Comment parvenir à
une véritable indépendance dans un pays néocolonial ?
La
théorie de la révolution permanente, telle que formulée par
Trotsky en 1905 dans son ouvrage Bilans
et Perspectives, nous enseigne comment, dans le cadre d'un
pays néocolonial et sous-développé, accomplir une révolution qui
mène à une véritable indépendance de cette nation, c'est-à-dire,
comment lutter contre l'impérialisme. Pour Trotsky, comme pour le
parti bolchévique, la lutte contre l'impérialisme ne pouvait être
victorieuse que par une lutte contre le capitalisme lui-même,
c'est-à-dire, par la révolution socialiste.
La
théorie de la révolution permanente (ou plutôt, de la “révolution
ininterrompue”, pour traduire plus fidèlement le terme russe de
“nepreryvnaïa revolioutsiya”) nous enseigne ainsi que dans un
pays néocolonial, la lutte pour l'émancipation ne peut pas être
effectuée par la bourgeoisie nationale de ce pays qui développerait
ainsi le pays de manière indépendante dans le cadre d'un
capitalisme « national », mais par la classe ouvrière, prolétaire
salariée de ce pays. C'est-à-dire que, contrairement à la théorie
marxiste « orthodoxe » prêchée notamment par les staliniens, un
pays capitaliste même sous-développé ne peut attendre de parvenir
à un stade de développement capitaliste avancé avant d'effectuer
ensuite sa révolution socialiste. La théorie de la révolution
permanente nous enseigne aussi quelle doit être l'attitude des
révolutionnaires envers la paysannerie.
Cette
théorie est la clé de l'action révolutionnaire dans un pays tel
que la Côte d'Ivoire et est la seule permettant d'aller vers
une émancipation réelle, politique et économique, du continent
africain.
Ce document propose tout d'abord un texte rédigé par notre camarade
belge Peter Delsing en 2001. Puis, pour aller plus loin,
nous vous proposons la traduction d'une annexe à l'ouvrage
Empire Defeated.
Vietnam war – lessons for today rédigé en 2003
par Peter Taaffe, membre fondateur du CIO et dirigeant de notre
section anglaise, malheureusement non encore traduit en français.
Une
stratégie socialiste pour les pays néocoloniaux
Article rédigé en 2001 par Peter Delsing, membre de notre section belge le Linkse Socialistische Partij / Parti socialiste de lutte (LSP/PSL)
Marche au Portugal : FMI : Faim, Misère, Injustice ! |
Comment
les pays sous-développés peuvent-ils aller de l'avant ?
Les
jeunes et les travailleurs occidentaux sont devenus plus sensibles
aux inégalités et à la recherche brutale de profit du capitalisme.
À la veille d'une nouvelle récession, les conditions de vie minent
de plus en plus la propagande bourgeoise. Le débat idéologique est
rouvert. Mais quelles mesures, quel type de programme et quelle
organisation faut-il aux ex-pays coloniaux pour offrir à leur
population un niveau de vie décent ?
Pour
répondre à cette question, les marxistes reviennent sur les leçons
de la lutte des travailleurs et des paysans lors des révolutions
de 1905 et de 1917 en Russie. Au début du 20e siècle,
l'Afrique, l'Asie, la Russie et une grande partie de
l'Amérique latine en étaient réduites à approvisionner à
bas prix le marché mondial en matières premières et en force de
travail. Les capitaux belges, français, américains et anglais
avaient beaucoup investi en Russie. La bourgeoisie nationale, pour
autant qu'elle existât, était très dépendante des investissements
de l'Occident.
Un
élément important dans la structure sociale en Russie, dont le tsar
était la figure emblématique, était à ce moment l'existence de la
grande propriété foncière quasi-féodale. Les paysans devaient
laisser une partie de leur récolte au seigneur féodal. Même si le système féodal n'existe pas dans tout les pays néocoloniaux, on retrouve néanmoins très souvent des arrangements où les petits paysans, au lieu d'être exploités par des grands propriétaires ou par des chefs traditionnels à qui ils seraient redevables, sont aujourd'hui écrasés par les grosses multinationales capitalistes.
Les
mouvements actuels contre les dictateurs dans les pays
sous-développés, tout comme jadis la Russie féodale, sont
confrontés à la même question. Faut-il une phase qui verrait la
« bourgeoisie nationale » développer le pays sur les plans
économique et politique préalablement à l'introduction de mesures
socialistes ?
