« Les banques centrales naviguent dans le noir »
La grave récession
de 2008-2009 a fait de l'économie mondiale un véritable laboratoire
d'expérimentations. Mais ni l'austérité extrême ni les trillions
injectés dans les banques n'ont conduit à une véritable reprise.
Les politiciens et les économistes sont désormais de plus en plus
préoccupés et avouent leur absence de solutions.
Article rédigé
fin mai 2013 par notre camarade Per-Åke Westerlund,
membre dirigeant du Rättvisepartiet Socialisterna (Parti de
résistance socialiste, section suédoise du CIO)
Au centre des
préoccupations, la crise européenne. Au début de 2012,
l'Italie et l'Espagne étaient proches du défaut souverain
(fait pour un gouvernement de ne pas pouvoir payer sa dette), une
situation qui, à son tour, aurait pu voir s'effondrer le
projet “euro” tout entier. Les dirigeants et les
institutions européennes, par crainte, ont du prendre des mesures
extrêmes.
La
Banque centrale européenne (BCE) a promis un “accès
illimité” au capital pour les États et les banques. Depuis
lors, la BCE a prêté 360 milliards d'euros
(235 000 milliards de francs) rien qu'aux banques
espagnoles et 260 milliards (170 000 milliards
de francs) aux banques italiennes. Une grande partie de ces
sommes a été utilisée pour racheter leurs obligations d'État
respectives. L'écart de taux d'intérêt – ce qui coute
en plus à l'Espagne et à l'Italie pour emprunter par rapport à
l'Allemagne – a chuté de 6-7 % à 2-3 %.
La générosité de
la BCE est compensée par les autres banques centrales. La
Réserve fédérale américaine (FED) en est à sa
quatrième phase d'“assouplissement quantitatif”, ce qui
signifie que la FED rachète des parts de la dette publique à raison
de 85 milliards de dollars (4250 milliards de francs)
par mois.
Le nouveau
gouvernement de droite du Japon s'est lancé dans une politique
monétaire “quantitative et qualitative”, une double mesure par
rapport à celle de la FED. En deux ans, la banque centrale
(la Banque du Japon, BOJ) va utiliser l'équivalent d'un quart de
son PIB – le Japon est la troisième plus grande économie
mondiale derrière les États-Unis et la Chine – pour acheter
des obligations d'État, des actions et des biens immobiliers.
Les dirigeants du monde entier tentent de trouver le coupable de la crise |
Les banques centrales
Mais désormais, il y
a une inquiétude croissante quant à savoir si les interventions des
banques centrales sont bel et bien la solution ou au contraire
aggraveraient la crise. « Certaines
figures de proue des banques centrales
avouent qu'ils naviguent dans le noir dans
le pilotage de leur économie », a rapporté le
Financial Times (18 avril) après la dernière réunion du
Fonds monétaire international (FMI).
Selon Lorenzo Samgh
de la direction de la BCE :
« Nous ne comprenons pas entièrement ce qui se passe dans les
économies avancées ». Le chef de la Banque
d'Angleterre, Mervyn King, a affirmé que personne ne pouvait être
sûr que la politique monétaire expansionniste était correcte
et s'est interrogé sur le fait qu'elle
pouvait « courir le
risque d'attiser les problèmes
qui ont conduit à la crise préalablement ».
L'intervention de la
banque centrale a assoupli la crise immédiate pour les banques et
les États les plus vulnérables. Mais elle n'a pas relancé
l'économie – les investissements dans les pays
capitalistes avancés sont toujours à leur plus bas depuis des
décennies.
Cependant, la
nouvelle politique a initié des conflits plus nets entre les
États-nations. La monnaie japonaise, le yen, a chuté de 25 %
depuis l'année dernière. Cela a profité à l'industrie
d'exportation japonaise au détriment, entre autres, des industries
allemande et sud-coréenne.
Les rapports
semi-annuels d'avril du FMI (le Rapport sur la stabilité financière
globale et les perspectives économiques mondiales) notent que les
actions des banques centrales ont provoqué une « large
reprise du marché » mais ont aussi créé de
nouveaux risques. Le capital passe maintenant des pays les
plus riches vers les pays en développement, créant une
instabilité potentielle. Le patron de la FED, Ben Bernanke, a
récemment averti que la spéculation des banques pourrait
s'accroitre.
