'une grande partie de la population.
Plus important encore, il
y a l'héritage de l'esclavage et la répression violente permanente
des communautés afro-américaines, qui perdure encore aujourd'hui.
La « guerre contre la drogue » des années 1970
n'était qu'une tentative de plus de criminaliser et d'opprimer la
jeunesse noire, considérée par l'État comme la couche la plus
radicale de la société, tout en constituant une stratégie
électorale et politique pour entretenir le racisme malgré la fin
officielle de la ségrégation légale, à la même époque.
C'est ainsi que les
États-Unis sont un des pays qui comptent le plus de prisonniers au
monde, ce qui est en soi également une importante source de
violence, quand des centaines de milliers de consommateurs ou
trafiquants de drogues inoffensifs intègrent le monde extrêmement
violent de la prison pour un certain nombre d'années, avant d'en
ressortir en voyant leurs droits de citoyen fortement diminués et
encore plus socialement aliénés qu'ils ne l'étaient avant
d'arriver en prison.
Dans certaines localités
qui comptent parmi les plus déprimées des États-Unis, on voit une
combinaison toxique formée d'une pauvreté systématique, d'une
aliénation de masse et d'une féroce répression étatique. La
violence en est la conséquence inévitable. Le fait qu'il soit si
facile de se procurer une arme contribue-t-il à cette violence ?
Cela ne fait aucun doute, mais il ne s'agit pas de la cause
fondamentale.
Et même si des petites
villes plus aisées comme Newtown connaissent une dynamique sociale
fort différente, il reste indéniable que l'anxiété causée par
l'incertitude économique et l'aliénation sociale généralisée est
omniprésente dans la société états-unienne. Et il semble bien que
l'aliénation est encore pire pour les jeunes qui grandissent dans
des banlieues résidentielles de villas individuelles qui ne comptent
aucun espace de rencontre, parc public, etc. C'est ainsi qu'un auteur
d'une étude sur les « fusillades sauvages » aux
États-Unis faisait remarquer que « depuis 1970, on n'a
connu dans tout le pays qu'un seul cas de fusillade sauvage dans une
école située dans un centre-ville » (The Nation, 19 décembre
2012).
Il faut également
ajouter la forte déficience de notre système de santé mentale,
conséquence inévitable d'un système de soins de santé où tout
est laissé au profit tandis que les budgets des services sociaux et
des hôpitaux publics sont systématiquement rabotés. Ces facteurs
ne font qu'allonger la série des massacres.
L'impérialisme états-unien propage de manière très enthousiaste une
violence de masse partout dans le monde par ses interventions armées, ce qui contribue aussi directement à la violence aux États-Unis
eux-mêmes. Cette politique guerrière, justifiée par la soi-disant
« guerre contre le terrorisme », a directement contribué
à la gigantesque expansion de l'appareil d'État. Obama et les
autres politiciens capitalistes ont beau appeler à « mettre
fin à la violence » aux États-Unis, cela ne les empêche
curieusement pas d'envoyer des drones bombarder le monde entier, de
commettre des assassinats politiques à gauche à droite et de
militariser la police partout dans le pays.
Mais il existe encore
d'autres causes indirectes. Comme les marxistes aiment à le répéter,
la production culturelle d'un pays tend inévitablement à refléter
le point de vue et les valeurs de la classe dominante dans la
société. Étant donné que la classe dirigeante a pour habitude de
répondre par une violence systématique à toute menace ou ennemi
qu'elle croit apercevoir de près ou de loin, nous ne devons pas être
surpris de voir cette même tendance à la violence systématique se
refléter dans les films, dans les jeux vidéo, et même dans la
musique, où partout est idéalisé ce culte des armes et de la mort.
L'état actuel du début
sur le contrôle des armes – et notre position
Après des années durant
lesquelles les mesures de contrôle, surtout au niveau fédéral,
étaient perçues par les libéraux comme impossibles à mettre en
œuvre en raison de la puissance de la NRA, le débat est revenu à
l'avant-plan à la suite de la tuerie de Newtown. C'est alors
qu'Obama a décidé de faire de cet enjeu un des principaux points du
programme de son second mandat, en même temps que la réforme de
l'immigration, la réforme fiscale et le changement climatique.
Dans les médias
capitalistes, le débat sur le contrôle des armes est uniquement
représenté par deux camps : d'un côté les principaux cadres
du Parti démocrate, les maires des grandes villes et toute une
section de la classe capitaliste qui a décidé qu'il est temps de
mettre au pas la NRA ; de l'autre, les Républicains de droite,
soutenus par la NRA et qui font tout pour résister à toute
tentative de renforcer le contrôle sur les armes.
