mardi 28 juin 2016

Théorie : Classe, race, marxisme et racisme et lutte des classes (2)

Deuxième partie : L'émergence du capitalisme et du racisme



Le racisme a été créé par les conditions sociales en Europe au moment où le capitalisme entamait son long développement. À partir du 15e siècle, la naissance du commerce des esclaves transatlantique a enclenché un long processus qui allait cristalliser les préjugés raciaux. Mais le racisme n'est pas automatiquement né dès le moment où les marchands portugais blancs précapitalistes ont atteint la côte d'Afrique de l'Ouest vers 1440. Il a encore fallu des siècles avant que la classe capitaliste n'atteigne sa pleine maturité et que le racisme acquière sa forme suprême, celui de la doctrine de la suprématie blanche.

À chaque étape de ce processus qui a duré des siècles, l'idéologie raciste a été affutée et renforcée par la classe capitaliste à la recherche de la satisfaction de ses intérêts économiques, principalement dans le cadre de sa lutte pour contrôler la main-d'œuvre et son marché d'approvisionnement. Tout au long des différentes phases du développement capitaliste, on a vu une évolution de ces objectifs économiques, des stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs et des idéologies nécessaires pour justifier la mise en place de ces stratégies. Par conséquent, la clé pour comprendre le racisme est de pouvoir identifier l'évolution de ces intérêts économiques et les flux et reflux de la lutte des classes qui en ont découlé.

Mais avant de nous pencher sur la manière dont les intérêts économiques de la classe capitaliste ont créé et nourri le racisme, il nous faut tout d'abord analyser plus en détail la nature des préjugés et des discriminations au sein de la société féodale de laquelle le capitalisme est issu.

– Équipe de rédaction du journal Izwi Labasebenzi, journal du Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud, section sud-africaine du CIO (lien vers la première partie de ce dossier ici)

Les préjugés et la discrimination avant le capitalisme

Les conditions sociales nécessaires à la naissance des concepts de « race » et de « nation » étaient absentes des sociétés féodales qui ont précédé le capitalisme en Europe. L'idée selon laquelle un préjugé basé sur l'ascendance ou sur la couleur de la peau pourrait constituer une source de discrimination permanente était incompatible avec les intérêts de la classe dirigeante féodale et contredisait les idéologies qui légitimaient sa domination.

Dans la société féodale (voir article explicatif ici), la religion chrétienne catholique était le principal prisme idéologique à travers lequel se reflétaient les conditions sociales. L'idéologie catholique justifiait la « politique intérieure » féodale d'un ordre social strictement hiérarchisé, en déclarant que cet ordre avait été ordonné par Dieu. Toute personne était née à un certain échelon de la vie sociale, qu'elle soit enfant de roi ou enfant de paysan, et gardait ce statut toute sa vie.

Avant l'émergence du capitalisme, on ne trouvait pas d'États-nations en Europe. Le féodalisme était composé de microentités politiques à l'échelle locale, unies entre elles par une alliance entre seigneurs (« chefs de guerre » propriétaires terriens) à la tête de laquelle siégeait un monarque ou empereur très distant. Parmi la masse de la population paysanne, chaque individu était lié pour la vie à son lopin de terre, sans aucune mobilité, sans aucune éducation littéraire, sans aucun moyen de communication, sans commerce à grande échelle ni aucun média : il était donc impossible pour ces individus de développer une conscience des enjeux à une échelle nationale (encore moins internationale).

Non seulement le manque d'une conscience nationale empêchait la classe féodale d'utiliser le nationalisme pour justifier sa domination, mais cela aurait été impossible de manière générale, vu que la langue et la culture de la classe dominante étaient elles-mêmes bien souvent très différentes de celles des populations qui travaillaient pour elle (par exemple la classe féodale en Angleterre parlait le français normand, alors que les masses paysannes parlaient différents dialectes anglo-saxons, proches de l'allemand).

Ce n'est qu'avec le développement des relations marchandes et l'émergence de la classe capitaliste qu'une pression sociale est apparue qui tendait à la formation d'États-nations. Il était en effet devenu indispensable pour la classe capitaliste de créer un marché national unifié sur un territoire étendu pour qu'elle puisse développer la production et les échanges à plus grande échelle afin d'accroitre sa propre richesse. C'est ce processus, une fois enclenché, qui a par la suite stimulé les idéologies nationalistes qui lui correspondaient.

Tout au long du développement du capitalisme, les idées de racisme et de nationalisme se sont de plus en plus entrecroisées. Des conflits sont apparus quant au caractère de la nation. Qui fallait-il inclure dans la nation, et qui ne fallait-il pas y inclure ? Quel était la langue de la nation ? Quelle était la religion de la nation ? À quoi ressemblaient les habitants de la nation ? Ce sont ces considérations qui ont donné naissance aux préjugés nationaux, puis racistes, qui fournissaient une réponse à ces questions là où il n'y avait aucune réponse évidente. (C'est ainsi qu'on dit « Les Ivoiriens aiment la fête », « les Burkinabés sont travailleurs », etc.)