Lev Davidovitch Bronstein dit « Trotsky », le plus grand dirigeant de la révolutionrusse de 1917 aux côtés de Lénine, écartait ce scénario d'un revers de la main : la bourgeoisie russe ne pouvait pas développer le pays sans l'argent des capitalistes occidentaux. Elle ne pouvait pas non plus se hisser à la tête de la révolution contre le féodalisme : en effet, elle-même investissait dans l'agriculture, tandis que les grands propriétaires fonciers féodaux, eux, investissaient dans l'industrie. La bourgeoisie russe tendait à soutenir la police tsariste (féodale), par peur de la classe ouvrière qui avait acquis très tôt une certaine autonomie. Dans la lutte pour un système parlementaire, elle craignait davantage l'action ouvrière que la réaction tsariste. La bourgeoisie russe craignait par dessus tout l'ébranlement des rapports de production sous toutes ses formes.
Ainsi, seule la
classe ouvrière pouvait donner la terre aux paysans et garantir aux
minorités opprimées par le tsar leur droit à l'autodétermination.
La paysannerie était en effet trop divisée entre couches riches et pauvres
pour se donner une direction indépendante. C'était une classe qui
pensait en termes d'intérêt individuel. Les couches les plus aisées
s'identifiaient à la bourgeoisie. Les paysans les plus pauvres
suivaient la classe ouvrière. Seule la prise du pouvoir par la
classe ouvrière en 1917 a permis de réaliser les tâches
démocratiques. Ayant pris le pouvoir, la classe ouvrière ne s'arrêta pas en chemin, mais est rapidement passée à
des mesures socialistes : nationalisation des entreprises sous
contrôle ouvrier et introduction d'une économie démocratiquement
planifiée. La révolution acquiert alors un caractère permanent et
elle ne peut se maintenir que si elle s'étend aux pays les plus
industrialisés dont l'économie permet le développement du
socialisme.
Stalinisme, maoïsme
L'isolement
prolongé de la Russie arriérée économiquement et culturellement a
été une des causes de la victoire du stalinisme. Après la
Deuxième Guerre mondiale, l'absence de perspective dans les
pays coloniaux et l'existence d'une alternative apparente en Russie
ont débouché sur une série de « révolutions permanentes », mais d'une manière bureaucratiquement déformée. S'appuyant sur
une armée de paysans, les leaders staliniens et autres ont oscillé
entre les classes pour établir leur propre pouvoir sur le modèle de
la Russie stalinienne (Chine, Corée du Nord, Vietnam…).
À Cuba, ce processus s'est déroulé moins consciemment qu'en Chine, mais le pouvoir n'y est pas plus qu'ailleurs entre les mains de comités élus par les travailleurs et les paysans pauvres. Une élite restreinte s'y est arrogé tout le pouvoir et ne tolère à ses côtés aucun parti qui défende la vraie démocratie ouvrière. La force d'attraction du modèle stalinien s'est fortement réduite dans le courant des années '80, après que l'Union soviétique et Cuba soient intervenues auprès du régime sandiniste au Nicaragua pour évite de mener le processus révolutionnaire à son terme, c'est-à-dire vers une transformation complète de l'économie.
À Cuba, ce processus s'est déroulé moins consciemment qu'en Chine, mais le pouvoir n'y est pas plus qu'ailleurs entre les mains de comités élus par les travailleurs et les paysans pauvres. Une élite restreinte s'y est arrogé tout le pouvoir et ne tolère à ses côtés aucun parti qui défende la vraie démocratie ouvrière. La force d'attraction du modèle stalinien s'est fortement réduite dans le courant des années '80, après que l'Union soviétique et Cuba soient intervenues auprès du régime sandiniste au Nicaragua pour évite de mener le processus révolutionnaire à son terme, c'est-à-dire vers une transformation complète de l'économie.
En
brandissant l'exemple des « Tigres asiatiques » (pays capitalistes d'Asie du Sud-Est, comme Taïwan, qui ont connu une croissance fulgurante dans les années '90), la bourgeoisie a
essayé de réfuter l'inefficacité globale du capitalisme dans le
monde colonial. Une série d'exemples récents démontrent pourtant qu'il est
impossible, même temporairement, de développer les pays
néocoloniaux sur une base capitaliste.
