Deuxième partie : L'émergence du
capitalisme et du racisme
Le racisme a été créé
par les conditions sociales en Europe au moment où le capitalisme
entamait son long développement. À partir du 15e siècle, la
naissance du commerce des esclaves transatlantique a enclenché un
long processus qui allait cristalliser les préjugés raciaux. Mais
le racisme n'est pas automatiquement né dès le moment où les
marchands portugais blancs précapitalistes ont atteint la côte
d'Afrique de l'Ouest vers 1440. Il a encore fallu
des siècles avant que la classe capitaliste n'atteigne sa pleine
maturité et que le racisme acquière sa forme suprême, celui de la
doctrine de la suprématie blanche.
À chaque étape de ce processus qui a duré des siècles, l'idéologie raciste a été affutée et renforcée par la classe capitaliste à la recherche de la satisfaction de ses intérêts économiques, principalement dans le cadre de sa lutte pour contrôler la main-d'œuvre et son marché d'approvisionnement. Tout au long des différentes phases du développement capitaliste, on a vu une évolution de ces objectifs économiques, des stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs et des idéologies nécessaires pour justifier la mise en place de ces stratégies. Par conséquent, la clé pour comprendre le racisme est de pouvoir identifier l'évolution de ces intérêts économiques et les flux et reflux de la lutte des classes qui en ont découlé.
À chaque étape de ce processus qui a duré des siècles, l'idéologie raciste a été affutée et renforcée par la classe capitaliste à la recherche de la satisfaction de ses intérêts économiques, principalement dans le cadre de sa lutte pour contrôler la main-d'œuvre et son marché d'approvisionnement. Tout au long des différentes phases du développement capitaliste, on a vu une évolution de ces objectifs économiques, des stratégies à mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs et des idéologies nécessaires pour justifier la mise en place de ces stratégies. Par conséquent, la clé pour comprendre le racisme est de pouvoir identifier l'évolution de ces intérêts économiques et les flux et reflux de la lutte des classes qui en ont découlé.
Mais avant de nous pencher
sur la manière dont les intérêts économiques de la classe
capitaliste ont créé et nourri le racisme, il nous faut tout
d'abord analyser plus en détail la nature des préjugés et des
discriminations au sein de la société féodale de laquelle le
capitalisme est issu.
– Équipe de rédaction du journal Izwi Labasebenzi, journal du Parti ouvrier et socialiste d'Afrique du Sud, section sud-africaine du CIO (lien vers la première partie de ce dossier ici)
Les préjugés et la
discrimination avant le capitalisme
Les conditions sociales
nécessaires à la naissance des concepts de « race » et
de « nation » étaient absentes des sociétés féodales
qui ont précédé le capitalisme en Europe. L'idée selon laquelle
un préjugé basé sur l'ascendance ou sur la couleur de la peau
pourrait constituer une source de discrimination permanente était
incompatible avec les intérêts de la classe dirigeante féodale et
contredisait les idéologies qui légitimaient sa domination.
Dans la société féodale (voir article explicatif ici),
la religion chrétienne catholique était le principal prisme
idéologique à travers lequel se reflétaient les conditions
sociales. L'idéologie catholique justifiait la « politique
intérieure » féodale d'un ordre social strictement
hiérarchisé, en déclarant que cet ordre avait été ordonné par
Dieu. Toute personne était née à un certain échelon de la vie
sociale, qu'elle soit enfant de roi ou enfant de paysan, et gardait
ce statut toute sa vie.
Avant l'émergence du capitalisme, on ne trouvait pas d'États-nations en Europe. Le féodalisme était composé de microentités politiques à l'échelle locale, unies entre elles par une alliance entre seigneurs (« chefs de guerre » propriétaires terriens) à la tête de laquelle siégeait un monarque ou empereur très distant. Parmi la masse de la population paysanne, chaque individu était lié pour la vie à son lopin de terre, sans aucune mobilité, sans aucune éducation littéraire, sans aucun moyen de communication, sans commerce à grande échelle ni aucun média : il était donc impossible pour ces individus de développer une conscience des enjeux à une échelle nationale (encore moins internationale).
Non seulement le manque d'une conscience nationale empêchait la classe féodale d'utiliser le nationalisme pour justifier sa domination, mais cela aurait été impossible de manière générale, vu que la langue et la culture de la classe dominante étaient elles-mêmes bien souvent très différentes de celles des populations qui travaillaient pour elle (par exemple la classe féodale en Angleterre parlait le français normand, alors que les masses paysannes parlaient différents dialectes anglo-saxons, proches de l'allemand).
Avant l'émergence du capitalisme, on ne trouvait pas d'États-nations en Europe. Le féodalisme était composé de microentités politiques à l'échelle locale, unies entre elles par une alliance entre seigneurs (« chefs de guerre » propriétaires terriens) à la tête de laquelle siégeait un monarque ou empereur très distant. Parmi la masse de la population paysanne, chaque individu était lié pour la vie à son lopin de terre, sans aucune mobilité, sans aucune éducation littéraire, sans aucun moyen de communication, sans commerce à grande échelle ni aucun média : il était donc impossible pour ces individus de développer une conscience des enjeux à une échelle nationale (encore moins internationale).
Non seulement le manque d'une conscience nationale empêchait la classe féodale d'utiliser le nationalisme pour justifier sa domination, mais cela aurait été impossible de manière générale, vu que la langue et la culture de la classe dominante étaient elles-mêmes bien souvent très différentes de celles des populations qui travaillaient pour elle (par exemple la classe féodale en Angleterre parlait le français normand, alors que les masses paysannes parlaient différents dialectes anglo-saxons, proches de l'allemand).
Ce n'est qu'avec le
développement des relations marchandes et l'émergence de la classe
capitaliste qu'une pression sociale est apparue qui tendait à la
formation d'États-nations. Il était en effet devenu indispensable
pour la classe capitaliste de créer un marché national unifié sur
un territoire étendu pour qu'elle puisse développer la production et les échanges à plus grande échelle afin d'accroitre sa propre richesse. C'est ce processus, une
fois enclenché, qui a par la suite stimulé les idéologies
nationalistes qui lui correspondaient.