Dans la société féodale, la doctrine catholique d'« universalisme » justifiait la « politique étrangère » d'extension par conquête. Selon cette idéologie, toute personne, quelle que soit son ascendance ou sa couleur de peau, était un chrétien potentiel. Il était donc du devoir des dirigeants chrétiens de tout faire pour gagner ces nouveaux chrétiens. Cette doctrine ne faisait en réalité que justifier les conquêtes de la classe dominante à des fins économiques, en cherchant à gagner de nouvelles terres mises en valeur par les paysans qui leurs seraient liés à la naissance. La forme d'exploitation de la société féodale considérait ces deux éléments – terre et population – comme inséparables. Par conséquent, la conversion religieuse des populations conquises allait de soi afin de faire le lien entre la justification idéologique de la conquête et la nécessité de maintenir les paysans attachés à leur terre.

Les conditions sociales de la société féodale et les intérêts de la classe dirigeante féodale faisaient en sorte que les préjugés et discriminations au sein de cette société recevaient systématiquement une connotation religieuse. Le fait de suivre les « mauvaises » croyances religieuses ou d'exprimer ces croyances selon les « mauvaises » pratiques était la seule base de discrimination. Mais on pouvait échapper à l'ostracisme en se convertissant. Les intérêts de la classe féodale rendaient d'ailleurs cette conversion indispensable. Cette forme de préjugé et de discrimination religieuse était requise par la classe féodale pour justifier la poursuite de ses intérêts, mais elle n'avait pas besoin de plus que ça : à aucun moment l'ascendance ou la couleur de peau n'aurait pu former une base de discrimination permanente.

Dans sa lutte pour la domination sur la société, la classe capitaliste allait devoir détruire l'ensemble des idéologies féodales qui justifiaient le fonctionnement de l'ancienne société. La mise en branle de nouvelles forces économiques et de nouvelles formes d'exploitation par le capitalisme allaient créer les conditions sociales pour l'émergence de nouvelles formes de préjugés et de discrimination. Nous allons à présent passer en revue les différentes grandes étapes du développement de la société capitaliste qui ont donné naissance au racisme et qui l'ont façonné au cours des siècles.


La doctrine d'« universalisme » : tout le monde n'a qu'à apprendre la Bible,
quelle que soit sa race !

La discrimination basée sur l'ascendance

Une importante percée pour le développement de l'idéologie raciste a été opérée avec la remise en question de la doctrine catholique d'universalisme et le développement de l'idée qu'une « mauvaise » religion pourrait être transmise de manière héréditaire, par le sang. Cette percée s'est produite en Espagne au 15e siècle. Après qu'une coalition de seigneurs chrétiens soit parvenue à « reconquérir » l'Andalousie (sud de l'Espagne, qui avait appartenu pendant plus de 500 ans au califat de Cordoue, État musulman), les nombreuses populations musulmanes et juives qui y vivaient en bonne entente ont reçu le « choix » d'être exilées ou de se convertir au christianisme. Cependant, les nouveaux convertis allaient continuer à souffrir de discrimination à cause de leur « mauvais sang ».

Ce petit revirement idéologique, qui allait pourtant être si important pour l'histoire mondiale, plongeait ses racines dans les conflits de classe de cette époque de transition de l'Espagne au capitalisme et de sa consolidation en tant qu'État-nation. Les « nouveaux chrétiens » , juifs et musulmans convertis de force au christianisme, constituaient une classe de marchands protocapitalistes dont la richesse et la puissance étaient devenues considérables. Les seigneurs féodaux dont le pouvoir était en déclin, jaloux de la richesse monétaire de ces marchands, ont alors utilisé leur contrôle des institutions politiques féodales comme une arme contre ces rivaux. 

Les nouvelles lois excluaient ainsi les « nouveaux chrétiens » de tout poste à la fonction publique, dans l'Église ou à la tête des corps de métiers telles que les corporations d'artisans ou de marchands. L'intention des seigneurs féodaux dans cette lutte n'était pas de détruire ces « nouveaux chrétiens », mais de renforcer leur propre pouvoir politique afin d'assurer qu'ils recevraient leur part dans cette nouvelle économie monétaire dominée par les marchands. D'ailleurs, ces nouvelles lois représentaient surtout une menace contre les marchands peu coopérants et n'étaient appliquées que de manière sélective.

Si les seigneurs féodaux voulaient mener à bien leur lutte de classe contre les marchands, il était nécessaire pour eux de maintenir une base de discrimination même contre ces marchands qui avaient « choisi » la conversion au christianisme. Leur nouvelle justification idéologique a trouvé son inspiration dans le concept alors encore limité du « sang noble » (concept selon lequel il existerait une différence génétique, « de race », entre nobles et paysans, justifiant la supériorité divine de la noblesse, l'exploitation des paysans, et les nombreux mariages consanguins entre nobles dont le but était essentiellement la concentration des terres entre leurs mains). C'est aussi au cours de cette période qu'on a vu la consolidation de l'Espagne en tant qu'État-nation émergent, à la place du féodalisme espagnol sur le déclin : une étape cruciale dans le développement du capitalisme. Ainsi, l'alignement des forces de classes en vigueur à ce moment avait déterminé que cet État-nation devait être une nation de religion chrétienne et de langue espagnole, renforçant la discrimination contre les « nouveaux chrétiens ».

Cette première forme de discrimination raciste et de nationalisme, qui conservaient tous deux une importante connotation religieuse, a inauguré l'interconnexion entre ces deux idéologies. Les luttes de classes dans l'Espagne du 15e siècle avaient ajouté une nouvelle « couleur » idéologique au tableau de la lutte des classes. On voit que la première pierre de ce racisme primitif avait été apportée par les forces économiques créées par le capitalisme – l'ironie étant que cette arme idéologique n'avait pas été forgée par les capitalistes émergents, mais au contraire par la réaction des seigneurs féodaux au pouvoir déclinant. 

