Il est temps de porter le coup fatal à la coalition
Non au
gouvernement d'“union nationale” ! Pour une action de masse
qui portera le coup fatal à cette coalition pourrie et qui imposera
une alternative ouvrière !
Article par notre
camarade Danny Byrne, responsable du CIO pour l'Espagne et le
Portugal
Au cours de ces
deux dernières semaines, le Portugal a été plongé dans ce
qui est peut-être l'épisode le plus profond et le plus désespéré
de la crise politique en cours depuis le début de la récession et
l'intervention de la troïka (FMI – UE – BCE), il y a deux ans.
Toute la semaine passée, le pays s'est retrouvé virtuellement sans
gouvernement ; ce n'est que maintenant que la classe dirigeante
semble parvenir tant bien que mal à improviser une “solution” à
l'arrache. Mais cette “solution”, comme toutes celles qui ont été
trouvées avant, ne sera qu'une “solution” temporaire et bâclée,
plutôt qu'un réel plan capable d'établir un gouvernement stable et
fonctionnel. Ce gouvernement a reçu la mission de la part des riches
de suivre à la lettre les commandement de la troïka et de l'élite
capitaliste pour mener une offensive sans fin contre les
travailleurs et les pauvres – pour un tel gouvernement, il est
impossible de bénéficier de la moindre stabilité, étant donné la
misère sociale et les explosions inévitables qu'entraine cette
politique. Il revient donc à la classe ouvrière et à la jeunesse
de se mobiliser et d'organiser la lutte pour une alternative, pour
porter à ce gouvernement le coup final, et pour empêcher qu'une
nouvelle “solution” soit trouvée sur base de plus d'austérité
et d'appauvrissement.
Une puissante grève
générale a été organisée le 27 juin, paralysant
l'économie pour la cinquième fois en moins de trois ans.
C'était aussi la quatrième grève générale contre ce
gouvernement de coalition mis sur pied il y a deux ans, composé
du PSD (Partido Social Democrata, un parti de droite) et du CDS
(Partido do Centro Democrático e Social, de droite aussi). Cette
grève était le point culminant d'une nouvelle vague de luttes
militantes. Au cours des semaines et mois qui ont précédé ce
mouvement de masse, on a vu toutes sortes de grève, chez les
dockers, les facteurs, les enseignants et le personnel médical.
Le 2 mars a été une des plus grandes mobilisations depuis
la révolution portugaise de 1974 ; des dizaines
de milliers de manifestants sont descendus dans les rues encore
le 25 mai.
La dernière grève
générale a été la première aussi à être explicitement
anti-gouvernement : au moins du point de vue de la CGTP
(Confederação Geral dos Trabalhadores Portgueses, la principale
fédération syndicale), la grève était liée à la revendication
de la chute du gouvernement et pour de nouvelles élections. Ces
luttes et mobilisations sont de plus en plus caractérisées par un
consensus écrasant selon lequel la contre-offensive ouvrière doit
aller au-delà des simples attaques isolées contre un secteur ou une
branche économique particulière. Les travailleurs et la jeunesse
portugais en lutte sont maintenant fermement convaincus qu'il faut se
débarrasser de tout le régime d'austérité, incarné par ce
gouvernement, subordonné à la troïka. Cette prise de conscience
reflète la compréhension de plus en plus répandue que la lutte
contre l'austérité et contre la décrépitude sociale est une lutte
politique ; en dernière analyse, c'est une question de
gouvernement.
Donc, le caractère
anti-gouvernement de cette dernière grève générale, et en
particulier l'objectif déclaré de la CGTP qui est de faire tomber
ce gouvernement, revêt une importance toute particulière. Une grève
générale massive, avec un appel ouvert à faire dégager ce
gouvernement capitaliste, est quelque chose d'assez inédit dans le
contexte européen depuis le début de la crise ; cela
représente l'arrivée en Europe de cet élément de fièvre
révolutionnaire qui a caractérisé le “Printemps arabe”.
Toutefois, beaucoup de travail reste à faire pour transformer le mot
d'ordre abstrait de la CGTP en un mouvement et une stratégie
concrets capable de l'accomplir.
