mercredi 10 juillet 2013

CI : Laurent Gbagbo – leçons pour l'avenir

Grandeur et déchéance du FPI et de Laurent Gbagbo : quels erreurs éviter à l'avenir ?


Si tout le monde aujourd'hui dans le pays semble s'accorder sur le fait qu'Alassane s'est décidément bien foutu de nous, une personnalité continue à diviser l'opinion publique non seulement de notre pays, mais du monde entier : celle de l'ancien président Laurent Gbagbo. Héros panafricain pour les uns, génocidaire pour les autres… qu'en est-il exactement ? Comment expliquer l'incroyable soutien de masse dont continue à bénéficier cet homme pourtant accusé d'avoir mené le pays à la ruine ? Et comment expliquer sa déchéance ? Quelles erreurs aurait-il commises ?

Il est en vérité extrêmement difficile d'obtenir des faits objectifs et vérifiables concernant cet homme et sa politique, tant la propagande est intense et exagérée, d'un côté comme de l'autre. Ce qui est cependant avéré pour nous, est que Gbagbo, bien que considéré comme progressiste, n'était pas un révolutionnaire, et que, plus que son opposition intransigeante à l'impérialisme – tout en paroles, mais pas en actes –, ce sont ses hésitations qui l'ont poussé à la ruine.

Rappelons donc qui est Laurent Gbagbo. D'où est venu ce soutien indéfectible, allant jusqu'à un véritable culte de la personnalité chez certains ?

Article par Jules Konan, CIO en Côte d'Ivoire


Un passé de militant syndical intègre

Gbagbo était avant tout un dirigeant syndical. Étudiant puis enseignant-chercheur universitaire à tendance communiste, opposant à la politique du président Houphouët qu'il accusait de trahir son pays en faveur de l'impérialisme, Gbagbo a toujours refusé toute tentative de corruption et de rachat, malgré les incessantes tentatives du président. Pour ses convictions, Gbagbo a été emprisonné deux ans, ce qui ne l'a pas empêché de fonder le FPI, Front populaire ivoirien, dans la clandestinité en 1982. Il a été ensuite exilé en France pendant trois ans, de 1985 à 1988. C'est à cette époque qu'il se lie d'amitié avec toute une série de cadres du PS français, pendant l'ère Mitterand.

Revenu en Côte d'Ivoire, Gbagbo a été le seul à oser s'opposer à Houphouët lors des premières élections multipartites de Côte d'Ivoire. Il obtient alors 18 % des voix, score remarquable dans un pays qui sortait de 30 ans de parti unique et où le chef de l'État avait un statut quasi divin.

Pendant les années Bédié, Gbagbo a été membre de l'opposition aux côtés d'Alassane Ouattara. Il refuse tout poste au sein du gouvernement Bédié, comme il refusera tout poste sous Gueï. Il s'affirme comme un leader sans compromis, qui croit en son idéal. Il s'oppose aussi alors à l'ivoirité prônée de Bédié et clame haut et fort que la nationalité d'Alassane ne peut être remise en question. « ADO est né en 1942 à Dimbokro. Sa mère vient d'Odienné, en Côte d'Ivoire et son père est né dans la région de Banfora (au sud de l'actuel Burkina Faso). Mais, à ce que je sache, jusqu'en 1960, la Côte d'Ivoire partait d'Abidjan jusqu'à Ouagadougou. Cet homme est donc né de père et de mère ivoiriens. » (meeting du 11 décembre 1994 au stade Champroux d'Abidjan)

Gbagbo opposant à Houphouet en 1990.
Il a alors 45 ans.

Un président jugé progressiste et soutenu par le peuple

Lors des élections de 2000, Gbagbo se retrouve de nouveau seul contre le général Gueï qui cherchait à entériner ainsi son pouvoir par son coup d'État de 1999. Gueï conteste les résultats qui donnent Gbagbo vainqueurs. C'est à ce moment que Gbagbo révèle son caractère de véritable leader populaire : des centaines de milliers de gens descendent dans les rues pour contraindre Gueï à lâcher le pouvoir. L'impérialisme a beau dénoncer à l'époque l'exclusion d'Alassane et de Bédié de la campagne électorale, il est mis devant le fait accompli et se voit forcer de s'accommoder de Gbagbo. Même le coup d'État raté de 2002 ne parvient pas à chasser Gbagbo du pouvoir : là aussi, une véritable insurrection populaire descend dans la rue pour sauver “son” président.

C'est que Gbagbo a entre-temps fait beaucoup de choses et de nombreuses promesses qui ont séduit son peuple. Celui-ci s'est en effet toujours insurgé contre la mainmise de l'impérialisme français sur l'économie du pays, et cherche donc à obtenir une meilleure retombée pour la Côte d'Ivoire de l'exploitation des ressources naturelles. Il compte obtenir cela en ouvrant le pays à de nouveaux partenaires étrangers : Chine, Iran, États arabes (via la Banque islamique de développement)… Il veut contraindre les multinationales pétrolières (l'exploitation du pétrole en est alors à ses débuts dans le pays) à reverser une partie de leurs bénéfices sous forme de projets d'infrastructure et de développement à grande échelle : autoroute du Nord, grand Yamoussoukro, troisième pont à Abidjan, etc.

Il a doté tous les partis politiques d'un financement étatique, au nom du pluralisme et de la liberté d'expression, et a accordé une véritable liberté de la presse en permettant à toutes les tendances de s'exprimer comme elles le souhaitent.

Il a relevé les salaires de nombreux enseignants en harmonisant les statuts entre contractuels et fonctionnaires. Il a supprimé les concours d'entrée à la fonction publique pour les diplômés en médecine. Il a pris des mesures en faveur d'une véritable gratuité de l'enseignement primaire. Il parle d'instauration d'une assurance-maladie universelle. Il remet en question la participation de la Côte d'Ivoire au franc CFA, lié à l'euro et qui empêche une maitrise de la politique monétaire par le pays. Il parle d'une gestion sous-régionale des revenus pétroliers afin de favoriser un développement harmonieux des différents pays d'Afrique de l'Ouest. 

En même temps cependant, il reçoit les compliments des “bailleurs de fonds” pour l'assainissement des finances publiques, et engage le pays dans la voie de l'initiative PPTE, présentée – à tort – comme quelque chose de positif et qui ramènera le pays sur les rails de la prospérité.

