vendredi 5 juillet 2013

Théorie : la révolution permanente

Comment parvenir à une véritable indépendance dans un pays néocolonial ?


La théorie de la révolution permanente, telle que formulée par Trotsky en 1905 dans son ouvrage Bilans et Perspectives, nous enseigne comment, dans le cadre d'un pays néocolonial et sous-développé, accomplir une révolution qui mène à une véritable indépendance de cette nation, c'est-à-dire, comment lutter contre l'impérialisme. Pour Trotsky, comme pour le parti bolchévique, la lutte contre l'impérialisme ne pouvait être victorieuse que par une lutte contre le capitalisme lui-même, c'est-à-dire, par la révolution socialiste.

La théorie de la révolution permanente (ou plutôt, de la “révolution ininterrompue”, pour traduire plus fidèlement le terme russe de “nepreryvnaïa revolioutsiya”) nous enseigne ainsi que dans un pays néocolonial, la lutte pour l'émancipation ne peut pas être effectuée par la bourgeoisie nationale de ce pays qui développerait ainsi le pays de manière indépendante dans le cadre d'un capitalisme « national », mais par la classe ouvrière, prolétaire salariée de ce pays. C'est-à-dire que, contrairement à la théorie marxiste « orthodoxe » prêchée notamment par les staliniens, un pays capitaliste même sous-développé ne peut attendre de parvenir à un stade de développement capitaliste avancé avant d'effectuer ensuite sa révolution socialiste. La théorie de la révolution permanente nous enseigne aussi quelle doit être l'attitude des révolutionnaires envers la paysannerie.

Cette théorie est la clé de l'action révolutionnaire dans un pays tel que la Côte d'Ivoire et est la seule permettant d'aller vers une émancipation réelle, politique et économique, du continent africain.

Ce document propose tout d'abord un texte rédigé par notre camarade belge Peter Delsing en 2001. Puis, pour aller plus loin, nous vous proposons la traduction d'une annexe à l'ouvrage Empire Defeated. Vietnam war – lessons for today rédigé en 2003 par Peter Taaffe, membre fondateur du CIO et dirigeant de notre section anglaise, malheureusement non encore traduit en français.

Une stratégie socialiste pour les pays néocoloniaux

Article rédigé en 2001 par Peter Delsing, membre de notre section belge le Linkse Socialistische Partij / Parti socialiste de lutte (LSP/PSL)

Marche au Portugal : FMI : Faim, Misère, Injustice !


Comment les pays sous-développés peuvent-ils aller de l'avant ?



Les jeunes et les travailleurs occidentaux sont devenus plus sensibles aux inégalités et à la recherche brutale de profit du capitalisme. À la veille d'une nouvelle récession, les conditions de vie minent de plus en plus la propagande bourgeoise. Le débat idéologique est rouvert. Mais quelles mesures, quel type de programme et quelle organisation faut-il aux ex-pays coloniaux pour offrir à leur population un niveau de vie décent ?



Pour répondre à cette question, les marxistes reviennent sur les leçons de la lutte des travailleurs et des paysans lors des révolutions de 1905 et de 1917 en Russie. Au début du 20e siècle, l'Afrique, l'Asie, la Russie et une grande partie de l'Amérique latine en étaient réduites à approvisionner à bas prix le marché mondial en matières premières et en force de travail. Les capitaux belges, français, américains et anglais avaient beaucoup investi en Russie. La bourgeoisie nationale, pour autant qu'elle existât, était très dépendante des investissements de l'Occident.



Un élément important dans la structure sociale en Russie, dont le tsar était la figure emblématique, était à ce moment l'existence de la grande propriété foncière quasi-féodale. Les paysans devaient laisser une partie de leur récolte au seigneur féodal. Même si le système féodal n'existe pas dans tout les pays néocoloniaux, on retrouve néanmoins très souvent des arrangements où les petits paysans, au lieu d'être exploités par des grands propriétaires ou par des chefs traditionnels à qui ils seraient redevables, sont aujourd'hui écrasés par les grosses multinationales capitalistes.



Les mouvements actuels contre les dictateurs dans les pays sous-développés, tout comme jadis la Russie féodale, sont confrontés à la même question. Faut-il une phase qui verrait la « bourgeoisie nationale » développer le pays sur les plans économique et politique préalablement à l'introduction de mesures socialistes ?



