La
grève des syndicats a été trop faible pour obtenir la moindre
concession
C'est le 22 mai que le Congrès du
travail nigérian (NLC), fraction Ayuba Wabba, a levé son
mot d'ordre d'action de grève illimitée contre la hausse du prix de
l'essence décrétée par le gouvernement de Muhammadu Buhari, trois
jours à peine après qu'elle ait été lancée. Cette grève qui a
début le 18 mai a été la moins réussie des dix grèves
nationales qu'a connues le Nigeria depuis la fin de la dictature
militaire en 1999. Il s'agit de la première grève contre la
hausse du prix de l'essence qui n'ait pas gagné la moindre
concession en termes de réduction du prix.
Cette défaite a
encouragé les ennemis du peuple à partir à l'offensive en
critiquant l'appel à la grève, espérant ainsi éviter de nouveaux
appels à la mobilisation dans le futur. En tant que militants, nous devons
rejeter toute tentative de neutraliser les syndicats, tout en tirant
les leçons de cette expérience afin de nous assurer que nos luttes
futures puissent être victorieuses.
Si cette action a été relativement impressionnante dans certains États, elle a connu des échecs retentissants dans les deux villes les plus importantes du pays, Lagos et Abuja. Les grandes villes de Kano et Port Harcourt n'ont elles aussi que peu été touchées par la grève. Dans ces villes, les bureaux, les banques, les entreprises et les marchés sont restés ouverts, bien qu'il y ait eu de petites marches de contestation çà et là. Dans des villes comme Ibadan, où il y a bel et bien eu grève, l'action est très loin d'avoir eu l'ampleur du mouvement de 2012, lorsque toute la société, y compris les entreprises privées et les marchés, a été mise à l'arrêt. Cependant, l'accueil réservé par les populations à ces marches à Ibadan, à Osogbo et à Ifé a bien indiqué le rejet massif de la hausse du prix de l'essence.
– camarade Peluola Adewale, Mouvement socialiste démocratique (section du CIO au Nigeria)
La grève a bien fonctionné dans
certains États
La grève a été fort suivie dans les
États d'Oyo et d'Osun, deux États où nos camarades du DSM ont été
particulièrement actifs, en plus de Lagos et Abuja. Selon les
médias, certains États comme Imo et Akwa Ibom ont été eux aussi
fortement touchés par le mouvement : les écoles et la fonction
publique étaient bien fermées. On a aussi vu le mouvement s'étendre
aux États du Plateau, de Cross River, de Bauchi, d'Edo, d'Ogun et
d'Ekiti. À Bayelsa, les travailleurs étaient déjà en grève par
rapport à leurs salaires non payés, avant de rejoindre la grève
nationale contre la hausse du prix de l'essence.
De manière générale, la grève a été
suivie surtout dans les États où il y a des luttes locales autour
de retard de paiement des salaires ou pensions, et où la hausse du
prix de l'essence vient aggraver une situation déjà précaire. De
plus, les travailleurs ont vu le mouvement comme une occasion
d'exprimer leur ras-le-bol, après que les dirigeants des syndicats
aient échoué ou aient refusé d'organiser la moindre action à ce
sujet, malgré la souffrance des travailleurs.
La grève n'a pas été correctement
préparée
Si cette grève a échoué pour toute
une série de raisons, le principal facteur a été le manque de
préparation et en fait, de sincérité de la part de la plupart des
dirigeants du NLC qui avaient appelé à partir en action. Cela ne
doit pas non plus atténuer la responsabilité des dirigeants du
Congrès syndical (TUC), de la faction du NLC dirigée par Joe
Ajaero, du NUPENG et du PENGASSAN qui ont refusé de soutenir le
mouvement et ont donc joué le rôle de casseurs de grève.
Le fait est qu'il n'y a pas eu de
mobilisation ni de sensibilisation correcte des travailleurs et des
masses au préalable. Depuis les élections de l'année passée, la
situation du Nigeria a beaucoup changé. D'un côté, beaucoup de
gens espéraient que l'administration Buhari apporte un véritable
« changement » ; de l'autre, il y a les conséquences
de plus en plus sévères de la crise économique mondiales qui se
font sentir, surtout depuis l'effondrement du prix du pétrole
exporté.
C'est dans ce contexte que le gouvernement a lancé un
véritable bombardement de propagande pour affirmer la nécessité
selon lui de déréguler le marché des carburants et supprimer les
subsides. En plus de tout ça, les dirigeants des syndicats ont vu
leur image ternie depuis la grande grève de janvier 2012, où
on les a vus abandonner le mouvement du jour au lendemain pour aller
signer un accord pourri avec le gouvernement.
