Ne
laissons pas l'extrême-droite nous diviser !
Que
tu sois ivoirien, que tu sois étranger, c'est la même galère pour
tout le monde !
Lettre adressée à la rédaction de l'Éléphant déchainé :
En
tant que représentant du CIO – Comité pour une Internationale
ouvrière – en Côte d'Ivoire, je ne pouvais laisser
passer sans réponse la contribution du Dr. Abdoulaye Sylla
parue dans l'Éléphant déchainé du vendredi 26 juillet 2013.
J'exprime aussi mon regret de voir un journal que je considère de
“gauche” (le seul vrai) tel que l'Éléphant déchainé accepte d'accorder
une telle tribune à de tels propos. Mais soit, vous agissez au nom
de la liberté d'expression, et en ce même nom, j'espère que vous
publierez ma réponse ci-dessous.
Non,
nous assistons ici, non pas à un cri irréfléchi venant du fond du
cœur, mais à un discours réfléchi, argumenté, et qui se veut
cohérent et “anti-système” par-dessus le marché !
L'auteur répète ici chez nous, en Côte d'Ivoire, la même
idéologie puante qui est diffusée à large échelle par le
Front national français et tous les autres mouvements fascistes
de l'Europe entière, de Nation en Belgique à Aube dorée en
Grèce, en passant par les délires meurtriers d'Anders Breivik
en Norvège ou la Ligue du Nord italienne qui balance des bananes sur une ministre parce qu'elle est noire. L'auteur cite d'ailleurs un passage ridicule de
l'écrivain d'extrême-droite Julien Freund, un auteur
absolument inconnu pour quiconque n'a pas fréquenté les cercles
d'extrême-droite française. Et ce cher docteur voulait nous parler
de “sauvegarde nationale”… mais lui-même est l'esclave des
colons.
Un autre Abdoulaye Sylla écrivait pourtant en 2009
dans la revue Baobab un article très intéressant sur les écrivains
noirs valets de l'impérialisme, dans lequel il citait Jean Ziegler
et faisait de nombreuses références à Thomas Sankara. S'il
s'agit de la même personne (et probablement oui, vu que l'expression
“nomadiser comme des plantes en pot” revient dans les deux
articles), on voit que la crise de 2010 est entre-temps passée
par là en faisant des ravages dans les pensées du brave docteur…
qui s'est entre-temps trouvé de nouveaux mentors étrangers.
Je
voudrais donc dans cet article répondre aux arguments du docteur
Sylla, non sans avoir dressé un petit tableau de la situation des
étrangers en Côte d'Ivoire et donné quelques notions
d'économie politique. J'apporterai ensuite mon point de vue en
termes d'alternatives au “capitalisme néolibéral cynique”, car,
si je ne partage pas les conclusions du docteur, je suis par contre
d'avis avec lui que la situation est intenable et qu'il nous faut une
rupture radicale contre ce système d'exploitation mondial.
Les petits copains d'extrême-droite du docteur Sylla |
Les étrangers en Côte d'Ivoire – une notion toute relative
Que
signifie “être étranger en Côte d'Ivoire” ? Combien
y a-t-il d'étrangers en Côte d'Ivoire ? Tout d'abord,
force nous est de constater que personne ne le sait ! Notre
gouvernement qui est capable de chiffrer à l'unité près le nombre
d'emplois informels créés depuis deux ans dans le pays est
incapable de nous donner un chiffre fiable à ce niveau. Nous devons
donc nous baser sur le dernier recensement, qui date de 1998.
Selon les chiffres de ce recensement, le pays comptait alors
4 millions d'étrangers, dont 2 millions d'immigrants – les
autres, c'est-à-dire près de la moitié d'entre eux, étant nés en
Côte d'Ivoire. La population totale étant alors de 15 millions
d'habitants, la population du pays était donc composée d'étrangers
à 26 %. Mais on remarquait à ce moment une tendance à la
baisse – le recensement précédent, effectué en 1988,
montrait une population de 28 % d'étrangers. Il était
également relevé à l'époque que le solde migratoire ivoirien
était devenu négatif : c'est-à-dire que plus de personnes
quittaient la Côte d'Ivoire que de personnes qui y entraient.