Tout au long du
développement du capitalisme, les idées de racisme et de
nationalisme se sont de plus en plus entrecroisées. Des conflits
sont apparus quant au caractère de la nation. Qui fallait-il inclure
dans la nation, et qui ne fallait-il pas y inclure ? Quel était
la langue de la nation ? Quelle était la religion de la
nation ? À quoi ressemblaient les habitants de la nation ?
Ce sont ces considérations qui ont donné naissance aux préjugés
nationaux, puis racistes, qui fournissaient une réponse à ces
questions là où il n'y avait aucune réponse évidente. (C'est ainsi qu'on dit « Les Ivoiriens aiment la fête », « les Burkinabés sont travailleurs », etc.)
Dans la société féodale,
la doctrine catholique d'« universalisme » justifiait la
« politique étrangère » d'extension par conquête.
Selon cette idéologie, toute personne, quelle que soit son
ascendance ou sa couleur de peau, était un chrétien potentiel. Il
était donc du devoir des dirigeants chrétiens de tout faire pour
gagner ces nouveaux chrétiens. Cette doctrine ne faisait en réalité
que justifier les conquêtes de la classe dominante à des fins
économiques, en cherchant à gagner de nouvelles terres mises en
valeur par les paysans qui leurs seraient liés à la naissance. La
forme d'exploitation de la société féodale considérait ces deux
éléments – terre et population – comme inséparables.
Par conséquent, la conversion religieuse des populations conquises
allait de soi afin de faire le lien entre la justification
idéologique de la conquête et la nécessité de maintenir les
paysans attachés à leur terre.
Les conditions sociales de
la société féodale et les intérêts de la classe dirigeante
féodale faisaient en sorte que les préjugés et discriminations au
sein de cette société recevaient systématiquement une connotation
religieuse. Le fait de suivre les « mauvaises » croyances
religieuses ou d'exprimer ces croyances selon les « mauvaises »
pratiques était la seule base de discrimination. Mais on pouvait
échapper à l'ostracisme en se convertissant. Les intérêts de la
classe féodale rendaient d'ailleurs cette conversion indispensable.
Cette forme de préjugé et de discrimination religieuse était
requise par la classe féodale pour justifier la poursuite de ses
intérêts, mais elle n'avait pas besoin de plus que ça : à
aucun moment l'ascendance ou la couleur de peau n'aurait pu former
une base de discrimination permanente.
Dans sa lutte pour la
domination sur la société, la classe capitaliste allait devoir
détruire l'ensemble des idéologies féodales qui justifiaient le
fonctionnement de l'ancienne société. La mise en branle de
nouvelles forces économiques et de nouvelles formes d'exploitation
par le capitalisme allaient créer les conditions sociales pour
l'émergence de nouvelles formes de préjugés et de discrimination.
Nous allons à présent passer en revue les différentes grandes
étapes du développement de la société capitaliste qui ont donné
naissance au racisme et qui l'ont façonné au cours des siècles.
La doctrine d'« universalisme » : tout le monde n'a qu'à apprendre la Bible, quelle que soit sa race ! |
La discrimination
basée sur l'ascendance
Une importante percée
pour le développement de l'idéologie raciste a été opérée avec
la remise en question de la doctrine catholique d'universalisme et le
développement de l'idée qu'une « mauvaise » religion
pourrait être transmise de manière héréditaire, par le sang.
Cette percée s'est produite en Espagne au 15e siècle. Après qu'une coalition de seigneurs chrétiens soit parvenue à « reconquérir » l'Andalousie (sud de l'Espagne, qui avait appartenu pendant plus de 500 ans au califat de Cordoue, État musulman), les
nombreuses populations musulmanes et juives qui y vivaient en bonne entente ont reçu
le « choix » d'être exilées ou de se convertir au
christianisme. Cependant, les nouveaux convertis allaient continuer à
souffrir de discrimination à cause de leur « mauvais sang ».
Ce petit revirement
idéologique, qui allait pourtant être si important pour l'histoire mondiale,
plongeait ses racines dans les conflits de classe de cette époque de
transition de l'Espagne au capitalisme et de sa consolidation en tant
qu'État-nation. Les « nouveaux chrétiens » , juifs et musulmans convertis de force au christianisme, constituaient une classe de marchands protocapitalistes dont la
richesse et la puissance étaient devenues considérables. Les
seigneurs féodaux dont le pouvoir était en déclin, jaloux de la
richesse monétaire de ces marchands, ont alors utilisé leur contrôle des
institutions politiques féodales comme une arme contre ces rivaux.
Les nouvelles lois excluaient ainsi les « nouveaux chrétiens » de tout poste à la fonction publique, dans l'Église ou à la tête des corps de métiers telles que les corporations d'artisans ou de marchands. L'intention des seigneurs féodaux dans cette lutte n'était pas de détruire ces « nouveaux chrétiens », mais de renforcer leur propre pouvoir politique afin d'assurer qu'ils recevraient leur part dans cette nouvelle économie monétaire dominée par les marchands. D'ailleurs, ces nouvelles lois représentaient surtout une menace contre les marchands peu coopérants et n'étaient appliquées que de manière sélective.
Les nouvelles lois excluaient ainsi les « nouveaux chrétiens » de tout poste à la fonction publique, dans l'Église ou à la tête des corps de métiers telles que les corporations d'artisans ou de marchands. L'intention des seigneurs féodaux dans cette lutte n'était pas de détruire ces « nouveaux chrétiens », mais de renforcer leur propre pouvoir politique afin d'assurer qu'ils recevraient leur part dans cette nouvelle économie monétaire dominée par les marchands. D'ailleurs, ces nouvelles lois représentaient surtout une menace contre les marchands peu coopérants et n'étaient appliquées que de manière sélective.