Le pays a déjà connu cinq journées de grève générale |
La grève générale fait chanceler le gouvernement
Il est évident que
c'est cette grève générale qui a provoqué et accéléré la crise
du gouvernement. Moins de 48 heures plus tard,
Victor Gaspar, le ministre des Finances tant détesté, qui
est considéré comme le responsable direct de la mise en œuvre des
pires plans d'austérité du gouvernement, a remis sa démission
longtemps attendue, en déclarant que “aucune des conditions”
pour la mise en œuvre des mesures exigées par le gouvernement
n'était présente. Il est clair que certaines de ces “conditions”
sont économiques – on le voit avec l'étranglement continu de
l'économie sous l'impact de l'austérité – mais cela est
loin de tout expliquer. Les conditions qui rendent le règne des
Gaspar et des Coelho impossible et si instable sont les conditions
fondamentales qui caractérisent la société capitaliste : en
dernier recours, on ne peut satisfaire la classe dirigeante sans
susciter la colère de la majorité laborieuse, dont les politiciens
sont techniquement dépendants pour pouvoir se faire élire au
parlement ou au gouvernement.
C'est pour cette raison toute simple
que tous les gouvernements qui sont universellement détestés et qui
s'approchent lentement mais surement de l'annihilation électorale se
retrouvent de plus en plus parcourus par des divisions, des
désertions et des scissions. Cette caractéristique, commune au
Portugal, à l'Espagne, à la Grèce, à l'Irlande et à tous les
pays qui se retrouvent à l'épicentre de la crise et de la
résistance, reflète fondamentalement la peur de ceux qui sont
au-dessus face à l'inévitable rébellion d'en-bas. Qu'y a-t-il de
meilleur, pour concrétiser cette peur et accélérer ce processus,
qu'une grève générale regroupant plus de 80 % de la
population active ? Voilà le contexte qui a poussé Gaspar à
la démission.
Ce faisant, il a
ouvert la porte à la catastrophe. Paolo Portas, ministre des
Affaires étrangères et dirigeant du CDS, a lui aussi présenté
sa démission dans la foulée, après toutes ses tentatives cyniques
de se présenter en tant qu'“opposant de l'intérieur” contre les
attaques du gouvernement sur les pensionnés et sur les chômeurs. Sa
démission a enlevé la dernière pierre qui empêchait l'implosion
de la coalition – deux autres ministres CDS ont annoncé
en même temps leur démission. Les banques internationales ont
commencé à émettre des communiqués à leurs investisseurs qui
prédisaient la chute du gouvernement dans les 48 heures !
Cependant, le mouvement ouvrier n'a pas porté le coup final. Le
gouvernement a donc pu se restabiliser. Portas et le CDS sont revenus
au gouvernement, en échange d'un plus grand poids à l'intérieur
(Portas est maintenant devenu vice-premier ministre).
Le gouvernement vacille mais ne chute pas |
Pour une intensification et une permanence du mouvement afin d'en finir pour de bon !
Dans un tel contexte,
une direction syndicale déterminée n'aurait eu qu'à lever son
petit doigt pour mobiliser afin de faire tomber ce gouvernement pour
de bon. Hélas, en l'absence d'une stratégie combative de la part
des dirigeants syndicaux, comme un appel à une nouvelle grève
générale immédiate, à des occupations et à des manifestations de
masse, la situation a recommencé à se développer selon un scénario
déjà malheureusement bien connu des militants au Portugal. Les
démonstrations de colère sismiques de la puissance de la classe
ouvrière et de la jeunesse – les cinq grèves générales
et les mobilisations sans précédent du 12 mars et
du 12 septembre 2012, etc. – font vaciller et
tituber le gouvernement.
Mais à chaque fois, en l'absence d'une
intensification et d'une poursuite de la lutte, le dernier coup ne
vient jamais, et la situation parvient à chaque fois à se
restabiliser petit à petit. Si la grève générale du 27 juin
avait été suivie d'une nouvelle grève de 48 heures,
accompagnée par des mobilisations de masse (comme le suggérait
Socialismo Revolucionario, section portugaise du CIO), cela
aurait représenté un énorme pas en avant pour la lutte pour en
finir avec ce gouvernement, et cela aurait très certainement suffi à
provoquer sa chute. La direction de la CGTP a proposé et mobilisé
uniquement pour un petit rassemblement (qui aurait sans aucun doute
été bien plus grand s'il n'avait pas fait aussi chaud) devant le
palais présidentiel samedi, après que le gouvernement avait déjà
eu le temps d'improviser un accord à la va-vite. La lutte pour une
stratégie alternative et combative doit maintenant être reprise et
intensifiée partout dans le mouvement ouvrier et dans les mouvement
sociaux.