À la base, c'est l'effervescence. Les agoras, “parlements” et espaces de discussion de rue fleurissent sur toute l'étendue du territoire. Le FPI prend la forme d'un véritable parti de masse organisé en sections, sous-sections, bases, et comités d'organisation de campagne. Ces organisations deviennent de véritables courroies de transmission des mots d'ordre d'en-haut, pour la diffusion de masse de la propagande du gouvernement et l'organisation d'actions militantes qui touchent chaque ivoirien, non seulement à Abidjan, mais dans toutes les villes de l'intérieur.

Ce sont ces institutions qui ont été à la base de l'extraordinaire résistance à l'impérialisme et à la rébellion, avec la marche sur la base de l'armée française en 2004, les tentatives d'occupation de la RTI, etc. Elles sont structurées avec la Fédération nationale des orateurs des parlements et agoras de Côte d'Ivoire (Fenpaci) et autres Unopaci et Copayo.

C'est-à-dire que le pays tout entier est le théâtre d'un véritable mouvement de masse populaire, révolutionnaire, d'une participation active des masses dans la politique nationale. Le parallèle est clair entre les agoras ivoiriennes et les soviets en Russie à l'époque révolutionnaire, les cordons industriels du Chili, les kurultays kirghizes, les comités d'auto-défense en Tunisie et en Égypte, les nombreuses occupations d'espace publics par le mouvement Occupy et les Indignés d'Espagne, de Grèce et des États-Unis. C'est-à-dire, en tant qu'organes de pouvoir populaire et de participation active des masses dans la vie politique de leur pays, mobilisés en permanence.

Gbagbo en plein discours. Jamais Alassane n'a connu pareil succès,
soulevé autant d'espoir.

Alors, qu'est-ce qui n'a pas été ?


Une “révolution” très ivoirienne

En réalité, ces agoras étaient organisées et financées d'en-haut par le pouvoir du FPI. Les discours qui y avaient lieu, plutôt que de parler de la manière dont le peuple pourrait se prendre en main et lui-même enclencher la réorganisation socialiste de l'économie, se contentaient de relayer les mots d'ordre d'en-haut et de faire l'apologie du président. Beaucoup de ces espaces servaient même de lieu de propagande religieuse et de préjugés racistes. 

On y expliquait que Gbagbo était un envoyé de Dieu venu libérer la Côte d'Ivoire du “satan” de l'impérialisme, que la rébellion était financée par la France et par le Burkina Faso, devenu depuis l'assassinat du président révolutionnaire Sankara et la prise de pouvoir par Compaoré, le bastion de l'impérialisme français en Afrique de l'Ouest, au même titre que le Tchad. L'absence de discours critique et d'une analyse plus profonde créait un amalgame dans lequel l'ensemble des Burkinabés en Côte d'Ivoire était perçus comme complice de cet état de fait. Il y a eu des pogroms organisés contre les quartiers nordistes, qui eux-mêmes avaient organisé leurs propres assemblées populaires appelées “grins”.

Tout cela était dénoncé par le pouvoir comme autant de dérives nées de la crise, mais il reste que le gouvernement n'a pas fait assez pour dénoncer le caractère erroné de ces idées. Au contraire, le gouvernement et en particulier Simone Gbagbo a tout fait pour renforcer l'idéal nationaliste, érigé en un véritable chauvinisme ivoirien, qui conférait à la Côte d'Ivoire et à son dirigeant Laurent Gbagbo une mission divine et prophétique. Gbagbo lui-même a fait de nombreux discours allant en ce sens, où il se reconnaissait comme dirigeant d'une lutte du “bien contre le mal”.

L'agora “Sorbonne” au Plateau d'Abidjan

Ce matin encore, je voyais un journal bleu titrer à sa une que “70 % des prophéties concernant Gbagbo se sont réalisées”. Il s'agit là des prophéties énoncées par le pasteur Koré, véritable “Raspoutine ivoirien”. La religion continue à être utilisée par le FPI pour renier le véritable débat politique et abêtir ses partisans.

Mais qu'en était-il réellement de la réalisation de cette prétendue mission divine ? Mis à part ses quelques mesures progressistes en faveur de la démocratie, Gbagbo, dans son opposition – en paroles – à l'impérialisme français, n'a jamais remis en question ni l'impérialisme dans sa globalité, ni le capitalisme lui-même. Tout au plus dénonçait-on le “capitalisme débridé” défendu par Ouattara – comme s'il y avait deux capitalismes. C'est-à-dire qu'il fallait créer un capitalisme ivoirien national et “encadré”, libre de choisir ses partenaires sur le plan international parmi les autres impérialismes du monde entier (américain, chinois, indien, iranien, russe…).

En réalité, Gbagbo a continué à soumettre le pays aux dictats du FPI, privatisant à tours de bras et marchant dans l'initiative PPTE qui n'est qu'une autre blague du FMI pour contraindre les pays pauvres très endettés à appliquer une politique néolibérale dure en échange d'une remise de dette. La filière cacao a été libéralisée, soi-disant pour aider les planteurs à s'émanciper, alors qu'en réalité cela n'a fait que conforter la corruption et le manque de transparence dans la filière cacao, tout en laissant les multinationales s'installer et dicter leur loi aux planteurs et au gouvernement.

De même, si aujourd'hui l'attribution honteuse du second terminal du port d'Abidjan à Bolloré est décriée par toute la population, c'est Gbagbo qui a privatisé le port et donné le premier terminal au même groupe Bolloré. La Sodeci et la CIE privatisées ont été confiées à Bouygues, ainsi que les centrales d'Azito et Ciprel. La Sitarail a été laissée à Bolloré. Les télécoms à Orange (France Télécom). La SIR, Société ivoirienne de raffinage, à Total, qui contrôle aussi 160 stations-services dans le pays. Rien n'a été fait pour remettre en question les quasi-monopoles de la Solibra, de la SCB (bananes et ananas), de la Sadem (eaux minérales), de Sucaf, etc. La plupart des grands projets étaient eux aussi confiés à des groupes français. La France, malgré toute la rhétorique anti-impérialiste, conserve toujours en Côte d'Ivoire 500 entreprises qui ensemble contrôlent 40 % de l'économie ivoirienne – voilà le véritable bilan de la “refondation” !