Même si des actions de lutte spontanée
peuvent éclater ici et là, une véritable action de grève est un
processus qui suppose une sensibilisation des travailleurs et des
masses, une mobilisation pour l'action, qui leur permet de
s'approprier le processus de lutte. Au contraire, la méthode
bureaucratique par laquelle le syndicat déclare une grève du haut
de son bureau ou par voie de presse, se fonde avant tout sur la
loyauté des travailleurs envers leurs « patrons » dans
les syndicats plutôt que sur une véritable mobilisation. Même si
cette méthode peut paraitre particulièrement confortable aux yeux
des dirigeants des syndicats, l'action prolétarienne ne peut pas
être allumée et éteinte aussi simplement que l'interrupteur d'une
lampe.
Dans le Nigeria d'aujourd'hui, cette méthode ne garantit plus
automatiquement le succès d'un mouvement, surtout dans la mesure où
l'enjeu n'est pas seulement économique mais aussi politique. Si des
assemblées de travailleurs avaient été organisées sur les
différents lieux de travail, les dirigeants auraient pu correctement
juger l'humeur de leur base et élaborer un plan de mobilisation
adéquat en fonction de ce facteur, en plus d'une stratégie destinée
à impliquer les larges couches du prolétariat, des sans-emplois et
des pauvres.
Avant la grève, les camarades du DSM
avaient appelé, au cours de différents meetings et dans leurs
déclarations, à organiser d'abord une grève de 48 ou 72 heures,
afin de lancer un avertissement et de permettre en même temps la
formation de comités d'action sur les lieux de travail et dans les
quartiers aux niveaux local, régional et national, en vue de la
mobilisation et de l'organisation d'un mouvement puissant. Cela
aurait permis de construire une base ferme permettant de poursuivre
la bataille. Malheureusement, les dirigeants du NLC ont simplement
préféré déclarer une grève illimitée sans la moindre
mobilisation ni préparation.
Quel programme, quelle stratégie
adopter ?
On est même en droit de douter du fait
que les principaux dirigeants de la fraction du NLC dirigée par
M. Wabba aient été eux-mêmes convaincus de leur action, vu
qu'aucun véritable mot d'ordre n'a été lancé aux travailleurs par
la plupart des différentes branches sectorielles. Dans le quartier
d'Ajegunle à Lagos, notre camarade Dagga Tolar, président de la
section locale du Syndicat des enseignants du Nigeria (NUT), a pu
mobiliser l'ensemble des enseignants de son arrondissement pour
participer à la grève : cela montre bien que si les sections
locales avaient donné un mot d'ordre, beaucoup de travailleurs et de
syndicats auraient pu participer de manière active, y compris à
Lagos et à Abuja.
Le fait est que de nombreux dirigeants syndicaux
sont eux-mêmes convaincus que la politique de dérégulation et de
privatisation est la meilleure manière de diriger l'économie, comme
ils l'ont d'ailleurs laissé entendre en refusant d'organiser la
moindre lutte contre la privatisation de l'électricité avant
qu'elle ne soit effectivement mise en place par le gouvernement
Jonathan. À ce défaut idéologique, il faut aussi ajouter les
illusions dans le fait que le gouvernement Buhari serait plus social
ou plus à l'écoute.
Tout cela explique que ces dirigeants
n'aient pas agi de manière décisive pour mobiliser les travailleurs
dans la résistance contre cette attaque néolibérale, même alors
qu'on l'avait clairement vue venir. Dans les faits, ces dirigeants
ont suscité un climat de désespoir et d'abandon parmi les
travailleurs et les masses qui ont été incapables de réagir face à
cette attaque.
Cela fait par exemple des mois que le pays connait une
pénurie d'essence, sans que la direction syndicale ne fasse quoi que
ce soit. Le mois passé, les syndicats ont menacé d'organiser une
grève générale pour protester contre la pénurie du pétrole ;
le gouvernement les a pris tellement peu au sérieux qu'ils ont été
incapables de mettre en pratique cette menace avant que le
gouvernement ne décide de poursuivre sur sa lancée avec l'annonce
de la hausse du prix.
Cela faisait un mois que les travailleurs et
les pauvres faisaient le rang pendant des heures ou se démenaient sur
le marché noir pour acheter de l'essence à un prix supérieur au
nouveau prix officiel de 145 naïras le litre (435 FCFA).
