dimanche 14 juillet 2013

Théorie : petit tour de l'état de l'économie mondiale

« Les banques centrales naviguent dans le noir »



La grave récession de 2008-2009 a fait de l'économie mondiale un véritable laboratoire d'expérimentations. Mais ni l'austérité extrême ni les trillions injectés dans les banques n'ont conduit à une véritable reprise. Les politiciens et les économistes sont désormais de plus en plus préoccupés et avouent leur absence de solutions.

Article rédigé fin mai 2013 par notre camarade Per-Åke Westerlund, membre dirigeant du Rättvisepartiet Socialisterna (Parti de résistance socialiste, section suédoise du CIO)


Au centre des préoccupations, la crise européenne. Au début de 2012, l'Italie et l'Espagne étaient proches du défaut souverain (fait pour un gouvernement de ne pas pouvoir payer sa dette), une situation qui, à son tour, aurait pu voir s'effondrer le projet “euro” tout entier. Les dirigeants et les institutions européennes, par crainte, ont du prendre des mesures extrêmes.

La Banque centrale européenne (BCE) a promis un “accès illimité” au capital pour les États et les banques. Depuis lors, la BCE a prêté 360 milliards d'euros (235 000 milliards de francs) rien qu'aux banques espagnoles et 260 milliards (170 000 milliards de francs) aux banques italiennes. Une grande partie de ces sommes a été utilisée pour racheter leurs obligations d'État respectives. L'écart de taux d'intérêt – ce qui coute en plus à l'Espagne et à l'Italie pour emprunter par rapport à l'Allemagne – a chuté de 6-7 % à 2-3 %.

La générosité de la BCE est compensée par les autres banques centrales. La Réserve fédérale américaine (FED) en est à sa quatrième phase d'“assouplissement quantitatif”, ce qui signifie que la FED rachète des parts de la dette publique à raison de 85 milliards de dollars (4250 milliards de francs) par mois.

Le nouveau gouvernement de droite du Japon s'est lancé dans une politique monétaire “quantitative et qualitative”, une double mesure par rapport à celle de la FED. En deux ans, la banque centrale (la Banque du Japon, BOJ) va utiliser l'équivalent d'un quart de son PIB – le Japon est la troisième plus grande économie mondiale derrière les États-Unis et la Chine – pour acheter des obligations d'État, des actions et des biens immobiliers. 

Les dirigeants du monde entier tentent de trouver le coupable de la crise
 

Les banques centrales


Mais désormais, il y a une inquiétude croissante quant à savoir si les interventions des banques centrales sont bel et bien la solution ou au contraire aggraveraient la crise. « Certaines figures de proue des banques centrales avouent qu'ils naviguent dans le noir dans le pilotage de leur économie », a rapporté le Financial Times (18 avril) après la dernière réunion du Fonds monétaire international (FMI).

Selon Lorenzo Samgh de la direction de la BCE : « Nous ne comprenons pas entièrement ce qui se passe dans les économies avancées ». Le chef de la Banque d'Angleterre, Mervyn King, a affirmé que personne ne pouvait être sûr que la politique monétaire expansionniste était correcte et s'est interrogé sur le fait qu'elle pouvait « courir le risque d'attiser les problèmes qui ont conduit à la crise préalablement ».

L'intervention de la banque centrale a assoupli la crise immédiate pour les banques et les États les plus vulnérables. Mais elle n'a pas relancé l'économie – les investissements dans les pays capitalistes avancés sont toujours à leur plus bas depuis des décennies.

Cependant, la nouvelle politique a initié des conflits plus nets entre les États-nations. La monnaie japonaise, le yen, a chuté de 25 % depuis l'année dernière. Cela a profité à l'industrie d'exportation japonaise au détriment, entre autres, des industries allemande et sud-coréenne.

Les rapports semi-annuels d'avril du FMI (le Rapport sur la stabilité financière globale et les perspectives économiques mondiales) notent que les actions des banques centrales ont provoqué une « large reprise du marché » mais ont aussi créé de nouveaux risques. Le capital passe maintenant des pays les plus riches vers les pays en développement, créant une instabilité potentielle. Le patron de la FED, Ben Bernanke, a récemment averti que la spéculation des banques pourrait s'accroitre.