Beaucoup de mesures progressistes concernant les salaires ou la lutte contre la cherté de la vie n'ont été prises que sur base de luttes syndicales durement réprimées par l'armée et par des milices pro-gouvernementales, tandis qu'en même temps les leaders de ces mouvements étaient dans la foulée accusés d'être des agents du RDR. Les enseignants ont beaucoup obtenu, mais l'entrée en vigueur effective de leur hausse salariale a été conditionnée à l'achèvement du processus PPTE. Les subsides sur les prix de l'essence et du riz n'ont été mis en place qu'après des manifestations contre la vie chère qui ont fait plusieurs morts. Les dockers en grève ont été réprimés avec l'aide de la police du gouvernement.

C'est-à-dire que sans même parler des enjeux de nationalité et de foncier dont la complexité dépasse le cadre de cet article, ni des nombreuses accusations de violence, de corruption et de détournement des biens publics, fondées ou non, à l'encontre de toute une série de cadres administratifs de l'époque, il est clair que Gbagbo est loin en-dessous de sa réputation de guide révolutionnaire. Gbagbo est très, très loin d'atteindre de véritables héros intransigeants de la cause africaine, comme les Sankara, Lumumba, Sékou Touré et autres.

Gbagbo en pleine lutte contre l'impérialisme, avec M. Bolloré

Le FPI, un produit du stalinisme ?

Les causes de tout cela et de la catastrophe qu'a connu le pays sont à chercher dans la nature de classe de Gbagbo et du FPI. Gbagbo était loin d'être un révolutionnaire prolétarien. Dès le départ, il est un intellectuel progressiste désirant libérer son pays du joug de “l'impérialisme”. Mais cela n'implique nullement chez lui un rejet du capitalisme. En réalité, Gbagbo rejoint ici de nombreux leaders “nationaux” du tiers-monde, comme les Kabila père, les Saddam Hussein, les Nasser, les Seyni Kountché, les Chavez, les Sukarno… pour qui le développement d'un État néocolonial passe d'abord par une phase d'émancipation de la tutelle impérialiste et de mise en place d'une véritable démocratie “nationale”, sans pour autant remettre en question le capitalisme. Au contraire, le pays n'étant “pas prêt” pour une révolution socialiste (de par son arriération, le manque d'infrastructure, la faiblesse du niveau d'éducation, la faiblesse de l'industrie, etc.), il faut d'abord viser à un “développement” dans le cadre du capitalisme, une éventuelle révolution socialiste ne pouvant se faire que “plus tard”, une fois que le pays serait “mûr”.

C'est là la thèse défendue dans le monde entier tout au long du 20ème siècle par les staliniens. Cette thèse de “révolution par étapes”, défendue aujourd'hui par le Parti communiste chinois et le Parti communiste vietnamien, et qui était reprise en chœur par tous les partis communistes du monde entier (et malheureusement, par ce qui reste encore de ces partis aujourd'hui), est la cause de l'échec de nombreuses révolutions et de massacres incommensurables dans le monde entier. Ainsi, le Parti communiste iraquien, qui était en son temps la plus grande organisation révolutionnaire de tout le Moyen-Orient, a-t-il préféré remettre le pouvoir “clés en mains” au dirigeant “nationaliste” Saddam Hussein plutôt que de prendre le pouvoir par lui-même en déclenchant la révolution socialiste.

Le résultat : une des premières mesures de Saddam une fois arrivé au pouvoir, a été l'assassinat de l'ensemble de ses anciens camarades, dirigeants du PC, et la dissolution de ce parti. Même scénario en Iran, où le parti communiste a remis le pouvoir entre les mains de la théocratie des mollahs. Idem en Espagne en 1936, en Chine en 1927. Aujourd'hui encore, les partis staliniens sont d'avis qu'en Tunisie, la population qui a chassé le dictateur Ben Ali doit rentrer chez elle tout en “restant vigilante” pour l'établissement de la “démocratie” (bourgeoisie), au lieu de pousser plus loin le processus révolutionnaire. Il n'est donc d'ailleurs pas étonnant que les staliniens du monde entier aient défendu et défendent encore Gbagbo contre vents et marées, comme ils ont défendu Saddam Hussein contre l'impérialisme américain en exagérant son caractère “progressiste” et en fermant les yeux sur toutes les exactions commises sous son régime.

Le jeune Gbagbo a certainement été influencé au cours de sa formation par cette idéologie en réalité contre-révolutionnaire, et c'est cela qui a déterminé son engagement futur, au service de l'idéal d'une Côte d'Ivoire libérée mais… bourgeoise – une utopie.

Le président chilien Allende, dirigeant ouvrier, croyait lui aussi à la théorie
des deux stades et à la possibilité d'un compromis avec le capitalisme.
Heureusement pour lui Gbagbo n'a pas été aussi radical
– c'est pourquoi il est toujours en vie.

Qu'est-ce que l'impérialisme ?

Au contraire de cette théorie des deux stades qui ne mène selon nous dans le meilleur des cas qu'à l'utopie, et au pire, au massacre sanglant de toutes les forces révolutionnaires et à une régression politique du pays de plusieurs décennies en arrière, les marxistes, depuis l'analyse brillante donnée par le jeune Léon Trotsky en 1905 dans son ouvrage “Bilans et perspectives”. Nous avons déjà expliqué cette théorie dans notre article paru sur le site CIO-CI.blogspot.com, mais rappelons ici encore une fois ses grands principes.

La théorie de la révolution permanente (ou plutôt, “révolution ininterrompue”) nous donne les grandes lignes que doivent suivre les révolutionnaires dans les pays néocoloniaux sous-développés comme la Côte d'Ivoire.

Ces pays, vu leur état de sous-développement ont été très tôt soumis à l'influence de l'impérialisme qui les a insérés de force dans la chaine mondiale du capitalisme. Ces pays n'ont donc pas pu se développer en suivant l'évolution naturelle de leurs propres formations socio-économiques, mais ont été modelé par l'impérialisme mondial lui-même, suivant un développement qualifié par Trotsky d'“inégal et combiné”. Inégal, parce que les termes de l'échange et le statut de ces pays au sein du système capitaliste mondial sont loin de favoriser ces pays ; combiné, parce que le dernier cri de la technique moderne y côtoie des technologies carrément primitives – par exemple, le planteur qui cultive son champ avec sa daba avant d'y pomper des pesticides développés par l'industrie chimique occidentale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, aucun pays ne peut plus se développer seul mais est imbriqué dans un système mondial.

