L'élite capitaliste plongée dans un
profond désarroi
Le vote pour quitter l'Union européenne a ébranlé l'ensemble des institutions capitalistes au Royaume-Uni et partout dans le monde. Il ne s'agit en fait que de rien d'autre qu'une nouvelle expression de la colère populaire face à la misère de masse et à l'austérité brutale, en plus d'un sentiment de révolte grandissante contre l'ensemble des élites. Et de nouvelles secousses vont encore se faire sentir sur le plan politique.
– analyse par Peter Taaffe, secrétaire général du Parti socialiste d'Angleterre et du pays de Galles et membre fondateur du CIO
Face à cette révolte populaire, les stratèges du capital ont été entendus se dire en privé : « Le peuple a parlé… ces salauds ! ». À la suite du référendum sur l'Union européenne, nous avons été témoins de cette démonstration publique de la fureur avec laquelle le « commentariat » bourgeois a exprimé tout son mépris à peine contenu envers tous ceux qui osent défier les grandes puissances en votant pour « quitter ». Polly Toynbee, écrivant dans le Guardian, a donné libre cours à sa rage contre tous ces électeurs « sans aucune éducation » qui se sont dressés en masse contre l'austérité. Donald Tusk, président du Conseil européen, a déclaré que la décision des Britanniques représente « le début de l'anéantissement non seulement de l'Union européenne, mais aussi de la civilisation politique occidentale » (Financial Times).
La victoire du « quitter » dans le référendum a déjà eu d'immenses répercussions sur l'avenir du Royaume-Uni, en particulier pour le mouvement syndical, au Royaume-Uni comme dans le reste de l'Europe. Le résultat du scrutin (52 % contre 48 %) représente fondamentalement une révolte essentiellement prolétarienne contre l'austérité et contre le gouvernement des millionnaires dirigé par David Cameron et George Osborne qui a dévasté le niveau de vie de la population dans toutes ses composantes.
Il est totalement erroné de tirer,
comme l'ont fait certains groupes de gauche, la conclusion absolument
pessimiste selon laquelle ce résultat ne serait qu'un « carnaval
de réaction », qui va encourager les forces de droite en
Europe et ailleurs. Il ne fait aucun doute que la droite européenne
va tenter d'exploiter ce résultat en sa faveur. Mais la conférence
du Bloc de gauche au Portugal qui a été organisée immédiatement
après ce scrutin a montré que les représentants du mouvement
syndical en Grèce, en France et en Espagne se sentent renforcés par
le résultat du référendum.
Il n'est pas dit que la réaction,
incarnée par des individus tels que Boris Johnson (l'ancien maire de
Londres, conservateur et qui a fait campagne pour « quitter »)
ou Michael Glove, gagnera automatiquement le pouvoir après la
démission de Cameron, gagnant ainsi une position pour renforcer sa
base et remporter les prochaines élections nationales. En réalité,
la droite peut fort bien se retrouver vaincue. Encore la veille du
référendum, les enseignants ont exprimé leur opposition aux plans
du gouvernements concernant leur secteur en votant à 90 % le
départ en grève à partir du 5 juillet. En fait, on voit une
mini vague de grèves en train de monter au Royaume-Uni, déjà
entamée avec les travailleurs du rail et le syndicat des boulangers.
La victoire du « Quitter » a surpris l'ensemble de la classe dirigeante mondiale |
Une opposition contre l'ensemble de la
classe dirigeante
De nombreux travailleurs qui sont
entrés en conflit avec le gouvernement se sont emparés de la chance
qui leur était offerte par le référendum pour infliger un coup à
leur ennemi juré : l'affreux Cameron et son acolyte Osborne. Ce
que ce vote n'a pas exprimé, est un soutien à Johnson contre
Cameron. Au contraire, le lendemain du référendum, Johnson a été
hué en sortant de sa maison, et pas seulement par des gens qui
avaient voté « rester ».