Si les seigneurs féodaux
voulaient mener à bien leur lutte de classe contre les marchands, il
était nécessaire pour eux de maintenir une base de discrimination
même contre ces marchands qui avaient « choisi » la
conversion au christianisme. Leur nouvelle justification idéologique
a trouvé son inspiration dans le concept alors encore limité du
« sang noble » (concept selon lequel il existerait une différence
génétique, « de race », entre nobles et paysans, justifiant la supériorité
divine de la noblesse, l'exploitation des paysans, et les nombreux
mariages consanguins entre nobles dont le but était essentiellement la concentration
des terres entre leurs mains). C'est aussi au cours de cette période qu'on a vu la
consolidation de l'Espagne en tant qu'État-nation émergent, à la place du
féodalisme espagnol sur le déclin : une étape cruciale dans
le développement du capitalisme. Ainsi, l'alignement des forces de classes
en vigueur à ce moment avait déterminé que cet État-nation devait
être une nation de religion chrétienne et de langue espagnole,
renforçant la discrimination contre les « nouveaux
chrétiens ».
Cette première forme de
discrimination raciste et de nationalisme, qui conservaient tous
deux une importante connotation religieuse, a inauguré
l'interconnexion entre ces deux idéologies. Les luttes de classes
dans l'Espagne du 15e siècle avaient ajouté une nouvelle
« couleur » idéologique au tableau de la lutte des
classes. On voit que la première pierre de ce racisme primitif avait été
apportée par les forces économiques créées par le capitalisme – l'ironie étant que cette arme idéologique n'avait pas été forgée
par les capitalistes émergents, mais au contraire par la réaction
des seigneurs féodaux au pouvoir déclinant.
Ici apparait clairement la complexité de la relation entre les conditions sociales et les idéologies. Car au cours de sa croissance et de sa maturation, la classe capitaliste allait ensuite entretenir les semences idéologiques qui avaient été semées contre elle en cette période de déclin du féodalisme, pour promouvoir à son tour ses propres intérêts de classe. C'est donc une véritable ironie de l'histoire de voir que les premières victimes du racisme ont justement été ces mêmes marchands « nouveaux chrétiens » d'Espagne et du Portugal à l'origine de la traite des esclaves transatlantique qui allait donner naissance au racisme antinoir au cours des siècles suivants.
Ici apparait clairement la complexité de la relation entre les conditions sociales et les idéologies. Car au cours de sa croissance et de sa maturation, la classe capitaliste allait ensuite entretenir les semences idéologiques qui avaient été semées contre elle en cette période de déclin du féodalisme, pour promouvoir à son tour ses propres intérêts de classe. C'est donc une véritable ironie de l'histoire de voir que les premières victimes du racisme ont justement été ces mêmes marchands « nouveaux chrétiens » d'Espagne et du Portugal à l'origine de la traite des esclaves transatlantique qui allait donner naissance au racisme antinoir au cours des siècles suivants.
Les capitalistes
réinventent Dieu
La doctrine catholique
d'« universalisme » ne faisait pas le poids devant les
intérêts économiques croissants de la classe marchande
protocapitaliste qui a inauguré le commerce transatlantique des
esclaves à partir du 16e siècle. Après des siècles de débats
théologiques pour savoir s'il était moral ou non d'asservir des
chrétiens potentiels (bien que noirs), les nouveaux marchands capitalistes d'Europe du Nord
(surtout en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas) ont opéré une rupture décisive avec l'Église
catholique. Ils ont réinventé le christianisme sous la forme du
protestantisme, un nouveau crédo qui reflétait mieux leurs
intérêts de classe.
La classe capitaliste émergente luttait pour mettre un terme aux limites de la société
féodale, qui étaient devenues un véritable frein à son
accumulation de richesses et à son aspiration au pouvoir politique.
Le protestantisme a doté la classe capitaliste d'une arme
idéologique pour attaquer les idées qui justifiaient la hiérarchie
féodale soi-disant ordonnée par Dieu. Au lieu du strict contrôle
social exercé par l'Église catholique, la doctrine protestante
mettait en avant la possibilité d'une relation personnelle avec
Dieu, sans passer par l'intermédiaire de la hiérarchie catholique.
Cette « démocratisation » du christianisme a fait que
chaque aspect de l'idéologie chrétienne s'est tout à coup retrouvé ouvert au
débat. De nouvelles sectes protestantes ont commencé à proliférer
un peu partout, critiquant la soi-disant divinité de la société
féodale avec de nouvelles interprétations de la Bible (qui se
contredisaient souvent mutuellement).
Le courant protestant
nommé calvinisme était celui qui reflétait les intérêts économiques de la
nouvelle classe capitaliste de la manière la plus directe. Engels le
décrivait comme « adapté aux plus braves parmi la bourgeoisie
de l'époque ». Les idées calvinistes de « prédestination »
et de la « vocation divine » ont fait de l'accumulation
de richesses un signe de la faveur de Dieu.
La Confrérie afrikaner,
qui s'est donnée pour tâche la consolidation de la classe
capitaliste afrikaner en Afrique du Sud au début du 20e siècle, était basée sur le calvinisme. Plusieurs siècles après
l'invention du protestantisme, nous voyons aussi naitre en Afrique toute
une série d'églises d'« abondance », qui reflètent les
aspirations économiques de la nouvelle classe moyenne et les espoirs
du prolétariat et des pauvres. Cependant, ces églises poussent la
« démocratisation » du christianisme à l'absurde, étant
formées autour d'individus charismatiques se donnant le titre de soi-disant « prophètes » dont l'enrichissement personnel est
censé être le signe de la faveur divine sur la congrégation !
Il est clair que la
nouvelle idéologie protestante n'a pas par elle-même mené au
racisme. Le racisme a été mis au monde par d'autres forces dans la
société. Mais le protestantisme a balayé l'idée
d'« universalisme » catholique qui agissait en tant que
frein idéologique au développement de formes permanentes et non religieuses de préjugés et de discriminations. C'est pour cette
raison qu'il est important de décrire l'évolution du christianisme
dans ce compte-rendu historique du développement du racisme. Avec
toutes ces nouvelles sectes protestantes basées sur une « relation
personnelle directe » avec Dieu, il devenait bien plus facile
pour des individus d'« interpréter » les
écritures ou de recevoir la « révélation » afin de refléter
les préjugés de leur époque et les intérêts de classe de leurs
congrégations.