Hausse des tensions entre États. Obama en Chine :
« Dépêchez-vous de payer vos dettes sans quoi vous risquez la ruine »

Le FMI


Mais ce qui inquiète véritablement le FMI est ce qui se passera quand la politique d'assouplissement prendra fin. Il n'existe aucun précédent historique sur lequel se baser. « Des améliorations continues nécessiteront un redressement du bilan du secteur financier et un déroulement harmonieux des surendettements public et privé. Si nous ne relevons pas ces défis à moyen terme, les risques pourraient réapparaitre. La crise financière mondiale pourrait se transformer en une phase plus chronique marquée par une détérioration des conditions financières et des épisodes récurrents d'instabilité financière », écrit le FMI. Mais tout a jusqu'ici échoué, la situation tend vers une crise plus chronique.

La deuxième étape de la politique de crise – les mesures d'austérité extrêmes – ont eu des effets immédiats bien plus graves. 19,2 millions de personnes sont actuellement au chômage dans la zone euro, dont six millions rien qu'en Espagne. En Grèce, le chômage des jeunes s'élève à 59,1 %. Le New York Times a rapporté dans un article sur les écoles grecques que des enfants s'y évanouissent de faim et fouillent les poubelles pour trouver de la nourriture.

Le premier ministre portugais, Pedro Passos Coelho – fervent partisan de l'infâme austérité de la Troïka (FMI, UE et BCE) – avait promis en 2011 que ces “deux terribles années” allaient être suivies par une reprise. Mais en raison de l'austérité extrême, en 2013, le Portugal « fait maintenant face à une récession plus profonde et plus longue que celle prévue par le gouvernement et les prêteurs internationaux. » (Financial Times).

Le FMI a estimé en avril que le risque de récession (le fait que l'économie se contracte) dans la zone euro était de 50 %. Depuis lors, le président de la BCE, Mario Draghi, a averti que même la France s'était enfoncée plus profondément dans la crise. L'UE a accordé à l'Espagne et à la France deux années supplémentaires pour se conformer à la règle selon laquelle les déficits budgétaires ne doivent pas dépasser 3 % du PIB. Selon cette règle, ces deux pays auraient sinon été condamnés à une amende.

Dans une grande enquête effectuée par l'agence de notation Fitch auprès des capitalistes et des investisseurs financiers en Europe, une grande majorité pense que le calme qui règne cette année en Europe n'est que passager. « Fitch met en garde dans un communiqué que l'année 2013 pourrait revoir un été marqué par la crise de l'euro, tout comme ce fut le cas en 2011 et 2012, car il y a une forte contradiction entre la récente reprise boursière et la montée du chômage » (Dagens Industri, quotidien suédois). 

Comment le FMI fait ses prédictions.
Voir aussi ce lien pour comprendre à quel point le FMI ne comprend rien
à ce qui est en train de se passer dans le monde.

Pas de solution dans le cadre du capitalisme

Aucune institution capitaliste n'a de solutions. Beaucoup avertissent du fait que l'austérité est allée trop loin, mais continuent de souligner la nécessité d'un budget équilibré pour le “moyen terme”.

« Combien de temps faudra-t-il pour que la crise chypriote qui menace de s'étendre démontre que les pays de l'UE ont besoin d'une union bancaire ? », écrit le FMI dans son rapport. Et avant que les flux de capitaux illimités de la BCE n'atténuent la crise, les politiciens dirigeants de l'UE comme Angela Merkel et le président de la Commission européenne Barroso déclaraient que l'UE avait besoin d'une politique budgétaire beaucoup plus stricte et synchronisée.

Mais les intérêts nationaux et les conflits rendent les dirigeants, et en particulier les dirigeants allemands, fort hésitants. Le risque, à leurs yeux, est que l'Allemagne devienne définitivement le garant des banques à travers l'Europe.

