Quelles leçons tirer du mouvement qui a fait plier la classe dirigeante ?
Du 9 au 27 janvier 2017, toute l’administration publique a été paralysée par une grève des fonctionnaires qui a pris de court tout le monde. Cela pour plusieurs raisons. D’abord, personne n’aurait cru que ce mouvement serait aussi long. Ensuite, ce mouvement a brillé par son unité, son organisation et la nullité des nombreuses sorties de « syndicats » satellites créés par le pouvoir en place dans une tentative de casser le mouvement. Enfin, beaucoup de travailleurs ont été eux-mêmes surpris du fait que la quasi-totalité de leurs points de revendications ont été satisfaits !
Nous tenons avant tout à féliciter et à remercier l'ensemble des camarades qui ont contribué à ce mouvement visant à maintenir leur pouvoir d'achat et leur dignité et à travers eux, ceux de tous les habitants de Côte d'Ivoire, dans un contexte de croissance à deux chiffres dont les retombées tardent à se manifester dans nos poches. Félicitations aussi pour cet exemple de démocratie donnée à tout le pays : la période où des « leaders » syndicaux décidaient seuls des mots d'ordre et de leur levée sans aucune concertation avec la base parait enfin révolue !
Toutefois, l'histoire n'est pas finie et nous ne sommes jamais à l'abri des petits jeux du gouvernement. Les travailleurs se sont donné un délai d'un mois avant une nouvelle AG. Cette période doit être employée à bon escient pour mener en interne les débats qu'il faut : quel est le bilan de la grève ? Quelles ont été les forces et les faiblesses de notre mouvement ? Comment renforcer ces forces et pallier à ces faiblesses ? Tout cela, dans le but d'être encore plus prêts pour une éventuelle reprise du mouvement !
– Camarade Zova
Les forces du mouvement
Ce qu’il convient d’appeler forces du mouvement s’entend comme la façon dont la décision du mot d’ordre a été prise, le contexte dans lequel le mot d’ordre de grève est rentré en vigueur, l’attitude des leaders pendant la grève et les canaux utilisés pour communiquer.
La décision d’aller en grève a été annoncée par l’Intersyndicale des fonctionnaires de Côte d’Ivoire (IFCI) et reprise peu de temps après par la Plateforme nationale des organisations professionnelles du secteur public (PFN). Voici deux conglomérats d’organisations syndicales qui existent de façon distincte, mais qui conviennent d’aller en grève en front commun. Parce que les leaders comme leurs bases sont convaincus qu’ils portent les mêmes revendications, il n’y a donc pas de raison d’aller en rang dispersé.
Notons aussi que c’est en assemblée générale que l’IFCI et la PFN ont décidé d’aller en grève, contrairement à ces poignées de bureaucrates syndicaux qui nous avaient habitués à décider seuls, au gré de leurs propres intérêts – et parfois dans des conditions bizarres –, des mots d’ordre de grève et de leur levée. Cela a assuré un véritable engagement des travailleurs et a permis au mouvement de se poursuivre malgré les nombreuses pressions et tentatives d'intimidation des leaders.
Quant au contexte, on retient que c’est en début d’année c'est-à-dire juste après la sortie des fêtes de fin d’années, le 9 janvier, que le mot d’ordre entre en vigueur. Une période où le travailleur est quelque peu à l’abri des contraintes financières, parce qu’il a derrière lui les achats des périodes des fêtes. À côté de cela, il y a ces soldats mutins aux revendications de qui notre gouvernement a vite donné satisfaction, lesquelles durent depuis 2011 – en rapport avec les stocks des arriérés des fonctionnaires qui datent de 2009 –, comme pour dire que l’argent est disponible pour le tout le monde !
Outre le contexte, que peut-on dire de l’attitude du mouvement ? Sinon que les travailleurs ont résisté à toutes sortes de pressions. On sait tous que la première mesure prise par notre gouvernement « démocratique » pour mettre au pas les syndicats fut la suspension curieuse des cotisations à la source. Certainement pour contraindre les leaders syndicaux à accepter leurs pots de vins et casser les grèves. On imagine tous combien de fois les téléphones des meneurs de la grève ont crépité soit pour une rencontre informelle ou une proposition pour lever le mot d’ordre. Les services des supposés « guides religieux » n’ont pas non plus fait défaut au pouvoir, soit pour appeler les fonctionnaires à abandonner ce qui leur revient au nom de Dieu, soit pour rappeler que l’amour du pays exige qu’on laisse tomber ce grâce à quoi on survit !