Ici apparait clairement la complexité de la relation entre les conditions sociales et les idéologies. Car au cours de sa croissance et de sa maturation, la classe capitaliste allait ensuite entretenir les semences idéologiques qui avaient été semées contre elle en cette période de déclin du féodalisme, pour promouvoir à son tour ses propres intérêts de classe. C'est donc une véritable ironie de l'histoire de voir que les premières victimes du racisme ont justement été ces mêmes marchands « nouveaux chrétiens » d'Espagne et du Portugal à l'origine de la traite des esclaves transatlantique qui allait donner naissance au racisme antinoir au cours des siècles suivants.


La reine Isabelle et le roi Ferdinand d'Espagne,
tendant un crucifix aux marchands juifs

Les capitalistes réinventent Dieu

La doctrine catholique d'« universalisme » ne faisait pas le poids devant les intérêts économiques croissants de la classe marchande protocapitaliste qui a inauguré le commerce transatlantique des esclaves à partir du 16e siècle. Après des siècles de débats théologiques pour savoir s'il était moral ou non d'asservir des chrétiens potentiels (bien que noirs), les nouveaux marchands capitalistes d'Europe du Nord (surtout en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas) ont opéré une rupture décisive avec l'Église catholique. Ils ont réinventé le christianisme sous la forme du protestantisme, un nouveau crédo qui reflétait mieux leurs intérêts de classe.

La classe capitaliste émergente luttait pour mettre un terme aux limites de la société féodale, qui étaient devenues un véritable frein à son accumulation de richesses et à son aspiration au pouvoir politique. Le protestantisme a doté la classe capitaliste d'une arme idéologique pour attaquer les idées qui justifiaient la hiérarchie féodale soi-disant ordonnée par Dieu. Au lieu du strict contrôle social exercé par l'Église catholique, la doctrine protestante mettait en avant la possibilité d'une relation personnelle avec Dieu, sans passer par l'intermédiaire de la hiérarchie catholique. Cette « démocratisation » du christianisme a fait que chaque aspect de l'idéologie chrétienne s'est tout à coup retrouvé ouvert au débat. De nouvelles sectes protestantes ont commencé à proliférer un peu partout, critiquant la soi-disant divinité de la société féodale avec de nouvelles interprétations de la Bible (qui se contredisaient souvent mutuellement).

Le courant protestant nommé calvinisme était celui qui reflétait les intérêts économiques de la nouvelle classe capitaliste de la manière la plus directe. Engels le décrivait comme « adapté aux plus braves parmi la bourgeoisie de l'époque ». Les idées calvinistes de « prédestination » et de la « vocation divine » ont fait de l'accumulation de richesses un signe de la faveur de Dieu.

La Confrérie afrikaner, qui s'est donnée pour tâche la consolidation de la classe capitaliste afrikaner en Afrique du Sud au début du 20e siècle, était basée sur le calvinisme. Plusieurs siècles après l'invention du protestantisme, nous voyons aussi naitre en Afrique toute une série d'églises d'« abondance », qui reflètent les aspirations économiques de la nouvelle classe moyenne et les espoirs du prolétariat et des pauvres. Cependant, ces églises poussent la « démocratisation » du christianisme à l'absurde, étant formées autour d'individus charismatiques se donnant le titre de soi-disant « prophètes » dont l'enrichissement personnel est censé être le signe de la faveur divine sur la congrégation !

Il est clair que la nouvelle idéologie protestante n'a pas par elle-même mené au racisme. Le racisme a été mis au monde par d'autres forces dans la société. Mais le protestantisme a balayé l'idée d'« universalisme » catholique qui agissait en tant que frein idéologique au développement de formes permanentes et non religieuses de préjugés et de discriminations. C'est pour cette raison qu'il est important de décrire l'évolution du christianisme dans ce compte-rendu historique du développement du racisme. Avec toutes ces nouvelles sectes protestantes basées sur une « relation personnelle directe » avec Dieu, il devenait bien plus facile pour des individus d'« interpréter » les écritures ou de recevoir la « révélation » afin de refléter les préjugés de leur époque et les intérêts de classe de leurs congrégations.

Cela explique le phénomène autrement contradictoire du soutien historique accordé par de nombreuses sectes protestantes à la traite des Noirs et à d'autres formes de discriminations racistes à certains points de l'histoire, en même temps que leur opposition à ces mêmes phénomènes à d'autres moments. Les débats au sein des églises réformées néerlandaises protestantes en Afrique du Sud sous l'apartheid sont un exemple de l'importance de cette évolution dans la superstructure idéologique de la société en ce qui concerne le racisme. Le soutien accordé au départ à l'apartheid a fini par céder la place à un mélange confus de soutien, d'opposition et de toute une série de positions intermédiaires, en fonction des multiples revirements de la lutte des classes.