On se demande donc d'où notre docteur tire l'affirmation « un
stock de populations issues d'un unique pays et dont le volume est
alimenté quotidiennement par un flux continu ». Ce flux
continu ne semble exister que dans l'imagination du brave docteur.
De
même ce “pays unique”, à moins que l'auteur, poussé par son
nombrilisme ivoiriste, ne considère le reste du monde que comme
formant un tout, contre la Côte d'Ivoire. C'est quand même
amusant (?) de voir la même personne se faire le défenseur de
“l'Afrique, attaquée de toutes parts” dans le même article où
il stigmatise ainsi la communauté burkinabée, “61ème ethnie”
de Côte d'Ivoire (j'ai toujours cru que ce poste de 61ème
ethnie était déjà occupé par les Libanais). Bref, les Burkinabés
ne sont pas africains apparemment pour notre docteur, ni les
Béninois, les Nigérians, les Nigériens, les Ghanéens, les
Guinéens, les Sénégalais, qui tous ensemble forment la moitié de
la population étrangère de Côte d'Ivoire. Mais oui, il est
vrai que les Burkinabés (qui ne sont pas une ethnie… puisqu'on y
trouve aussi bien des Mossis que des Lobis, des Sénoufos, des
Gourmantchés… mais soit, passons, n'allons pas donner un cours de
géographie à un docteur en philosophie) représentaient, selon le
dernier recensement, à eux seuls un peu plus de la moitié de la
population étrangère en Côte d'Ivoire, et même – en 1998
en Côte d'Ivoire, un habitant sur 6 était d'origine
burkinabée.
Mais
il y a étranger et étranger. La Côte d'Ivoire comptait 26 %
d'étrangers en 1998, quand la France compte aujourd'hui 11 %
d'immigrés. Mais toute personne née en France reçoit la
nationalité française, quelle que soit celle de ses parents. En
réalité, si on appliquait à la France les mêmes critères qui
sont appliqués à la Côte d'Ivoire, il y aurait là aussi,
selon l'INED, 23 % d'étrangers (sur deux générations),
voire plus, en fonction du nombre de générations comptées. Mais il
y a bien sûr étranger et étranger. En France par exemple, si on
parle tellement des “envahisseurs arabes”, il faut se rendre
compte que sur 14 millions de français d'origine immigrée,
38 % viennent d'Europe du Sud (Portugais, Espagnols, Italiens)
et seulement 22 % viennent du Maghreb (Algérie, Maroc,
Tunisie). Il n'y a que 2 % de Turcs et 5 % d'Africains
parmi ces étrangers, contre 13 % de personnes venant d'Europe
(autre que méridionale).
En Belgique,
la proportion d'étrangers qui a très vite augmentée dans les
années '60 à '80 (comme chez nous, et ce n'est pas une
coïncidence, mais c'est lié à l'évolution de l'économie pendant
ces années) stagne depuis 1980, et baisse même depuis 2000
(recensement de 2005) – tout comme en Côte d'Ivoire
le flux d'immigrés s'est tari avec la crise de la fin des
années '80. Là aussi, il y a étranger et étranger :
combien de Belges ne sont-ils pas surpris d'apprendre que les
“Arabes” ne se figurent pas dans les trois plus grandes
communautés étrangères que compte le petit royaume ! Les
Italiens (21 %) y occupent en effet la tête du classement avec
les… Français ! (13 %) et les Néerlandais ! (12 %)
Les Marocains et les Turcs ne représentant que respectivement 9 %
et 5 % des étrangers en Belgique. Chez nous aussi, un Togolais
ou un Béninois est moins visible qu'un Malien ou qu'un Guinéen…
Mais ce n'est pas là le fond de l'affaire ni notre propos du jour.