Le point de départ de
notre prise de position concernant cet enjeu est notre sympathie avec
le désir de la plupart de nos concitoyens de voir un terme à toute
cette violence, et notamment la fin des massacres. Nous rejetons
totalement l'idée de la NRA selon laquelle la solution à des
tueries comme celle de Newtown serait d'avoir un policier armé dans
chaque école du pays, et rejetons encore plus l'idée mise en avant
par certaines personnalités de droite, dont le président Trump,
d'autoriser les enseignants à porter des armes en classe (le Dakota
du Sud a déjà appliqué une loi en ce sens !). Leur argument
est que « pour stopper les méchants armés, il faut armer les
gentils ». Cela ne va faire qu'entrainer encore plus de
violence dans la société, et non moins.
Bien que nous soyons
fermement convaincus du fait que les prolétaires, les minorités
raciales et les opprimés doivent avoir le droit de se défendre
contre la violence des patrons, de l'État et des groupes
réactionnaires, nous estimons que le niveau actuel de violence par
balles aux États-Unis représente en réalité aujourd'hui un
véritable obstacle au développement de la lutte sociale. Tout en
défendant notre position théorique d'ordre général sur l'État,
et sans faire la moindre concession aux libéraux pour qui l'État
est un « arbitre neutre », il nous faut examiner cette
question de façon concrète, en tenant compte des conditions, du
rapport de force et du niveau de conscience actuels.
Peut-on de nos jours
affirmer que la large circulation des armes à feu aux États-Unis
est un facteur contribuant à renforcer la position de la classe
prolétaire ? La réalité est que non. En fait, la plus grande
libéralisation de l'accès aux armes de ces 30 dernières
années a coïncidé avec une large offensive de la part de la classe
dirigeante contre les droits démocratiques, avec le renforcement des
pouvoirs répressifs de l'État. Les principales forces qui
s'opposent au contrôle sur les armes sont aussi celles qui propagent
une idéologie de droite sexiste, raciste et individualiste qui
affaiblit la classe prolétaire.
De plus, c'est justement
la menace posée par toute cette violence, que ce soit le risque
quotidien de voir se déclencher une fusillade dans toute une série
de localités ou le danger d'une attaque terroriste, qui donne à
l'État le prétexte tout prêt pour renforcer ses pouvoirs
répressifs. Cela ne veut cependant pas dire que nous devons nous
aligner sur la position des libéraux qui prêchent le contrôle sur les armes et pour qui la circulation des armes est le problème
fondamental alors qu'il n'en est qu'un facteur aggravant. Notre tâche
est d'articuler une position prolétarienne indépendante.
Nous rejetons l'argument
de la NRA selon lequel les quelques mesures très limitées proposées
par Obama pour restreindre la circulation des armes représentent une
atteinte au Deuxième Amendement et au droit à porter une arme.
Personne à l'heure actuelle n'a encore sérieusement proposé de
tenter de désarmer la population, ne serait-ce qu'en partie. Les
seules zones où on voit la police tenter de désarmer la population
par la force sont les logements sociaux dans les centres-villes.
La sécurité à l'école selon la NRA : armer le vigile, la maitresse et la tantie de la cantine ; blinder les élèves et le bus de l'école. |
Mais il ne suffit pas de
s'opposer aux tentatives faites par la NRA pour encourager la
paranoïa collective. Il nous faut aussi être clairs sur le fait
qu'il existe bel et bien des raisons légitimes pour lesquelles les
citoyens désirent porter une arme. Ainsi, dans les zones rurales,
les armes sont couramment utilisées pour la chasse, pour combattre
les prédateurs et pour les loisirs. Cela ne mène pas à des niveaux
insensés de violence. De même, de nombreux habitants des villes et
des banlieues désirent porter des armes pour leur protection
personnelle. C'est surtout le cas dans les zones où la violence est
endémique. Il ne faut par exemple pas être surpris si de nombreuses
femmes cherchent à se procurer une arme pour pouvoir se défendre.
En tant que socialistes, nous ne sommes pas des pacifistes ;
nous ne nous opposons donc pas à ce que de simples citoyens
possèdent une arme ou désirent en posséder une.
La question que la
plupart des gens se posent et à laquelle ils veulent une question
dès aujourd'hui est en réalité celle-ci : « Comment
diminuer toute cette violence ? ». Les bourgeois qui nous
parlent de contrôle sur les armes n'ont en vrai aucune réponse
sérieuse à apporter à cette question. Même si toutes les mesures
proposées par l'administration Obama étaient votées au parlement,
toute notre histoire indique que l'industrie de l'armement, un cartel
extrêmement puissant, trouvera des manières de les contourner.
C'est ce qui s'est passé après la soi-disant « interdiction »
de la vente des armes d'assaut en 1994.
L'autre raison
fondamentale pour laquelle le camp bourgeois du contrôle sur les
armes ne parvient pas à trouver une solution à la violence est que,
comme nous l'avons déjà indiqué plus haut, la principale source de
toute la violence dans notre société est le capitalisme lui-même,
y compris l'État capitaliste.