Dans les jours qui ont suivi le
référendum, les militants du Parti socialiste (CIO) qui vendaient
notre journal dans la rue ont rencontré de nombreuses personnes qui
avaient voté pour « rester » mais qui, à travers la
discussion avec nos camarades, ont été convaincu de nos arguments
pour leur expliquer pourquoi le « quitter » était en
réalité le résultat le plus intéressant, d'un point de vue de
classe. On voit ainsi ce qui aurait été possible si les dirigeants
du mouvement syndical ne s'étaient pas laissés entrainer dans le
camp du commandant en chef de l'austérité, Cameron, qui a à
présent été rejeté dans la poubelle de l'histoire, comme nous
l'avions prédit au cas où il perdrait le référendum.
Le rapport de forces entre la classe
prolétaire organisée et ses alliés d'une part et le gouvernement
des capitalistes d'autre part peut être renforcé en faveur des
syndicats et du mouvement ouvrier si seulement ces forces
prolétariennes tirent des conclusions combattives par rapport au
résultat de ce scrutin. Car le résultat du référendum, loin de
pétrifier les forces impliquées dans le camp du « quitter »,
représente bel et bien une révolte majeure de la population de
simples citoyens travailleurs contre l'élite dirigeante.
Il est vrai que le caractère binaire
d'un référendum (« Pour » ou « Contre »)
permet à différents participants de voter pour la même position
que d'autres personnes qui ne partagent pas les mêmes intérêts,
voire des intérêts de classe opposés, car chacun peut adopter
cette position pour des raisons complètement différentes. Cela peut
biaiser le résultat final sur le plan politique, en rendant
difficile le fait de tirer une conclusion générale claire. Mais pas
dans ce cas-ci. Les arrondissements et régions qui votent
traditionnellement à gauche se sont massivement exprimés contre le
gouvernement des « bouchers » Cameron et Osborne ;
seules l'Irlande du Nord, l'Écosse et Londres ont globalement voté
pour « rester ». Même là où le « rester »
a fini par obtenir la majorité, on a vu s'exprimer une détermination
typiquement prolétarienne de « leur montrer » (aux
Conservateurs et à l'élite dirigeante) que « trop c'est
trop ».
D'un autre côté, on estime que trois
quarts des jeunes ont voté pour « rester », ce qui
révèle une tendance compréhensible, bien que déformée, à
exprimer un vote internationaliste. Beaucoup de ces jeunes ont voté
en partant du point de vue erroné que l'Union européenne serait un
facteur progressiste : une ouverture vers l'Europe et le reste
du monde. Ce sentiment a été exploité de manière répugnante par
les Conservateurs partisans du « rester » ainsi que par
leurs partisans. Comme l'a toujours dit le Parti socialiste et le CIO
dans son ensemble, l'Union européenne n'est rien d'autre qu'une
construction néolibérale, une machine capitaliste et impérialiste
d'exploitation qui opprime non seulement la classe prolétaire
européenne mais aussi, via divers accords commerciaux, l'ensemble
des masses du monde néocolonial.
On a vu une détermination d'acier,
particulièrement dans les quartiers populaires, à sortir en masse
pour voter « quitter ». Et ce, malgré une incroyable
campagne d'intimidation et de haine menée par le front des
économistes bourgeois, tous alignés pour prédire que le ciel
allait nous tomber sur la tête, qu'il y aurait une nouvelle crise
économique, l'apocalypse et une troisième guerre mondiale si les
« gens » ne votaient pas « correctement »,
c'est-à-dire, pour le « rester ». On a vu une
détermination à prendre une revanche sur les « riches »,
sur tous ceux qui n'ont pas à subir la misère que les Conservateurs
et le capitalisme ont créée. On a vu une participation des masses
sans précédent dans certains quartiers populaires, y compris dans
les quartiers de logements sociaux, avec un impressionnant taux de
participation à 72 %, plus élevé que lors des élections
nationales.