L'impérialisme a donc imposé ses propres structures sociales et économiques à ces pays. Mais qu'est-ce que l'impérialisme ? C'est sur cette définition qu'il convient de s'entendre, afin de décider contre quoi on se bat. Lénine, dans son ouvrage éponyme rédigé en 1916, avait qualifié l'impérialisme de “stade suprême du capitalisme”. Tout en dénonçant la politique impérialiste des puissances occidentales en Asie et en Afrique, il expliquait que l'impérialisme est un stade naturel du développement du capitalisme, son stade final : les capitalistes, poussés par la surproduction inhérente à leur système, ont complètement saturé l'ensemble de leur marché national. Ils se voient donc contraints d'écouler un stock toujours grandissant, que personne dans leur pays ne peut plus racheter. Les capitalistes se voient donc contraints de trouver des nouveaux marchés et bien plus, d'exporter non plus des marchandises, mais des capitaux (les fameux “investissements étrangers directs”). D'où la nécessité absolue pour chaque pays capitaliste à la fin du 19è siècle de former chacun son propre empire colonial.

Il ne s'agissait donc pas, comme beaucoup de “démocrates” petit-bourgeois aiment à le croire, d'un “choix” culturel ou moral, mais d'une nécessité économique absolue. C'est d'ailleurs cette véritable fatalité qui a inévitablement contraint des “nouveaux-venus” comme l'Allemagne et l'Autriche à lancer la Première Guerre mondiale dans une tentative désespérée d'arracher leurs colonies à l'Angleterre et à la France. Tout cela pour dire qu'on ne peut lutter contre l'impérialisme sans lutter contre le capitalisme.

De même, poursuit Trotsky, dans les pays néocoloniaux, conséquence du “développement combiné”, au milieu d'une foule de petits artisans, se trouve d'énormes usines employant des centaines de travailleurs. Contrairement aux pays où est né le capitalisme et où il s'est développé de manière organique, où la bourgeoisie a grandi et s'est développée à son propre rythme, la manufacture chassant l'artisanat, la petite industrie chassant la manufacture, et la grande industrie chassant la petite, avec un accroissement graduel de la puissance de la bourgeoisie, en Afrique et dans le monde néocolonial, l'industrie arrive directement sur base de capitaux étrangers, fruits de tout le développement du Nord. C'est-à-dire que la bourgeoisie locale ne peut rivaliser avec cette industrie. Cette bourgeoisie locale est bloquée au stade de l'artisanat ou de la manufacture. Celle-ci n'a pas connu son propre développement, qui lui permette elle-même de participer au développement du pays. Alors que dans les pays développés, s'est formé un prolétariat qui se développe au même rythme que la bourgeoisie, dans les pays néocoloniaux, le prolétariat apparait massivement avant même que ne se soit formée une véritable bourgeoisie locale.  

La bourgeoisie nationale a donc été créée de toute pièce par la bourgeoisie impérialiste, par le capitalisme de sa métropole. En Côte d'Ivoire par exemple, il est impossible de se faire admettre parmi l'élite si on n'a pas au moins une fois dans sa vie été faire ses courses à Paris. La politique française semble tout aussi importante pour les Ivoiriens que la politique ivoirienne, qui connaissent la vie des hommes politiques français sur le bout des doigts, alors que tout le monde se fiche royalement de ce qu'il peut bien se passer au Royaume-Uni ou en Allemagne. La France est systématiquement considérée comme le summum de la démocratie et du développement : qu'on y vote une loi, les bourgeois ivoiriens s'imaginent obligés de voter la même loi la semaine suivante. C'est-à-dire que la bourgeoisie nationale dans les pays néocoloniaux est par sa nature même semi-étrangère à son pays.

La bourgeoisie des pays néocoloniaux ne dispose pas de capitaux propres. Les quelques investissements que cette bourgeoisie opère ne dépassent jamais le rang des PME ou de la spéculation immobilière. Le rôle de cette bourgeoisie néocoloniale est de servir de gérant de l'impérialisme, de contre-maitre pour les travailleurs de son propre pays, au profit de l'impérialisme. C'est-à-dire que l'État néocolonial est un État bourgeois, comme tout État de pays capitaliste. Mais il est l'État de la bourgeoisie étrangère. C'est-à-dire que plutôt que d'être une machine servant à la bourgeoisie de ce pays à assurer sa domination sur les autres classes de ce même pays, elle est une machine servant la bourgeoisie… d'un autre pays à assurer sa domination sur les autres classes de ce pays néocolonial.

De la même manière qu'il est impossible aux socialistes révolutionnaires de se hisser via des élections à la tête d'un État bourgeois pour construire le socialisme à partir de là, il est impossible à la bourgeoisie nationale d'un pays d'utiliser l'État bourgeois néocolonial pour construire un “capitalisme national” à partir de là. L'expérience du monde entier prouve cela. 

Aucun espoir ne pouvant provenir de l'élite national, vers où se tourner ?

Les paysans, bien que majoritaires dans la population, ne sont pas capables de s'organiser pour jouer un rôle indépendant sur la scène nationale. Cela, en raison de leur éparpillement, de leur fonctionnement individuel, de leur grande différenciation sociale entre paysans pauvres et paysans riches (qui emploient un grand nombre de manœuvres). Les paysans sont de plus forcés de passer par la ville pour y recevoir l'éducation, s'y réunir, etc. Ils sont donc soumis aux classes urbaines. Dans le cadre de la lutte politique, la paysannerie se retrouve toujours soit à suivre la bourgeoisie, soit à suivre le prolétariat.

Car dans les pays néocoloniaux, l'existence d'un prolétariat puissant en nombre et de par son rôle dans la production, qui contrôle par sa position l'ensemble des secteurs-clés de l'économie – mines, pétrole, grandes plantations, transport… – signifie que ce prolétariat peut acquérir un rôle politique avant même la bourgeoisie nationale. C'est uniquement ce prolétariat qui, même minoritaire dans un pays où la majorité de la population reste paysanne, est capable de guider la nation, avec le soutien des masses pauvres non-prolétariennes (paysans, artisans, petits commerçants…), vers une véritable indépendance, à condition que ce prolétariat soit organisé de manière indépendante par rapport à la bourgeoisie – ce qui n'a malheureusement pas été le cas en Côte d'Ivoire.