Des “envahisseurs burkinabés” qui travaillent sur une plantation en Côte d'Ivoire. En plein soleil toute la journée, pour un salaire de 100 000 f… par an ! |
Une économie monopolisée par des non-nationaux
Le
vaillant docteur, pourfendeur du système, dénonce le fait que « des
pans entiers de notre économie sont monopolisés par des
non-nationaux, quand un proconsul est nommé [et] somme l'Assemblée
nationale de voter des lois contraires à nos mœurs et aux intérêts
du peuple » – mais quoi de neuf mon cher ? « Tu
as quitté où ?! » serais-je même tenté de lui dire !
C'est depuis la création même de la Côte d'Ivoire que
l'économie nationale est accaparée par des multinationales
françaises pour ses échelons supérieurs (aujourd'hui,
500 entreprises françaises détiennent 40 % de l'économie
du pays et en particulier les secteurs-clés de l'économie, et
dix ans de “refondation” n'y ont rien changé!), qu'elle est
accaparée par les Libanais (qui sont souvent ivoiriens) pour ses
échelons moyens, que les postes dans l'administration sont donnés à
des “étrangers” (à l'époque, Béninois et Sénégalais
importés par la France en tant que “nègres civilisés”), et que
le gros de la main d'œuvre est composée de “Voltaïques”.
Cette
même politique a été poursuivie par le “proconsul” Houphouët
(qui à l'époque jouait à l'égard de la Guinée, du Mali et du
Burkina le même rôle que Compaoré a joué à l'égard de la
Côte d'Ivoire), qui lui-même en 1965 tentait de faire
passer au parlement le principe de la double nationalité, accordait
le droit des votes aux étrangers et naturalisait à tours de bras.
Mais à l'époque, cela ne posait pas tant de problèmes
qu'aujourd'hui, tant que l'argent du cacao circulait. Si nous sommes
bien loin de cette époque révolue, on se demande bien où voudrait
en (re)venir (?) le docteur Sylla lorsqu'il dénonce cette
situation à ses yeux outrageuse. À ce propos, je lisais encore ce
matin un article publié en 2007 par Sylvie Bredeloup et
qui explique d'une part comment les transporteurs burkinabés se sont
soudainement retrouvés propulsés par la crise ivoirienne, de
l'autre le sinistre accueil qui est réservé au Burkina à ces
Burkinabés de Côte d'Ivoire désireux de rentrer et d'investir
“au pays”.
Car
les fascistes adorent la thèse du complot, usent et abusent de
“conspirationnisme”. « La guerre a profité aux Burkinabés,
donc elle a forcément été provoquée par les Burkinabés »,
entend-on souvent. Avec la même logique, on pourrait dire que le
tsunami qui a dévasté la Thaïlande en 2005 a été programmé
à l'avance par les promoteurs immobiliers désireux de racheter à
bas prix les terres des pêcheurs chassés par le dit tsunami. Ou que
le météore qui a explosé en avril au-dessus de la ville de
Tchelyabinsk en Russie et dont l'onde de choc a fait exploser toutes
les fenêtres de la ville, a été commanditée par une sombre secte
de vitriers de la ville. Et pourquoi pas ?! Pour les
“conspirationnistes”, rien d'impossible ! Ils accordent en
effet tous les pouvoirs à la classe “capitaliste néolibérale
cynique”, qui contrôle le monde via des “sectes sataniques”,
comme chacun le sait.