 « Dieu veut que te rendre riche », ou comment la classe
capitaliste a remodelé la religion à sa manière
La traite transatlantique des esclaves et la création du racisme antinoir

Le très important intérêt économique capitaliste qui allait créer les conditions sociales pour l'apparition du racisme antinoir était la traite transatlantique des esclaves. Il faut toutefois bien faire attention au fait que l'histoire de l'esclavage de manière générale n'est PAS l'histoire du racisme. Si l'esclavage était à la base de la société de la Grèce et de la Rome antiques, cet esclavage antique n'était PAS fondé sur une couleur de peau. Grecs comme Romains considéraient l'ensemble des étrangers à leur peuple comme barbares, donc esclaves potentiels, sans faire la moindre différence ni discrimination entre Blancs et Noirs. Le racisme tel que nous le connaissons ne pouvait donc se développer sur une telle base « multiraciale ».

Au début de la période capitaliste, l'esclavage a maintenu son caractère multiracial. lorsque les premiers vaisseaux marchands sont arrivés en Afrique dans les années '1440 pour y entamer un commerce de troc à petite échelle avec les dirigeants ouest-africains qui leur fournissaient, entre autres, des esclaves, ce commerce ne faisait que continuer d'une part la tradition ouest-africaine de prendre des esclaves parmi les peuples conquis par les divers royaumes ou empires, en plus du commerce transsaharien qui, lui, existait de longue date, et par lequel différentes marchandises, dont des esclaves, étaient acheminés vers l'Afrique du Nord pour y être ensuite vendus aux marchands européens. Il faut également noter que, dans de nombreux pays d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient, on trouvait aussi toujours à l'époque une grande quantité d'esclaves blancs.

Mais la différence entre les marchands portugais et leurs concurrents des époques précédentes était que ces marchands représentaient la classe capitaliste émergente, alors que les autres marchands n'étaient que les restes de formes sociales antérieures que le capitalisme allait bientôt faire disparaitre. Cette classe de marchands protocapitalistes allait réinventer l'esclavage : en employant les esclaves à la mise en valeur des Amériques nouvellement conquises, ils allaient transformer ce commerce en une vaste entreprise capitaliste. C'est sur cette base d'esclavage capitaliste, où les esclaves sont devenus exclusivement noirs, que les conditions sociales allaient se créer pour l'émergence d'un racisme antinoir.

Mais ce processus allait mettre des années avant d'aboutir. Le premier vaisseau esclavagiste qui a traversé l'Atlantique avec à son bord une « cargaison » d'esclaves noirs a quitté les côtes africaines en 1510. Il amenait cinquante esclaves noirs à l'ile de Kiskeya, récemment conquise par l'Espagne et renommée « Hispaniola » par Christophe Colomb (cette ile est aujourd'hui partagée entre les États de Haïti et de la République dominicaine). Cette « innovation » a eu lieu parce que les habitants autochtones du peuple arawak, qui a été le premier à être réduit en esclavage pour l'exploitation des champs de tabac et de canne à sucre ainsi que des mines d'or et d'argent, mouraient trop rapidement des nombreuses maladies apportées par les Européens. Jusqu'au 17e siècle, la traite transatlantique des esclaves demeurait sporadique et à petite échelle par rapport à ce qui allait arriver. Les conditions sociales pour un racisme antinoir généralisé n'avaient pas encore été bien préparées.

La clé pour comprendre l'ampleur qu'a fini par prendre la traite transatlantique des esclaves est la demande en main-d'œuvre dans les nouvelles colonies américaines qui, à leur tour, dépendaient du développement du capitalisme en Europe et de la création de nouveaux marchés pour vendre les marchandises produites par ces colonies. Le point tournant s'est produit au 17e siècle, lorsque le sucre est devenu la principale culture d'exportation des Antilles et de l'Amérique du Sud (la canne à sucre est une plante importée d'Asie aux Amériques par les colons européens), ce qui a rapidement accéléré le besoin de travailleurs, une demande plus facilement satisfaite par l'importation d'une main-d'œuvre noire d'Afrique.

Tout au long des deux siècles qui ont suivi, plus de douze millions de Noirs ont été réduits en esclavage et envoyés aux Amériques. Une immense population d'esclaves s'est alors créée. Leur statut d'esclaves, le niveau le plus pas de l'échelle sociale, a fini par devenir inséparable de leur couleur de peau. C'est ce qui a créé les conditions pour l'émergence du racisme antinoir. Comme l'historien marxiste Eric Williams le disait dans son livre Capitalisme britannique et esclavage britannique, « Les traits de l'homme, ses cheveux, sa couleur, sa dentition, ses caractéristiques “subhumaines” tant décriées, n'étaient en fait que la rationalisation a posteriori d'un simple fait économique : les colonies avaient besoin de main-d'œuvre, et recouraient à l'importation de travailleurs noirs parce qu'ils étaient bon marché et de meilleure qualité. »

Le racisme antinoir avait pris forme et n'allait pas disparaitre aussi facilement. Il existait dans les colonies et dans les métropoles qui bénéficiaient de son existence. Lorsque l'esclavage a été aboli au 19e siècle, Williams a remarqué que cela n'avait pas suffi à éradiquer les préjugés racistes créés par l'esclavage : « Les idées du racisme établies sur les intérêts des esclavagistes survivent même longtemps après que ces intérêts aient été détruits et continuent à distiller leur venin, qui est d'autant plus nocif que les intérêts auxquels correspondaient ces idées ont aujourd'hui disparu ». 