Une fois arrivé au pouvoir par l'intermédiaire de ses propres structures (les agoras), le prolétariat se retrouve rapidement contraint pour garder son pouvoir d'accomplir des tâches qui vont au-delà de la simple révolution nationale-démocratique, mais qui sont directement socialistes : nationalisation de l'industrie, extension de la grande production, etc. C'est-à-dire que la révolution à ce moment est “ininterrompue”, “permanente” : une étape historique fusionne avec l'autre, on “saute” pour ainsi dire l'étape du développement capitaliste pour entrer directement dans l'ère de la révolution socialiste.

L 'impérialisme, stade suprême du capitalisme

Gbagbo, dirigeant petit-bourgeois typique

Mais alors, que représente Gbagbo ? Gbagbo représente une couche petite-bourgeoise de la société ivoirienne, celle des intellectuels, des petits patrons locaux désireux de s'affranchir de la tutelle impérialiste, de devenir eux-mêmes “des grands”, mais sans pour autant aller jusqu'à donner le plein pouvoir au peuple – dont ils ont besoin en tant que main d'œuvre salariée dans le cadre d'un développement capitaliste de leur pays. Trotsky dans sa théorie de la révolution permanente mentionne également de tels leaders : la classe moyenne, de part sa position dans le jeu de la lutte des classes, est une classe qui oscille en permanence entre le socialisme et le capitalisme, entre les travailleurs et le grand patronat. Elle ne peut à ce titre jouer aucun rôle véritablement indépendant – tout au plus peut-elle entrainer de temps à autre la nation dans une nouvelle “aventure” sans lendemain. La révolution ivoirienne dans un sens illustre très bien cela : désavoué par l'impérialisme qui ne reconnaissait pas en lui un de ses cadres gérants nationaux (contrairement à ADO et à Bédié), Gbagbo n'a pu assurer son salut qu'en invoquant la résistance de masse du prolétariat.

Mais en même temps, il ne pouvait se décider à donner le pouvoir à cette même classe. Ç'aurait été renier sa propre nature de classe et celle de son parti. Il a donc cherché jusqu'au bout à jouer un dangereux jeu d'équilibriste entre l'impérialisme et la poussée du prolétariat en-dessous de lui. Il a cherché à concilier l'impérialisme en jouant le jeu du FMI, en laissant la France investir massivement en Côte d'Ivoire, en détournant l'attention des travailleurs ivoiriens vers des vrais-faux problèmes comme celui de la rébellion ou de la nationalité. 

Comment aurait réagi Gbagbo si, plutôt que de s'en prendre à des individus originaires de France, les travailleurs ivoiriens avaient décidé par eux-mêmes d'occuper en masse les entreprises appartenant à des Français, avaient fondé des agoras sur les lieux mêmes de ces entreprises et avaient demandé leur nationalisation sous contrôle populaire ? Sans doute leur aurait-il envoyé la police et l'armée. Pourtant, c'est uniquement par l'occupation des entreprises et leur nationalisation sous contrôle de comités de travailleurs élus que l'on peut en finir définitivement avec l'impérialisme et le capitalisme.

Gbagbo cherchait à convaincre l'impérialisme qu'il était lui-même meilleur que Ouattara. Mais l'impérialisme ne pouvait pas tolérer de voir un inconnu, une personne aussi instable et surtout, un apprenti sorcier qui a ouvert la porte à une mobilisation sans précédent des masses, rester plus longtemps à la tête de son pays.

Par son irrésolution, Gbagbo a précipité sa propre chute. Un Hugo Chavez a pu jouer ce jeu parce qu'il a été beaucoup plus résolu, en nationalisant complètement l'industrie pétrolière et en mettant en œuvre de véritables réformes pour les masses. Gbagbo n'a pas osé faire cela, convaincu qu'il parviendrait à trouver un accord avec l'impérialisme. Le Venezuela aussi n'est pas un pays que l'on peut attaquer facilement, vu son importance en tant que 4è producteur de pétrole mondiale, et vu la puissance de mobilisation, l'organisation et la politicisation de sa population. Gbagbo, ce Chavez raté, a donc failli sur toute la ligne, laissant derrière lui un pays en ruine et soumis à présent au contrôle direct de l'impérialisme.

Les travailleurs d'Afrique du Sud montrent comment réellement lutter
contre l'impérialisme : par l'occupation des entreprises étrangères
et la revendication de leur nationalisation sous contrôle des travailleurs

Qu'aurait-il fallu faire ?

Dans le cadre du système capitaliste mondial actuel, une véritable indépendance et un véritable développement national ne peuvent se faire que par une sortie complète du capitalisme. C'est ce qu'a montré la Russie, qui en l'espace d'à peine 40 ans est passé du statut de pays médiéval néocolonial, avec 80 % d'analphabètes et une population à majorité paysanne, à un pays rivalisant sur le plan économique et militaire avec les grandes puissances, premier à envoyer un objet dans l'espace, envoyant dix ans plus tard également le premier homme dans l'espace.

C'est ce qu'a également montré, dans une moindre mesure et en y apportant de nombreuses nuances (vu le caractère dès le départ non-prolétarien de cette révolution, dirigée par une armée de paysans mais soutenue par l'État ouvrier soviétique), l'exemple du Vietnam, pays aux conditions naturelles similaires à la Côte d'Ivoire, qui, rompant avec le capitalisme, est rapidement passé d'un pays où les gens mouraient de faim, à une nation soudée et forte, premier exportateur mondial de riz et de poivre, et deuxième exportateur de café, où chaque famille paysanne vit dans une maison en béton avec l'électricité, l'eau courante et le gaz, où le prix d'un repas complet (riz + omelette + viande de porc + crevette + légumes) au maquis ne coute que 250 francs, où il y a un lycée (gratuit) dans chaque village et où chaque enfant possède son propre vélo.

On ne peut développer un pays sur base de réformes et de compromis avec l'impérialisme. Dès que l'impérialisme se sentira menacé, il contre-attaquera. Il faut une rupture radicale, une révolution. Mais la (petite-)bourgeoisie nationale ne peut développer le pays et mener la révolution elle-même, car cela remet en question sa propre nature de classe et ses propres objectifs de classe. C'est pourquoi quand bien même elle se voit forcée de reconnaitre le rôle fondamental du prolétariat, elle ne peut lui laisser le contrôle et se voit obligée de le canaliser, de freiner son action révolutionnaire, dans sa tentative désespérée de se maintenir à la tête du mouvement.