Marche du syndicat des transports RMT : « Non à l'austérité imposée par l'UE » |
Défendre les bons intérêts
C'est vrai que le Parti de
l'indépendance du Royaume-Uni, une organisation raciste, était pour
« quitter », tout comme le brutal duo capitaliste
conservateur de Johnson et Gove, qui ont concentré leur campagne sur
des attaques contre les immigrés. Il ne fait aucun doute que
certains travailleurs ont été séduits par le discours
anti-immigrés propagé par ces forces réactionnaires. C'était
particulièrement le cas parce que la direction officielle du
mouvement ouvrier, que ce soit celle des syndicats ou celle du Parti
travailliste, s'est laissée prendre à leur jeu, en abandonnant
complètement tout programme indépendant de classe, socialiste et
internationaliste. Le Parti socialiste a adopté cette approche de
classe, que ce soit dans ce référendum ou dans celui de 1975
(sur l'adhésion à l'UE), au cours duquel Jeremy Corbyn avait
d'ailleurs défendu la même position anti-UE que nous.
Malheureusement, Jeremy s'est laissé
aujourd'hui piéger derrière les lignes ennemies, retenu là par les
créatures blairites qui étaient pour « rester ». Et ces
mêmes comploteurs, Hilary Benn et autres, l'ont bien récompensé en
organisant à présent un véritable coup d'État contre lui pour le
chasser de la tête du Parti travailliste. Quelle que soit la
position adoptée par Jeremy, l'aile droite du Parti travailliste est
prête à l'accuser de n'importe quoi, y compris pour le mauvais
temps. Ces gens l'ont forcé (très clairement à contrecœur) à
adopter la position de « rester ». S'il l'acceptait, il
était condamné ; s'il refusait, il aurait encore plus été
attaqué !
Tout au long de la campagne, nous avons
mis en avant le fait que si Jeremy avait adopté une position claire
contre l'UE en y apportant des arguments socialistes et
internationalistes, en portant la revendication d'une Grande-Bretagne
socialiste rattachée à une nouvelle Confédération socialiste
d'Europe, il aurait considérablement renforcé sa propre position.
Le choix alors ne se serait plus porté entre deux factions de la
droite, mais on serait rapidement arrivé à de nouvelles élections
nationales qui nous auraient permis de dégager tous ces vauriens en
même temps. Le rapport de forces qui aurait pu se développé sur
base d'une telle campagne aurait certainement fait en sorte que cet
appel soit directement très largement suivi.
De nombreux travailleurs rejettent le
programme de division raciste avancé par la droite nationaliste,
mais sont néanmoins préoccupés, à juste titre, par le manque de
ressources, de places dans les écoles, de logements, etc. dans les
quartiers populaires déjà surpeuplés. Il y a une véritable peur
de voir se développer une « course vers le bas », par
laquelle de plus en plus d'emplois mal payés et à « zéro
heures » seront créés. La solution à ce problème n'est pas
d'accuser les immigrés, mais d'avancer un programme exigeant plus de
budget pour la construction de logements sociaux, d'écoles, etc.
(Rappelons au passage qu'il y a 50 000 logements vides rien
qu'à Londres).
Aucune indication d'un tel programme
n'a malheureusement été entendue du côté des dirigeants du
mouvement syndical et du parti travailliste, qui ont préféré
passer leur temps à se faire prendre en photo aux côtés des
ennemis jurés de la classe prolétaire, qu'ils se battent pour
« quitter » ou pour « rester ». Nous avons eu
droit au spectacle du maire de Londres, M. Sadiq Khan (Parti
travailliste), paradant avec Cameron pour « attaquer »
Johnson dans une défense commune de l'UE capitaliste. Le même cadre
travailliste, lors de sa campagne électorale, avait également
défendu l'idée qu'il faudrait plus de milliardaires à Londres
– une ville qui en compte déjà 141, soit le plus grand
nombre de milliardaires au monde dans une même ville ! C'est
cette attitude qui a justement permis à Johnson (ex-maire de
Londres, conservateur) de recourir à toute sa démagogie pour
dénoncer les inégalités créées par l'UE et se présenter dans la
foulée comme un « défenseur des simples citoyens ».