Non
seulement c'est mettre sens dessus-dessous la loi de cause à effet,
mais cela a deux effets pernicieux : d'une part, cela
accorde un bien trop grand crédit à ces capitalistes offshore qui
en réalité, et ils le démontrent chaque jour, ne comprennent
eux-mêmes rien du tout au système dont ils sont censés être les
maitres, ce qui ôte justement toute combativité à cette population
qui est censé les combattre ; d'autre part, c'est chercher à
faire croire que n'eussent été ces
capitalistes-néolibéraux-cyniques-offshores-poussant-dans-des-pots
et leurs sectes sataniques, nous pourrions vivre dans un système
capitaliste “normal”, à visage humain, qui offrirait la liberté
à tout un chacun et dans lequel chacun pourrait investir et
prospérer. C'est soit de la bêtise, soit de l'utopie, soit de la
tromperie, mais dans tous les cas, cela nous empêche justement de
lutter car, malgré les références à Simone Weil (militante
communiste antinazi qui doit se retourner dans sa tombe), nous
n'avons pas, docteur, correctement identifié l'ennemi.
Les “étrangers” se seraient accaparé le secteur des transports grâce à la guerre qu'ils auraient eux-mêmes provoquée |
L'impérialisme, c'est quoi ?
La
Côte d'Ivoire, comme beaucoup de pays africains, a basculé du
jour au lendemain dans le système capitaliste mondial qui s'était
développé à partir de l'Europe mais s'était étendu au monde
entier. Ainsi, les pays d'Afrique toute comme la Russie, la Chine,
etc. n'ont pas connu un capitalisme se développant de manière
organique à partir des petits artisans qui deviennent tour à tour
petits patrons puis, par le jeu de la concurrence, des rachats, des
fusions d'entreprise, patrons de plus en plus grands avant d'aboutir
au capitalisme monopolistique, impérialiste, actuel. Il n'y a ici
aucune conspiration, aucun complot. Il s'agit juste de l'évolution
naturelle d'un système économique qui s'est de part lui-même et
inévitablement changé en monstre, suivant ses propres lois qui déjà
avaient été définies par Marx dès 1848 – prévoir
cent-cinquante ans à l'avance à quoi ressemblera le monde de
demain, plus fort que Malachie !
C'est-à-dire
que le capitalisme dans nos pays suit les lois d'un développement
inégal et combiné : tout d'un coup, brulant toutes les étapes
historiques, on voit débarquer des investissements lourds équipés
avec le dernier cri de la technique, basés sur une technologie qui
n'avait pas eu le temps de se développer dans notre pays, et sur des
capitaux qu'aucun national ne pourra jamais obtenir par son propre
labeur. C'est-à-dire que sur le trottoir devant l'usine énorme et
hypermoderne, on trouve une foule de petits artisans et commerçants.
C'est-à-dire que les charrettes à cheval de Dakar ont des roues en
caoutchouc. C'est-à-dire que nous vivons dans l'anachronisme. La
bourgeoisie africaine ne s'est pas développée en suivant un
développement historique propre – elle a été créée de
toutes pièces par le capital étranger. C'est pourquoi elle ne peut
jouer et n'a jamais joué le moindre rôle indépendant de
l'impérialisme. Les quelques tentatives de lutter contre
l'impérialisme par une frange de la bourgeoisie “nationale”
n'ont pu se faire qu'au prix de soulèvements populaires massifs, et
ont toutes été vouées à l'échec. La Côte d'Ivoire, cher
docteur, n'est pas une exception, et aucun de ses dirigeants n'a
jamais été envoyé par Dieu.
Mais
il faut nuancer : “ont toutes été vouées à l'échec”…
à moins qu'elles ne sortent complètement du champ du capitalisme
– et c'est ce qui a permis le succès des révolutions russe
et, dans une moindre mesure (à cause de la déformation stalinienne
de leur direction qui s'est manifestée dès le départ), chinoise et
vietnamienne. Car docteur, comprenez bien qu'il n'y a pas une version
de “capitalisme néolibéral cynique” et une version de
capitalisme “light, humaniste, patriotique”. Le capitalisme n'est
pas une idéologie, c'est un système économique. L'impérialisme
n'est pas, n'en déplaise à Modibo Keita, une « manifestation
de la volonté de domination […] d'un peuple sur un peuple »,
n'est pas un choix politique – l'impérialisme, c'est un état
de fait, une étape, la “phase suprême du capitalisme”, et cela
n'a pas changé depuis qu'il a été caractérisé de la sorte par
Vladimir Lénine en 1916. On ne peut donc lutter contre
l'impérialisme sans lutter contre le capitalisme. Mais les patriotes
ivoiriens ont tout mélangé.