Cependant, il est
tout aussi crucial d'entamer un débat qui aille au-delà de la
simple revendication de chute du gouvernement. Le
“Partido Socialista” (parti “socialiste”) qui se trouve
en ce moment en tête des sondages, est le même parti qui a signé
le “mémorandum” de la troïka lorsque lui-même se trouvait au
pouvoir, et ne cache pas son intention qui est de continuer à
respecter les engagements qu'il a lui-même signés. Ces derniers
jours, le dirigeant du PS Seguro a mis en avant le caractère
“responsable” de son parti (envers le capitalisme, évidemment),
qui demande qu'on lui remette la direction du gouvernement afin de
“mieux négocier” un nouveau – et “inévitable” –
plan de renflouement de la part de la troïka. La tâche de la gauche
et des dirigeants des mouvements est donc d'avertir la classe
ouvrière de la manière la plus claire possible du fait qu'un
gouvernement PS ne pourra jamais apporter le moindre espoir
d'amélioration de la situation.
L'austérité, toujours l'austérité… |
Non au gouvernement d'“union nationale” !
Il y a aussi beaucoup
de discussions autour d'une “solution de palais”, qui pourrait se
baser sur l'intervention du président du Portugal Cavaco Silva
(PSD) (au Portugal comme dans beaucoup d'autres pays – Italie,
Turquie, Allemagne… –, le président ne joue pas un rôle de
pouvoir mais de simple garant moral du gouvernement, dirigé par un
premier ministre) afin de former un gouvernement d'“union
nationale”. Ce matin du jeudi 11 juillet, il était prévu
que Silva donne un discours sur la crise politique, dans lequel on
s'attendait à ce qu'il donne son soutien à la “solution” du
gouvernement qui était d'effectuer un remaniement ministériel entre
les différents partis du gouvernement. Toutefois, il a à la place
donné un discours qui a choqué la nation toute entière, et en tout
cas qui a dû bouleverser les dirigeants de son propre parti plus que
tout le monde !
Rejetant la solution proposée par Coelho et
Portas, il a appelé à la mise sur pied d'une grande coalition du
PSD, du CDS et du PS : de tous les partis “qui soutiennent le
memorandum”. Le PS ne voulait au départ même pas entendre parler
de l'idée d'une grande coalition, pas parce qu'il s'oppose à la
politique de droite du gouvernement, mais parce qu'il préfère
attendre la chute du gouvernement et de nouvelles élections afin de
revenir au pouvoir avec une écrasante majorité (vu comme tout le
monde déteste maintenant les partis qui sont en ce moment au
pouvoir). Cependant, vu l'inconsistance des dirigeants du PS, on ne
peut écarter la possibilité de voir un tel gouvernement se mettre
en place. Il semble que, sous la pression des évènements, et du
fait de leur crainte que d'éventuelles élections ne mènent qu'à
plus d'instabilité, le capitalisme portugais et la troïka préfèrent
une solution “technocratique” ; ça fait d'ailleurs un bon
moment qu'ils expriment leur souhait de voir le PS revenir au
gouvernement. Tout deviendra sans doute plus clair dans les jours qui
viennent, lorsque des négociations vont reprendre entre le président
et les partis, dont on dit qu'elles devraient réserver un rôle à
une mystérieuse “figure de prestige reconnu”.
Une telle solution ne
serait en rien une amélioration de la situation, mais représenterait
au contraire une préparation consciente de la part de la classe
dirigeante en crise, qui cherche à se rassembler et à renforcer ses
défenses avant une attaque massive contre la classe ouvrière qui
mènera à l'élimination pure et simple de tout l'État-providence.
Et de fait, Silva dans sa déclaration a bien insisté sur le fait
que la tâche de ce gouvernement d'union nationale sera de maintenir
le programme d'austérité coute que coute.