Au revoir l'UE… Bonjour le monde ! |
Le mythe de « l'Europe sociale »
Tony Blair, qui, au moment de la guerre
d'Iraq, était accusé de « mentir comme il respire », a
fait une nouvelle apparition dans ce même registre lorsqu'il a tout
à coup commencé à vouloir se faire défenseur des droits
syndicaux. Dans un article du Daily Mirror, il a eu le culot d'écrire
« n'abandonnez pas les droits des travailleurs » !
Lui qui avait pourtant passé treize ans au pouvoir à maintenir
coute que coute l'ensemble des lois antisyndicales héritées de
Thatcher ! Frances O'Gradey, la nullité qui sert de secrétaire
générale au Congrès syndical (TUC), est quant à elle venu
déclarer que, selon ses calculs, chaque travailleur perdrait 38 £
par semaine d'ici 2030, à moins de se ranger derrière l'UE des
patrons.
Alors que tout progrès social, toute
victoire qui a permis de relever le niveau de vie des travailleurs,
est toujours venu des syndicats en tant qu'organisations combatives,
voici que les dirigeants des mêmes syndicats imputent maintenant ces
victoires à l'UE plutôt qu'à leurs propres organisations ! Il
ne peut y avoir plus grande expression de la faillite totale de ce
qui sert aujourd'hui de direction à la plus grande fédération
syndicale du Royaume-Uni.
Si les syndicats se sont retrouvés
dans cette position peu reluisante, c'est du fait de leur adaptation
à l'UE capitaliste. En 1988, le commissaire européen Jacques
Delors avait donné aux dirigeants syndicaux une possibilité de
salut malgré toute une série de graves défaites durant les
années '80 (la grève des mineurs, Wapping, l'effondrement de
la lutte contre les coupes budgétaires des conseils communaux,
etc.), en leur vendant le concept d'une « Europe sociale ».
Cela n'a toujours été qu'une fausse perspective. En effet, toute
loi destinée à garantir les droits des travailleurs ne peut jamais
être obtenue et appliquée que du fait d'une lutte syndicale et d'un
rapport de force en faveur des travailleurs – jamais on n'a vu
une telle loi tomber du ciel. Mais les dirigeants syndicaux, en gage
de gratitude, ont chanté les louanges de « Frère Jacques »
qui semblait avoir ainsi trouvé une manière bon marché (et ne
requérant aucune lutte) de garantir les droits des travailleurs.
C'est de là qu'est venue cette
politique de collaboration de classes appelée « partenariat
social » qui, tant que l'économie connaissait une croissance,
a permis d'obtenir quelques acquis limités. Mais dès que la crise
économique a frappé, en particulier à partir de 2007-2008, suivie
d'une période prolongée de croissance extrêmement faible, cette
politique de « partenariat » s'est changée en son
contraire : un niveau de vie qui stagne ou qui recule, et une
absence de riposte vis-à-vis des attaques patronales menées sur
tous les fronts.
Il est donc scandaleux de voir que le
Congrès syndical n'a pas organisé la moindre véritable action de
grève contre la dernière offensive menée par Cameron et Osborne
contre les droits syndicaux. Les dirigeants syndicaux ont préféré
éviter cela en proposant un nouvel accord de collaboration au
gouvernement : ils feraient campagne pour rester dans l'UE, en
échange de quelques concessions mineures par rapport à certaines
régulations du travail, etc., promises par le gouvernement.
En tout cas c'est pas ce qu'on s'était dit ! |
Un projet néolibéral
L'argument de Blair et d'O'Grady, comme
quoi l'UE défend les droits des travailleurs par des mesures telles
que la limitation du temps de travail, etc. est une véritable
plaisanterie. Toute loi favorisant les travailleurs et les syndicats
n'est jamais, en dernier recours, que le résultat et l'expression de
la puissance et de l'organisation des syndicats, et non pas d'une
quelconque tendance « progressiste » dans le chef des
organisations patronales telles que l'UE. De plus, au cours de la
campagne pour le référendum, on a vu certains des entreprises les
plus brutales et les plus cupides d'Europe, telles que les lignes
d'aviation EasyJet et Ryanair, démontrer une fois de plus quel peu
de cas elles font des régulations européennes censées protéger
les droits des travailleurs, tout en faisant pourtant elles-mêmes
campagne pour « rester » dans l'UE.