Cela explique le phénomène
autrement contradictoire du soutien historique accordé par de
nombreuses sectes protestantes à la traite des Noirs et à d'autres
formes de discriminations racistes à certains points de l'histoire, en même temps que leur opposition à ces mêmes phénomènes à d'autres moments.
Les débats au sein des églises réformées néerlandaises
protestantes en Afrique du Sud sous l'apartheid sont un exemple de
l'importance de cette évolution dans la superstructure idéologique
de la société en ce qui concerne le racisme. Le soutien accordé au
départ à l'apartheid a fini par céder la place à un mélange
confus de soutien, d'opposition et de toute une série de positions
intermédiaires, en fonction des multiples revirements de la lutte
des classes.
« Dieu veut que te rendre riche », ou comment la classe capitaliste a remodelé la religion à sa manière |
La traite transatlantique
des esclaves et la création du racisme antinoir
Le très important intérêt
économique capitaliste qui allait créer les conditions sociales
pour l'apparition du racisme antinoir était la traite
transatlantique des esclaves. Il faut toutefois bien faire attention au fait que
l'histoire de l'esclavage de manière générale n'est PAS l'histoire
du racisme. Si l'esclavage était à la base de la société de la
Grèce et de la Rome antiques, cet esclavage antique n'était PAS fondé sur
une couleur de peau. Grecs comme Romains considéraient l'ensemble
des étrangers à leur peuple comme barbares, donc esclaves
potentiels, sans faire la moindre différence ni discrimination entre
Blancs et Noirs. Le racisme tel que nous le connaissons ne pouvait
donc se développer sur une telle base « multiraciale ».
Au début de la période
capitaliste, l'esclavage a maintenu son caractère multiracial.
lorsque les premiers vaisseaux marchands sont arrivés en Afrique
dans les années '1440 pour y entamer un commerce de troc à
petite échelle avec les dirigeants ouest-africains qui leur
fournissaient, entre autres, des esclaves, ce commerce ne faisait que
continuer d'une part la tradition ouest-africaine de prendre des
esclaves parmi les peuples conquis par les divers royaumes ou
empires, en plus du commerce transsaharien qui, lui, existait de longue
date, et par lequel différentes marchandises, dont des esclaves,
étaient acheminés vers l'Afrique du Nord pour y être ensuite
vendus aux marchands européens. Il faut également noter que, dans
de nombreux pays d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient, on trouvait
aussi toujours à l'époque une grande quantité d'esclaves blancs.
Mais la différence entre
les marchands portugais et leurs concurrents des époques précédentes
était que ces marchands représentaient la classe capitaliste
émergente, alors que les autres marchands n'étaient que les restes
de formes sociales antérieures que le capitalisme allait bientôt
faire disparaitre. Cette classe de marchands protocapitalistes allait
réinventer l'esclavage : en employant les esclaves à la mise
en valeur des Amériques nouvellement conquises, ils allaient
transformer ce commerce en une vaste entreprise capitaliste. C'est
sur cette base d'esclavage capitaliste, où les esclaves sont devenus
exclusivement noirs, que les conditions sociales allaient se créer
pour l'émergence d'un racisme antinoir.
Mais ce processus allait
mettre des années avant d'aboutir. Le premier vaisseau esclavagiste
qui a traversé l'Atlantique avec à son bord une « cargaison »
d'esclaves noirs a quitté les côtes africaines en 1510. Il
amenait cinquante esclaves noirs à l'ile de Kiskeya, récemment
conquise par l'Espagne et renommée « Hispaniola » par
Christophe Colomb (cette ile est aujourd'hui partagée entre les
États de Haïti et de la République dominicaine). Cette
« innovation » a eu lieu parce que les habitants
autochtones du peuple arawak, qui a été le premier à être réduit
en esclavage pour l'exploitation des champs de tabac et de canne à
sucre ainsi que des mines d'or et d'argent, mouraient trop rapidement
des nombreuses maladies apportées par les Européens. Jusqu'au 17e
siècle, la traite transatlantique des esclaves demeurait sporadique
et à petite échelle par rapport à ce qui allait arriver. Les
conditions sociales pour un racisme antinoir généralisé n'avaient
pas encore été bien préparées.
La clé pour comprendre
l'ampleur qu'a fini par prendre la traite transatlantique des
esclaves est la demande en main-d'œuvre dans les nouvelles colonies
américaines qui, à leur tour, dépendaient du développement du
capitalisme en Europe et de la création de nouveaux marchés pour vendre les marchandises produites par ces colonies. Le
point tournant s'est produit au 17e siècle, lorsque le sucre est
devenu la principale culture d'exportation des Antilles et de
l'Amérique du Sud (la canne à sucre est une plante importée d'Asie aux Amériques par les colons européens), ce qui a rapidement accéléré le besoin de
travailleurs, une demande plus facilement satisfaite par
l'importation d'une main-d'œuvre noire d'Afrique.
