Tensions, divisions et instabilité
La classe dirigeante européenne est
aux prises à de grandes difficultés. En dépit d’une période de
reprise économique limitée, l’instabilité politique continue de
croître et à cela s’ajoute la possibilité d’une nouvelle
récession qui pourrait complètement saper des équilibres déjà
bien fragiles. Lors de l’école d’été du Comité pour une
Internationale ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge)
qui s’est tenue la semaine dernière à Barcelone, une discussion
approfondie a abordé les perspectives de l’Europe, dont voici
quelques éléments ci-dessous.
– Rapport de notre camarade Geert
Cool, Parti socialiste de lutte (section belge du CIO)
D’une crise économique à une
crise politique
Dix ans après la récession de
2007-2008, ses causes sont toujours présentes. Cela ouvre la voie à
de nouvelles secousses dans l’économie. Quand bien même la
plupart des pays européens connaissent une croissance limitée, les
répercussions politiques de la récession économique continuent à
prendre de l’ampleur. Même le pays le plus fort de l’Union
européenne, l’Allemagne, n’a pas pu échapper à une crise
politique avec la formation difficile d’un nouveau gouvernement
Merkel. Ceci a été rapidement suivi par la menace d’une crise
gouvernementale autour de la question migratoire.
L’Union européenne a été créée
dans le but de disposer d’une plus grande stabilité ainsi que pour
rapprocher les différents pays européens face à l’impérialisme
américain ainsi que comme bloc face à l’Est (Russie et Chine).
Aujourd’hui, cette stabilité n’existe plus et l’UE ne fait
qu’accroître la division en Europe. L’UE ne peut pas donner le
ton dans la guerre commerciale émergente. Le processus décisionnel
stagne et la classe dominante n’est plus en mesure de proposer
quelque chose qui ressemble à un projet. Les propositions de Macron
concernant le budget européen ont provoqué de la résistance, y
compris chez Merkel, en partie à cause des craintes de tensions au
sein même de sa propre coalition et de la pression de l’AfD
populiste en Allemagne. L’UE n’a jamais été aussi faible
qu’aujourd’hui !
L’instabilité politique s’est
accrue dans presque tous les pays européens, avec un nombre record
de gouvernements minoritaires et une fragmentation politique sans
précédent. Cela se reflètera encore dans les élections
européennes de mai 2019, en plus de la fragmentation et de la
création de nouveaux groupes. Macron tente par exemple de construire
un groupe pro-européen, Mélenchon est en faveur d’un bloc de
gauche sans Syriza (qui applique une politique d’austérité en
Grèce) et l’extrême droite tente aussi de constituer de nouveaux
groupes. Ces élections peuvent aussi être caractérisées par une
très faible participation dans différents pays. La confiance dans
toutes les institutions est en berne, y compris l’UE et les partis
traditionnels.
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L'instabilité politique se reflète par la croissance de partis populistes de droite, comme l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), parti raciste et anti-immigration |
Le séisme italien
Les élections italiennes de mars
dernier ont mis en évidence les difficultés rencontrées par la
classe dominante en termes de représentation politique. Pour la
deuxième fois en 25 ans, les instruments politiques
traditionnels de la bourgeoisie ont été rayés de la carte. Plus de
la moitié des électeurs ont soutenu la Ligue du Nord et le
Mouvement cinq étoiles, qui se présentent toutes deux comme des
formations « antisystème ». Ce soutien résulte du rejet
des partis traditionnels après des décennies d’attaques contre
les conditions de vie des travailleurs et de la frustration
croissante.
M. Salvini, de la Ligue du Nord,
répond à ce mécontentement en le liant à la question de
l'immigration. Selon lui, les nombreux problèmes auxquels la
population est confrontée sont dus à non pas à l’avidité des
capitalistes, dont la soif de bénéfices et de dividendes implique
de s’en prendre aux conditions de vie des travailleurs et de leurs
familles, mais à l'afflux d'étrangers. Parallèlement, l’extrême
droite et les populistes tels que ceux du Mouvement cinq étoiles
tentent de se présenter comme des opposants à l’austérité. Des
mesures sociales ont été promises, mais leur mise en place a été
immédiatement mise en veilleuse une fois arrivés au pouvoir.