Ces entreprises ont proposé que l'UE
coordonne cet été les actions destinées à éviter les mauvaises
conséquences de la grève des contrôleurs aériens français, en
permettant aux contrôleurs allemands de reprendre leur travail à
leur place. Souvenons-nous que Ronald Reagan, le président qui a
inauguré l'ère sombre du néolibéralisme aux États-Unis, avait
commencé son œuvre en vainquant de manière décisive les
contrôleurs du ciel de son pays en 1981. Les conditions ainsi
créées ont constitué un précédent pour tous les autres patrons
aux États-Unis. Le fait que de telles mesures puissent être à
présent proposées à l'UE démontre bien la brutalité de son
caractère néolibéral.
Il devrait suffire de mentionner ne
serait-ce que l'historique de toutes les privatisations imposées par
l'UE, notamment dans le cadre de sa relation avec la Grèce, pour
qu'il soit clair que la seule position syndicale valable est le
« quitter ». L'UE a imposé à la Grèce un plan de
privatisations massif de 71 000 entreprises et propriétés,
y compris la vente des aéroports régionaux. Aux yeux d'un
travailleur grec, l'idée d'une UE « progressiste » entre
en contradiction totale avec toute son expérience ! Des
millions de gens sont à présent de nouveau contraints de vivre
uniquement sur base de la pension ou salaire misérable d'un seul
membre de la famille.
Il ne fait aucun doute que les luttes
des travailleurs grecs seront incroyablement renforcées par la prise
de position ferme de la classe prolétaire britannique au cours de ce
référendum. On voit un nouveau scénario de « dominos
cascade » s'ouvrir en Europe : la répercussion des
évènements au Royaume-Uni pourrait rapidement se refléter dans des
pays comme les Pays-Bas, la Suède, voir l'Italie qui pourraient
réclamer eux aussi un nouveau référendum. Ils pourraient suivre la
voie des travailleurs du Royaume-Uni, non pas en renforçant leur
nationalisme, mais en créant une véritable solidarité des
populations d'Europe sur le plan syndical et sur le plan politique,
liée à la perspective du socialisme.
L'annonce de « Quitter » l'UE a été notamment perçue comme une revanche pour la Grèce humiliée par les institutions européennes. « Bonne nuit madame Merkel ! » |
Les États-nations
Comme nous l'avons dit depuis le tout
début du prédécesseur de l'Union européenne (la Communauté
économique européenne CEE), malgré tous les efforts de ses
dirigeants, on ne pourra jamais parvenir à une véritable
unification de l'Europe tant qu'on restera dans le capitalisme.
Certains marxistes ne partagent pas notre avis ; durant la
campagne pour le référendum, ils ont même été jusqu'à ressortir
des textes de Léon Trotsky pour tenter de justifier leur soutien au
« rester », en propageant l'idée selon laquelle le
capitalisme serait capable d'accomplir cette tâche historique qu'est
l'unification de l'Europe, et que cela serait quelque chose de
« progressiste ». Une telle conclusion, soi-disant basée
sur les écrits de Trotsky, est totalement erronée.
La nécessité d'unifier le continent
européen découle des besoins de la production et de la technique à
l'époque moderne. Les forces productives ont depuis longtemps
dépassé les étroites limites de la propriété privée d'une
petite poignée de capitalistes et de l'État-nation. L'industrie
moderne, avec les gros monopoles, les multinationales, etc. ne
réfléchit plus en termes de marchés nationaux mais régionaux ;
les plus grandes firmes ne considèrent leurs activités qu'en termes
de marché mondial. Cela s'exprime dans la tendance à vouloir
éliminer les barrières nationales, les limites à la production,
les droits de douane, etc. ce qui va de pair avec la création de
gigantesques blocs commerciaux tels que le NAFTA (Accord de libre
échange nord-américain) ou le TTIP (Partenariat transatlantique
pour le commerce et les investissements).