Mais il ne s'agissait pas d'un simple phénomène d'« inertie historique » (la survivance, à l'état de reliques, d'idées dont la fondation socio-économique a disparu). Malgré la fin de la traite transatlantique des esclaves, le capitalisme avait toujours besoin du racisme pour justifier de nouveaux intérêts économiques.


L'esclavage pratiqué à grande échelle par les empires antiques ciblait tout
individu étranger, sans aucune distinction de « race »

Le développement du racisme en Amérique du Nord

Dans d'autres conditions sociales, le développement de l'esclavage et du racisme antinoir a pris une allure différente dans les colonies nord-américaines. Après des tentatives infructueuses de réduire en esclavage les populations américaines autochtones, les propriétaires terriens nord-américains, se sont tournés tout d'abord vers une main-d'œuvre asservie blanche pour tenter de résoudre la pénurie de travailleurs. 

Les travailleurs contractuels étaient de véritables esclaves qui s'engageaient à travailler gratuitement pour un maitre pendant une période allant jusqu'à sept ans avant d'être libérés (en général, afin de rembourser le prix de leur voyage vers l'Amérique). De 1650 à 1800, on estime à 250 000 le nombre de pauvres Anglais, Irlandais et Allemands qui se sont engagés de la sorte afin de rejoindre l'Amérique. Le taux de mortalité de ces « esclaves contractuels » était très élevé en raison du mauvais traitement de leurs maitres. Il était aussi extrêmement facile pour leurs maitres de trouver toutes sortes de prétextes afin d'allonger la durée de leur engagement. Ainsi, bon nombre de ces contractuels mouraient avant leur libération.

Tout au long de cette période, il y avait aussi un flux constant d'arrivée de Noirs amenés par les esclavagistes. Cependant, il n'existait au départ pas en Amérique du Nord de système d'esclavage à proprement parler. À leur arrivée, les esclaves noirs étaient convertis en domestiques contractuels et intégrés à la main-d'œuvre existante. Le fait d'être noir ne faisait pas d'eux automatiquement des esclaves. Certains parvenaient même à gagner leur liberté, avant de devenir à leur tour maitres de travailleurs contractuels.

Dans les plantations, les travailleurs contractuels noirs et blancs travaillaient côte à côte. La misère partagée et la solidarité de classe empêchait l'émergence de tout sentiment raciste entre les exploités. La classe dirigeante a commencé à développer des préjugés justifiant la brutalité avec laquelle elle traitait les domestiques contractuels, noirs comme blancs : tous se retrouvaient déshumanisés et également considérés comme « vermine et racaille ». Un racisme expressément antinoir n'avait aucun intérêt dans les conditions sociales de cette époque : c'est pourquoi on ne l'a pas vu apparaitre à ce moment-là. Mais cela allait venir plus tard, au fur et à mesure du développement de la lutte des classes.

Le point tournant pour le développement d'un racisme antinoir en Amérique du Nord s'est produit en 1676, avec la rébellion de Nathaniel Bacon en Virginie. Lors de cette révolte contre les propriétaires aristocrates, les contractuels noirs et blancs s'étaient unis de concert avec les évadés, les manœuvres agricoles et les petits paysans. Leur rébellion a été écrasée dans le sang. Le dernier groupe de rebelles tués, qui avait choisi de tenir tête héroïquement ensemble pour combattre jusqu'à la fin, poussés par un sentiment de solidarité de classe, était composé, selon un rapport de l'époque, de « quatre-vingt nègres et vingt Anglais ». C'est ce qui a terrifié la classe dirigeante.

Après la répression de la rébellion de Bacon, la classe dirigeante, d'une manière qui anticipait en quelque sorte le régime d'apartheid de quelques siècles, s'est mise en tête de créer une « classe moyenne » privilégiée qui pourrait servir d'« écran » afin de mieux consolider son règne. La ligne de division potentielle était tout aussi claire dans la Virginie du 17e siècle qu'elle allait l'être en Afrique du Sud à la veille de l'apartheid : les Blancs devraient être expressément séparés des Noirs. La position légale des domestiques contractuels blancs devait être améliorée : il est devenu interdit de fouetter les contractuels blancs ; de plus, à la fin de sa période de « service », tout contractuel blanc devait recevoir « des semences, de l'argent, un fusil, des vêtements et 20 ha de terres ». Les Blancs voyaient ainsi un intérêt dans le maintien de l'ordre social prévalent.

Pendant ce temps, les domestiques contractuels noirs perdaient l'ensemble de leurs droits. Le service contractuel a fait la place à l'esclavage à perpétuité. Sur les grandes plantations, les quartiers des travailleurs blancs et noirs devaient être séparés. Les Blancs recevaient des vêtements de meilleure qualité, et les travaux les plus faciles devaient leur être réservés, afin de les distinguer. On apprenait aux Blancs qu'ils étaient « supérieurs », afin de renforcer les préjugés racistes. Pour la première fois, au cours d'un nouveau mariage incestueux entre racisme et nationalisme, l'appartenance à la « nation anglaise » était explicitement définie comme ne pouvant s'appliquer qu'à des personnes à la peau blanche.

Avec l'institution de l'esclavage des Noirs et la fondation des grandes plantations de coton dans le Sud de l'Amérique du Nord, le terrain était préparé pour le développement du système esclavagiste des États-Unis du Sud. L'idéologie raciste qui s'est développée sur cette base allait survivre longtemps après l'abolition de l'esclavage en 1865. Anticipant toujours le régime d'apartheid, les lois de ségrégation raciste de Jim Crow ont été appliquées dès 1876. Elles allaient perdurer jusque dans les années '1960.