Lev Davidovitch Bronstein dit « Trotsky », le plus grand dirigeant de la révolutionrusse de 1917 aux côtés de Lénine, écartait ce scénario d'un revers de la main : la bourgeoisie russe ne pouvait pas développer le pays sans l'argent des capitalistes occidentaux. Elle ne pouvait pas non plus se hisser à la tête de la révolution contre le féodalisme : en effet, elle-même investissait dans l'agriculture, tandis que les grands propriétaires fonciers féodaux, eux, investissaient dans l'industrie. La bourgeoisie russe tendait à soutenir la police tsariste (féodale), par peur de la classe ouvrière qui avait acquis très tôt une certaine autonomie. Dans la lutte pour un système parlementaire, elle craignait davantage l'action ouvrière que la réaction tsariste. La bourgeoisie russe craignait par dessus tout l'ébranlement des rapports de production sous toutes ses formes.



Ainsi, seule la classe ouvrière pouvait donner la terre aux paysans et garantir aux minorités opprimées par le tsar leur droit à l'autodétermination. La paysannerie était en effet trop divisée entre couches riches et pauvres pour se donner une direction indépendante. C'était une classe qui pensait en termes d'intérêt individuel. Les couches les plus aisées s'identifiaient à la bourgeoisie. Les paysans les plus pauvres suivaient la classe ouvrière. Seule la prise du pouvoir par la classe ouvrière en 1917 a permis de réaliser les tâches démocratiques. Ayant pris le pouvoir, la classe ouvrière ne s'arrêta pas en chemin, mais est rapidement passée à des mesures socialistes : nationalisation des entreprises sous contrôle ouvrier et introduction d'une économie démocratiquement planifiée. La révolution acquiert alors un caractère permanent et elle ne peut se maintenir que si elle s'étend aux pays les plus industrialisés dont l'économie permet le développement du socialisme. 

Trotsky passant en revue les troupes de l'Armée rouge nouvellement formée ;
l'Armée rouge était en grande partie composée de paysans à qui des
formations théoriques étaient données afin qu'ils comprennent la
justesse de leur cause et se rallient à la révolution prolétarienne

Stalinisme, maoïsme


L'isolement prolongé de la Russie arriérée économiquement et culturellement a été une des causes de la victoire du stalinisme. Après la Deuxième Guerre mondiale, l'absence de perspective dans les pays coloniaux et l'existence d'une alternative apparente en Russie ont débouché sur une série de « révolutions permanentes », mais d'une manière bureaucratiquement déformée. S'appuyant sur une armée de paysans, les leaders staliniens et autres ont oscillé entre les classes pour établir leur propre pouvoir sur le modèle de la Russie stalinienne (Chine, Corée du Nord, Vietnam…). 

À Cuba, ce processus s'est déroulé moins consciemment qu'en Chine, mais le pouvoir n'y est pas plus qu'ailleurs entre les mains de comités élus par les travailleurs et les paysans pauvres. Une élite restreinte s'y est arrogé tout le pouvoir et ne tolère à ses côtés aucun parti qui défende la vraie démocratie ouvrière. La force d'attraction du modèle stalinien s'est fortement réduite dans le courant des années '80, après que l'Union soviétique et Cuba soient intervenues auprès du régime sandiniste au Nicaragua pour évite de mener le processus révolutionnaire à son terme, c'est-à-dire vers une transformation complète de l'économie.



En brandissant l'exemple des « Tigres asiatiques » (pays capitalistes d'Asie du Sud-Est, comme Taïwan, qui ont connu une croissance fulgurante dans les années '90), la bourgeoisie a essayé de réfuter l'inefficacité globale du capitalisme dans le monde colonial. Une série d'exemples récents démontrent pourtant qu'il est impossible, même temporairement, de développer les pays néocoloniaux sur une base capitaliste.


Les guerillas typiques des maoïstes se basent sur les paysans pauvres en lutte
contre l'impérialisme par la guerilla. Là où de tels mouvements ont pu prendre
le pouvoir, ce n'a été qu'avec l'aide d'un État ouvrier comme l'URSS, et au
prix d'une militarisation extrême de la société issue de la révolution
« paysanne », avec finalement l'instauration d'une dictature stalinenne


Le Congo



Le dictateur Mobutu a été renversé en 1997 au Congo. Un mouvement de masse dirigé par Kabila a porté un nouveau régime au pouvoir. L'organisation de Kabila, l'AFDL (ex-maoïste), avait depuis longtemps abandonné la perspective du socialisme. Cela traduisait une tendance générale de cette époque. Plusieurs mouvements de guérilla en Afrique, en Amérique latine… se sont adaptés au marché dans les années '90. Le renversement du stalinisme les a privés d'une alternative directement « utilisable ».