Un tel processus peut aller très loin
tant qu'on est dans une phase de croissance : c'est le cas
concernant l'UE, en particulier au début des années '2000.
Cette tendance a poussé certains capitalistes et, malheureusement,
même certains marxistes, à imaginer que le capitalisme pourrait un
jour surmonter ces limites nationales et passer à l'unification de
la classe capitaliste européenne (puisque c'est de cela qu'il s'agit
en réalité).
Pour justifier leur position, ces gens
se sont mis à fouiller dans les archives de Trotsky, où ils ont
trouvé la citation suivante : « Si les puissances
capitalistes d'Europe fusionnaient en un seul conglomérat
impérialiste, ce serait un pas en avant par rapport à la situation
actuelle, car ce serait une base matérielle et collective pour le
mouvement ouvrier. Dans ce cas, le prolétaire n'aurait plus à se
battre non pas contre le retour à un gouvernement « national »,
mais pour la conversion de ce conglomérat en une République
fédérative européenne. » (Le Programme de la paix, cliquer ici pour le texte complet).
Trotsky parlait clairement ici d'une
situation hypothétique, qu'il ne s'attendait pas à voir se
matérialiser. Il ne s'agit d'ailleurs pas non plus d'une description
de l'UE actuelle, qui n'est pas parvenue à « fusionner »
les différents États-nations d'Europe. Dans le même article,
Trotsky poursuit en disant que « L'unification républicaine et
démocratique de l'Europe, seule capable de garantir le développement
national, ne peut se faire que par la voie de la lutte
révolutionnaire […] par le soulèvement des différentes nations,
aboutissant à la fusion de toutes ces insurrections en une seule
révolution européenne généralisée. »
Une colère longtemps refoulée
La situation au Royaume-Uni avant le
référendum, particulièrement à la suite des résultats, est
l'expression d'une colère longtemps refoulée par le prolétariat
contre le régime Cameron-Osborne. Elle nous offre une chance unique
de complètement transformer la situation en faveur de la clases
prolétaire. Même avant le référendum, le gouvernement s'était vu
contraint d'accomplir au moins 20 revirements complets ou
partiels sur diverses questions, tandis que la machine des
Conservateurs perd de nouvelles pièces chaque jour. Le gouvernement
reste assiégé sur chaque front. L'économie se dirige vers une
nouvelle crise, avec le plus grand déficit commercial depuis 1948
(la différence entre importations et exportations), sans même
parler des récents évènements ! Le chômage est en hausse
parmi la jeunesse, tandis que la catastrophe du logement à Londres
et dans les grandes villes se poursuit sans que personne ne lève le
petit doigt.
À Londres, dans le quartier de Waltham
Forest, les prix des loyers ont augmenté de 25 % cette année ;
à Butterfields, des familles pauvres sont déguerpies et « exilées »
dans d'autres villes situées à des centaines de kilomètres. Tout
ça pour que les propriétaires puissent vendre leurs modestes
logements aux riches qui accourent de partout pour s'arracher les
maisons dont la valeur a explosé.
Il y a aussi une révolte grondante
autour de la question des salaires, qui ont diminué de 8 %
depuis 2007. Nous aimerions rappeler au passage à Mme O'Gradey,
dirigeante du TUC, que tout ça s'est fait alors que le Royaume-Uni
faisait partie de l'UE ! Au sein des syndicats aussi, la colère
monte, comme on l'a vu lors de récentes conférences syndicales. Le
TUC du pays de Galles, mis sous pression par les camarades du Parti
socialiste (CIO), a passé toute une série de motions combatives,
incluant entre autres le soutien à l'idée de conseils communaux
« sans coupes budgétaires » (un appel aux communes de
refuser l'austérité imposée par le gouvernement national) et une
motion en faveur de la nationalisation de l'industrie de l'acier.
