Première partie : Sur les traces de l'Afrique ancienne
On entend souvent
çà et là, de la bouche de Noirs comme de Blancs, que « les
Blancs ont toujours été plus intelligents », « Nous les
Noirs sommes idiots, bêtes et méchants », etc., et c'est ce
qui expliquerait la situation marginalisée et arriérée de nos pays
africains. D'ailleurs, ces propos ont encore été tenus en public
par une candidate au concours miss Congo , provoquant
l'indignation de ses compatriotes qui ont appelé au boycott de la
miss : « Nous
le savons, ce n’est pas un sujet tabou : l’homme blanc est plus
intelligent que l’homme noir ».
Elle a ensuite voulu rectifier le tir en déclarant : « Les
Blancs ont été plus rusés que nous, ce qui leur a permis de nous
coloniser et de dessiner la carte de l’Afrique ». Et de
telles affirmations sont partagées par beaucoup de Noirs un peu
partout dans le monde. Comment expliquer alors que l'Occident soit si
en avance et l'Afrique si en retard ? Pour répondre à cette
question, il faut se tourner non pas vers la « psychologie »
ou la « sociologie », mais vers l'étude des faits
historiques et géographiques.
– camarade
Konan
1.
De l'ancienneté de la civilisation africaine
Un
des premiers arguments avancés pour justifier la soi-disant
infériorité des civilisations africaines est qu'« on ne
trouve aucune trace de civilisations antiques africaines, alors que
les civilisations européennes ont laissé de nombreux vestiges ».
L'Afrique n'aurait ainsi jamais bâti de monuments et de villes dans
l'ancien temps, comparables à ceux de la Grèce, de Babylone ou de
l'Empire romain. Ce qui serait suffisant pour conclure que les
Africains sont inférieurs aux autres civilisations.
La
réponse à cet argument doit prendre en compte différents
paramètres.
Tout
d'abord, il faut noter que, si l'Afrique est le continent sur lequel
est née l'humanité, son cadre géographique est relativement peu
propice aux échanges et à l'agriculture. Il s'agit en effet d'un
continent extrêmement ancien et en grande partie érodé, ce qui
fait que les sols y sont peu fertiles. On trouve aussi sur ce
continent plus d'espèces animales dangereuses et de maladies
qu'ailleurs. Le continent présente un aspect massif qui ne favorise
pas les échanges maritimes (contrairement à l'Europe et à l'Asie
du Sud-Est, régions fort découpées, où toutes les premières
civilisations ont dû rapidement apprendre la navigation, favorisant
de nombreux échanges entre régions aux climats et ressources
diversifiés). L'Afrique est également en grande partie recouverte
de forêts impénétrables en son centre, et isolée des autres
continents par le plus grand désert du monde.
Or,
les premières villes de l'histoire ne sont pas apparues par hasard.
Le phénomène de création de villes n'a été rendu possible que
par la spécialisation des différents métiers qui permettaient à
une population d'agriculteurs de nourrir une population citadine
constituée d'artisans, ouvriers, commerçants, intellectuels,
prêtres, guerriers, etc. La ville répondait de plus à un besoin,
celui de centraliser les activités commerciales et artisanales afin
de faciliter les échanges entre population urbaine, population
rurale, et autres villes, régions et pays. Mais en Afrique, pour les
raisons naturelles indiquées plus haut, de nombreuses régions n'ont
jamais atteint le point critique du seuil de population favorisant la
création de villes, ou bien étaient coupées du reste du monde de
sorte qu'il n'y avait pas de nécessité de centraliser les activités
d'artisanat pour le commerce interrégional ou international.