Tout au long des
deux siècles qui ont suivi, plus de douze millions de Noirs ont été
réduits en esclavage et envoyés aux Amériques. Une immense
population d'esclaves s'est alors créée. Leur statut d'esclaves, le
niveau le plus pas de l'échelle sociale, a fini par devenir
inséparable de leur couleur de peau. C'est ce qui a créé les
conditions pour l'émergence du racisme antinoir. Comme l'historien
marxiste Eric Williams le disait dans son livre Capitalisme
britannique et esclavage britannique,
« Les traits de l'homme, ses cheveux, sa couleur, sa dentition,
ses caractéristiques “subhumaines” tant décriées, n'étaient
en fait que la rationalisation a
posteriori
d'un simple fait économique : les colonies avaient besoin de
main-d'œuvre, et recouraient à l'importation de travailleurs noirs
parce qu'ils étaient bon marché et de meilleure qualité. »
Le racisme antinoir avait
pris forme et n'allait pas disparaitre aussi facilement. Il existait
dans les colonies et dans les métropoles qui bénéficiaient de son
existence. Lorsque l'esclavage a été aboli au 19e siècle, Williams a
remarqué que cela n'avait pas suffi à éradiquer les préjugés
racistes créés par l'esclavage : « Les idées du racisme
établies sur les intérêts des esclavagistes survivent même
longtemps après que ces intérêts aient été détruits et
continuent à distiller leur venin, qui est d'autant plus nocif que
les intérêts auxquels correspondaient ces idées ont aujourd'hui
disparu ».
Mais il ne s'agissait pas d'un simple phénomène d'« inertie historique » (la survivance, à l'état de reliques, d'idées dont la fondation socio-économique a disparu). Malgré la fin de la traite transatlantique des esclaves, le capitalisme avait toujours besoin du racisme pour justifier de nouveaux intérêts économiques.
Mais il ne s'agissait pas d'un simple phénomène d'« inertie historique » (la survivance, à l'état de reliques, d'idées dont la fondation socio-économique a disparu). Malgré la fin de la traite transatlantique des esclaves, le capitalisme avait toujours besoin du racisme pour justifier de nouveaux intérêts économiques.
L'esclavage pratiqué à grande échelle par les empires antiques ciblait tout individu étranger, sans aucune distinction de « race » |
Le développement du
racisme en Amérique du Nord
Dans d'autres conditions
sociales, le développement de l'esclavage et du racisme antinoir a
pris une allure différente dans les colonies nord-américaines.
Après des tentatives infructueuses de réduire en esclavage les
populations américaines autochtones, les propriétaires terriens
nord-américains, se sont tournés tout d'abord vers une main-d'œuvre
asservie blanche pour tenter de résoudre la pénurie de
travailleurs.
Les travailleurs contractuels étaient de véritables esclaves qui s'engageaient à travailler gratuitement pour un maitre pendant une période allant jusqu'à sept ans avant d'être libérés (en général, afin de rembourser le prix de leur voyage vers l'Amérique). De 1650 à 1800, on estime à 250 000 le nombre de pauvres Anglais, Irlandais et Allemands qui se sont engagés de la sorte afin de rejoindre l'Amérique. Le taux de mortalité de ces « esclaves contractuels » était très élevé en raison du mauvais traitement de leurs maitres. Il était aussi extrêmement facile pour leurs maitres de trouver toutes sortes de prétextes afin d'allonger la durée de leur engagement. Ainsi, bon nombre de ces contractuels mouraient avant leur libération.
Les travailleurs contractuels étaient de véritables esclaves qui s'engageaient à travailler gratuitement pour un maitre pendant une période allant jusqu'à sept ans avant d'être libérés (en général, afin de rembourser le prix de leur voyage vers l'Amérique). De 1650 à 1800, on estime à 250 000 le nombre de pauvres Anglais, Irlandais et Allemands qui se sont engagés de la sorte afin de rejoindre l'Amérique. Le taux de mortalité de ces « esclaves contractuels » était très élevé en raison du mauvais traitement de leurs maitres. Il était aussi extrêmement facile pour leurs maitres de trouver toutes sortes de prétextes afin d'allonger la durée de leur engagement. Ainsi, bon nombre de ces contractuels mouraient avant leur libération.
Tout au long de cette
période, il y avait aussi un flux constant d'arrivée de Noirs
amenés par les esclavagistes. Cependant, il n'existait au départ
pas en Amérique du Nord de système d'esclavage à proprement
parler. À leur arrivée, les esclaves noirs étaient convertis en
domestiques contractuels et intégrés à la main-d'œuvre existante.
Le fait d'être noir ne faisait pas d'eux automatiquement des
esclaves. Certains parvenaient même à gagner leur liberté, avant
de devenir à leur tour maitres de travailleurs contractuels.
Dans les plantations, les
travailleurs contractuels noirs et blancs travaillaient côte à
côte. La misère partagée et la solidarité de classe empêchait
l'émergence de tout sentiment raciste entre les exploités. La
classe dirigeante a commencé à développer des préjugés
justifiant la brutalité avec laquelle elle traitait les domestiques
contractuels, noirs comme blancs : tous se retrouvaient
déshumanisés et également considérés comme « vermine et
racaille ». Un racisme expressément antinoir n'avait aucun
intérêt dans les conditions sociales de cette époque : c'est
pourquoi on ne l'a pas vu apparaitre à ce moment-là. Mais cela
allait venir plus tard, au fur et à mesure du développement de la
lutte des classes.
Le point tournant pour le
développement d'un racisme antinoir en Amérique du Nord s'est
produit en 1676, avec la rébellion de Nathaniel Bacon en
Virginie. Lors de cette révolte contre les propriétaires
aristocrates, les contractuels noirs et blancs s'étaient unis de
concert avec les évadés, les manœuvres agricoles et les petits
paysans. Leur rébellion a été écrasée dans le sang. Le dernier
groupe de rebelles tués, qui avait choisi de tenir tête
héroïquement ensemble pour combattre jusqu'à la fin, poussés par
un sentiment de solidarité de classe, était composé, selon un
rapport de l'époque, de « quatre-vingt nègres et vingt
Anglais ». C'est ce qui a terrifié la classe dirigeante.
Après la répression de
la rébellion de Bacon, la classe dirigeante, d'une manière qui
anticipait en quelque sorte le régime d'apartheid de quelques
siècles, s'est mise en tête de créer une « classe moyenne »
privilégiée qui pourrait servir d'« écran » afin de
mieux consolider son règne. La ligne de division potentielle était
tout aussi claire dans la Virginie du 17e siècle qu'elle allait
l'être en Afrique du Sud à la veille de l'apartheid : les
Blancs devraient être expressément séparés des Noirs. La position
légale des domestiques contractuels blancs devait être améliorée :
il est devenu interdit de fouetter les contractuels blancs ; de plus, à
la fin de sa période de « service », tout contractuel
blanc devait recevoir « des semences, de l'argent, un fusil,
des vêtements et 20 ha de terres ». Les Blancs voyaient
ainsi un intérêt dans le maintien de l'ordre social prévalent.