Le soutien dont disposent des forces
telles que la Ligue du Nord et le Mouvement cinq étoiles ne provient
pas uniquement du rejet des partis établis – il découle également
de l’absence d’une alternative sérieuse de gauche. Le virage à
droite et la bourgeoisification de la social-démocratie ont causé
de sérieux problèmes à cette dernière sur presque tout le
continent, tandis que les nouvelles forces de gauche n’ont pas
encore fait leurs preuves ou ne sont pas encore suffisamment
conséquentes pour être considérées comme des alternatives
sérieuses. C'est ce qui a permis à la Ligue du Nord et au Mouvement
cinq étoiles de se présenter comme des forces de changement.
C’est aussi, soit dit en passant, sur
cette base que certains politiciens bien établis ont pu remonter
dans les sondages et remporter des élections. Macron en France ou
Kurz en Autriche se sont tous deux présentés comme de nouveaux
visages qui allaient apporter de réels changements. L’effondrement
rapide du soutien pour Macron – qui rivalise déjà avec
Hollande en termes d’impopularité – est la conséquence des
promesses de changement non tenues ainsi que de ses mesures
néolibérales particulièrement impopulaires. La France a connu
d’importantes grèves et manifestations de masse ces derniers mois.
En Autriche aussi, une première grande manifestation a eu lieu
contre le gouvernement formé par les conservateurs du Parti
populaire autrichien et l’extrême droite du Parti de la liberté,
essentiellement pour protester contre leur mesure visant à porter la
durée maximale de travail à 12 heures par jour au lieu de 8.
La seule façon pour les forces
populistes et d’extrême droite de ne pas être immédiatement
sanctionnées pour refuser de rompre avec la politique d’austérité
est de jouer la carte du racisme et de l'immigration. Des boucs
émissaires sont recherchés, et cela a un impact sur la population,
principalement en raison de l’absence d’une réponse collective
suffisamment forte de la part des syndicats et de la gauche. Cette
situation, combinée à l’impact réel de la baisse des conditions
de niveau de vie pour de larges couches de la population, créée des
ouvertures pour les préjugés racistes.
Le nouveau gouvernement italien est
très instable et ne peut tenir ses promesses. Mais son existence
donne confiance à l’extrême droite et les faits de violence
raciste augmentent. Les socialistes révolutionnaires doivent
défendre les couches les plus faibles de la société dans le cadre
d’une lutte commune de toute la classe prolétaire contre la
politique d’austérité et contre la division encouragée pour nous
affaiblir.
Il semble que le gouvernement italien
essaiera de placer son action dans les limites permises par l’UE,
même si cela signifie de reporter ses promesses électorales.
L'Italie est le pays qui la dette publique la plus élevée de l’UE
et la troisième plus élevée au monde – la marge de manœuvre du
nouveau gouvernement est donc très limitée. C’est déjà le cas
dans une période de « reprise », qu'est-ce que cela sera
en cas de nouvelle récession ? L’économie italienne est dix
fois plus importante que celle de la Grèce. Le départ de l’Italie
de la zone euro et de l’UE serait encore moins évident à gérer
que dans le cas de la Grèce. L’UE va donc faire tout ce qui est en
son pouvoir pour garder l’Italie à bord et pour établir une
relation de travail avec le gouvernement italien. La seule question
est de savoir si cela sera possible, surtout dans l’éventualité
d’un nouveau ralentissement de l'économie.
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D'une crise à l'autre
On n'est « sorti » de la
précédente récession que par des mesures de relance massives de la
part du gouvernement ; la croissance limitée de ces dernières
années dépend fortement de ces mesures. Cela conduit à une forte
augmentation du niveau d’endettement, qui est encore gérable pour
l’instant en raison d’un taux d’intérêt bas. Mais cela
signifie aussi que le matelas disponible pour absorber un prochain
choc économique est beaucoup plus mince. Cela aura inévitablement
des conséquences politiques. Un ancien dirigeant du FMI a ainsi
publiquement déclaré qu’une autre crise pourrait être fatale à
l’UE.