L'Égypte
et les pays du Nil (Soudan, Éthiopie) constituent à cet égard une
exception notable. Il y a environ 10 000 ans, à la fin de
la dernière grande glaciation, la savane du Sahara a commencé à
s'assécher pour devenir progressivement le désert que nous
connaissons aujourd'hui. Les nombreuses populations qui fuyaient le
désert ont fini par se retrouver au bord du Nil, seul point d'eau
stable à des milliers de kilomètres à la ronde. Cet afflux
important de population a provoqué la nécessité d'une organisation
pour permettre l'agriculture, notamment pour ordonner les systèmes
d'irrigation, de stockage de l'eau et de protection contre les crues
du Nil. En même temps, la vallée du Nil était largement ouverte
sur le monde extérieur, soit au nord vers le Moyen-Orient et
l'Europe, soit au sud vers le reste de l'Afrique, soit à l'est vers
l'Asie, par la mer. La civilisation égyptienne, civilisation
africaine, est une des plus anciennes civilisations que l'humanité
ait connues. Elle est à l'origine d'énormément d'inventions qui
ont permis à la civilisation de s'étendre sous d'autres cieux :
l'invention de l'écriture, la domestication pour la première fois
de nombreux animaux et plantes, les techniques de construction, la
science, la médecine…
Les remparts de l'ancienne ville de Kano (Nigeria) |
Les
pays du Nil (Soudan, Éthiopie) ont énormément bénéficié du
commerce avec l'Égypte et, via elle, avec le monde extérieur. Sur
la côte orientale de l'Afrique (Somalie, Kenya, Tanzanie,
Mozambique), on a vu également se construire d'importantes villes
dont la raison d'être était le commerce avec l'Asie et le
Moyen-Orient : Zanzibar, Zimbabwé, Kilwa, Mombasa… Au fur et
à mesure que les échanges et les techniques se développaient au
niveau international, l'Afrique n'était pas en reste. De nombreux
États se sont créés dans le Sahel (Mali, Songhaï, cités haussa,
Borno, Darfour…) qui organisaient les échanges entre le sud
forestier et la Méditerranée via les caravanes du Sahara.
Même
en zone forestière, d'ailleurs on trouvait de grandes villes comme
Ifé et Bénin dans l'actuel Nigeria, Kumasi au Ghana, Bondoukou et
Kong en Côte d'Ivoire, Loanga et Mbanza Kongo au Congo… Également
dans des zones particulièrement propices à l'agriculture et à la
pêche, comme dans le « delta interne » du fleuve Niger,
au Mali, dont le centre était la ville de Djenné.
Ainsi,
l'Afrique n'a cessé de se développer tout au long de son histoire :
Tombouctou était une des plus grandes universités du monde au Moyen
Âge (elle possède encore 700 000 livres anciens
aujourd'hui, écrits en peul, en arabe, en malinké et en soudanais),
le Soudan imprimait des livres qui étaient exportés dans tout le
Moyen-Orient… Au point où le grand politologue italien Machiavel,
qui vivait au 15e
siècle, considérait « la France, la Turquie et le Soudan »
comme étant les trois pays les plus avancés de son époque.
Si,
donc, il est vrai que certaines régions d'Afrique (surtout en
Afrique centrale et australe) n'ont pas connu d'organisation en États
et en villes jusqu'à une date récente, s'il est vrai que l'Afrique
(à l'exception de l'Égypte) n'a pas connu de civilisations de haute
antiquité comme l'Asie, il est faux de dire qu'il n'y avait rien en
Afrique avant l'arrivée des Blancs. D'ailleurs, on ne peut pas dire non plus qu'aucune région d'Asie, d'Europe ou d'Amérique ne soit restée sauvage jusqu'à une date récente.
Mais
même dans des pays restés jusqu'à aujourd'hui relativement sous-développés et marginaux, on trouve
des traces de cultures préhistoriques n'ayant rien à envier aux
civilisations d'autres continents : c'est ainsi qu'on trouve en
Centrafrique des cercles de pierre dressées comparables à celles de
Stonehenge en Angleterre, et que le Sahara est riche en peintures
rupestres d'un âge très ancien.
Mais
où sont passées toutes ces villes et trésors antiques ? Eh
bien, beaucoup ont disparu. Cela, pour différentes raisons.
Les pyramides du Soudan |
2.
Un climat peu favorable à la conservation des vestiges
Pour
des raisons climatiques d'abord : le continent africain, nous
l'avons dit, est extrêmement ancien. De ce fait, son sol est très
acide, ce qui fait que de nombreux vestiges archéologiques sont
littéralement rongés et disparaissent après quelques siècles.
D'autre part, le climat africain, surtout en zone de forêt, est
d'une rare violence : pluies diluviennes, chaleurs torrides et
rayonnement intense du soleil. De nombreuses structures érigées
dans les temps anciens se dégradent donc très rapidement, jusqu'à
devenir méconnaissables après un certain temps. Rien à voir avec
le climat désertique ou méditerranéen où les conditions de
sècheresse font que de nombreuses ruines se sont conservées pendant
des millénaires même lorsqu'elles étaient totalement abandonnées :
c'est le cas de Rome, de la Grèce, de l'Égypte et du Moyen-Orient
en général. En Europe aussi, le climat beaucoup plus doux fait que
même des structures en bois peuvent se conserver longtemps.