Lorsque
la France bombardait l'aviation ivoirienne en 2004, quelle
aurait dû être la réaction adéquate de la part de tout dirigeant
soucieux de soustraire son peuple à l'influence étrangère ?
Envoyer une masse de jeunes désespérés et égarés assiéger le
43ème Bima ? Intimider des cadres étrangers ? Mais
qu'est-ce que ça change ?! Comment peut-on lutter contre la
domination française sur l'économie ivoirienne et en même temps
donner le port d'Abidjan à Bolloré ? Lutter contre
l'impérialisme (qui n'est pas que français), ça veut dire une
seule chose : nationalisation de l'ensemble des capitaux
étrangers présents sur le sol ivoirien. Comment y parvenir ?
Organiser des comités d'entreprise et des occupations d'entreprise.
Comment s'assurer de la bonne marche de l'industrie ainsi
collectivisée, et du fait que les ressources nationales profitent à
la nation ? La faire passer sous le contrôle démocratique de
comités populaires (ouvriers et paysans) dirigés par des
représentant élus, ne recevant pas plus que le salaire moyen d'un
travailleur qualifié, et révocables à tout moment. Mais forcément,
cela, c'est du “communisme”, et le FPI petit-bourgeois
“socialiste” voulait de tout sauf d'une révolution socialiste.
Car
si le docteur Sylla fait des allusions quant à la “dangerosité
des peuples qui sont poussés dans leurs derniers retranchements”,
que propose-t-il à la place ? En quoi est-il dangereux ?
Pour qui ? Avec quel plan d'actions ? Quelle stratégie ?
Quel modèle de société alternative ? RIEN. RIEN ! Son
seul slogan concret est le très subtil et très viril « Un
pied dedans, un pied dehors, c'est dehors ! » Et après on
fait quoi avec ça ? Foutre étranger dehors, ça se mange ?
Et tous ces étrangers qui sont nés ici, dont les enfants sont nés
ici (et souvent de père ou de mère ivoirien(ne)) et que tu veux
ramener de force chez eux, quel accueil va-t-on leur réserver
là-bas ? Tu t'en fous de ça hein ? C'est pas ton problème
hein ? C'est celui du voisin ? Et c'est comme ça qu'on va
ramener la paix dans le pays et sauver l'Afrique, “attaquée de
toutes parts” ? Oui, pauvre Afrique qui est attaquée de
toutes parts y compris dans son propre ventre par ses propres enfants
qui préfèrent s'entre-déchirer plutôt que de s'asseoir et
réfléchir ensemble à comment nous allons nous en sortir, ensemble…
Et pendant que nous nous entre-déchirons, le
capitalisme-néolibéral-cynique-plante-en-pot, lui, rigole, rigole,
rigole, et entretient son obésité en vendant des armes aux uns et
aux autres, par-dessus le marché !
« Ne t'inquiète pas, Afrique… nous partirons dès que nous aurons fini » |
Ce que tout le monde pense tout bas…
Les
fascistes prétendent toujours “dire tout haut ce que tout le monde
pense tout bas” – mais si les gens le pensent et ne le
disent pas, c'est parce que ce sont des humains et qu'ils se rendent
bien compte qu'il y a une entourloupe dans ce raisonnement à
deux francs !