Le
Congo
Le
dictateur Mobutu a été renversé en 1997 au Congo. Un
mouvement de masse dirigé par Kabila a porté un nouveau régime au
pouvoir. L'organisation de Kabila, l'AFDL (ex-maoïste), avait depuis
longtemps abandonné la perspective du socialisme. Cela
traduisait une tendance générale de cette époque. Plusieurs mouvements de guérilla
en Afrique, en Amérique latine… se sont adaptés au marché
dans les années '90. Le renversement du stalinisme les a privés
d'une alternative directement « utilisable ».
Vu le changement du rapport de forces au niveau mondial, Kabila n'était pas prêt à mener la confrontation avec l'impérialisme. Il a zigzagué entre des accords avec les entreprises occidentales et des slogans populistes à l'intention de la population. Un régime répressif et corrompu s'est rapidement développé par manque d'un contrôle démocratique des masses. On a cyniquement alimenté les tensions ethniques. Le capitalisme n'a pas permis de redresser le niveau de vie. Le Congo est resté soumis aux conditions du marché mondial, ce qui signifie aujourd'hui des salaires de misère et la pauvreté.
Ceci ne
veut pas dire qu'une réponse socialiste aurait été simple à
formuler. D'après nous, Kabila aurait dû donner aux masses
laborieuses des villes et des campagnes, ainsi qu'aux petits
commerçants, la possibilité de s'organiser dans des syndicats et
des comités librement élus. Il aurait dû organiser un débat libre portant sur un plan pour la production et la répartition de la
nourriture, collectiviser les richesses naturelles et – en cas
de boycott impérialiste – chercher des partenaires à l'étranger. On a peine à s'imaginer l'impact qu'un
tel gouvernement de la population laborieuse et des paysans pauvres
aurait eu dans la région. Un appel international pour le socialisme
aurait vite mis en branle d'importants mouvements et mis
l'impérialisme dans ses petits souliers, contrecarrant toute velléité d'intervention.
Le fait de limiter d'emblée la lutte à des perspectives bourgeoises vide le mouvement
de toute dynamique. Le CIO lutte pour toute ouverture démocratique,
mais on ne peut pas séparer artificiellement cette lutte de la lutte des
travailleurs et des paysans pauvres pour le socialisme. L'argument
qui prétend qu'une population n'est pas prête pour le socialisme
n'est qu'une excuse pour les dirigeants qui ne veulent pas faire le
pas.
L'Indonésie
La fin des années '90 a vu la chute de la dictature militaire de Suharto en Indonésie. Des élections ont porté Wahid à la présidence en 1999. Depuis la crise asiatique de 1997-98, l'économie indonésienne se trouve dans une très mauvaise passe. Wahid a beaucoup promis et il hésite maintenant, par peur de la contestation sociale, à ouvrir le pays aux multinationales. Or c'est une condition pour obtenir un prêt du FMI. Les derniers mois ont vu le régime indonésien se déchirer entre la fraction de Wahid et celle de la vice-présidente Megawati, laquelle peut compter sur de nombreux soutiens au sein du vieil état-major de l'armée. (NDT : Megawati a fini par l'emporter et à devenir présidente de l'Indonésie de 2001 à 2004)
Tout
comme dans le mouvement contre la dictature de Suharto, on trouve
aujourd'hui des forces de gauche, telles le Parti populaire
démocratique, qui prétendent qu'on ne peut lutter que pour un
« capitalisme plus démocratique ». Ce parti estime qu'il faut
protéger Wahid contre les anciennes forces de la dictature. Mais
Wahid est un politicien néolibéral. Il oscille entre les différents
partis, et même entre les classes, pour préserver sa propre
position de politicien capitaliste. En outre, il n'hésite pas à
envoyer l'armée contre les minorités dont les mouvements de lutte pour
l'indépendance découragent les investissements des multinationales
comme Exxon-Mobil. Pour préserver le lien avec les minorités
opprimées en Indonésie, il faut leur reconnaitre le droit à
l'autodétermination, tout en en démontrant les limites dans le
cadre du capitalisme.
L'expérience
démontre en Indonésie également que la « démocratie » signifie
l'esclavage vis-à-vis du FMI, le bradage aux multinationales, les
coupes budgétaires, la pauvreté et les conflits politiques, sociaux et
ethniques qui en résultent. Seule la construction d'un parti mondial
de la révolution, armé d'un programme socialiste, est en mesure
d'offrir aux pays coloniaux une perspective réelle d'aboutir à une
autre société. C'est cette ambition, le socialisme mondial, que le
CIO veut réaliser dans la période historique qui s'ouvre devant
nous.