Pendant ce temps, les
domestiques contractuels noirs perdaient l'ensemble de leurs droits.
Le service contractuel a fait la place à l'esclavage à perpétuité.
Sur les grandes plantations, les quartiers des travailleurs blancs et
noirs devaient être séparés. Les Blancs recevaient des vêtements
de meilleure qualité, et les travaux les plus faciles devaient leur
être réservés, afin de les distinguer. On apprenait aux Blancs
qu'ils étaient « supérieurs », afin de renforcer les
préjugés racistes. Pour la première fois, au cours d'un nouveau
mariage incestueux entre racisme et nationalisme, l'appartenance à
la « nation anglaise » était explicitement définie
comme ne pouvant s'appliquer qu'à des personnes à la peau blanche.
Avec l'institution de
l'esclavage des Noirs et la fondation des grandes plantations de
coton dans le Sud de l'Amérique du Nord, le terrain était préparé
pour le développement du système esclavagiste des États-Unis du
Sud. L'idéologie raciste qui s'est développée sur cette base
allait survivre longtemps après l'abolition de l'esclavage en 1865.
Anticipant toujours le régime d'apartheid, les lois de ségrégation
raciste de Jim Crow ont été appliquées dès 1876. Elles
allaient perdurer jusque dans les années '1960.
La science moderne
primitive invente le concept de « race »
Comme nous l'avons dit, la
religion était le seul prisme idéologique au travers duquel se
reflétaient les conditions sociales dans la société féodale. Le
capitalisme, tout en modifiant la religion afin qu'elle exprime mieux
ses propres intérêts, a en plus stimulé de nouvelles manières de
concevoir et de comprendre le monde, concurrentes à la religion. Le
développement de la méthode scientifique moderne d'observations et
d'expérimentations, qui a commencé lors de la « révolution
scientifique » du 16e siècle, a permis à la compréhension du
monde par l'homme de faire d'énormes pas en avant. Néanmoins, la lutte des
classes allait inévitablement se refléter dans cette nouvelle « science ».
La science moderne
primitive a donné à la classe capitaliste un nouveau cadre pour
établir des préjugés et justifier la discrimination raciale, au
moyen de la nouvelle idée de « race ». La construction
de cette idée reflétait les inégalités sociales existantes à
cette époque plutôt qu'une inégalité « naturelle ».
Les tentatives par des scientifiques comme Carl Linné, au début du
18e siècle, de classifier la nature dans une hiérarchie au sommet
de laquelle se trouvaient forcément les hommes, a logiquement mené
à des tentatives d'instituer une hiérarchie des différentes
« races » humaines. Dans les colonies américaines
espagnoles déjà, un système de castes classifiait les hommes selon
une vingtaine de différentes catégories raciales en fonction de
leur couleur de peau et de leur origine ancestrale (même si les
conditions sociales réelles n'ont pas permis une application rigide
de ce système pour instaurer une véritable ségrégation).
Ainsi, avec cette
« science », les inégalités de classe comme de race
pouvaient être justifiées en tant que « naturelles ».
Si elles étaient « naturelles », c'est qu'elles étaient
inévitables et devaient donc se perpétuer indéfiniment. Le terrain
idéologique était donc préparé pour les théories
pseudoscientifiques de la race qui allaient servir de fondation aux
formes les plus monstrueuses de la doctrine de la suprématie
blanche, développée dans le courant du 19e et du 20e siècle.
La supercherie du libéralisme
Ironie de l'histoire, les
idées des Lumières : raison individuelle, droits de l'homme, etc., symbole de la révolution française, ont constitué un autre
développement idéologique de la société capitaliste qui allait
renforcer le racisme. Ces idées étaient un autre argument utilisé
par la classe capitaliste afin de justifier sa lutte de classe contre
le féodalisme. Mais en réalité, ce n'était pas les « droits
de l'homme » pour lesquels on se battait, mais les droits de la
classe capitaliste. Pour elle, aucun droit n'était plus important
que le droit à la propriété privée. Mais afin de pouvoir
mobiliser les masses autour de la bannière du capitalisme dans sa
lutte contre le féodalisme, il fallait bien que ces droits soient exprimés en
des termes révolutionnaires devant s'appliquer à tout un
chacun de manière égale.
Pourtant, dans sa victoire
contre le féodalisme, la classe capitaliste n'avait pas la moindre
intention de cohérence avec sa propre idéologie révolutionnaire.
Elle n'avait aucun désir de partager son pouvoir politique
nouvellement acquis avec la classe prolétaire, classe d'origine récente, et encore moins de
sacrifier l'immense source de revenus des Amériques, qui dépendait
de la traite transatlantique des esclaves et de l'esclavage des
Noirs. La classe capitaliste allait continuer à interdire tout droit
politique à la classe prolétaire et aux esclaves des colonies afin
de pouvoir maximiser son exploitation. De son point de vue, il
fallait une nouvelle idéologie afin de placer des limites à
l'extension des droits « universels » nouvellement
obtenus. Le racisme, qui s'était déjà développé au cours de la
traite transatlantique des esclaves, allait être renforcé et
enrichi, afin de justifier le fait que les Noirs soient exclus de la
nouvelle « liberté » capitaliste.