Le
“faible étranger” serait un cheval de Troie du système. C'est
vrai que, déraciné, fraichement sorti de sa brousse natale (en ce
qui concerne les nouveaux venus), venu “se chercher”, il est prêt
à accepter n'importe quel boulot pour n'importe quel salaire. C'est
vrai aussi que, ce faisant, il est en concurrence avec les
travailleurs ivoiriens qui eux, sont payés au Smig, mais ne sont pas
payés, vu qu'un étranger est venu travailler à leur place (et
souvent pour un patron ivoirien, d'ailleurs, mais passons).
Tout
cela me rappelle cette grève “raciste” à la raffinerie Total de
Lindsey en Angleterre, en 2009. Là, le patron avait fait venir
des travailleurs italiens qui travaillaient moins cher que les
anglais, et en même temps voulait se servir de cela pour virer la
moitié de son personnel local. La première réaction des
travailleurs anglais, incités en cela par les collègues anglais du
Dr Sylla du British National Party, a été de
manifester contre ces vils Italiens qui venaient leur prendre leur
travail, avec comme slogan “Des emplois britanniques pour les
travailleurs britanniques”. Heureusement, la section du CIO en
Angleterre est parvenue à entrer en conversation avec ces
travailleurs et les convaincre de lutter ensemble avec les Italiens,
pour que ceux-ci soient payés au même salaire que les Anglais, et
rejoignent leur syndicat. –– Retournement complet de
situation, fini de rigoler pour le patron. Travailleurs anglais et
italiens, main dans la main, font grève pour réclamer “À travail
égal, salaire égal” – chacun y trouve en effet son
avantage ! Résultat ? La grève a suscité des grèves de
solidarité sur vingt autres raffineries partout au Royaume-Uni,
entrainant plus de 1000 travailleurs dans la lutte. Les patrons
ont été tellement mis sous pression qu'ils ont accordé le fait
qu'il n'y ait aucun licenciement, que les Italiens soient payés au
même tarif que les Anglais, mais en plus, qu'Italiens et Anglais
travaillent dans des équipes mixtes, afin de veiller au respect de
l'accord, et que les délégués du personnel aient un droit de
regard sur les fiches de paie de chacun, en plus de devoir passer par
le syndicat pour toute nouvelle embauche.
Voilà
un bel exemple de “Un pied dedans, un pied dehors… c'est les
deux pieds dedans” ! Docteur Sylla, vous dites que
les pauvres étrangers ne peuvent ou ne veulent pas lutter car ils
n'ont pas de racines. Mais à toi de les enraciner ! Si tu
donnais à chaque étranger – tout comme à chaque ivoirien –
une carte de syndicat, un travail décent, un lopin de terre, tu
verrais comme cet étranger se battrait pour sa nouvelle patrie !
La grève de Lindsey… avant l'intervention du CIO… (mais après l'intervention du Dr Sylla) « Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques » « Les travailleurs britanniques avant tout » |
Pour une lutte tous ensemble !
Et
comment donner un travail, un lopin de terre à chacun ? Il y a
assez de richesses en Côte d'Ivoire pour tous ! Il y a
assez de terres pour tous ! La Belgique, qui compte 11 millions
d'habitants, est plus petite que le pays baoulé (qui n'en compte qu'un million) ! Se bat-on
pour des terres en Belgique ? Non ! Mais chez nous, les
terres restent en friche parce qu'elles sont accaparées par de
grands propriétaires “coutumiers” qui font de la spéculation ;
ou bien, lorsqu'elles sont cultivées, elles le sont mal. Un planteur
indonésien récolte autant de cacao (5 tonnes) sur un hectare
qu'un planteur ivoirien en récolte sur dix ! Un planteur
indonésien qui a 10 ha est aussi riche qu'un planteur ivoirien
qui en a 100 ! Le problème du foncier, ce n'est pas l'accès à
la terre, ce n'est pas la nationalité, – c'est la volonté
politique, l'encadrement des planteurs, l'organisation du réseau de
transport, l'accès au crédit, l'accès aux intrants, la formation
– bref, une politique réelle de développement du secteur
agricole !