Abdurrahman Wahid est un autre leader “de gauche” dont les nombreuses concessions ont finalement contribué à remettre au pouvoir des partisans du FMI comme Megawati |
––––––––––––––
Peter Taaffe :
La théorie de la révolution permanente, annexe au livre Empire Defeated. Vietnam war : lessons for today
Trotsky
et Lénine, tout comme d'ailleurs l'ensemble des marxistes russes,
étaient d'accord sur le fait que la tâche principale de la
révolution russe était l'accomplissement de la révolution
démocratique-bourgeoise (c'est-à-dire, la révolution normalement
menée par la bourgeoisie montante afin de se débarrasser du carcan
du féodalisme à bout de souffle) : élimination des relations
féodales et semi-féodales à la campagne, unification du pays,
solution à la question nationale, démocratie – droit de vote
pour un parlement démocratique, liberté de la presse, droits
syndicaux, etc. – et libération de l'économie de la
domination de l'impérialisme.
Lénine
et Trotsky différaient des menchéviks (la fraction « modérée » du Parti ouvrier social-démocrate russe, dont les bolchéviks
étaient l'aile radicale révolutionnaire jusqu'à leur rupture) en ceci
que les menchéviks considéraient que le rôle de la classe ouvrière
était d'aider la bourgeoisie libérale qui, selon eux, devait être
le principal agent de la révolution démocratique-bourgeoise. En
outre, les Menchéviks considéraient ceci en tant qu'étape
nécessaire et inévitable du développement de la Russie, sans en
considérer les ramifications au niveau international.
Cependant,
le développement tardif de la bourgeoisie en Russie en tant que
classe, et donc le retard de l'émergence d'un mouvement bourgeois en faveur d'une révolution
démocratique-bourgeoise, avait pour conséquence que cette bourgeoisie se
retrouvait incapable d'accomplir elle-même cette tâche historique.
Les capitalistes investissaient dans la terre, tandis que les propriétaires
terriens féodaux investissaient dans l'industrie. Par conséquent,
toute révolution démocratique-bourgeoise radicale se heurterait à
l'opposition non seulement des propriétaires terriens, mais aussi de
la bourgeoisie et de ses représentants politiques, les partis
bourgeois libéraux. Les libéraux avaient d'ailleurs déjà démontré
leur impuissance non seulement en Russie, mais aussi en Allemagne
au 19e siècle et ailleurs : dans tous ces pays,
ils s'étaient avérés incapables de mener leur propre révolution
jusqu'à sa conclusion finale.
Le
développement puissant et unique du prolétariat russe, expliquait
Trotsky, pesait aussi sur l'empressement de la bourgeoisie libérale
à accomplir sa révolution. Elle était en réalité terrifiée – à
juste titre d'ailleurs, comme l'a montré la suite des évènements –
à l'idée que la lutte contre le régime tsariste millénaire et
contre les fondations sur lesquelles ce régime reposait risquait
d'ouvrir la porte à travers laquelle la classe ouvrière,
accompagnée des paysans, s'engouffrerait et ferait irruption sur la
scène politique avec son propre programme et ses propres
revendications.
Trotsky
et Lénine étaient par conséquent tous deux d'accord sur le fait que la
seule force capable d'accomplir jusqu'au bout la révolution
démocratique-bourgeoise était une alliance entre le prolétariat et
la paysannerie, qui constituait à l'époque la majorité de la
population en Russie. Là où ils n'étaient pas d'accord, était sur
la nature exacte de cette alliance, et plus précisément, sur
laquelle de ces deux classes devrait jouer un rôle dirigeant au sein
de cette alliance. Serait-ce le prolétariat ou la paysannerie ?
De plus, une fois que cette alliance serait parvenue au pouvoir,
quelle serait la force dominante au sein du gouvernement
révolutionnaire ? Ce gouvernement se contenterait-il
d'accomplir la révolution bourgeoise, ou bien se verrait-il forcé d'aller plus loin ?
La Russie d'avant la révolution était un pays encore très arriéré dont la majorité de la population étaient des paysans |
Selon
Trotsky, comme il l'a écrit avec sa théorie de la révolution
permanente telle qu'exposée dans Bilans
et Perspectives,
l'histoire avait déjà prouvé à de nombreuses reprises que la
paysannerie n'avait jamais joué un rôle indépendant dans la
moindre lutte politique. La révolution devait donc forcément être
dirigée par l'une ou l'autre des deux grandes classes dans la
société : la bourgeoisie ou la classe ouvrière. Toutefois,
Lénine et Trotsky étaient d'accord sur le fait que la bourgeoisie
ne pourrait pas accomplir sa propre révolution.