La croissance économique en Europe
ralentit actuellement et plusieurs facteurs pourraient encore
aggraver ce ralentissement. Il y a les conséquences des droits de
douane à l’importation et du protectionnisme lancé par Trump, il
y a le déclin de l’assouplissement quantitatif, les conséquences
du Brexit, etc. Le ministre français des Finances a expliqué que le
statu quo n’est plus possible et qu’il faut faire quelque chose
pour absorber de nouveaux chocs économiques. Sans toutefois proposer
quoi que ce soit à cet effet.
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La politique de plus en plus protectionniste de Trump menace l'économie européennne |
La lutte collective et
sa traduction politique
Les conséquences de la politique
d’austérité conduisent non seulement à l’affaiblissement des
partis établis, mais aussi à des conflits. En France, les deux
partis traditionnels ont été durement frappés lors des dernières
élections et, dans le cas du PS, il se pourrait bien que ce parti ne
s'en remette jamais. Macron et son parti La République en marche
l’ont remplacé. Cependant, il est déjà clair pour une grande
partie de la population française que Macron est le président des
riches. Il mène une politique à la Thatcher et se rend compte qu'il
mène une course contre la montre pour faire passer autant de mesures
qu'il peut le plus rapidement possible.
Il s’agit notamment de renforcer les
moyens répressifs pour réduire la contestation au silence, mais
aussi de privatisations et d’autres attaques contre les
travailleurs. Cela entraîne des conflits sociaux et des actions, à
l’image de la longue grève des chemins de fer français et des
diverses manifestations contre l’austérité. Mélenchon est
considéré comme la figure la plus importante de l’opposition à
Macron. La France insoumise a, bien sûr, des limites, mais elle
prend des initiatives pour unir et renforcer l’opposition à la
politique de Macron dans la rue.
Le centre de gravité des luttes
collectives et des mouvements de protestation en Europe ces derniers
mois a sans doute été l’Espagne. Il n’y a pas seulement eu
l’impressionnante grève du 8 mars pour les droits des femmes,
à laquelle six millions de femmes et d’hommes ont pris part, ou
les manifestations contre les peines très légères infligées aux
violeurs de « La Meute » ; il y a aussi eu des
actions majeures de la part des retraités, entre autres. Ainsi bien
entendu que le mouvement phénoménal en Catalogne, dont il sera
question plus en détail plus loin dans ce rapport. On estime que
10 millions de personnes ont participé à des mouvements
l’année dernière en Espagne, soit un adulte sur quatre ! La
classe dominante a dû en tenir compte : le gouvernement du
Parti populaire (droite conservatrice) s’est heurté à une motion
de défiance qui a pu être remportée grâce aux pressions exercées
sur les petits partenaires, comme les nationalistes basques. Cela
ouvre la perspective d’un gouvernement social-démocrate du Parti
socialiste, soutenu par la gauche radicale (les partis Nous pouvons
et Gauche unie), suivant le modèle du gouvernement portugais.
D’importants mouvements sociaux ont
également eu lieu ailleurs. En Irlande, il y a eu la campagne en
faveur de l’avortement et son remarquable résultat : deux
tiers des participants se sont prononcés en faveur de la levée de
l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. Les jeunes ont
pris les devants : 90 % des jeunes femmes sont allées
voter, le nombre de jeunes femmes inscrites pour pouvoir voter a
augmenté de 94 % par rapport aux dernières élections
législatives irlandaises. Cela a été remarqué chez les personnes
âgées, beaucoup d’entre elles prenant position en faveur de la
levée de l’interdiction de l’avortement parce que c’est ce que
la jeunesse désirait et qu’il s’agit de son avenir.
Dans divers exemples de mouvements et
de luttes, il est frappant de constater que la direction syndicale ne
joue pas un rôle fondamental et n’est parfois même pas présente
du tout. Là où les dirigeants syndicaux organisent la résistance,
c’est souvent avec un manque de stratégie quant à la manière de
construire le mouvement et certainement quant à la perspective d’une
alternative politique aux partis de l’austérité.