Toutes ces résolutions ont été votées à l'unanimité, ou
presque. Il était d'ailleurs remarquable de voir de nouvelles
couches de travailleurs jeunes qui participaient à ce genre de
rencontres pour la première fois. À l'assemblée générale du GMB
(Syndicat des travailleurs généraux, municipaux et fabricants de
chaudières), le plus grand syndicat britannique privé comme public,
des résolutions en faveur de la nationalisation ont été portées à
l'ordre du jour pour la première fois depuis très longtemps.
À la conférence du syndicat du
secteur public Unison, une nouvelle organisation des militants de
gauche a été formée pour mettre une tendance destinée à
transformer ce syndicat en une association combative et militante
capable de mobiliser ses membres pour la lutte, plutôt qu'une union
moribonde qui passe son temps à dénoncer et isoler les militants
« trop remuants ». Tout cela montre que le Royaume-Uni
est sur le point d'entrer dans une nouvelle période extrêmement
combative.
Le vote à la conférence du syndicat Unison |
De nouvelles guerres civiles politiques
Au même moment, on a vu s'intensifier
les deux « guerres civiles » (une dans le Parti
conservateur, une dans le Parti travailliste) tout au long de la
campagne du référendum. Comme on pouvait le prédire (et comme l'a
prédit le Parti socialiste), les tentatives des partisans de Corbyn
d'amadouer l'aile droite du Parti travailliste en appelant à voter
« rester » n'a pas le moins du monde adouci l'opposition
de cette aile à Corbyn ; bien au contraire, cela n'a fait que
l'encourager. Quelques heures après l'annonce des résultats du
référendum, la députée Margaret Hodge a fait circuler une lettre
appelant à un vote de censure contre Corbyn visant à provoquer une
nouvelle élection à la tête du parti, dans l'objectif avoué de
chasser Corbyn de la direction travailliste. Suite à cela, Corbyn a
viré le député et ancien secrétaire d'État à l'Environnement
Hilary Benn, ce qui a provoqué la démission de toute une série de
cadres du parti.
Il est clair que le Parti travailliste
est totalement paralysé en ce moment, tiraillé entre les forces
corrompues des blairites et les forces antiaustéritaires
potentiellement croissantes rassemblées autour de Jeremy Corbyn.
Mais les forces de « gauche » petite-bourgeoise qui
dirigent l'alliance pro-Corbyn, Momentum, ont totalement gâché
l'occasion rêvée de frapper un grand coup contre la droite. Au
départ, Momentum avait promis une régénération démocratique et
ouverte du mouvement ouvrier, avec le démantèlement de la structure
centralisée et bureaucratique en ce moment à la tête du parti.
Cependant, vu les hésitations désastreuses de la direction
actuelle, cette promesse a fini par être oubliée, pour être
remplacée par des tentatives jusqu'ici infructueuses d'amadouer la
droite. Tout cela n'a fait que renforcer la détermination de cette
faction à chasser Corbyn et à réinstaurer le règne des blairites.
C'est la méfiance de cette aile droite
qui a fait que le syndicat PCS (Syndicat des services publics et
commerciaux), lors de sa dernière conférence, a finalement refusé
une motion demandant l'affiliation de ce syndicat au Parti
travailliste, parce qu'il est clair qu'en ce moment, la droite
blairite contrôle toujours la machine du parti, en plus d'avoir
presque tous les députés de leur côté. Pendant le référendum,
71 « volontaires » ont été envoyés par la
direction travailliste au QG de la campagne pour le « rester ».
Les membres du PCS ont compris que l'affiliation de leur union au
Parti travailliste reviendrait à financer cette machine droitière
qui filtre les militants pour empêcher l'affiliation au parti des
syndicalistes et militants de gauche désireux de le remettre sur le
chemin du socialisme et de la lutte.