Nous l'avons déjà dit, la révolution nationale-démocratique dans les pays nécoloniaux ne peut qu'être en même temps une révolution socialiste prolétarienne. Qu'est-ce que cela signifie concrètement ? Qu'auraient dû faire de véritables révolutionnaires pour assurer une victoire de la révolution ivoirienne cadenassée, usurpée et dévoyée par le FPI ?

Ce n'est pas en se rendant à Marcoussis que Fidel Castro a chassé
l'impérialisme de Cuba
De véritables révolutionnaires n'auraient pas cherché des partenariats avec d'autres puissances étrangères pour développer le pays, au nom de la “lutte contre l'impérialisme” français. Loin de privatiser à tout va les ressources du pays en les laissant soumises au pillage par les groupes impérialistes (français ou non), de véritables révolutionnaires auraient (re)nationalisé l'ensemble des secteurs-clés de l'économie et en particulier des ressources naturelles (pétrole, cacao, mines, bananes, anacarde, etc. ; travaux publics, logement, eau, électricité, téléphonie…), sous le contrôle démocratique des travailleurs et des planteurs organisés en “parlements” sur leur lieu de travail et du gouvernement révolutionnaire des agoras. 

En réponse aux arguments sur “l'absence de moyens” et la “nécessité de cadres étrangers”, de véritables révolutionnaires se seraient appuyés sur l'énergie créatrice des masses pour accélérer le développement du pays. En France en 1968, les étudiants allaient eux-mêmes aider les fermiers à récolter le produit de leurs champs pour alimenter les villes révolutionnaires. Au Burkina, la population toute entière venait comme volontaire pour construire le chemin de fer. Il y a tellement de jeunes diplômés mais pourtant désœuvrés, qui n'ont aucun sens à leur vie mais sont prêts à mourir pour leur pays. Plutôt que de distribuer des machettes et des kalachs à ces jeunes, on aurait pu leur donner des dabas et les envoyer cultiver la terre, on aurait pu les doter de marteaux et les envoyer construire des maisons et des usines. Ceux-ci auraient mis en application leurs connaissances et auraient très rapidement pu se forger eux-mêmes une réelle expertise de part leur propre expérience. Qui plus est, des pays comme la Chine ne se sont pas construits sur base d'une technologie de point importée d'Occident : ces pays ont découverts par eux-mêmes des technologies adaptées, des machines faciles à construire et à réparer, pouvant être distribuées dans toutes les campagnes. Tout cela aurait pu être fait en Côte d'Ivoire, plus facilement même que dans d'autres pays, quand on voit le grand nombre de richesses naturelles et humaines du pays.

Volontaires au Burkina pour la construction du chemin de fer

De véritables révolutionnaires n'auraient pas laissé se détériorer la situation dans le nord du pays, mais auraient appelé en masse les travailleurs du Nord, quelle que soit leur nationalité, à s'organiser en agoras pour prendre entre leurs propres mains le contrôle des richesses naturelles du pays et à chasser la rébellion. De véritables révolutionnaires ne se seraient pas empêtrés dans le débat sur la nationalité mais auraient prouvé par leurs actes que leur politique est la seule capable d'apporter l'espoir à la population. Une politique véritablement révolutionnaire menée au Sud aurait convaincu les masses du Nord de chasser les rebelles et de propager la révolution dans leur zone.

Au Vietnam, le gouvernement du Nord, révolutionnaire, n'a pas utilisé ce prétexte pour ne pas mener à bien sa politique. Au contraire, tout en éduquant massivement la population rurale, en organisant des comités populaires révolutionnaires, en construisant l'infrastructure et en nationalisant l'industrie et l'agriculture, le gouvernement révolutionnaire du Nord-Vietnam envoyait inlassablement des militants au Sud dominé par un gouvernement pro-impérialisme américain pour y faire de l'agitation parmi la population, susciter le mécontentement contre le gouvernement sudiste et y organiser de nombreuses rébellions qui démoralisèrent les troupes impérialistes et favorisèrent grandement la réunification du pays. Cela aussi aurait pu se faire en Côte d'Ivoire – mais cela n'a pas été fait. De même, l'exemple de la Russie nous montre un gouvernement révolutionnaire assiégé non pas par une mais par une dizaines de rébellions, ne contrôlant plus que 20 % de son territoire national, remporter la guerre civile par une juste politique révolutionnaire tout autant que par des moyens militaires – et sans la moindre aide étrangère !

Au Vietnam, convoi de ravitaillement à destination des combattants patriotes
dans le sud du pays, le long de la “piste Ho Chi Minh”

Au cas où la population du Nord avait affiché un réel désir d'autonomie, de véritables révolutionnaires n'auraient pas cherché coute que coute à maintenir le Nord du pays par la force des armes dans le cadre d'une Côte d'Ivoire unie, mais, tout en dénonçant le rôle réactionnaire joué par la rébellion, auraient reconnu le caractère fictif des frontières nationales des pays africains et laissé à la population du Nord le droit à l'auto-détermination, jusqu'au droit à l'indépendance s'il le faut. Dans ce cadre, il aurait été beaucoup plus difficile aux chefs de la rébellion de justifier leur intervention au Sud et leur domination sur les populations du Nord, facilitant ainsi l'extension de la révolution. C'est cette politique, suivie par le parti bolchévique en Russie et que nous avons déjà détaillée dans cet article, qui a permis de rallier à la révolution l'ensemble des minorités ethniques auparavant soumises à l'empire tsariste.

Les bolchéviks ont accordé leur indépendance aux peuples musulmans
de l'ancien empire russe, tout en appelant les travailleurs de ces nationalités
à un “djihad rouge” contre les sultans et les cheiks.
C'est ce qui a finalement convaincu les travailleurs de ces peuples
à se rallier à l'Union soviétique.

De véritables révolutionnaires, a fortiori se réclamant du panafricanisme, n'auraient même pas cherché à faire de distinction entre nationaux et non-nationaux : ils auraient appelé les allochtones à rejoindre la révolution en Côte d'Ivoire en vue de son extension à toute l'Afrique de l'Ouest. Les Burkinabés auraient été accueillis en tant que camarades, en tant que victimes de l'impérialisme qui a ruiné leur propre pays en assassinant leur plus grand dirigeant et qui les a contraints à aller “se chercher” contre leur gré en basse-côte. Des leaders auraient été trouvés et formés parmi les Burkinabés, Guinéens et Maliens afin de diriger la révolution dans leur propre pays.