Cargaison d'esclaves blancs prête au départ pour l'Amérique

La science moderne primitive invente le concept de « race »

Comme nous l'avons dit, la religion était le seul prisme idéologique au travers duquel se reflétaient les conditions sociales dans la société féodale. Le capitalisme, tout en modifiant la religion afin qu'elle exprime mieux ses propres intérêts, a en plus stimulé de nouvelles manières de concevoir et de comprendre le monde, concurrentes à la religion. Le développement de la méthode scientifique moderne d'observations et d'expérimentations, qui a commencé lors de la « révolution scientifique » du 16e siècle, a permis à la compréhension du monde par l'homme de faire d'énormes pas en avant. Néanmoins, la lutte des classes allait inévitablement se refléter dans cette nouvelle « science ».

La science moderne primitive a donné à la classe capitaliste un nouveau cadre pour établir des préjugés et justifier la discrimination raciale, au moyen de la nouvelle idée de « race ». La construction de cette idée reflétait les inégalités sociales existantes à cette époque plutôt qu'une inégalité « naturelle ». Les tentatives par des scientifiques comme Carl Linné, au début du 18e siècle, de classifier la nature dans une hiérarchie au sommet de laquelle se trouvaient forcément les hommes, a logiquement mené à des tentatives d'instituer une hiérarchie des différentes « races » humaines. Dans les colonies américaines espagnoles déjà, un système de castes classifiait les hommes selon une vingtaine de différentes catégories raciales en fonction de leur couleur de peau et de leur origine ancestrale (même si les conditions sociales réelles n'ont pas permis une application rigide de ce système pour instaurer une véritable ségrégation).

Ainsi, avec cette « science », les inégalités de classe comme de race pouvaient être justifiées en tant que « naturelles ». Si elles étaient « naturelles », c'est qu'elles étaient inévitables et devaient donc se perpétuer indéfiniment. Le terrain idéologique était donc préparé pour les théories pseudoscientifiques de la race qui allaient servir de fondation aux formes les plus monstrueuses de la doctrine de la suprématie blanche, développée dans le courant du 19e et du 20e siècle.

Le texte « scientifique » sous cette image, datant du 19e siècle, explique
que les Irlandais sont en fait les descendants de populations noires qui
« se cachaient dans les cavernes » et ont fini par émigrer en Irlande, une ile,
« où ils ont pu échapper à la saine concurrence des races supérieures » qui les
auraient autrement poussés à l'extinction. On justifie en même temps le semi-
esclavage des Irlandais en se servant des arguments déjà développés pour
justifier l'esclavage des Noirs

La supercherie du libéralisme

Ironie de l'histoire, les idées des Lumières : raison individuelle, droits de l'homme, etc., symbole de la révolution française, ont constitué un autre développement idéologique de la société capitaliste qui allait renforcer le racisme. Ces idées étaient un autre argument utilisé par la classe capitaliste afin de justifier sa lutte de classe contre le féodalisme. Mais en réalité, ce n'était pas les « droits de l'homme » pour lesquels on se battait, mais les droits de la classe capitaliste. Pour elle, aucun droit n'était plus important que le droit à la propriété privée. Mais afin de pouvoir mobiliser les masses autour de la bannière du capitalisme dans sa lutte contre le féodalisme, il fallait bien que ces droits soient exprimés en des termes révolutionnaires devant s'appliquer à tout un chacun de manière égale.

Pourtant, dans sa victoire contre le féodalisme, la classe capitaliste n'avait pas la moindre intention de cohérence avec sa propre idéologie révolutionnaire. Elle n'avait aucun désir de partager son pouvoir politique nouvellement acquis avec la classe prolétaire, classe d'origine récente, et encore moins de sacrifier l'immense source de revenus des Amériques, qui dépendait de la traite transatlantique des esclaves et de l'esclavage des Noirs. La classe capitaliste allait continuer à interdire tout droit politique à la classe prolétaire et aux esclaves des colonies afin de pouvoir maximiser son exploitation. De son point de vue, il fallait une nouvelle idéologie afin de placer des limites à l'extension des droits « universels » nouvellement obtenus. Le racisme, qui s'était déjà développé au cours de la traite transatlantique des esclaves, allait être renforcé et enrichi, afin de justifier le fait que les Noirs soient exclus de la nouvelle « liberté » capitaliste.

Mais cette tentative ne pouvait entièrement réussir. La classe prolétaire et les esclaves avaient pris la classe capitaliste au mot. Les esclaves noirs de Saint-Domingue se sont révoltés pour soutenir la révolution française qui, dans ses premières étapes, recevait l'adhésion on ne peut plus énergique des masses laborieuses. Les masses françaises s'opposaient elles aussi à l'esclavage de manière instinctive, comme le décrit l'historien marxiste C.L.R. James :