Si elle devait échouer dans cette
mission, l'aile droite est à nouveau prête à scinder le Parti
travailliste. C'est ainsi qu'on a déjà vu une véritable
« coalition nationale » en train de se mettre en place
tout au long du référendum, avec cette riante collaboration entre
les travaillistes de droite et les conservateurs « de gauche
libérale » ainsi que les libéraux-démocrates. C'est ce même
sentiment d'« alliance nationale » qui a mené à la
proposition absurde (qui n'a d'ailleurs pas été retenue) que les
députés du gouvernement et de l'opposition s'asseyent ensemble de
part et d'autre du parlement au cours de la session spéciale qui a
suivi le meurtre de la députée Jo Cox. On a aussi vu le dirigeant
des lib-dem Tim Farron concentrer toutes ses remarques
d'après-référendum en une attaque sur Jeremy Corbyn qui, selon
lui, s'est montré trop « tiède » dans son soutien au
« rester ». De même, la guerre civile au sein du Parti
travailliste, qui a été déclenchée dès le jour où Corbyn a été
élu à la tête de ce parti, se poursuit sans s'arrêter : pas
une journée ne passe sans qu'il ne soit attaqué d'une manière ou
d'une autre.
Les attaques entre « camarades »
du Parti conservateur ont elles aussi créé de profondes divisions
entre l'aile Cameron-Osborne du parti et la faction Johnson-Gove. Une
nouvelle élection à la tête du Parti conservateur pourrait
certainement élargir ces divisions et pourrait résulter en une
séparation ouverte, ce qui pourrait donner naissance à un
regroupement avec les libéraux-démocrates et les travaillistes de
droite.
Jeremy Corbyn s'est laissé prendre au piège de l'appareil droitier de son parti, ce l'a fait mener campagne pour « Rester » |
Conclusion
Il faut voir ce référendum comme un
gigantesque rocher jeté au milieu d'un lac : les vagues et
ondulations issues de ce choc vont se prolonger pendant des mois et
des années. L'onde de choc a déjà atteint l'Europe et pourrait, à
terme, mener à l'effondrement de la zone euro et au démantèlement
de l'UE. Le résultat de ce scrutin pose également la question d'un
nouveau référendum pour l'indépendance de l'Écosse, qui pourrait
mener à la disparition du Royaume-Uni en tant que tel. Les
conséquences sont en effet tout aussi importantes pour l'Irlande,
surtout l'Irlande du Nord, où le Sinn Fein (nationaliste « de
gauche ») a déjà exigé la tenue d'un nouveau référendum
sur la réunification de l'ile – ce qui pourrait, à son tour,
entrainé une reprise des hostilités entre les différentes
communautés religieuses et ethniques d'Irlande du Nord (les
protestants d'origine anglaise voulant plutôt rester dans le
Royaume-Uni, tandis que les catholiques d'origine irlandaise seraient
plus pour le rattachement avec l'Irlande du Sud – fondement des
nombreux conflits armés et violences dans le pays tout au long du
siècle dernier).
Cependant, au milieu de toutes les
évolutions qui vont découler de ce référendum, le mouvement
syndical et la gauche doivent tirer des conclusions socialistes
claires et agir conformément à cela, en luttant pour un programme
prolétarien indépendant. La revendication immédiate est de lutte
pour une conférence d'urgence des travaillistes de gauche, qui doit
être démocratique et ouverte à l'ensemble des forces de gauche
pro-Corbyn, y compris les syndicats, associations et partis
politiques minoritaires. Le but de cette conférence serait de
défendre Jeremy Corbyn en mettant un terme aux tentatives de « coup
d'État » de la part de la droite, par l'adoption d'un
programme socialiste clair et de structures démocratiques suivant
une forme d'organisation fédérative.
Le référendum sur l'UE a été un
choc terrible pour la classe dirigeante et pour leurs pantins au sein
du mouvement ouvrier, et dont les ondes de choc se feront encore
sentir pour un bon moment. Au même moment, il représente une
importante chance de reconstruire le mouvemente ouvrier suivant une
ligne démocratique et socialiste.
Une autre Europe est possible |
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