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Grève des femmes en Espagne le 8 mars 2018 Cinq millions de femmes ont participé à ce mouvement. |
Les nouvelles forces de
gauche
Non seulement les populistes de droite
et l’extrême droite sont à la hausse, mais de nouvelles forces de
gauche sont également en pleine croissance. Il ne s’agit souvent
pas de véritables partis, mais plutôt de réseaux sans véritable
structuration, organisés via internet (comme Nous pouvons en Espagne
ou, dans une certaine mesure, la France insoumise). La question est
de savoir si ces nouvelles forces de gauche pourront se développer
de manière stable. Elles ne disposent pas d’un moyen évident pour
impliquer une large base active dans la prise de décisions et la
mobilisation. Leur croissance électorale conduit à l’espoir de
rompre avec la politique d’austérité dans la pratique également.
Cela exige un programme et une perspective appropriés pour faire
face au capitalisme. Le réformisme de gauche ne suffit pas, comme le
montre douloureusement l’exemple grec de Syriza.
Dans une situation complexe, il existe
de nombreux obstacles et questions difficiles pour ces forces de
gauche, comme le thème de l'immigration ou celui des divisions
ethniques et religieuses. L’espoir de changement fait en sorte
qu'il y a une pression populaire en faveur de la formation de
coalitions avec les partis établis, y compris la social-démocratie,
pour stopper l’austérité. Il est logique que la population
s'oriente d'abord vers la voie qui lui parait la plus facile, mais
cela n’enlève rien au fait qu'il faut envisager et préparer la
confrontation avec le capitalisme. Cela veut dire que nous devons
continuer à placer notre confiance dans la capacité de la classe
ouvrière à s’organiser et à se battre. Les changements ne sont
pas obtenus par des manœuvres au parlement, mais bien par la lutte
de masse. Mais il nous faut prendre en compte cette demande d'un
changement rapide. Il était en ce sens correct pour le Bloc de
gauche et le Parti communiste portugais de tolérer un gouvernement
minoritaire social-démocrate (un modèle maintenant également suivi
en Espagne). Cependant, si une telle position n'est pas accompagnée
d’une position indépendante visant à mobiliser et à impliquer
des couches plus larges, la gauche radicale risque de perdre ses
plumes au profit de la social-démocratie. C’était déjà le cas
lors des dernières élections locales au Portugal et c’est
également possible en Espagne.
Beaucoup d’espoirs se concentrent sur
Corbyn au Royaume-Uni. Les élections locales de mai ont toutefois
constitué un sérieux avertissement : le soutien au Parti
travailliste n’a pas été aussi fort que prévu, en partie parce
que le parti poursuit une politique d’austérité au niveau local.
De plus, Corbyn semble reculer rapidement devant chaque attaque, y
compris dans la campagne en cours, qui vise à l’accuser
d’antisémitisme en assimilant toute critique du régime
réactionnaire israélien à l’antisémitisme. Le Parti
conservateur de Theresa May est particulièrement divisé autour,
entre autres, du Brexit, ce qui permettrait de renverser ce
gouvernement profondément affaibli. De nouvelles élections
législatives seraient l’occasion de revenir à une mobilisation
plus large en faveur d’un programme offensif contre la politique
antisociale. Un mouvement de masse pourrait pousser un gouvernement
Corbyn plus à gauche que ce que les partisans de Corbyn auraient
initialement l’intention de faire. Cependant, sans une approche
offensive, il est possible que le gouvernement reste en place et que
le feuilleton du Brexit dure longtemps, pour devenir de plus en plus
confus. Cette humiliation du capitalisme britannique est l'expression
de la faiblesse croissante de l’impérialisme britannique et de ses
dirigeants politiques.
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Corbyn au Royaume-Uni et Mélenchon en France représentent tous deux cette nouvelle gauche qui se cherche encore |
L’Europe de l’Est
Dans les Balkans ainsi qu’en Europe
centrale et orientale, il existe des processus très contradictoires.