« Au cours des quelques mois où les masses se sont le plus rapprochées du pouvoir, elles n'ont pas oublié les Noirs. Elles considéraient ces derniers comme leurs frères ; elles détestaient les esclavagistes, adversaires notoires de la révolution, autant que si le peuple français lui-même avait subi le fouet. Cette situation prévalait non seulement à Paris, mais dans toute la France révolutionnaire. Les serviteurs, les paysans, les ouvriers, les manœuvres dans les champs de toute la France étaient remplis d'une haine virulente envers l'« aristocratie de la peau ». Beaucoup de gens étaient tellement touchés par les souffrances des esclaves qu'ils avaient cessé de boire du café, qu'ils considéraient comme dégoulinant du sang et de la sueur d'hommes transformés en bétail… Noble et généreux peuple de France… Ce sont ces gens-là qui resteront avec gratitude et affection dans le souvenirs des enfants de l'Afrique et tous ceux qui aiment l'humanité, pas les bavards libéraux de France… »

– Les Jacobins noirs, 1938


La classe capitaliste s'était opposée à l'esclavage pour obtenir le soutien de la classe prolétaire à leur révolution. Mais cette position a été révisée à la première occasion. Les anciens esclaves de Saint-Domingue ont été forcés de poursuivre leur lutte, cette fois contre le nouveau gouvernement capitaliste de France. Victorieux, ils ont établi la toute première république noire de l'histoire, avec la création de Haïti en 1804.


Le général Toussaint Louverture, qui a mené
le combat pour la libération de l'ensemble
des esclaves d'Haïti
Le colonialisme et le capitalisme monopolistique

Tout comme les Africains n'ont pas été réduits en esclavage parce qu'ils étaient noirs, l'Afrique n'a pas été colonisée au 19e siècle parce que sa population était noire. La justification raciste du colonialisme n'a été que la réflexion idéologique d'un processus économique plus fondamental. Le racisme antinoir avait été fermement établi au 18e siècle. Pourtant, à la veille du partage de l'Afrique opéré dans les années '1870, seul 10 % de l'Afrique était colonisée par l'Europe.

Dans son ouvrage L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Lénine explique qu'« à l'apogée de la libre concurrence en Angleterre, entre 1840 et 1870, les dirigeants politiques bourgeois du pays étaient contre la politique coloniale, considérant l'émancipation des colonies, leur détachement complet de l'Angleterre, comme une chose utile et inévitable. » C'est parce que la doctrine du « libre commerce » et de la « libre concurrence » correspondait alors avec les intérêts économiques de la classe capitaliste à ce stade-là de son développement ; le colonialisme n'y correspondait pas.

Mais la suite du développement du capitalisme en Europe a fini par donner naissance au capitalisme monopoliste : la « libre » concurrence était devenue une chose du passé. Le capital industriel et bancaire se concentrait de plus en plus et avait fusionné, pour former ce que Lénine appelle le « capital financier ». L'exportation du capital financier vers de nouveaux marchés est alors devenue crucial pour les intérêts de la classe capitaliste. On a vu une intensification de la concurrence entre grandes puissances capitalistes pour sécuriser les marchés pour leur propre capital financier ainsi que pour s'assurer un contrôle sur les sources de matières premières. Reflétant ce processus dans la conscience et le monde des idées, le libéralisme hypocrite a donc cédé sa place au nationalisme et au colonialisme. Selon Lénine toujours, « Il est donc hors de doute que le passage du capitalisme à son stade monopoliste, au capital financier, est lié à l'aggravation de la lutte pour le partage du monde ». La principale force motrice derrière cette colonisation n'était rien d'autre que la lutte de classe entre les différentes classes capitalistes nationales européennes.

Le fait que le racisme antinoir avait déjà été créé a simplement permis à la classe capitaliste de s'économiser le temps nécessaire à son invention. Mais comme toujours, les nouveaux intérêts économiques nécessitaient que des adaptations soient apportées au racisme. C'est alors que les idées de la suprématie blanche et les théories pseudoscientifiques de la race ont été mises en avant pour justifier la conquête coloniale non seulement des territoires d'Afrique mais aussi d'Asie. Si les classes capitalistes européennes blanches étaient appelées à dominer le monde entier et ses populations, il était plus facile d'affirmer la « supériorité » de leur propre race plutôt que de rechercher des justifications de l'« infériorité » de chaque autre race. Ces idées n'étaient pas entièrement nouvelles, mais la nécessité de justifier le colonialisme les a développées et promues comme cela ne s'était jamais fait auparavant. Ces idées permettaient la domination et l'exploitation d'immenses territoires et populations du monde entier.


Par conséquent, les luttes de libération nationale du vingtième siècle dans le monde colonial ont forcément dû également se doter d'un aspect antiraciste dans leurs expressions idéologiques qu'ont été les idées panafricanistes et autres concepts du nationalisme noir, cohérents avec les intérêts de la nouvelle élite noire.


« Le fardeau de l'homme blanc », chargé par l'histoire (ou Dieu ?) d'élever les peuples
non blancs jusqu'aux hauteurs vertigineuses de la « civilisation » (capitaliste).

L'émergence de la classe prolétaire et la réaction du nationalisme

Comme nous l'avons vu, les idéologies nationalistes sont apparues en Europe afin de satisfaire les intérêts économiques de la classe capitaliste. Entre les mains de la classe capitaliste dans son combat contre la classe féodale, le nationalisme a été une arme idéologique extrêmement progressiste. Cependant, dès que la classe capitaliste a acquis le pouvoir politique dans à peu près toute l'Europe, elle a immédiatement dû se retourner contre son nouvel ennemi, la classe prolétaire

Même au cours de la révolution française de 1789 et après, lors de la vague révolutionnaire de 1848 du « Printemps des peuples » qui a parcouru toute l'Europe, les revendications de la classe prolétaire étaient de plus en plus en contradiction avec les intérêts de la classe capitaliste, avec laquelle le prolétariat restait cependant en alliance contre la classe féodale ou ce qu'il restait de ses partisans. 