Plusieurs leçons
doivent être tirées du rôle de traitre joué par Silva au cours
des derniers jours. Essentiellement, la conclusion qui doit être
tirée est que dans la lutte pour faire tomber la coalition, ceux qui
plaçaient tous leurs espoirs dans l'intervention du président de la
république ont été cruellement déçus. Bien que nous ne serions
pas contre le fait que le président de la république vire le
gouvernement et appelle à de nouvelles élections, notre classe doit
comprendre qu'elle ne peut avoir confiance qu'en sa propre force et
en sa propre organisation dans la lutte contre la coalition. Des faux
amis sont souvent plus dangereux que des ennemis déclarés. La
solution à la crise politique et sociale qui ravage en ce moment la
société portugaise ne sortira pas du palais présidentiel, mais des
entreprises, des universités, des lycées et des quartiers pauvres.
“Cavaco Silva aggrave la crise politique” |
Le potentiel de la gauche et la lutte pour un gouvernement ouvrier
Nous ne pouvons rien
accepter de moins que la chute du gouvernement et de nouvelles
élections, qui permettront d'ouvrir une nouvelle étape politique
dans l'histoire du pays. Ces élections, si elles arrivent, amèneront
certainement à une consolidation de la hausse du soutien aux partis
de gauche, ce qui aura le potentiel de placer le mouvement ouvrier et
les mouvements sociaux dans une position plus forte. Des assemblées
de masse sur les entreprises, dans les établissements d'enseignement
et dans les quartiers, avec des comités démocratiquement élus et
révocables à tout moment pour l'organisation d'un mouvement uni
– rassemblant les militants syndicalistes et de la gauche en
général, et tous ceux qui ne sont encore membres d'aucune
organisation – pourrait nous permettre de construire et de
coordonner une campagne de masse afin de garantir que des élections
aient lieu, et de débattre et de décider de la stratégie et du
programme pour la lutte pour un gouvernement alternatif.
La clé de la
situation se trouve entre les mains des partis de gauche de masse qui
sont le Bloc de gauche et le Parti communiste, qui
bénéficient constamment ensemble d'un soutien de plus de 20 %
dans les sondages. Un front uni de ces partis, en conjonction avec
les syndicats et les mouvements sociaux, pourrait poser la question
de savoir si on combat pour en finir avec ce gouvernement uniquement,
ou si l'on va en finir carrément avec tous les gouvernements
capitalistes quels qu'ils soient, et soulever la question d'un
gouvernement ouvrier capable de retourner complètement la situation
au bénéfice de la majorité de la population. Pour que cela puisse
se produire, la gauche doit adopter un programme et une tactique
socialistes révolutionnaires, en tant que seul moyen de quitter la
spirale mortelle de la dépression économique et de misère
croissante que représente la troïka.
Cela suppose une
lutte déterminée et organisée, à travers tous les mouvements et
toute la gauche, y compris au sein des rangs des partis principaux,
dans le but d'une véritable unité et pour un programme politique
qui aille bien au-delà de celui qui aujourd'hui domine
malheureusement au sein des partis de gauche de masse à l'heure
actuelle. La politique défendue par les dirigeants du Bloc de gauche
et du Parti communiste est d'aller vers une “renégociation”
de la dette nationale et des taux d'intérêts, et vers plus de
“solidarité” de la part de la Banque centrale européenne ;
cette politique ne correspond en rien ni à la nature profonde et
structurelle de la crise capitaliste actuelle, ni au caractère
absolument vampirique des institutions telles que la BCE.
Socialismo Revolucionario, section portugaise du CIO, lutte afin
de populariser un programme socialiste de rejet de toute l'austérité
et de répudiation de la dette, lié au besoin de briser le pouvoir
des marchés par la nationalisation des banques et des secteurs-clés
de l'économie, sous contrôle public démocratique. Sur cette base,
un plan de “renflouement” socialiste de la société et de
l'économie portugaises, plutôt qu'un plan de “renflouement” des
profits des grandes entreprises, pourrait être mis en place. La
lutte pour un gouvernement ouvrier afin de mettre en place un tel
plan, en conjonction avec les travailleurs en lutte de toute
l'Europe, et en particulier d'Europe méridionale, mettra alors
à l'ordre du jour la question d'une fédération socialiste d'Europe
en tant qu'alternative à l'Union européenne capitaliste.
Les capitalistes sont prêts à enflammer le pays par l'austérité |
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