Et puis il faut bien le dire, si l'État utilisait
les richesses nationales pour développer l'industrie et mener une
véritable politique de grands travaux et de développement des
villes de l'intérieur, et pas des projets criminels comme le
troisième pont (merci à l'Éléphant pour tous ses efforts), ça
ferait longtemps que tout le monde aurait un vrai boulot, étrangers
comme nationaux, et qu'il y aurait moins de monde en brousse !
La
population française, malgré son “multiculturalisme”, s'est
dressée comme un seul homme en 2005 contre le CPE ; la
population brésilienne, la plus multiculturelle et métissée du
monde, s'est levée héroïquement le mois passé pour obtenir une
victoire resplendissante contre le gouvernement à biens des égards.
Mais Dr Sylla s'en fiche de ce qu'il se passe à l'autre bout du
monde, de même qu'il se fout royalement de la situation
pré-révolutionnaire qui risque d'exploser au Burkina d'un jour à
l'autre. Il est vrai que les manifestations au Burkina ne sont
mentionnées en Côte d'Ivoire que par l'un ou l'autre journal
de la presse bleue, – et encore, pas pour l'intérêt crucial que
représente ce mouvement pour toute la sous-région et les
répercussions larges que pourraient avoir chez nous et ailleurs un
éventuel départ de Blaise, mais uniquement parce que cela
justifierait encore une autre des fameuses prophéties bidon de
Malachie concernant saint Laurent Gbagbo. Nombrilisme,
quand tu nous tiens…
Pourtant,
imaginez ce qu'il se passerait si une révolution éclatait au
Burkina ? Cela ne convaincrait-il pas beaucoup d'immigrés de
repartir chez eux reprendre la construction de leur pays là où
Sankara l'avait laissée ? Cela n'encouragerait-il pas les
Ivoiriens à reprendre la lutte là où elle a été trahie par le
pouvoir petit-bourgeois du FPI qui a semé tant d'espoirs pour ne
finalement aller que d'un compromis pourri à l'autre ? À
refonder des agoras démocratiques et apolitiques, auxquelles serait conviée
toute la population laborieuse résidant en Côte d'Ivoire, y
compris les étrangers ? Tout cela dans la lutte contre
l'impérialisme dont nous sommes tous victimes, Burkinabés comme
Ivoiriens.
Bref,
je pense avoir assez démontré le caractère profondément
contre-révolutionnaire, anti-progressiste de tous les discours sur
la soi-disant identité nationale. La lutte passe par le
rassemblement de l'ensemble de la population opprimée, quelle que
soit sa nationalité, et c'est ce qui a été exprimé hier lors de
l'action de la Coalition des Indignés de Côte d'Ivoire à
Yopougon, qui clamait : « Que tu sois FPI, que tu sois
RDR, que tu sois PDCI, la vie est chère en Côte d'Ivoire !
Que tu sois Baoulé, que tu sois Bété, que tu sois Dioula, que tu
sois Mossi, la vie est chère pour tout le monde ! »
Docteur Sylla,
pardonnez-moi de vous avoir malmené, je ne vous tiens pas rigueur
pour vos propos, un moment d'égarement peut arriver à tout le
monde (ivoiriens comme étrangers)… mais il faut pas recommencer hein ! Je vous invite à nous écrire pour échanger avec nous et
nous rejoindre dans notre lutte.
Ne
nous laissons pas diviser, mais au contraire, donnons-nous la main
dans une lutte commune contre tous les proconsuls du monde et contre
le système qu'ils représentent, où que nous soyons, d'où que nous
venions. C'est le combat que mène le Comité pour une Internationale
ouvrière, partout dans le monde.
Jules Konan
Que tu sois ivoirien, que tu sois étranger, la lutte est la même pour tout le monde ! |
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