Vu le changement du rapport de forces au niveau mondial, Kabila n'était pas prêt à mener la confrontation avec l'impérialisme. Il a zigzagué entre des accords avec les entreprises occidentales et des slogans populistes à l'intention de la population. Un régime répressif et corrompu s'est rapidement développé par manque d'un contrôle démocratique des masses. On a cyniquement alimenté les tensions ethniques. Le capitalisme n'a pas permis de redresser le niveau de vie. Le Congo est resté soumis aux conditions du marché mondial, ce qui signifie aujourd'hui des salaires de misère et la pauvreté.


Ceci ne veut pas dire qu'une réponse socialiste aurait été simple à formuler. D'après nous, Kabila aurait dû donner aux masses laborieuses des villes et des campagnes, ainsi qu'aux petits commerçants, la possibilité de s'organiser dans des syndicats et des comités librement élus. Il aurait dû organiser un débat libre portant sur un plan pour la production et la répartition de la nourriture, collectiviser les richesses naturelles et – en cas de boycott impérialiste – chercher des partenaires à l'étranger. On a peine à s'imaginer l'impact qu'un tel gouvernement de la population laborieuse et des paysans pauvres aurait eu dans la région. Un appel international pour le socialisme aurait vite mis en branle d'importants mouvements et mis l'impérialisme dans ses petits souliers, contrecarrant toute velléité d'intervention.



Le fait de limiter d'emblée la lutte à des perspectives bourgeoises vide le mouvement de toute dynamique. Le CIO lutte pour toute ouverture démocratique, mais on ne peut pas séparer artificiellement cette lutte de la lutte des travailleurs et des paysans pauvres pour le socialisme. L'argument qui prétend qu'une population n'est pas prête pour le socialisme n'est qu'une excuse pour les dirigeants qui ne veulent pas faire le pas. 
 
Tout comme Gbago, Kabila père était un leader très populaire parmi les masses,
mais dont les hésitations et l'absence d'une vision révolutionnaire ouvrière ont
finalement énormément couté à la population de son pays

L'Indonésie 

La fin des années '90 a vu la chute de la dictature militaire de Suharto en Indonésie. Des élections ont porté Wahid à la présidence en 1999. Depuis la crise asiatique de 1997-98, l'économie indonésienne se trouve dans une très mauvaise passe. Wahid a beaucoup promis et il hésite maintenant, par peur de la contestation sociale, à ouvrir le pays aux multinationales. Or c'est une condition pour obtenir un prêt du FMI. Les derniers mois ont vu le régime indonésien se déchirer entre la fraction de Wahid et celle de la vice-présidente Megawati, laquelle peut compter sur de nombreux soutiens au sein du vieil état-major de l'armée. (NDT : Megawati a fini par l'emporter et à devenir présidente de l'Indonésie de 2001 à 2004)



Tout comme dans le mouvement contre la dictature de Suharto, on trouve aujourd'hui des forces de gauche, telles le Parti populaire démocratique, qui prétendent qu'on ne peut lutter que pour un « capitalisme plus démocratique ». Ce parti estime qu'il faut protéger Wahid contre les anciennes forces de la dictature. Mais Wahid est un politicien néolibéral. Il oscille entre les différents partis, et même entre les classes, pour préserver sa propre position de politicien capitaliste. En outre, il n'hésite pas à envoyer l'armée contre les minorités dont les mouvements de lutte pour l'indépendance découragent les investissements des multinationales comme Exxon-Mobil. Pour préserver le lien avec les minorités opprimées en Indonésie, il faut leur reconnaitre le droit à l'autodétermination, tout en en démontrant les limites dans le cadre du capitalisme.


L'expérience démontre en Indonésie également que la « démocratie » signifie l'esclavage vis-à-vis du FMI, le bradage aux multinationales, les coupes budgétaires, la pauvreté et les conflits politiques, sociaux et ethniques qui en résultent. Seule la construction d'un parti mondial de la révolution, armé d'un programme socialiste, est en mesure d'offrir aux pays coloniaux une perspective réelle d'aboutir à une autre société. C'est cette ambition, le socialisme mondial, que le CIO veut réaliser dans la période historique qui s'ouvre devant nous.