Par
conséquent, écrivait Trotsky, il revenait à la classe
ouvrière, au prolétariat, d'assumer la direction de la révolution,
en attirant à lui les masses rurales. Dans son important ouvrage
Trois
Conceptions de la révolution, dans lequel il résumait ses
thèses à la fin de sa vie en aout 1939, soit un an avant son
assassinat par les staliniens, Trotsky faisait les commentaires
suivant au sujet de la formule de Lénine : « dictature
démocratique du prolétariat et de la paysannerie ». Trotsky
écrit :
« La
conception de Lénine constituait un énorme pas en avant dans la
mesure où elle préconisait, non des réformes constitutionnelles,
mais la réforme agraire comme tâche principale de la révolution,
et indiquait la seule combinaison réaliste de forces sociales pour
sa réalisation. Cependant, le point faible de la conception de
Lénine était la contradiction interne que portait en elle l'idée
de « la
dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie ».
Lénine, lui-même, restreignait les limites fondamentales de cette
« dictature » quand il la qualifiait ouvertement de « bourgeoise ».
Il voulait dire par là que pour sauvegarder son alliance avec la
paysannerie, le prolétariat serait obligé, au cours de la
révolution à venir, de renoncer à entreprendre, d'une façon
directe, les tâches socialistes. Mais cela signifierait que le
prolétariat renoncerait à sa propre dictature. Par conséquent, la
situation impliquerait la dictature de la paysannerie, même si elle
était réalisée avec la participation des ouvriers. »
Mais
Trotsky poursuit en ces termes :
« La
paysannerie est dispersée sur la surface d'un immense pays dont les
points de ralliement sont les villes. La paysannerie elle-même est
incapable de formuler ses propres intérêts car, dans chaque
district, ses intérêts ont un aspect différent. Le lien économique
entre les provinces est créé par le marché et les chemins de fer,
mais l'un et les autres sont entre les mains des villes. En cherchant
à s'affranchir des limitations du village et à généraliser ses
propres intérêts, la paysannerie tombe inéluctablement sous la
dépendance de la ville. Enfin, la paysannerie est également
hétérogène dans ses relations sociales : la couche des
koulaks (riches fermiers, riches planteurs) cherche naturellement à
l'entrainer vers une alliance avec la bourgeoisie des villes, tandis
que les couches des paysans pauvres sont portées vers les
travailleurs urbains. Sous ces conditions, la paysannerie comme telle
est complètement incapable de conquérir le pouvoir.
Il est vrai que dans l'ancienne Chine des révolutions ont porté la paysannerie au pouvoir, ou, pour être plus précis, ont permis aux chefs militaires de ces soulèvements paysans d'accéder au pouvoir. Ceci conduisait chaque fois à un nouveau repartage des terres et à l'instauration d'une nouvelle dynastie « paysanne » ; à ce point, l'histoire recommençait par le commencement. De nouveau une concentration des terres, l'émergence d'une aristocratie, l'endettement des paysans… provoquaient à leur tour, de manière cyclique, un nouveau soulèvement. Aussi longtemps que la révolution conserve son caractère purement paysan, la société est incapable de sortir de ce cercle vicieux et sans issue »
Selon
Lénine, l'histoire déciderait elle-même si la paysannerie pouvait
assumer ou non un rôle indépendant au sein de l'alliance proposée.
L'idée de Lénine était dans les faits une « formule algébrique » visant à déterminer quelle classe, prolétariat ou paysannerie,
mènerait cette alliance, quelle forme prendrait le gouvernement
ainsi créé et jusqu'où il serait capable de piétiner sur les
intérêts et le pouvoir des capitalistes. Malgré toutes ses
tentatives de défendre sa formule, Lénine lui-même, en avril 1917,
arriva à la conclusion que l'histoire avait conféré un « contenu
négatif » à cette formule. Il indiqua donc que la tâche était
maintenant pour le prolétariat de prendre le pouvoir, soutenu par la
paysannerie. Pour mettre ce fait en évidence, Lénine proposa
également que les bolchéviks changent leur nom en
« Parti communiste ».
Paysans russes arborant (entre autres) les portraits de Lénine, Marx, Trotsky |
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