Des mesures qui seraient réellement destinées à
faire baisser le taux de violence incluraient la fin de la « guerre
contre la drogue », la décriminalisation de la plupart des
drogues (il faut insister ici sur le fait que « décriminaliser »
ne veut pas dire « autoriser » ; ce que nous
entendons par là est que le problème de la drogue devrait être
considéré avant tout comme un problème de santé publique et non
comme quelque chose qu'il faut régler par la force), la libération
des centaines de milliers de personnes condamnées à la prison pour
faits de drogue alors qu'elles sont parfaitement inoffensives, et le
démantèlement du système judiciaire criminel, raciste et
hypertrophié en vigueur actuellement. Toutes ces mesures feraient
beaucoup plus pour réduire le niveau de violence dans la société
que toutes les mesures de contrôle sur les armes que l'on peut
imaginer.
Nous voulons aussi
prendre des mesures sérieuses contre les énormes profits de
l'industrie de l'armement en interdisant la vente d'armes par ces
entreprises ou par le gouvernement aux régimes de droite du monde
entier. Nous voulons aussi la fin des aventures militaires de
l'impérialisme états-unien partout dans le monde et une réduction
drastique du budget de l'armée et du Pentagone. Les ressources ainsi
libérées pourraient être utilisées pour créer des emplois,
améliorer le système d'enseignement et le système des soins de
santé (y compris pour la santé mentale) et les services sociaux, ce
qui contribuerait par la même occasion à réduire le taux de
violence dans notre pays comme à l'étranger. Enfin, nous sommes
pour l'annulation de la loi Patriote et autres lois qui autorisent
l'État à espionner les citoyens et à recourir à une violence
accrue à leur encontre, sans que cela ne contribue d'aucune manière
à leur sécurité.
Un simple programme de
création massive d'emplois, un nouveau salaire minimum de 15 $
de l'heure (8000 FCFA) appliqué au niveau national et d'autres
mesures sociales comme une véritable couverture maladie universelle
et l'extension des soins de santé mentale peuvent être
d'importantes mesures prises en vue d'obtenir une société moins
violente et plus saine. Nous défendons toute mesure capable de
réduire le taux d'inégalité dans la société états-unienne et
destinée à démanteler le racisme institutionnel. Cependant, nous
insistons sur le fait que nous ne pourrons jamais obtenir une société
véritablement égalitaire et juste tant que nous ne sortons pas du
cadre du capitalisme. Car même des réformes très modestes se
retrouveront rapidement en contradiction avec les limites de ce
système malade et putréfié.
Une fois de plus, nous
voulons insister sur le fait que ces mesures que nous proposons
seraient bien plus efficaces pour réduire le niveau de violence que
n'importe quelle mesure de « contrôle sur les armes »,
qui révèlera certainement son inefficacité. Toutefois, dans le
contexte de notre mission qui est de renforcer la lutte des
prolétaires pour leurs droits, nous acceptons de défendre certaines
mesures de contrôle sur les armes telle que l'examen du vécu de la
personne pour les ventes d'armes, l'interdiction de la vente d'armes
de guerre semi-automatiques et la réduction de la taille des
chargeurs en vente, dans la mesure où ces mesures pourraient
contribuer à diminuer le taux de violence, ne serait-ce que de
manière limitée.
Nous avons cependant des
réserves quant à la plupart des propositions d'examen du vécu. Par
exemple, la proposition d'interdire l'achat d'une arme à toute
personne ayant déjà été condamnée signifie dans la pratique
exclure une importante portion de la classe prolétaire noire – et les Blancs seraient à nouveau privilégiés pour l'obtention d'armes. Il
faudrait dès lors au moins envisager la mise en place d'une procédure d'appel
dans le cadre de cet examen du vécu.
Une fois de plus, à
aucun moment nous ne voulons dire que les nombreuses personnes
détentrices d'une arme ou désireuses de s'en procurer une n'ont pas
une raison légitime et bien fondée pour cela. Cependant, nous ne
pensons pas que la situation actuelle soit dans les meilleurs
intérêts de la classe prolétaire. Ce n'est pas toutes les
questions auxquelles on peut simplement répondre par « oui »
ou par « non ». Notre position recèle des
contradictions, nous le reconnaissons, mais nous pensons que cela
n'est en définitive que le reflet de la vie sous le capitalisme, un
système lui-même rempli de contradictions insurmontables, et que
les contradictions de notre position ne sont rien par rapport à
celles que nous impose et nous imposera ce système tant que nous
vivrons selon ses lois.
« ARMEZ-MOI avec une bonne bibliothèque dans ma salle de classe ; ARMEZ-MOI avec de bons services de santé mentale », etc. |
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