Abdurrahman Wahid est un autre leader “de gauche” dont les nombreuses
concessions ont finalement contribué à remettre au pouvoir
des partisans du FMI comme Megawati
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Peter Taaffe : La théorie de la révolution permanente, annexe au livre Empire Defeated. Vietnam war : lessons for today



Trotsky et Lénine, tout comme d'ailleurs l'ensemble des marxistes russes, étaient d'accord sur le fait que la tâche principale de la révolution russe était l'accomplissement de la révolution démocratique-bourgeoise (c'est-à-dire, la révolution normalement menée par la bourgeoisie montante afin de se débarrasser du carcan du féodalisme à bout de souffle) : élimination des relations féodales et semi-féodales à la campagne, unification du pays, solution à la question nationale, démocratie – droit de vote pour un parlement démocratique, liberté de la presse, droits syndicaux, etc. – et libération de l'économie de la domination de l'impérialisme.



Lénine et Trotsky différaient des menchéviks (la fraction « modérée » du Parti ouvrier social-démocrate russe, dont les bolchéviks étaient l'aile radicale révolutionnaire jusqu'à leur rupture) en ceci que les menchéviks considéraient que le rôle de la classe ouvrière était d'aider la bourgeoisie libérale qui, selon eux, devait être le principal agent de la révolution démocratique-bourgeoise. En outre, les Menchéviks considéraient ceci en tant qu'étape nécessaire et inévitable du développement de la Russie, sans en considérer les ramifications au niveau international.



Cependant, le développement tardif de la bourgeoisie en Russie en tant que classe, et donc le retard de l'émergence d'un mouvement bourgeois en faveur d'une révolution démocratique-bourgeoise, avait pour conséquence que cette bourgeoisie se retrouvait incapable d'accomplir elle-même cette tâche historique. Les capitalistes investissaient dans la terre, tandis que les propriétaires terriens féodaux investissaient dans l'industrie. Par conséquent, toute révolution démocratique-bourgeoise radicale se heurterait à l'opposition non seulement des propriétaires terriens, mais aussi de la bourgeoisie et de ses représentants politiques, les partis bourgeois libéraux. Les libéraux avaient d'ailleurs déjà démontré leur impuissance non seulement en Russie, mais aussi en Allemagne au 19e siècle et ailleurs : dans tous ces pays, ils s'étaient avérés incapables de mener leur propre révolution jusqu'à sa conclusion finale.

Le développement puissant et unique du prolétariat russe, expliquait Trotsky, pesait aussi sur l'empressement de la bourgeoisie libérale à accomplir sa révolution. Elle était en réalité terrifiée – à juste titre d'ailleurs, comme l'a montré la suite des évènements – à l'idée que la lutte contre le régime tsariste millénaire et contre les fondations sur lesquelles ce régime reposait risquait d'ouvrir la porte à travers laquelle la classe ouvrière, accompagnée des paysans, s'engouffrerait et ferait irruption sur la scène politique avec son propre programme et ses propres revendications.

Trotsky et Lénine étaient par conséquent tous deux d'accord sur le fait que la seule force capable d'accomplir jusqu'au bout la révolution démocratique-bourgeoise était une alliance entre le prolétariat et la paysannerie, qui constituait à l'époque la majorité de la population en Russie. Là où ils n'étaient pas d'accord, était sur la nature exacte de cette alliance, et plus précisément, sur laquelle de ces deux classes devrait jouer un rôle dirigeant au sein de cette alliance. Serait-ce le prolétariat ou la paysannerie ? De plus, une fois que cette alliance serait parvenue au pouvoir, quelle serait la force dominante au sein du gouvernement révolutionnaire ? Ce gouvernement se contenterait-il d'accomplir la révolution bourgeoise, ou bien se verrait-il forcé d'aller plus loin ?

