mardi 12 mai 2015

Monde : Naufrage en mer Méditerranée

Le cout humain de l'impérialisme et de l'austérité


Le dernier naufrage d'un navire de migrants dans la mer Méditerranée, qui s'est soldé par la mort de plus de 800 migrants, a attiré l'attention du monde entier sur la tragédie humanitaire disproportionnée qui a lieu chaque jour à quelques kilomètres de la côte européenne. Cette fois, le drame s'est produit dans la nuit du samedi 18 au dimanche 19 avril dans la mer Méditerranée. Malgré son caractère effroyable, ce massacre ne sort guère de l'ordinaire. Il ne s'agit que de la dernière catastrophe d'une déjà longue série de drames, qui ont fait des milliers de victimes, pour la plupart de jeunes Africains et Orientaux qui fuient les guerres et la dévastation amenée par le capitalisme dans leurs propres pays.

Article rédigé par les camarades de l'association ControCorrente (section du CIO en Italie)


Le caractère « ordinaire » de cette tragédie est démontré par le fait que rien qu'en 2014, plus de 3000 personnes se sont noyées en mer. À titre de comparaison, le naufrage du Titanic en 1912, à propos duquel on a réalisé plusieurs films, n'a causé « que » 1500 décès. La mer Méditerranée est, selon une étude des Nations-Unies, la « route » la plus dangereuse au monde. Tandis que les cadavres continuent à être engloutis par la mer et que des millions de personnes contemplent le choc de cette tragédie sans précédent, on annonce encore un nouveau naufrage de centaines de migrants tentant d'effectuer la traversée entre la Turquie et l'ile de Rhodes qui appartient à la Grèce. Autant de statistiques anonymes qui masquent la perte de milliers de jeunes vies pour les pays dévastés par la misère et la guerre.

Ces tragédies ont ébranlé la conscience de millions de personnes du monde entier. En particulier celle des millions de citoyens italiens accoutumés à vivre sur l'autre rivage de la Méditerranée : celui des belles forêts de pins ombragés et des weekends à la plage en famille. D'un autre côté, ces tragédies pourraient renforcer la demande de renforcer les frontières qui est émise par certaines couches de la population, dans un contexte où la vie devient de plus en plus dure en raison de la crise ; ce qui risque de pousser ces personnes vers les discours antiimmigration utilisés par des partis de droite populiste comme la Ligue du Nord en Italie, des discours relayés massivement par les médias.

Comme il fallait s'y attendre, tous les principaux politiciens du « Beau pays » : le dirigeant de la Ligue du Nord Salvini, la chef du parti de droite Frères d'Italie Giorgia Meloni, et même le « socialiste radical » Nichi Vendola, ont sauté sur l'occasion pour parler d'eux et faire parler d'eux, en donnant chacun leur petit commentaire sur les évènements et en mettant en avant autant d'interprétations et de solutions toutes plus improbables l'une que l'autre.

Nous avons été révolté par les propos de Daniela Santanchè, une des partisanes les plus droitières de Berlusconi, selon qui il faudrait couler les navires dans la mer. Ces propos ne font qu'exprimer l'incroyable manque d'humanité de leur auteur. Mais au même moment, nous refusons de tomber dans le jeux pieu des charognards qui l'ont attaquée uniquement pour cacher leur propre responsabilité dans cette situation. Cela fait des années que les partis au gouvernement et de nombreux partis d'opposition de notre pays soutiennent la politique internationale de l'Union européenne, y compris le bombardement de la Libye en 2011 – une politique qui a largement contribué à la situation présente.

La destruction du régime Kadhafi par l'intervention militaire de la France et du Royaume-Uni, soutenue par le président italien Napolitano, ainsi que par le dirigeant de la droite Berlusconi (bien que de manière « critique ») a anéanti l'intégrité territoriale de l'État libyen, rendant nuls et non avenus les accords qui avaient été passés entre les ex-autorités libyennes et l'Occident quant au contrôle des flux migratoires.

Aujourd'hui, l'État libyen n'existe plus. À la place ont émergé différentes entités politiques qui refusent de se reconnaitre mutuellement et qui se combattent dans le contexte d'une mosaïque complexe de clans et tribus rivales, sans compter sur l'intervention ça et là de groupes djihadistes. La côte libyenne est couverte de camps d'emprisonnement dans lesquels sont enfermés des dizaines de milliers de Nigérians, d'Éthiopiens, d'Érythréens, de Somaliens, de Ghanéens et de Soudanais, qui y vivent dans des conditions de misère absolue et de semi-esclavage, traités comme des marchandises permettant de réaliser d'énormes profits aux trafiquants mais aussi et surtout aux associations criminelles cachées derrière eux. Les migrants sont forcés de payer des milliers d'euros pour la traversée vers l'Europe. Ils sont autant de victimes utilisées pour produire du profit, tout en constituant une source potentielle de chantage pour l'Europe, entre les mains des trafiquants. C'est pour cette raison que les départs en provenance de Libye se sont accrus, vont s'accroitre et vont continuer à s'accroitre.

Selon certaines estimations réalisées par des ONG actives en Libye, il y a plus sur ce territoire plus d'un million de réfugiés prêts à partir pour atteindre l'Europe via l'Italie. Avec l'arrivée de l'été, la fréquence des traversées ne peut que s'accélérer.

Le massacre des 18-19 avril sera retenu par l'histoire comme un massacre prévisible, qui avait été prédit et qui aurait pu être évité.