De véritables révolutionnaires auraient résisté à l'assaut de l'impérialisme en abolissant l'armée et en armant l'ensemble de la population via les agoras, plutôt que d'envoyer de pauvres jeunes dénués s'attaquer à un bataillon de l'armée française. Pour se prémunir contre la trahison du commandement militaire, les officiers auraient été élus par les soldats, et responsables devant les agoras. La surveillance dans les quartiers auraient été assurée par ces mêmes soldats révolutionnaires. Comme Sankara qui déclarait qu'« Un militaire sans formation idéologique est un criminel en puissance », le pouvoir révolutionnaire aurait donné une éducation politique à tous ces combattants afin de rehausser leur loyauté et d'éviter les dérives.

Plutôt que de faire un amalgame impérialisme = France = Français, en organisant la chasse aux blancs et en renforçant le racisme anti-blanc qui aujourd'hui sert d'idéologie aux cyber-brouteurs, de véritables révolutionnaires auraient cherché à s'assurer le soutien de la population française en l'appelant à s'opposer à la politique de Sarkozy et à boycotter l'armée française néocoloniale, et se seraient donné les moyens pour ce faire en organisant la propagande en France même ; ils auraient cherché à communiquer avec les soldats français pour les convaincre de résister aux ordres de leurs supérieurs et à adopter une attitude neutre dans le conflit. Ils auraient nettoyé dans leurs propres rangs en affirmant que le patronat et l'impérialisme n'ont pas de couleur de peau. C'est cette tactique qui a permis aux révolutionnaires russes de résister à l'assaut de 24 pays qui cherchaient à réprimer dans le sang les travailleurs russes après leur prise du pouvoir. C'est cette tactique qui a permis aux révolutionnaires vietnamiens de résister à l'agression américaine, dotée d'un armement largement supérieur, en démoralisant les soldats américains qui ont fini par s'opposer en masse à la guerre, allant jusqu'à menacer de révolution le gouvernement américain lui-même.

Comment le Vietnam a gagné sa révolution : en organisant
une révolution aux États-Unis !


Encore une fois, une véritable lutte contre l'impérialisme français se serait attaqué à la racine du problème, les capitaux français, plutôt qu'aux travailleurs et cadres français (ou blancs) vivant en Côte d'Ivoire. C'est-à-dire qu'il fallait (re)nationaliser l'ensemble des entreprises appartenant à des capitaux étrangers, sous le contrôle de comités élus de travailleurs.

De véritables révolutionnaires n'auraient jamais participé à des pourparlers de blabla avec les Bédié et les Compaoré pour trouver une solution à la crise ivoirienne et organiser un partage du pouvoir. De véritables révolutionnaires auraient au contraire dénoncé systématiquement le rôle de ces personnes en tant qu'agents de l'impérialisme et du capitalisme, en tant que traitres. De véritables révolutionnaires n'auraient pas non plus cherché à faire une distinction somme toute artificielle entre la “droite” et la “gauche” officielles françaises, et n'auraient donné à la population aucune illusion dans le résultat des élections en France, mais auraient au contraire dénoncé le rôle de traitres du PS français, parti bourgeois qui trahit systématiquement la classe des travailleurs français depuis maintenant 100 ans, qui trahit les travailleurs du monde entier avec des gens comme Strauss-Kahn qui était le grand patron du FMI jusqu'à récemment, et dont le président François Hollande par sa politique antisociale est aujourd'hui déjà plus détesté par son propre peuple que Nicolas Sarkozy (voire notre article à ce sujet).

François Hollande et le PS français :
encore plus antisocial que l'UMP de Sarkozy

De véritables révolutionnaires n'auraient pas marché béatement dans les plans du FMI, PPTE et autres, comme si cela était une fatalité. De véritables révolutionnaires, à l'image de Thomas Sankara et des bolchéviks en Russie, auraient tout simplement refusé de payer la dette du pays et auraient envoyé se faire voir l'ensemble de leurs créanciers.

De véritables révolutionnaires n'auraient jamais utilisé les contraintes placées sur l'économie par le FMI pour justifier leur politique antisociale qui ne pouvait que susciter le doute et le mécontentement parmi la population. De véritables révolutionnaires n'auraient jamais fait tirer sur la foule ou mis des dirigeants syndicaux en prison. Si ces dirigeants avaient été soupçonnés de collaboration avec l'impérialisme, de véritables révolutionnaires s'en seraient remis à la démocratie syndicale pour enquêter sur ces dirigeants et les forcer à rendre des comptes.

De véritables révolutionnaires ne se seraient pas abaissés à manipuler leur peuple par des discours religieux, et à lui ôter tout sens critique, mais auraient chercher à éveiller sa conscience en diffusant massivement des discours sur la véritable nature du capitalisme, du nationalisme, de la religion, en abreuvant le peuple de notions d'économie, d'histoire et de science politique, plutôt que de prophéties bidon. Une telle éducation populaire marxiste, nous la retrouvons en Russie et, dans une certaine mesure, en Chine révolutionnaire.

Attitude des révolutionnaires chinois envers la religion

De véritables révolutionnaires n'auraient pas tenus des propos patriarcaux et machistes enjoignant aux femmes à travailler plus pour le bien de leurs enfants et n'auraient pas tenu une politique visant à favoriser les femmes mariées plutôt que les femmes célibataires mais auraient au contraire, tout comme Lénine et Sankara, dénoncé l'oppression des femmes par le système patriarcal et dénoncé l'institution du mariage en tant qu'organe de cette oppression.

De véritables révolutionnaires n'auraient pas cautionné la moindre constitution de l'État bourgeois ivoirien néocolonial, mais l'auraient au contraire abolie de même qu'ils auraient aboli cet État. De véritables révolutionnaires n'auraient pas considéré les agoras et parlements comme la base de leur pouvoir, mais comme étant LE pouvoir. De véritables révolutionnaires auraient encouragé une reprise totale de la société par les agoras, y compris l'organisation des services publics, la bonne marche de l'économie, la distribution de la production nationale et le contrôle des richesses nationales. Un nouvel État populaire, ouvrier, et démocratique, aurait pu être organisé sur base des agoras en y réélisant chaque semaine des dirigeants révocables à tout moment et sans privilèges autre que le salaire moyen d'un travailleur qualifié, qui représenteraient chaque agora au sein d'une agora ou section communale, puis régionale et nationale, à l'image de l'organisation de l'État ouvrier des soviets en Russie révolutionnaire. On aurait par la même occasion évité la crise de 2011 en abolissant le système absurde de l'élection présidentielle, puisqu'on aurait du même coup aboli la fonction de président.