Mais cette tentative ne
pouvait entièrement réussir. La classe prolétaire et les esclaves
avaient pris la classe capitaliste au mot. Les esclaves noirs de
Saint-Domingue se sont révoltés pour soutenir la révolution
française qui, dans ses premières étapes, recevait l'adhésion on
ne peut plus énergique des masses laborieuses. Les masses françaises
s'opposaient elles aussi à l'esclavage de manière instinctive,
comme le décrit l'historien marxiste C.L.R. James :
« Au cours des
quelques mois où les masses se sont le plus rapprochées du pouvoir,
elles n'ont pas oublié les Noirs. Elles considéraient ces derniers
comme leurs frères ; elles détestaient les esclavagistes,
adversaires notoires de la révolution, autant que si le peuple
français lui-même avait subi le fouet. Cette situation prévalait
non seulement à Paris, mais dans toute la France révolutionnaire.
Les serviteurs, les paysans, les ouvriers, les manœuvres dans les
champs de toute la France étaient remplis d'une haine virulente
envers l'« aristocratie de la peau ». Beaucoup de gens
étaient tellement touchés par les souffrances des esclaves qu'ils
avaient cessé de boire du café, qu'ils considéraient comme
dégoulinant du sang et de la sueur d'hommes transformés en bétail…
Noble et généreux peuple de France… Ce sont ces gens-là qui
resteront avec gratitude et affection dans le souvenirs des enfants
de l'Afrique et tous ceux qui aiment l'humanité, pas les bavards
libéraux de France… »
– Les Jacobins
noirs, 1938
La classe capitaliste
s'était opposée à l'esclavage pour obtenir le soutien de la classe
prolétaire à leur révolution. Mais cette position a été révisée
à la première occasion. Les anciens esclaves de Saint-Domingue ont
été forcés de poursuivre leur lutte, cette fois contre le nouveau
gouvernement capitaliste de France. Victorieux, ils ont établi la
toute première république noire de l'histoire, avec la création de
Haïti en 1804.
Le général Toussaint Louverture, qui a mené le combat pour la libération de l'ensemble des esclaves d'Haïti |
Le colonialisme et le capitalisme monopolistique
Tout comme les Africains
n'ont pas été réduits en esclavage parce qu'ils étaient noirs,
l'Afrique n'a pas été colonisée au 19e siècle parce que sa
population était noire. La justification raciste du colonialisme n'a
été que la réflexion idéologique d'un processus économique plus
fondamental. Le racisme antinoir avait été fermement établi au 18e
siècle. Pourtant, à la veille du partage de l'Afrique opéré dans
les années '1870, seul 10 % de l'Afrique était colonisée
par l'Europe.
Dans son ouvrage
L'Impérialisme, stade suprême du
capitalisme,
Lénine explique
qu'« à l'apogée de la libre concurrence en Angleterre, entre
1840 et 1870, les dirigeants politiques bourgeois du pays étaient
contre la politique coloniale, considérant l'émancipation des
colonies, leur détachement complet de l'Angleterre, comme une chose
utile et inévitable. » C'est parce que la doctrine du « libre
commerce » et de la « libre concurrence »
correspondait alors avec les intérêts économiques de la classe
capitaliste à ce stade-là de son développement ; le colonialisme
n'y correspondait pas.
Mais la suite du développement du capitalisme en Europe a fini par donner naissance au
capitalisme monopoliste : la « libre » concurrence
était devenue une chose du passé. Le capital industriel et bancaire
se concentrait de plus en plus et avait fusionné, pour former ce que
Lénine appelle le « capital financier ». L'exportation
du capital financier vers de nouveaux marchés est alors devenue crucial pour les intérêts de la classe capitaliste. On a vu une
intensification de la concurrence entre grandes puissances capitalistes pour
sécuriser les marchés pour leur propre capital financier ainsi que
pour s'assurer un contrôle sur les sources de matières premières.
Reflétant ce processus dans la conscience et le monde des idées, le
libéralisme hypocrite a donc cédé sa place au nationalisme et au
colonialisme. Selon Lénine toujours, « Il est donc hors de
doute que le passage du capitalisme à son stade monopoliste, au
capital financier, est lié à l'aggravation de la lutte pour le
partage du monde ». La principale force motrice derrière cette
colonisation n'était rien d'autre que la lutte de classe entre les différentes
classes capitalistes nationales européennes.
Le fait que le racisme
antinoir avait déjà été créé a simplement permis à la classe
capitaliste de s'économiser le temps nécessaire à son invention.
Mais comme toujours, les nouveaux intérêts économiques nécessitaient que des adaptations soient apportées au racisme. C'est alors que les idées de la suprématie blanche et
les théories pseudoscientifiques de la race ont été mises en avant
pour justifier la conquête coloniale non seulement des territoires
d'Afrique mais aussi d'Asie. Si les classes capitalistes européennes
blanches étaient appelées à dominer le monde entier et ses
populations, il était plus facile d'affirmer la « supériorité »
de leur propre race plutôt que de rechercher des justifications de
l'« infériorité » de chaque autre race. Ces idées
n'étaient pas entièrement nouvelles, mais la nécessité de
justifier le colonialisme les a développées et promues comme cela
ne s'était jamais fait auparavant. Ces idées permettaient la
domination et l'exploitation d'immenses territoires et populations du
monde entier.
Par conséquent, les
luttes de libération nationale du vingtième siècle dans le monde
colonial ont forcément dû également se doter d'un aspect antiraciste dans leurs
expressions idéologiques qu'ont été les idées panafricanistes et
autres concepts du nationalisme noir, cohérents avec les intérêts
de la nouvelle élite noire.
« Le fardeau de l'homme blanc », chargé par l'histoire (ou Dieu ?) d'élever les peuples non blancs jusqu'aux hauteurs vertigineuses de la « civilisation » (capitaliste). |
L'émergence de la classe
prolétaire et la réaction du nationalisme
Comme nous l'avons vu, les
idéologies nationalistes sont apparues en Europe afin de satisfaire
les intérêts économiques de la classe capitaliste. Entre les mains
de la classe capitaliste dans son combat contre la classe féodale,
le nationalisme a été une arme idéologique extrêmement
progressiste. Cependant, dès que la classe capitaliste a acquis le
pouvoir politique dans à peu près toute l'Europe, elle a
immédiatement dû se retourner contre son nouvel ennemi, la classe
prolétaire.