En Pologne, par exemple, le parti au pouvoir, Droit et Justice,
poursuit une politique de répression autoritaire (avec notamment un
contrôle accru du pouvoir judiciaire, plus de possibilités de
réprimer la contestation, etc.) associée à un nationalisme fort.
Cela est aussi le cas en Roumanie, où la propagande « antiroumaine »
a été rendue punissable par le gouvernement social-démocrate. Dans
le même temps, cependant, des mesures sociales sont adoptées :
en Pologne, le nouveau gouvernement a octroyé des allocations
familiales à partir du deuxième enfant (de 120 euros /
80.000 francs par mois), une réduction de l’âge de la
retraite, une augmentation du salaire minimum, etc. Nous observons
des situations similaires dans d’autres pays d’Europe de l’Est
et centrale.
Si une telle politique est adoptée,
c'est en raison de la petite croissance économique et des tentatives
des capitalistes locaux de s’approprier une plus grande part de
leur économie. Les gouvernements ne défendent pas les intérêts de
la population ordinaire, mais ceux des bourgeois locaux. La
rhétorique nationaliste et les éléments autoritaires induisent une
croissance de l’extrême droite, y compris de groupes violents.
C’est un danger pour l'ensemble du mouvement prolétarien. Dans le
même temps, cependant, il y a des exemples de luttes, et même des
mouvements sociaux assez importants, comme pour le droit à
l’avortement ou pour des salaires plus élevés en Pologne, ou
encore contre la corruption en Roumanie. La gauche peut s’appuyer
sur ces points concrets.
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Marche contre la corruption en Roumanie |
L'immigration et le
mouvement prolétarien
Le mouvement prolétarien et les
nouvelles forces de gauche se heurtent à diverses complications.
L'immigration est sans aucun doute l’une des plus importantes. Bien
que le nombre de réfugiés ait fortement diminué depuis 2015,
l'immigration est utilisée pour mener une politique de « bouc
émissaire ». En Autriche, le Premier ministre Kurz a annoncé
sa volonté d'en faire le thème central de la présidence
autrichienne de l’Union européenne. En Allemagne, le gouvernement
est sous la pression des populistes de droite de l’AfD.
Tous les partis établis s’entendent
sur le projet de l’« Europe-forteresse », mais ils ne
s’entendent pas sur les quotas et la répartition des réfugiés.
La répression s’intensifie : l’Italie refuse l’entrée
aux bateaux de réfugiés, la Hongrie érige en infraction pénale le
fait d’aider les réfugiés (même pour les avocats), l’Autriche
a annoncé une surveillance plus stricte de sa frontière avec
l’Allemagne, Macron critique Salvini mais augmente la surveillance
aux frontières françaises.
De larges couches de la population sont
favorables à l’adoption de législations plus strictes. Ce n’est
pas tant en raison du racisme, même s’il existe, mais plutôt du
fait des craintes ressenties au sujet de ce que le tissu social est
capable de supporter dans la société. Cette peur ne peut être
surmontée que par une lutte cohérente et collective de la part du
mouvement prolétarien contre la politique d’austérité qui mine
ce tissu social. Adopter une attitude défensive qui épouse la
logique de la classe dominante capitaliste, c'est ne pas poser la
question de comprendre la raison pour laquelle des gens fuient leur
pays. Une telle attitude constitue un obstacle à une lutte commune
contre les causes des déficits sociaux. Il n’y a pas de solution à
apporter à la question de l'immigration sur la base du capitalisme.
Tant que ce système vivra, la situation pourrait même empirer. Il
faut soulever la question du changement social et d’une société
socialiste. C’est la seule façon de créer un monde où chacun
pourra vivre et voyager comme il l’entend, sans risque de pauvreté,
de persécution ou de guerre.
Le mouvement ouvrier et
la question nationale
Lorsqu'un système est en crise, toutes
les contradictions existantes prennent des nuances beaucoup plus
marquées. La question nationale en fait partie. Lors de l’école
d’été du CIO, de nombreux exemples en ont été donnés : le
mouvement en Catalogne, la situation en Irlande du Nord, l’appel à
un deuxième référendum sur l’indépendance en Écosse, le débat
sur le nom de la Macédoine, la division à Chypre, etc. Plusieurs
orateurs ont souligné que les marxistes sont en faveur du droit à
l’autodétermination, mais que cela est directement lié à la
nécessité d’un programme socialiste.