La Russie d'avant la révolution était un pays encore très arriéré
dont la majorité de la population étaient des paysans

Selon Trotsky, comme il l'a écrit avec sa théorie de la révolution permanente telle qu'exposée dans Bilans et Perspectives, l'histoire avait déjà prouvé à de nombreuses reprises que la paysannerie n'avait jamais joué un rôle indépendant dans la moindre lutte politique. La révolution devait donc forcément être dirigée par l'une ou l'autre des deux grandes classes dans la société : la bourgeoisie ou la classe ouvrière. Toutefois, Lénine et Trotsky étaient d'accord sur le fait que la bourgeoisie ne pourrait pas accomplir sa propre révolution.

Par conséquent, écrivait Trotsky, il revenait à la classe ouvrière, au prolétariat, d'assumer la direction de la révolution, en attirant à lui les masses rurales. Dans son important ouvrage Trois Conceptions de la révolution, dans lequel il résumait ses thèses à la fin de sa vie en aout 1939, soit un an avant son assassinat par les staliniens, Trotsky faisait les commentaires suivant au sujet de la formule de Lénine : « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ». Trotsky écrit :

« La conception de Lénine constituait un énorme pas en avant dans la mesure où elle préconisait, non des réformes constitutionnelles, mais la réforme agraire comme tâche principale de la révolution, et indiquait la seule combinaison réaliste de forces sociales pour sa réalisation. Cependant, le point faible de la conception de Lénine était la contradiction interne que portait en elle l'idée de « la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ». Lénine, lui-même, restreignait les limites fondamentales de cette « dictature » quand il la qualifiait ouvertement de « bourgeoise ». Il voulait dire par là que pour sauvegarder son alliance avec la paysannerie, le prolétariat serait obligé, au cours de la révolution à venir, de renoncer à entreprendre, d'une façon directe, les tâches socialistes. Mais cela signifierait que le prolétariat renoncerait à sa propre dictature. Par conséquent, la situation impliquerait la dictature de la paysannerie, même si elle était réalisée avec la participation des ouvriers. »

Mais Trotsky poursuit en ces termes :

« La paysannerie est dispersée sur la surface d'un immense pays dont les points de ralliement sont les villes. La paysannerie elle-même est incapable de formuler ses propres intérêts car, dans chaque district, ses intérêts ont un aspect différent. Le lien économique entre les provinces est créé par le marché et les chemins de fer, mais l'un et les autres sont entre les mains des villes. En cherchant à s'affranchir des limitations du village et à généraliser ses propres intérêts, la paysannerie tombe inéluctablement sous la dépendance de la ville. Enfin, la paysannerie est également hétérogène dans ses relations sociales : la couche des koulaks (riches fermiers, riches planteurs) cherche naturellement à l'entrainer vers une alliance avec la bourgeoisie des villes, tandis que les couches des paysans pauvres sont portées vers les travailleurs urbains. Sous ces conditions, la paysannerie comme telle est complètement incapable de conquérir le pouvoir.

Il est vrai que dans l'ancienne Chine des révolutions ont porté la paysannerie au pouvoir, ou, pour être plus précis, ont permis aux chefs militaires de ces soulèvements paysans d'accéder au pouvoir. Ceci conduisait chaque fois à un nouveau repartage des terres et à l'instauration d'une nouvelle dynastie « paysanne » ; à ce point, l'histoire recommençait par le commencement. De nouveau une concentration des terres, l'émergence d'une aristocratie, l'endettement des paysans… provoquaient à leur tour, de manière cyclique, un nouveau soulèvement. Aussi longtemps que la révolution conserve son caractère purement paysan, la société est incapable de sortir de ce cercle vicieux et sans issue »

Selon Lénine, l'histoire déciderait elle-même si la paysannerie pouvait assumer ou non un rôle indépendant au sein de l'alliance proposée. L'idée de Lénine était dans les faits une « formule algébrique » visant à déterminer quelle classe, prolétariat ou paysannerie, mènerait cette alliance, quelle forme prendrait le gouvernement ainsi créé et jusqu'où il serait capable de piétiner sur les intérêts et le pouvoir des capitalistes. Malgré toutes ses tentatives de défendre sa formule, Lénine lui-même, en avril 1917, arriva à la conclusion que l'histoire avait conféré un « contenu négatif » à cette formule. Il indiqua donc que la tâche était maintenant pour le prolétariat de prendre le pouvoir, soutenu par la paysannerie. Pour mettre ce fait en évidence, Lénine proposa également que les bolchéviks changent leur nom en « Parti communiste ».

Paysans russes arborant (entre autres) les portraits de Lénine, Marx, Trotsky


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