De
plus, de nouveau du fait de l'ancienneté géologique du continent,
on trouve en Afrique relativement peu de pierres propres à la
construction. La plupart des bâtiments construits par les
civilisations anciennes en Afrique occidentale ou centrale sont en
argile, comme la grande mosquée de Gao. Dans ces conditions, on
comprend que dès que ces bâtiments ne sont pas entretenus
régulièrement, ils ont tendance à rapidement « fondre »
sous l'impact de la pluie.
Il
faut donc comprendre que l'absence de vestiges archéologiques
aujourd'hui
ne veut pas dire que rien n'avait été construit dans
le passé.
Les ruines d'Eredo au Nigeria (9e siècle) |
3.
Une population extrêmement mobile
Pour
des raisons culturelles ensuite : vu la médiocre fertilité des
sols africains et l'instabilité de son climat (elle-même due au
manque de reliefs montagneux dû à l'ancienneté du continent), un
très grand nombre de cultures africaines sont restées longtemps
nomades : comme les sols sont fragiles et que la terre prend
beaucoup de temps à se reposer entre deux cultures, les populations
avaient tendance à se déplacer de quelques kilomètres en moyenne
environ tous les 40 ans. Cela se faisait la plupart du temps
progressivement : quelques jeunes une fois mariés allaient
s'installer ailleurs pour y créer un nouveau village, et petit à
petit, l'ancien village était abandonné. Parfois, il s'agissait de
migrations d'ensemble où tout le village ou groupe de villages
déménageait d'un coup.
Dans
ces conditions, on comprend que les populations africaines rurales
n'aient jamais été particulièrement intéressées par la
construction de maisons en dur ! Les maisons étaient fabriquées
avec des matériaux faciles à trouver (argile, feuilles, branches),
temporaires mais faciles à construire et à réparer. On comprend
également que cette mobilité des populations n'encourageait pas la
fixation définitive de frontières et la constitution d'États au
sens moderne du terme, mais favorisait plutôt les relations
personnelles entre différents villages ou peuples.
Ce
n'est qu'avec l'arrivée du capitalisme en Afrique et son
organisation étatique que les populations et les villages ont été
fixés une bonne fois pour toute. Alors que les différentes ethnies
avaient passé tous les siècles passés à se promener d'un
territoire à l'autre au gré des aléas climatiques, voici que l'on
attribuait à chacune d'entre elles une terre qui lui était propre
et présentée comme sa « terre ancestrale ». Mais les
habitudes ont la vie dure : ainsi, la constitution de l'État
bourgeois en Côte d'Ivoire n'a pas empêché les Baoulés d'essaimer
vers la Basse-Côte où ils ont établis d'innombrables
« campements », même si on comprend bien désormais que
ces nouvelles terres cultivées par eux ne seront jamais considérées
comme « les leurs » dans le cadre du système bourgeois
figé et antiafricain.
Si
la mobilité des populations africaines n'a donc pas encouragé la
formation de villages construits durablement comme on le voit en
Europe (où le système féodal enchainait littéralement les
populations rurales à la terre appartenant à leur seigneur,
qu'elles ne pouvaient quitter sous aucun prétexte), on constate en
revanche l'élaboration d'un très important patrimoine mobile,
justement, sous la forme de meubles, portes, coffres, statues, et
autres objets d'art en bois sculpté, en ivoire et en or. Ainsi, même
si les constructions étaient temporaires, le mobilier, lui, était
précieusement conservé d'une génération à l'autre, au fil des
migrations.
On
comprend donc que, si on trouve tant de jolis petits villages en
Europe, ce n'est pas parce que les Blancs auraient telle ou telle
mentalité « supérieure », mais c'est simplement dû à
des différences climatiques ou sociopolitiques. En Europe : un
climat doux et régulier, des sols fertiles, des matériaux de
construction facilement disponibles, un système social féodal qui
force les populations à la sédentarisation ; en Afrique :
un climat violent et irrégulier, des sols fragiles, des matériaux
précaires et une tradition de migration.
Mais
il y a également une importante raison historique à l'absence de
vestiges archéologiques en Afrique : c'est l'ampleur des
pillages perpétrés au cours des derniers siècles, particulièrement
par les envahisseurs blancs.
Dans beaucoup de cultures africaines, les murs des habitations étaient de fabrication très simple et temporaire, mais un énorme soin était apporté au mobilier transportable, comme cette porte. |
4.