Nous devons nous montrer flexibles dans
notre tactique mais déterminés dans notre programme. Des situations
différentes exigent des approches différentes et une évaluation
constante. Bien sûr, nous avons soutenu le droit du peuple catalan à
un référendum sur l’indépendance contre la répression du
gouvernement à Madrid. Cependant, un référendum en Irlande du Nord
sur la frontière nord-sud dans le contexte du Brexit serait une
toute autre affaire : cela ne ferait que renforcer
dangereusement les divisions sectaires, avec la possibilité d’un
retour à la violence entre communautés. Autour de la discussion sur
le nom de Macédoine, nous avons défendu l’idée qu’il serait
préférable d’adopter un nom tel que « Macédoine du Nord »
pour la région de l’ancienne République yougoslave de Macédoine,
qui représente 38 % du territoire total de la Macédoine
antique (52 % de son territoire se trouve aujourd'hui en Grèce,
10 % en Bulgarie).
Malheureusement, il y a de la confusion
parmi beaucoup de gens à gauche au sujet de la question nationale.
Parfois, le besoin d’unité des prolétaires est invoqué pour nier
le droit à l’autodétermination, alors que la reconnaissance de ce
droit à l’autodétermination est précisément une condition
préalable pour obtenir cette unité dans le respect de
l’individualité de chacun et sur une base d’égalité. Les
erreurs commises par Nous pouvons et Gauche unie autour du mouvement
catalan, en mettant l’opposition de masse en Catalogne sur un pied
d’égalité avec la répression dictatoriale du gouvernement du
Parti populaire, sont en train de les exclure du mouvement. Le fait
que le Parti travailliste n'ait pas soutenu le référendum sur
l’indépendance en Écosse a conduit le parti à obtenir un score
inférieur à celui des Conservateurs en Écosse, malgré la reprise
limitée due à l’effet Corbyn.
Lénine faisait remarquer que ceux qui
ne reconnaissent pas les droits des minorités et l’oppression
nationale ne sont pas marxistes et ne sont même pas démocrates. La
question nationale est un test important pour le programme et la
méthode de toutes les organisations de gauche. Sans la
reconnaissance du droit à l’autodétermination, les bolchéviks
n’auraient jamais pu réaliser la révolution d’octobre 1917.
La question nationale gagnera en importance en période de crise du
capitalisme. Elle peut constituer un levier dans la lutte contre
l’austérité, l’oppression et le capitalisme.
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Catalogne, Écosse – même combat. Les marxistes du CIO militent pour le droit des peuples à l'indépendance, dans le cadre d'une nouvelle fédération socialiste d'Europe |
Construire
l’alternative socialiste
Dès 1938, dans Le Programme de
transition, Trotsky écrivait que « la crise de l’humanité
peut se résumer à la crise de la direction du mouvement
prolétarien ». Les nouvelles forces de gauche n’existent pas
encore en tant qu’alternative, ce qui laisse de l’espace à de
nombreuses forces pour marquer des points électoralement. Dans le
même temps, cependant, nous devons reconnaitre le fait que la
position politique de la bourgeoisie est grandement affaiblie :
nulle part il n’y a de gouvernement stable, et cela, avant que les
forces de gauche ne représentent un poids important.
Le rapport de force de la classe
prolétaire est potentiellement bien meilleur qu’il n’y parait à
première vue. Avec de puissants partis prolétariens, la situation
pourrait être très différente et changerait énormément la
conscience des masses. Il existe un fossé entre la maturité de la
situation objective et l’immaturité des organisations de
travailleurs. C’était déjà un thème du Programme de
transition en 1938, mais cela est beaucoup plus prononcé
aujourd’hui. Nous devons être proactifs dans la présentation de
nos réponses et permettre aux nouvelles générations qui commencent
à entrer en lutte (comme avec le référendum irlandais sur
l’avortement) de prendre en compte les idées du socialisme.
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