La population était prête pour la révolution.
Le président ne l'était pas.

Le FPI : un outil inadapté pour la révolution

Mais toute cette politique n'aurait pas pu être menée par Gbagbo et le FPI pourquoi ? Parce que Gbagbo et le FPI n'étaient (et ne sont) pas des révolutionnaires, ne cherchaient (et ne cherchent) pas à faire sortir la Côte d'Ivoire du capitalisme. Si la fin justifie les moyens, les moyens employés sont également soumis à l'objectif qu'on s'est fixé. C'est pourquoi confrontés à la nécessité de pousser plus loin la révolution, Gbagbo et le FPI n'étaient pas prêts à cette révolution, parce que jamais ils ne s'y étaient préparés, ni sur le plan de l'organisation et des structures, ni sur le plan idéologique, ni sur le plan international. Ayant suscité la colère de l'impérialisme, ils se sont retrouvés devant le fait accompli, et n'ont rien pu trouver d'autre que de s'accrocher au pouvoir coute que coute, en entrainant l'ensemble du peuple dans une aventure dès le départ vouée à l'échec.

Depuis la fin de la guerre et la prise du pouvoir par Alassane, les agoras ont disparu, et le FPI est devenu quasi invisible. La majorité des cadres du FPI sont en prison ou en exil. Depuis, le FPI n'a de cesse de réclamer la libération de Gbagbo et de ses militants en tant que condition préalable à l'établissement d'un “dialogue national”. Le FPI continue à dénoncer la mainmise des “Burkinabés” sur l'économie ivoirienne, qui grignotent sur les parts de marché des “Ivoiriens”. Le FPI continue à dénoncer Sarkozy tout en déroulant le tapis rouge à des traitres comme François Hollande. Le FPI, qui s'est tellement opposé à l'intervention française en Côte d'Ivoire, a applaudi des deux mains l'intervention française au Mali. Aujourd'hui, le FPI cherche des soutiens auprès d'autres puissances impérialistes comme les États-Unis et n'a d'yeux que pour les présidentielles de 2015. C'est dire à quel point ce parti ne possède aucune perspective révolutionnaire et est au fond un parti fondamentalement bourgeois, qui ne nous apportera aucune solution mais au contraire uniquement la déstabilisation et le chaos. C'est pourquoi le CIO affirme qu'aucun travailleur ivoirien ne doit plus aujourd'hui suivre ce parti ni lui accorder la moindre confiance, même si on y trouve encore aujourd'hui beaucoup de jeunes radicalisés qui espèrent encore le voir renaitre de ses cendres. Nous appelons ces jeunes à faire pression sur leur direction pour lui demander des comptes, et à collaborer avec nous autour de campagnes concrètes dans la lutte.

De véritables révolutionnaires ne se laisseraient pas démonter par l'enfermement de leurs cadres. Ils dénonceraient les privatisations, les partenariats public-privé, la répression des syndicalistes. Ils feraient un mea culpa public, une autocritique, afin de tirer les leçons de l'échec de la révolution ivoirienne de 2000, pour pouvoir reprendre la lutte en allant plus loin. Ils ne chercheraient pas à battre l'impérialisme à son propre jeu en entrant en négociation avec lui, ne chercheraient pas le dialogue avec ADO dont le statut de champion de l'impérialisme n'est plus à démontrer, mais profiteraient de la faiblesse actuelle du gouvernement Ouattara pour appeler à la reconstruction des agoras et à une nouvelle insurrection contre le régime bourgeois nécolonial. Ils feraient cela en appelant l'ensemble de la population de Côte d'Ivoire, autochtones comme allochtones, dans une lutte pour une Afrique de l'Ouest socialiste. C'est uniquement dans cette lutte que se fera la réconciliation.

Cette politique révolutionnaire, c'est la politique que veut mener le CIO en Côte d'Ivoire et dans le monde entier. S'il est vrai qu'il y a dix ans, le contexte mondial était très peu favorable à une internationalisation de la lutte, aujourd'hui, le monde a beaucoup changé. Nous sommes dans un contexte de crise économique et politique mondiale, où une révolution politique en Tunisie suffit à déclencher des crises révolutionnaires dans tout le Moyen-Orient, où l'ensemble de la population européenne et américaine est indignée, où nous voyons des insurrections au Nigeria, en Afrique du Sud, en Turquie, au Brésil, en Kirghizie, au Bangladesh, où il y a une manifestation en Chine toutes les deux minutes, où la polarisation en France atteint le point où seul 50 % de la population vote encore pour les partis bourgeois traditionnels (PS et UMP).

Le contexte mondial est plus favorable que jamais à une reprise de la lutte de classes en Côte d'Ivoire. Mais les travailleurs ivoiriens doivent tout d'abord se débarrasser de toutes leurs illusions dans des leaders populistes (petits-)bourgeois comme les Gbagbo, les Blé Goudé et les Mamadou Coulibaly, qui ne sont prêts à guider la révolution que jusqu'au point où elle coïncide avec leurs propres intérêts de classe

C'est pourquoi notre critique envers ces dirigeants, tout en prenant en compte les énormes espoirs que ces personnes ont suscité dans la population, doit cependant être ferme et sans le moindre compromis. Un pion de l'impérialisme comme Ouattara n'a même pas besoin d'être critiqué car il se casse très bien de lui-même. Mais nous devons être sans pitié pour des personnes qui, déguisées en amis du peuple, sont en réalité ses ennemis. Par leur amateurisme et leurs hésitations, ces dirigeants nous ont couté une révolution et ont aujourd'hui enlevé à la population ivoirienne toute envie de lutter, tout espoir d'une alternative, provoquant une fuite vers la religion, le crime et la corruption. Il faut grandir et s'ôter de l'esprit toute illusion envers ces dirigeants petits-bourgeois : jamais ils ne nous mèneront nulle part.

Il faut un nouveau parti des travailleurs, il faut reprendre la propagande révolutionnaire. Pour la refondation des agoras, pour la prise du pouvoir par la population laborieuse, dirigée par le mouvement ouvrier, organisé en tant que classe ! Aucune confiance dans les politiciens bourgeois ! 

C'est ce que défend le CIO : rejoignez-nous !

Gbagbo, le destin malheureux d'un “progressiste” qui pensait
pouvoir apprivoiser l'impérialisme

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