En parallèle avec les contradictions croissantes au sein des États membres de l'UE, il y a une méfiance grandissante contre l'Europe elle-même. Aujourd'hui, en Espagne, 72 % de la population européenne est critique par rapport à l'Union européenne, contre 23 % avant la crise. En Allemagne, cette méfiance est passé de 36 à 59 %.

La crise a été utilisée pour pousser en avant les contre-réformes néolibérales dont rêvaient les capitalistes. Des pensions encore plus basses en Italie, des facilités pour licencier les travailleurs en Espagne, des réductions de salaire de 50 % en Grèce, et ainsi de suite. De la même façon, les capitalistes augmentent leur pression sur le président français François Hollande. Il a déjà aboli l'impôt sur les gains en capital et a promis de réduire les allocations de chômage, des pensions et des municipalités.

En même temps, la pression politique provenant de la base se fait de plus en plus forte. Dans un sondage d'opinion français, 70 % des sondés pensent qu'une “explosion sociale” est possible dans les prochains mois.

Le FMI, en avril, a à nouveau revu à la baisse ses prévisions pour la croissance économique mondiale de cette année, à 3,3 % (il prévoyait 3,5 % en octobre). Le commerce mondial ne devrait augmenter que de 3,6 % cette année, contre 2,5 % l'année dernière.

L'indice des directeurs d'achats des grandes entreprises européennes et japonaises est encore en dessous de 50, ce qui indique que l'économie ne se développe pas. Mais même dans le cas de la Chine, ce chiffre ne dépasse pas beaucoup les 50. 

En temps de crise, c'est le chacun pour soi. L'Allemagne
cherche à lâcher l'Italie, la Grèce, le Portugal et l'Espagne.
Et tant pis pour le projet européen.

La Chine

L'économie de la Chine – la deuxième plus grande économie au monde, mais dont on estime qu'elle dépassera les États-Unis d'ici 2020 – est en train de ralentir fortement. Le grand plan de relance de 2009, qui a soutenu la croissance au moment de la crise grâce à des investissements étatiques massifs, porte maintenant un très grave contre-coup à l'économie. Les dettes des municipalités et des provinces sont estimées à entre 20 et 40 % du PIB du pays. Au cours du premier trimestre de cette année, ces dettes ont augmenté deux fois plus vite que dans la même période en 2012.

Le FMI et les politiciens occidentaux parlent souvent de la hausse de la consommation en Chine en même temps que d'une baisse de l'investissement. Mais l'abaissement de la part de l'investissement dans le PIB de 50 à 30 %, dans une situation ou la croissance économique sera de 6 % au lieu des 10 % précédents, « pourrait provoquerait une dépression à lui tout seul » conclut le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf. La demande pourrait alors s'effondrer, avec un impact considérable sur l'économie mondiale.

Les gouvernements et les classes capitalistes mettent désormais davantage de pression sur d'autres États. Les États-Unis veulent voir une plus grande demande en Allemagne et en Europe, tandis que les politiciens européens exigent que les déficits des États-Unis et du Japon soient réduits. Le déficit budgétaire du Japon cette année est de près de 10 % du PIB, pour la cinquième année consécutive. La dette publique devrait être à 255 % du PIB en 2018.

Le déficit américain est de 5 % du PIB et la dette s'élève à 110 % de celui-ci. La croissance cette année aux États-Unis devrait être la plus élevée des pays capitalistes développées, soit 1,2 %. Mais les prévisions sont incertaines puisque les coupes automatiques, la mise sous séquestre, n'auront effet que dans la seconde moitié de l'année.

Avec l'échec de toutes ces méthodes “peu orthodoxes”, de plus en plus de gens se rendent compte que les capitalistes n'ont pas de solution, qu'il n'y a pas de solution dans le cadre du système capitaliste. La résistance des travailleurs et des pauvres va s'accroitre, comme l'ont montré les manifestations de masse au Portugal au début de mars qui étaient les plus importantes depuis la révolution de 1974

La tâche des socialistes est de construire de nouveaux partis des travailleurs avec une réponse socialiste claire face à la crise.

Manifestation en Espagne : « Non aux coupes budgétaires ! »

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