Avec le mouvement chartiste des années '1840 au Royaume-Uni, la publication du Manifeste du Parti communiste en 1847, la fondation du premier État prolétarien de l'histoire avec l'éphémère Commune de Paris (noyée dans le sang en 1870) et l'émergence du syndicalisme un peu partout dans le monde, la classe prolétaire démontrait la vérité de Marx, selon laquelle le capitalisme engendre lui-même ses fossoyeurs.

Le nationalisme réactionnaire est donc devenu un élément crucial pour la justification par les capitalistes de l'inégalité et de l'exploitation de classe en Europe. Il complétait le racisme qui, lui, justifiait l'exploitation dans les colonies. Ces deux idéologies sont devenues de plus en plus liées. Face à l'élan de solidarité de classe, de lutte commune et d'internationalisme exprimé par la classe prolétaire révolutionnaire, la classe capitaliste posait la solidarité nationale et raciale, la lutte entre nations et le nationalisme. Les racines du racisme comme du nationalisme, qui se trouvent dans les conditions sociales engendrées par le capitalisme, ont été mises à nu par l'arrivée du mouvement prolétarien révolutionnaire qui se retrouve donc poussé à vaincre ces deux idéologies au cours de sa lutte pour une société qui serait organisée selon ses propres intérêts de classe : une société socialiste. Le marxisme est l'idéologie la plus cohérente avec les intérêts de classe véritable du prolétariat ; par conséquent, elle est aussi la plus efficace pour lutter contre le racisme.

La réinvention du nationalisme par la classe capitaliste, son arme pour lutter contre son nouvel ennemi prolétarien, a fait ressortir du nationalisme tout le potentiel de préjugés raciaux et ethniques qui s'y trouvaient contenus. Les idées racistes développées durant plusieurs siècles et l'idéologie de la suprématie blanche créée pour les besoins de la cause colonialiste ont été fusionnés en un nouveau nationalisme destiné à renforcer l'armure idéologique réactionnaire du capitalisme.

La forme la plus extrême de réaction capitaliste contre la lutte révolutionnaire du prolétariat a vu le jour au 20e siècle sous la forme du fachisme. Suite à la victoire du prolétariat de Russie en 1917 et son onde de choc à travers toute l'Europe sous la forme d'une immense vague révolutionnaire, renforcée par les effets de la crise capitaliste des années 1930, le fachisme est apparu comme la dernière carte jouée par la classe capitaliste désespérée, sur le point de perdre le pouvoir. La principale tâche du fachisme était d'écraser la force organisée de la classe ouvrière. L'habillage idéologique de cette réaction capitaliste était la forme la plus extrême de racisme pro-Blancs mêlée à nationalisme expansionniste impérialiste et à un antisocialisme virulent.


Allemagne fachiste sous Hitler. Le slogan « Un peuple - Un empire – Un guide »
résume bien l'idéal nationaliste poussé à l'extrême. Avec une telle doctrine,
les classes sociales disparaissent comme par magie, noyées dans la « nation ».
Il n'y a plus ni pauvres ni riches, ni patrons ni prolétaires,
aucune lutte des classes n'est plus possible ni concevables.

Toute une histoire de lutte

Tout au long de l'histoire du capitalisme et du développement de l'idéologie raciste par ce système, les masses exploitées, les esclaves et les prolétaires ont cherché à surmonter les divisions racistes dans leur lutte contre la classe capitaliste en même temps que contre l'exploitation qui est à l'origine de cette idéologie. La première révolte d'esclaves noirs s'est produite à peine douze ans après que les premiers esclaves noirs aient été importés sur l'ile d'Hispaniola. Dix ans plus tard, esclaves noirs et autochtones s'unissaient pour embraser toute l'ile. Toute l'histoire de l'esclavage aux Amériques n'est qu'une longue succession de révoltes d'esclaves.

Nous avons déjà mentionné l'unité des travailleurs noirs et blancs dans la rébellion de Nathaniel Bacon en Virginie, ainsi que la révolution haïtienne victorieuse, soutenue par la classe prolétaire blanche de France. La classe prolétaire blanche a également joué un rôle important dans l'abolition de la traite des esclaves et dans la guerre civile aux États-Unis qui a aboli le système esclavagiste dans le Sud. Les révolutions anticoloniales en Afrique et en Asie et le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis au 20e siècle ont été la continuation de ces luttes déterminées pour l'autodétermination et l'égalité vraie. Partout où la classe prolétaire s'est organisée autour des idées du marxisme et du socialisme qui correspondent à ses véritables intérêts de classe, elle a soutenu ces luttes. Là où elle ne les a pas soutenues, c'était la conséquence de la division consciemment semée par la classe capitaliste. 


Ce que veut éviter la classe capitaliste en encourageant le racisme :
l'unité du prolétariat par-delà les barrières raciales, ethniques et culturelles.

Et nulle part on n'a plus vu cet impact négatif de la division raciste qu'en Afrique du Sud.

(à suivre)

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