Hausse des tensions entre États. Obama en Chine : « Dépêchez-vous de payer vos dettes sans quoi vous risquez la ruine » |
Le FMI
Mais ce qui inquiète
véritablement le FMI est ce qui se passera quand la politique
d'assouplissement prendra fin. Il n'existe aucun précédent
historique sur lequel se baser.
« Des améliorations continues nécessiteront un redressement
du bilan du secteur financier et un déroulement harmonieux des
surendettements public et privé. Si nous ne relevons pas ces défis
à moyen terme, les risques pourraient réapparaitre. La crise
financière mondiale pourrait se transformer en une
phase plus chronique
marquée par une détérioration
des conditions financières
et des épisodes
récurrents d'instabilité financière »,
écrit le FMI. Mais tout a jusqu'ici échoué, la situation
tend vers une crise plus chronique.
La deuxième étape
de la politique de crise – les mesures d'austérité
extrêmes – ont eu des effets immédiats bien plus graves.
19,2 millions de personnes sont actuellement au chômage dans la
zone euro, dont six millions rien qu'en Espagne. En Grèce, le
chômage des jeunes s'élève à 59,1 %. Le New York Times
a rapporté dans un article sur les écoles grecques que des
enfants s'y évanouissent de faim et fouillent les poubelles pour
trouver de la nourriture.
Le premier ministre
portugais, Pedro Passos Coelho – fervent partisan de
l'infâme austérité de la Troïka (FMI, UE et BCE) – avait
promis en 2011 que ces “deux
terribles années” allaient être suivies par une reprise.
Mais en raison de l'austérité extrême, en 2013, le Portugal
« fait maintenant face à une récession
plus profonde et plus longue que celle prévue
par le gouvernement et les prêteurs internationaux. »
(Financial Times).
Le FMI a estimé en
avril que le risque de récession (le fait que l'économie se
contracte) dans la zone euro était de 50 %. Depuis lors,
le président de la BCE, Mario Draghi, a averti que même la
France s'était enfoncée plus profondément dans la crise. L'UE
a accordé à l'Espagne et à la France deux années
supplémentaires pour se conformer à la règle selon laquelle
les déficits budgétaires ne doivent pas dépasser 3 % du PIB.
Selon cette règle, ces deux pays auraient sinon été condamnés
à une amende.
Dans une grande
enquête effectuée par l'agence de notation Fitch auprès des
capitalistes et des investisseurs financiers en Europe, une grande
majorité pense que le calme qui
règne cette année en Europe n'est que passager. « Fitch met
en garde dans un communiqué que l'année 2013 pourrait revoir
un été marqué par la
crise de l'euro, tout
comme ce fut le cas en 2011 et 2012, car il y a une forte
contradiction entre la
récente reprise boursière et la montée du chômage »
(Dagens Industri, quotidien suédois).
Comment le FMI fait ses prédictions. Voir aussi ce lien pour comprendre à quel point le FMI ne comprend rien à ce qui est en train de se passer dans le monde. |
Pas
de solution dans le cadre du capitalisme
Aucune institution
capitaliste n'a de solutions. Beaucoup avertissent du fait que
l'austérité est allée trop loin, mais continuent de
souligner la nécessité d'un budget équilibré pour le “moyen
terme”.
« Combien de
temps faudra-t-il pour que la crise chypriote qui menace de s'étendre
démontre que les pays de l'UE ont besoin d'une union bancaire ? »,
écrit le FMI dans son rapport. Et avant que les flux de capitaux
illimités de la BCE n'atténuent la crise, les politiciens
dirigeants de l'UE comme Angela Merkel et le président de la
Commission européenne Barroso déclaraient que l'UE avait besoin
d'une politique budgétaire beaucoup plus stricte et synchronisée.
Mais les intérêts
nationaux et les conflits rendent les dirigeants, et en
particulier les dirigeants allemands, fort hésitants. Le
risque, à leurs yeux, est que l'Allemagne devienne définitivement
le garant des banques à travers l'Europe.
En parallèle avec
les contradictions croissantes au sein des États membres de l'UE, il
y a une méfiance grandissante contre l'Europe elle-même.