Si ce mouvement de grève des fonctionnaires a connu un grand succès c’est en partie grâce aux nouvelles technologies de la communication. Nous sommes depuis longtemps habitués en Côte d’Ivoire à assister à des scènes de trahison de responsables syndicaux qui nous ont meurtri l’âme et continuent de nous troubler l’esprit. À cette époque, nous avions comme seuls moyens de communication la télévision nationale, la radio nationale et le journal gouvernemental, en plus de quelque journaux autorisés à la faveur du multipartisme. Aujourd’hui, les temps ont changé : il y a le téléphone portable, Twitter, Facebook et de nombreux sites de presse en ligne. Point besoin donc des médias enchainés pour s’informer. C’est pourquoi toutes ces nouvelles technologies de l’information et de la communication ont été utilisées à souhait pour donner l’information vraie en temps réel et contourner les médias aux ordres. Les bases ont donc échappé à l’intoxication que le régime avait préparée.
Chapeau aux travailleurs qui étaient sur ce front de la lutte !
La tenue régulière d'assemblées pour décider ensemble de la conduite de la grève a été une des grandes forces de ce mouvement |
Renforcer le mouvement pour consolider les acquis
Comme on le constate, plusieurs facteurs ont permis à l’IFCI et à la PFN de bien mener ce mouvement pour le bonheur des travailleurs ivoiriens. Cependant ces mérites ne peuvent en rien nous empêcher de révéler ce qu’il convient de faire pour améliorer pour renforcer le mouvement.
Sauf changement, c’est dans à peine trois semaines que les fonctionnaires de Côte d’Ivoire membres de la PFN et de l’IFCI se retrouveront pour faire le bilan de ce mois de trêve et dégager les perspectives. Avant ce rendez-vous important, il est important d'affuter nos armes pour ne pas se faire prendre au piège du gouvernement.
Premièrement, il faut que nos leaders syndicaux communiquent auprès de toutes les populations sur leurs revendications. En effet, le salaire d’un fonctionnaire est non seulement partagé avec les étudiants, élèves, chômeurs à charge du fonctionnaire ainsi qu'avec ses parents au village, mais c'est aussi ce salaire qui permet de faire marcher la boutique du quartier et les étals sur le marché. La recette du « gbaka », du taxi ou du wôrô-wôro dépend de même du nombre de fonctionnaires transportés par jour. De ce point de vue, il convient de rentrer en discussion avec ces couches sociales pour les amener à soutenir notre mouvement, et à chercher à les rallier à la lutte en nous faisant nous aussi porteparoles de leurs revendications propres !
Deuxièmement, nous avons été fort surpris le vendredi 27 janvier que les deux assemblées générales de l’IFCI et de la PFN se tiennent dans la même commune de Cocody et le même jour avec seulement une différence de lieu et d’heure. Alors que ces deux coalitions sont allées en grève en front commun, avec des revendications communes ! Certes, l’IFCI renferme uniquement des syndicats d’enseignants, tandis que la PFN compte plusieurs secteurs d’activités. Cela suffit-il pour justifier la séparation quand on a un objectif commun ? Il faut selon nous entreprendre des démarches afin d'assurer que dorénavant, les AG des travailleurs des deux coalitions aient lieu ensemble.
Troisièmement, nos leaders ont cette tendance à répondre à l’appel du gouvernement pendant des jours non ouvrables (samedi ou dimanche). Certains camarades disent qu'« on ne refuse pas la main tendue par l'autorité », mais que fait-on quand cette main est tendue pendant un jour de repos et des heures indues ? De même, il faut refuser désormais que des syndicats qui n’ont pas lancé un mot d’ordre de grève participent à des discussions sur des solutions aux revendications ! Faisons-nous respecter !
Après ces quelques recommandations, il convient de saluer la détermination et la vigilance des travailleurs de Côte d’Ivoire et leur rappeler que le rendez-vous de la fin février est le plus important, puisqu'il s’agit d’une dette de 240 milliards qu’ils ne doivent pas perdre de vue !
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