L'impact de l'invasion européenne
Lorsque
les Européens arrivent pour la première fois en Afrique au sud du
Sahara, ils sont émerveillés devant les splendeurs des capitalise
africaines où ils sont reçus par les rois. Au 15e
siècle, en effet, le niveau de développement de l'Afrique et de
l'Europe est à peu près le même. Trois-cents ans plus tard,
l'Europe a conquis l'Amérique, s'est grandement développée, tandis
que l'Afrique n'a fait que reculer suite à tous les bouleversements
sociopolitiques entrainés par la traite des esclaves (nous écrirons
prochainement un article à ce sujet). C'est alors que les puissances
européennes estiment que le moment est enfin venu d'envahir et
conquérir l'Afrique.
À
l'époque, l'idéologie raciste élaborée de toutes pièces par les
classes dirigeants occidentales (voir notre dossier à ce sujet) fait
que les Européens envahisseurs décident qu'il s'agit d'une simple
colonisation de « terres vierges », et non pas d'une
invasion du pays de quelqu'un. Les Noirs sont en effet considérés
comme des animaux, après des siècles de régression sociale en
Afrique. Les villes et ruines que les Blancs découvrent en Afrique,
ils refusent de croire qu'elles ont été construites par des Noirs.
Ils préfèrent inventer toutes sortes de théories farfelues sur
l'Atlantide, le royaume du prêtre Jean, le roi Salomon, les Hamites
ou les colons arabes ou juifs. Là où ils font face à l'évidence,
ils optent pour la politique de la terre brulée. C'est ainsi que de
nombreuses villes africaines, peuplées ou abandonnées, seront
démantelées pièce par pièce par les envahisseurs européens ;
les bibliothèques, incendiées ; les habitants (dirigeants,
intellectuels, artistes, guerriers…) réduits à l'esclavage,
déportés ou assassinés.
Pendant
ce temps, les nombreux objets d'art, preuve du haut degré de
civilisation et de technique des Noirs, sont pillés et emportés en
Europe pour y être exposés dans les musées. On estime ainsi que
95 % du patrimoine africain n'est plus sur le continent. Dans de
telles circonstances, il est facile d'affirmer qu'« il n'y a
rien à visiter en Afrique ». Venez plutôt voir « nos
collections » d'art africain à Paris et à Londres ?
Où
se trouve les vestiges des civilisations africaines donc ? Pour
beaucoup, sous terre. Soit parce qu'il s'agissait d'une politique
délibérée de destruction des traces du passé africain, soit par
manque de volonté, d'intérêt, de connaissances ou de moyens de la
part des gouvernements actuels, le sous-sol africain a été très
peu fouillé par les archéologues. Beaucoup de vestiges sont enfouis
sous des bâtiments ou autres structures sous lesquels personne ne
pourra plus les découvrir. D'autres sont perdus à jamais du fait
des dégradations climatiques ou des pillages.
De retour de « la chasse aux nègres » ? |
5.
L'Afrique n'a rien à envier à l'Europe pour son passé
On
comprend donc mieux qu'en réalité, rien ne prouve dans l'histoire
que les Blancs aient été plus ou moins intelligents que les Noirs,
et certainement pas si on regarde l'histoire jusqu'à la période
récente de dégradation de l'Afrique liée à la traite des esclaves
et à la « colonisation ». S'il est vrai que, mis à part
l'Égypte dont les racines remontent à l'aube de l'humanité,
beaucoup de pays africains ont démarré « en retard »
par rapport à d'autres zones de civilisation comme l'Asie ou la
Méditerranée, les États africains étaient, jusqu'à une certaine
époque, tout aussi développés que l'Europe, malgré un cadre
géographique et climatique beaucoup plus difficile.
Et
si l'on ne retrouve que peu de traces de ce passé glorieux, c'est en
grande partie pour des raisons climatiques et culturelles, mais aussi
du fait de la destruction systématique du passé du continent par
les envahisseurs européens.
Nous
avons ainsi prouvé à la jeune miss que non, les Blancs ne sont pas
plus intelligents que les Noirs. Mais voici que la miss se corrige en
disant que « Les Blancs ont été plus rusés, ce qui leur a
permis de nous coloniser ». Effectivement, si nous admettons
que les Blancs n'ont pas colonisé l'Afrique parce qu'ils ont
toujours été plus intelligents et donc, plus développés, si nous
admettons qu'un temps l'Afrique était tout aussi développée que
l'Europe, comment expliquer alors notre situation actuelle, si ce
n'est que nos dirigeants ou nos peuples auraient été trompés et
abusés par les Blancs ? C'est à cette question que nous
répondrons dans un prochain article.
Les manuscrits de Tombouctou |
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