Tout à coup, avec la hausse du prix officiel, les files ont disparu
et l'essence coule à nouveau à flot !? Bien que ce répit pourrait
bien s'avérer de courte durée, la hausse du prix est donc
perçue par beaucoup de gens comme un médicament amer mais seule
condition de guérison.
Au cours des 16 années depuis la
fin de la dictature militaire en 1999, le NLC a organisé neuf
grèves générales, dont la plus importante en termes de
participation et d'impact a été celle de janvier 2012,
survenue à un moment où les masses populaires avaient perdu toute
confiance dans le gouvernement PDP. À ce temps-là aussi, il n'y
avait pas la division et la polarisation que l'on observe aujourd'hui
au sein du mouvement syndical.
« Arrêtez d'importer. Faites travailler nos raffineries ! » |
La dérégulation n'est pas une
solution à la crise permanente dans le secteur des carburants
Cependant, pour beaucoup de gens, vu
que toutes ces grèves dans le passé n'ont jamais pu résoudre la
crise permanente dans le secteur des carburants, ont décidé de
donner au gouvernement Buhari « une chance », en espérant
que la dérégulation dont on parle puisse effectivement résoudre
les problèmes dans ce secteur. De plus, les dirigeants des syndicats
ont échoué à proposer la moindre alternative qui aurait pu parler
aux gens. C'est tout cela qui a créé cet état de confusion actuel.
Lorsque la grève générale de 2012 a été annulée tout à
coup par le NLC, alors dirigé par Abduwahed Omar, cela a été perçu
par les masses comme une véritable trahison, à juste titre d'ailleurs. C'est
pourquoi la crédibilité du NLC est aujourd'hui au plus bas, ce qui
s'est d'ailleurs illustré dans le faible taux de participation à la
fête du Premier Mai ces dernières années.
Le gouvernement a fait passer un
discours selon lequel la dérégulation mettra un terme à la
corruption massive dans le secteur pétrolier, puisque les négociants
ne recevront plus de subsides et que cet argent de l'État sera
utilisé à la place pour le développement de l'infrastructure. Le
fait cependant est que, vu que l'industrie pétrolière est dominée par des privés et vu la politique néolibérale mise en place par le
gouvernement, il est illusoire de rêver d'une raffinerie publique
fonctionnelle produisant des carburants à prix abordables. On voit
déjà de nombreux partisans de la dérégulation affirmer que la
hausse actuelle de prix n'est pas suffisante. Leur argumentation est
qu'il faut aller vers une dérégulation totale du marché. Ce
gouvernement qui est si attentif aux intérêts des profiteurs privés
pourrait bien vendre les raffineries existantes pour accomplir une
dérégulation totale et la domination totale des privés dans le
secteur.
Le gouvernement et ses griots disent
aux masses que la dérégulation finira à terme par faire diminuer
le prix des carburants. Il s'agit d'un gros mensonge. Le diesel est
dérégulé depuis 2009, pourtant le prix reste élevé
(155 naïras / 465 FCFA) malgré l'effondrement du prix du
pétrole, qui est passé de 100 à 45 $ en l'espace d'une année.
Un régime dérégulé est tout simplement plus profitable aux
négociants qu'un régime régulé où ils doivent attendre de
recevoir le paiement d'un subside qui parfois tarde à arriver. Ces
compagnies pétrolières forment un cartel qui déterminera lui-même
le prix qu'il veut afin de maximiser son profit.
La dérégulation n'apportera rien de
bon aux masses. Tout ce nous obtiendront sera une intensification de
l'exploitation, l'augmentation constante des prix des carburants et
une aggravation des conditions de vie pour les masses laborieuses. Il
ne fait aucun doute que les effets de la dérégulation se feront
sentir avant tout sur les plus pauvres. Même si cela pourrait les
contraindre à mener une lutte tôt ou tard.
Les attaques des grandes entreprises
sur la régulation et le régime de subsides montrent que la seule
alternative viable capable de desservir les intérêts de la vaste
majorité des masses populaires est la nationalisation totale du
secteur pétrolier (c'est-à-dire, le rendre totalement public) ainsi
que des secteurs stratégiques de l'économie, sous le contrôle et
la gestion démocratique des travailleurs et des consommateurs. C'est
la seule manière de libérer ce secteur des mains avides du secteur
privé corrompu et de ses collaborateurs dans le public et le
gouvernement.