Opération Mare Nostrum – c'était quoi ?

Le naufrage d'un navire libyen le 3 octobre 2013, à quelques kilomètres du port de Lampedusa, qui a emporté 366 personnes, a causé une vague de protestation et de pressions nationales et internationales pour forcer le gouvernement de l'époque de Enrico Letta à intervenir pour éviter que ne se répètent de tels évènements. Incité par l'opinion publique, par le Vatican et par certains lobbys européens, le gouvernement Letta a décidé de lancer l'opération Mare Nostrum (« Notre mer », le surnom latin de la mer Méditerranée du temps où cette mer constituait le cœur d'un empire s'étendant sur ses deux rivages), le 14 octobre 2013. Il s'agissait d'une mission militaire et humanitaire dont l'objectif principal était l'assistance maritime et le sauvetage des migrants.

Après un an et 558 interventions, Mare Nostrum a aidé plus de 100 000 migrants et sauvé plus de 30 000 personnes. Cette opération coute 9,5 millions d'euros par mois (6 milliards de francs). Malgré son succès, cette opération a été annulée, victime de la réduction budgétaire conséquence de la politique d'austérité, pour être remplacée par les opérations européennes appelées Frontex Plus et Triton. Ces mécanismes, même s'ils impliquent 29 pays, ne disposaient que d'un budget total mensuel de 2,9 millions d'euros, soit un tiers de celui de Mare Nostrum.

Les objectifs de l'opération Triton étaient très différents de ceux de Mare Nostrum. Triton n'effectuait ses opérations de surveillance et d'assistance en mer que dans les cas des embarcations se trouvant à 50 km de la côte italienne. Comme l'expliquait M. Gil Arias Fernandez, directeur général de Frontex, de Mare Nostrum et de Triton, l'objectif principal de Triton est le contrôle des frontières et non la recherche et le sauvetage qui était au cœur de l'opération italienne.

L'opération Mare Nostrum a été annulée car « trop couteuse » pour l'État italien


Besoin d'une action urgente

Afin d'empêcher que de nouvelles catastrophes ne se produisent, il faut réétablir un nouveau plan d'assistance maritime dans les eaux internationales – et si nécessaire, dans les eaux libyennes. L'aide doit être garantie pour chaque être humain. Aucune considération politique quant à la politique d'immigration ne peut négliger ce fait évident.

La classe capitaliste italienne ne souhaite pas prendre à son compte tous les frais qu'engendrerait la reprise d'une opération telle que Mare Nostrum, et demande un soutien européen. D'un autre côté, il est clair que les frais de cette opération ne doivent pas avoir la moindre répercussion sur le budget social ou en termes de taxes sur les travailleurs et la classe moyenne. L'Union européenne ne peut exister uniquement dans le but d'exiger des sacrifices de la Grèce et de promouvoir l'austérité.

Toutes les « solutions » reprises en chœur par les politiciens européens et italiens : soutenir le gouvernement « légitime » de Tobruk en Libye, envoyer une force de maintien de la paix, introduire un blocus maritime dans la Méditerranée, ouvrir des centres de rétention sur le territoire libyen, couler les navires de réfugiés sous mandat onusien, etc. sont autant de soi-disant mesures qui n'auront aucun impact et qui ne feront que démontrer l'inaptitude des politiciens européens et leur refus de se saisir des grands problèmes de notre époque.

Verser des larmes de crocodile face à la tragédie, introduire des « journées du souvenir », organiser des funérailles d'État… ne pourra jamais rendre la vie et la dignité à tous les malheureux qui ont péri dans la mer !

Face aux paroles creuses des politiciens, nous voyons la solidarité et les secours octroyés de manière spontanée et gratuite par les populations de Lampedusa, Catania et Palermo. Il s'agit de la meilleure réponse face à tous les politiciens qui cherchent à exploiter cyniquement ces évènements et à profiter ignoblement des souffrances d'autrui. Mais la seule solidarité et la générosité de citoyens italiens ne suffira pas à éviter de nouvelles tragédies.

Les nombreux conflits et bases militaires occidentales en Afrique

Conclusion

Il y a un problème immédiat : celui d'éviter la mort de milliers de personnes. Ce problème ne peut être résolu qu'en mobilisant les ressources nécessaires. Toutes les décisions concernant le sort des immigrés doivent être sous le contrôle de représentants élus de la population et non pas des riches politiciens qui ne cherchent qu'à protéger leurs propres intérêts.

Mais il ne suffit pas de s'occuper des conséquences du problème. Il faut résoudre le problème lui-même.

Dans le cadre de l'économie capitaliste, caractérisée par la spéculation sur les prix des matières premières, sur la misère de masse et sur les conflits alimentés par l'impérialisme occidental (ce qui inclut l'Italie), le phénomène des migrations de masse est inévitable. Vu que l'Europe ne peut être pleinement encerclée de clôtures, la solution au problème doit être politique.

Seule une société libérée de la misère, de l'exploitation du travail et de la guerre pourra garantir à chaque être humain la liberté de choisir entre une vie dans la dignité dans son propre pays ou la migration, sans avoir à subir les conséquences d'un tel choix. C'est ce que nous appelons une société socialiste.


Une première étape en direction de cette société est le rejet de la politique qui utilise notre argent pour financer un trafic sordide sous couvert d'opérations censées s'occuper d'immigration et de « coopération internationale » mais qui financent en réalité des expéditions militaires à l'étranger et qui ne font que nourrir l'explosion des migrations de masse.


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