Aujourd'hui, en Espagne, 72 % de la population européenne
est critique par rapport à l'Union européenne,
contre 23 % avant la crise. En Allemagne, cette méfiance est
passé de 36 à 59 %.
La crise a été
utilisée pour pousser en avant les contre-réformes néolibérales
dont rêvaient les capitalistes. Des pensions encore plus basses en
Italie, des facilités pour licencier les travailleurs en Espagne,
des réductions de salaire de 50 % en Grèce, et ainsi de suite.
De la même façon, les capitalistes augmentent leur pression sur le
président français François Hollande. Il a déjà
aboli l'impôt sur les gains en capital et a promis de réduire
les allocations de chômage, des pensions et des municipalités.
En même temps, la
pression politique provenant de la base se fait de plus en plus
forte. Dans un sondage d'opinion français, 70 % des sondés
pensent qu'une “explosion
sociale” est possible dans les prochains mois.
Le FMI, en avril, a à
nouveau revu à la baisse ses prévisions pour la croissance
économique mondiale de cette année, à 3,3 % (il prévoyait
3,5 % en octobre). Le commerce mondial ne devrait augmenter que
de 3,6 % cette année, contre 2,5 % l'année dernière.
L'indice des
directeurs d'achats des grandes entreprises européennes et
japonaises est encore en dessous de 50, ce qui indique que
l'économie ne se développe pas. Mais même dans le cas de la Chine,
ce chiffre ne dépasse pas beaucoup les 50.
En temps de crise, c'est le chacun pour soi. L'Allemagne cherche à lâcher l'Italie, la Grèce, le Portugal et l'Espagne. Et tant pis pour le projet européen. |
La
Chine
L'économie de la
Chine – la deuxième plus grande économie au monde, mais dont
on estime qu'elle dépassera les États-Unis d'ici 2020 –
est en train de ralentir fortement. Le grand plan de relance
de 2009, qui a soutenu la croissance au moment de la
crise grâce à des investissements étatiques massifs, porte
maintenant un très grave contre-coup à l'économie. Les
dettes des municipalités et des provinces sont estimées à
entre 20 et 40 % du PIB du pays. Au cours du premier
trimestre de cette année, ces dettes ont augmenté deux fois
plus vite que dans la même période en 2012.
Le FMI et les
politiciens occidentaux parlent souvent de la hausse de la
consommation en Chine en même temps que d'une baisse de
l'investissement. Mais l'abaissement de la part de l'investissement
dans le PIB de 50 à 30 %, dans une situation ou la
croissance économique sera de 6 % au lieu des 10 %
précédents, « pourrait
provoquerait une dépression à lui tout seul » conclut
le chroniqueur économique du Financial Times, Martin Wolf.
La demande pourrait alors s'effondrer, avec un impact considérable
sur l'économie mondiale.
Les gouvernements et
les classes capitalistes mettent désormais davantage de pression sur
d'autres États. Les États-Unis veulent voir une plus grande demande
en Allemagne et en Europe, tandis que les politiciens européens
exigent que les déficits des États-Unis et du Japon soient réduits.
Le déficit budgétaire du Japon cette année est de près de 10 %
du PIB, pour la cinquième année consécutive. La dette
publique devrait être à 255 % du PIB en 2018.
Le déficit américain
est de 5 % du PIB et la dette s'élève à 110 % de
celui-ci. La croissance cette année aux États-Unis devrait être
la plus élevée des pays
capitalistes développées, soit 1,2 %. Mais les
prévisions sont incertaines puisque les coupes automatiques, la mise
sous séquestre, n'auront effet que dans la seconde moitié de
l'année.
Avec l'échec de toutes ces méthodes “peu orthodoxes”,
de plus en plus de gens se rendent compte que les capitalistes
n'ont pas de solution, qu'il n'y a pas de solution dans le cadre
du système capitaliste. La résistance des travailleurs et des
pauvres va s'accroitre, comme l'ont montré les manifestations de
masse au Portugal au début de mars qui étaient les plus importantes
depuis la révolution de 1974.
La tâche des socialistes est
de construire de nouveaux partis des travailleurs avec une
réponse socialiste claire face à la crise.
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