Même au cours de la révolution française de 1789 et après, lors de la vague révolutionnaire de 1848 du « Printemps des peuples » qui a parcouru toute l'Europe, les revendications de la classe prolétaire étaient de plus en plus en contradiction avec les intérêts de la classe capitaliste, avec laquelle le prolétariat restait cependant en alliance contre la classe féodale ou ce qu'il restait de ses partisans.
Avec le mouvement chartiste des années '1840 au Royaume-Uni, la publication du Manifeste du Parti communiste en 1847, la fondation du premier État prolétarien de l'histoire avec l'éphémère Commune de Paris (noyée dans le sang en 1870) et l'émergence du syndicalisme un peu partout dans le monde, la classe prolétaire démontrait la vérité de Marx, selon laquelle le capitalisme engendre lui-même ses fossoyeurs.
Même au cours de la révolution française de 1789 et après, lors de la vague révolutionnaire de 1848 du « Printemps des peuples » qui a parcouru toute l'Europe, les revendications de la classe prolétaire étaient de plus en plus en contradiction avec les intérêts de la classe capitaliste, avec laquelle le prolétariat restait cependant en alliance contre la classe féodale ou ce qu'il restait de ses partisans.
Avec le mouvement chartiste des années '1840 au Royaume-Uni, la publication du Manifeste du Parti communiste en 1847, la fondation du premier État prolétarien de l'histoire avec l'éphémère Commune de Paris (noyée dans le sang en 1870) et l'émergence du syndicalisme un peu partout dans le monde, la classe prolétaire démontrait la vérité de Marx, selon laquelle le capitalisme engendre lui-même ses fossoyeurs.
Le nationalisme
réactionnaire est donc devenu un élément crucial pour la
justification par les capitalistes de l'inégalité et de
l'exploitation de classe en Europe. Il complétait le racisme qui,
lui, justifiait l'exploitation dans les colonies. Ces deux idéologies
sont devenues de plus en plus liées. Face à l'élan de solidarité
de classe, de lutte commune et d'internationalisme exprimé par la
classe prolétaire révolutionnaire, la classe capitaliste posait la
solidarité nationale et raciale, la lutte entre nations et le
nationalisme. Les racines du racisme comme du nationalisme, qui se
trouvent dans les conditions sociales engendrées par le capitalisme,
ont été mises à nu par l'arrivée du mouvement prolétarien
révolutionnaire qui se retrouve donc poussé à vaincre ces deux
idéologies au cours de sa lutte pour une société qui serait
organisée selon ses propres intérêts de classe : une société
socialiste. Le marxisme est l'idéologie la plus cohérente avec les
intérêts de classe véritable du prolétariat ; par
conséquent, elle est aussi la plus efficace pour lutter contre le
racisme.
La réinvention du
nationalisme par la classe capitaliste, son arme pour lutter contre
son nouvel ennemi prolétarien, a fait ressortir du nationalisme tout
le potentiel de préjugés raciaux et ethniques qui s'y trouvaient
contenus. Les idées racistes développées durant plusieurs siècles
et l'idéologie de la suprématie blanche créée pour les besoins de
la cause colonialiste ont été fusionnés en un nouveau nationalisme
destiné à renforcer l'armure idéologique réactionnaire du
capitalisme.
La forme la plus extrême
de réaction capitaliste contre la lutte révolutionnaire du
prolétariat a vu le jour au 20e siècle sous la forme du fachisme.
Suite à la victoire du prolétariat de Russie en 1917 et son
onde de choc à travers toute l'Europe sous la forme d'une immense
vague révolutionnaire, renforcée par les effets de la crise
capitaliste des années 1930, le fachisme est apparu comme la
dernière carte jouée par la classe capitaliste désespérée, sur
le point de perdre le pouvoir. La principale tâche du fachisme était
d'écraser la force organisée de la classe ouvrière. L'habillage
idéologique de cette réaction capitaliste était la forme la plus
extrême de racisme pro-Blancs mêlée à nationalisme expansionniste
impérialiste et à un antisocialisme virulent.
Toute une histoire de
lutte
Tout au long de l'histoire
du capitalisme et du développement de l'idéologie raciste par ce
système, les masses exploitées, les esclaves et les prolétaires ont cherché à surmonter les divisions racistes dans
leur lutte contre la classe capitaliste en même temps que contre
l'exploitation qui est à l'origine de cette idéologie. La première
révolte d'esclaves noirs s'est produite à peine douze ans après
que les premiers esclaves noirs aient été importés sur l'ile
d'Hispaniola. Dix ans plus tard, esclaves noirs et autochtones
s'unissaient pour embraser toute l'ile. Toute l'histoire de
l'esclavage aux Amériques n'est qu'une longue succession de révoltes
d'esclaves.
Nous avons déjà
mentionné l'unité des travailleurs noirs et blancs dans la
rébellion de Nathaniel Bacon en Virginie, ainsi que la révolution
haïtienne victorieuse, soutenue par la classe prolétaire blanche de
France. La classe prolétaire blanche a également joué un rôle
important dans l'abolition de la traite des esclaves et dans la
guerre civile aux États-Unis qui a aboli le système esclavagiste
dans le Sud. Les révolutions anticoloniales en Afrique et en Asie et
le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis au 20e siècle
ont été la continuation de ces luttes déterminées pour
l'autodétermination et l'égalité vraie. Partout où la classe
prolétaire s'est organisée autour des idées du marxisme et du
socialisme qui correspondent à ses véritables intérêts de classe,
elle a soutenu ces luttes. Là où elle ne les a pas soutenues,
c'était la conséquence de la division consciemment semée par la
classe capitaliste.
Et nulle part on n'a plus vu cet impact négatif de la division raciste qu'en Afrique du Sud.
Ce que veut éviter la classe capitaliste en encourageant le racisme : l'unité du prolétariat par-delà les barrières raciales, ethniques et culturelles. |
Et nulle part on n'a plus vu cet impact négatif de la division raciste qu'en Afrique du Sud.
(à suivre)
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