« L'APC (parti de Buhari) a oublié toutes ses promesses » |
De plus en plus de gens prennent
conscience de la véritable nature de ce gouvernement
Bien qu'on ne puisse pas dire que cette
grève ait été une réussite, la hausse du prix de l'essence a
contribué à définir de manière plus nette, aux yeux d'une partie
croissante de la population, que ce gouvernement, malgré sa
propagande anticorruption continue, est un gouvernement antisocial.
Tous les prétextes ont été oubliés : il est clair désormais
que Buhari est du côté des profiteurs privés, uni avec eux contre
les masses pauvres. Buhari est incapable de résoudre la crise
profonde qui afflige aujourd'hui le capitalisme. C'est pourquoi de
plus en plus de gens vont perdre leurs illusions dans son
gouvernement, un gouvernement qui est incapable de garantir un
approvisionnement adéquat en carburants comme il l'avait pourtant
promis, et qui continue en même temps les attaques néolibérales.
Les carburants qui sont vendus en ce moment viennent de stocks
empilés par les négociants pendant leur mouvement de « boycott »
qui a créé une pénurie artificielle. Mais quand leurs stocks
seront finis, il faut s'attendre à revenir au même état de
pénurie. Déjà, certains négociants ont commencé à se plaindre
de la difficulté d'accéder au marché des changes. De nombreux
citoyens qui n'ont pas participé à la dernière grève seront
surement plus que prêts à rejoindre une nouvelle grève dans le
futur, surtout dans l'éventualité où la pénurie reviendrait.
C'est ce que nous voyons avec la privatisation de l'électricité :
beaucoup de gens ont été trompés par le gouvernement qui affirmait
que la privatisation règlerait tous les problèmes du secteur. Mais
à présent, tous ces gens sont en train d'organiser des comités de
lutte dans leur quartier pour protester contre la hausse des prix,
les nombreuses coupures et les surfacturations. Beaucoup d'entre eux
ont à présent conclu que la privatisation n'a rien résolu du tout.
Les dirigeants syndicaux doivent
commencer à sérieusement et sincèrement s'identifier à la misère
des travailleurs et des masses. À présent, vu l'échec de l'appel à
la grève du mois de mai, un véritable travail de terrain doit être
accompli sérieusement afin de préparer la voie pour de nouvelles
luttes bénéficiant d'un véritable soutien populaire. Il ne s'agit
pas d'une question de publicité, mais de pouvoir indiquer une
stratégie capable de vaincre.
Les syndicats doivent engager une
lutte immédiate autour du problème des salaires non payés qui
touche les travailleurs de 26 États du pays. Ils doivent
commencer dès à présent une mobilisation déterminée autour de
cet enjeu. Une telle campagne pourrait contribuer à susciter un
soutien envers la revendication du NLC pour un nouveau salaire
minimum de 56 000 naïras (170 000 FCFA), qui n'a
déjà que trop tardé vu la hausse constante de la cherté de la
vie, encore empirée par la hausse du prix de l'essence. Les
syndicats doivent aussi jouer le rôle de coordination pour la lutte
dans les divers quartiers contre la hausse du prix de l'électricité
et les coupures de courant.
Ses dernières actions montrent que le
gouvernement Buhari a été élu dans le but de transférer sur les
épaules des pauvres le fardeau de la crise du capitalisme, qui ne
montre aucun signe de remède, avec la hausse constante du cout de la
vie. La population laborieuse va donc tirer la conclusion du fait que
le gouvernement Buhari n'est en rien différent de son prédécesseur,
le gouvernement Jonathan, tout aussi proriches et antipauvres. C'est
pourquoi les camarades du DSM appellent les travailleurs, la jeunesse
et les masses pauvres à nous rejoindre dans nos efforts pour la
construction du Parti socialiste du Nigeria, en vue de bâtir un
parti prolétarien de masse armé d'un programme socialiste.
Les camarades du DSM ont participé aux
grèves, marches et meetings à Lagos, à Abuja et dans les États
d'Oyo et d'Osun. Nous avons vendu près de 700 exemplaires de
notre numéro spécial de notre journal, Démocratie socialiste, et
partagé environ 10 000 copies du tract du Parti socialiste
du Nigeria, en plus des 6000 tracts qui ont été distribués
pour mobiliser en vue d'un meeting à Ibadan le 30 mai. Dans
tous les lieux d'intervention, les camarades du DSM ont rencontré
des personnes intéressées à nous rejoindre.
Intervention des camarades du DSM, section nigériane du CIO, au cours de la grève |
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