Le cout humain de l'impérialisme et de l'austérité
Le dernier naufrage
d'un navire de migrants dans la mer Méditerranée, qui s'est soldé
par la mort de plus de 800 migrants, a attiré l'attention du
monde entier sur la tragédie humanitaire disproportionnée qui a
lieu chaque jour à quelques kilomètres de la côte européenne.
Cette fois, le drame s'est produit dans la nuit du samedi 18 au
dimanche 19 avril dans la mer Méditerranée. Malgré son
caractère effroyable, ce massacre ne sort guère de l'ordinaire. Il
ne s'agit que de la dernière catastrophe d'une déjà longue série
de drames, qui ont fait des milliers de victimes, pour la plupart de
jeunes Africains et Orientaux qui fuient les guerres et la
dévastation amenée par le capitalisme dans leurs propres pays.
Article rédigé par les camarades de l'association ControCorrente (section du CIO en Italie)
Le caractère
« ordinaire » de cette tragédie est démontré par le
fait que rien qu'en 2014, plus de 3000 personnes se sont
noyées en mer. À titre de comparaison, le naufrage du Titanic
en 1912, à propos duquel on a réalisé plusieurs films, n'a
causé « que » 1500 décès. La mer Méditerranée
est, selon une étude des Nations-Unies, la « route » la
plus dangereuse au monde. Tandis que les cadavres continuent à être
engloutis par la mer et que des millions de personnes contemplent le
choc de cette tragédie sans précédent, on annonce encore un
nouveau naufrage de centaines de migrants tentant d'effectuer la
traversée entre la Turquie et l'ile de Rhodes qui appartient à la
Grèce. Autant de statistiques anonymes qui masquent la perte de
milliers de jeunes vies pour les pays dévastés par la misère et la
guerre.
Ces tragédies ont
ébranlé la conscience de millions de personnes du monde entier. En
particulier celle des millions de citoyens italiens accoutumés à
vivre sur l'autre rivage de la Méditerranée : celui des belles
forêts de pins ombragés et des weekends à la plage en famille.
D'un autre côté, ces tragédies pourraient renforcer la demande de
renforcer les frontières qui est émise par certaines couches de la
population, dans un contexte où la vie devient de plus en plus dure
en raison de la crise ; ce qui risque de pousser ces personnes
vers les discours antiimmigration utilisés par des partis de droite
populiste comme la Ligue du Nord en Italie, des discours relayés
massivement par les médias.
Comme il fallait s'y
attendre, tous les principaux politiciens du « Beau pays » :
le dirigeant de la Ligue du Nord Salvini, la chef du parti de droite
Frères d'Italie Giorgia Meloni, et même le « socialiste
radical » Nichi Vendola, ont sauté sur l'occasion pour
parler d'eux et faire parler d'eux, en donnant chacun leur petit
commentaire sur les évènements et en mettant en avant autant
d'interprétations et de solutions toutes plus improbables l'une que
l'autre.
Nous avons été
révolté par les propos de Daniela Santanchè, une des
partisanes les plus droitières de Berlusconi, selon qui il faudrait
couler les navires dans la mer. Ces propos ne font qu'exprimer
l'incroyable manque d'humanité de leur auteur. Mais au même moment,
nous refusons de tomber dans le jeux pieu des charognards qui l'ont
attaquée uniquement pour cacher leur propre responsabilité dans
cette situation. Cela fait des années que les partis au gouvernement
et de nombreux partis d'opposition de notre pays soutiennent la
politique internationale de l'Union européenne, y compris le
bombardement de la Libye en 2011 – une politique qui a
largement contribué à la situation présente.
La destruction du
régime Kadhafi par l'intervention militaire de la France et du
Royaume-Uni, soutenue par le président italien Napolitano, ainsi que
par le dirigeant de la droite Berlusconi (bien que de manière
« critique ») a anéanti l'intégrité territoriale de
l'État libyen, rendant nuls et non avenus les accords qui avaient
été passés entre les ex-autorités libyennes et l'Occident quant
au contrôle des flux migratoires.
Aujourd'hui, l'État
libyen n'existe plus. À la place ont émergé différentes entités
politiques qui refusent de se reconnaitre mutuellement et qui se
combattent dans le contexte d'une mosaïque complexe de clans et
tribus rivales, sans compter sur l'intervention ça et là de groupes
djihadistes. La côte libyenne est couverte de camps d'emprisonnement
dans lesquels sont enfermés des dizaines de milliers de Nigérians,
d'Éthiopiens, d'Érythréens, de Somaliens, de Ghanéens et de
Soudanais, qui y vivent dans des conditions de misère absolue et de
semi-esclavage, traités comme des marchandises permettant de
réaliser d'énormes profits aux trafiquants mais aussi et surtout
aux associations criminelles cachées derrière eux. Les migrants
sont forcés de payer des milliers d'euros pour la traversée vers
l'Europe. Ils sont autant de victimes utilisées pour produire du
profit, tout en constituant une source potentielle de chantage pour
l'Europe, entre les mains des trafiquants. C'est pour cette raison
que les départs en provenance de Libye se sont accrus, vont
s'accroitre et vont continuer à s'accroitre.
Selon certaines
estimations réalisées par des ONG actives en Libye, il y a plus sur
ce territoire plus d'un million de réfugiés prêts à partir pour
atteindre l'Europe via l'Italie. Avec l'arrivée de l'été, la
fréquence des traversées ne peut que s'accélérer.
Le massacre des
18-19 avril sera retenu par l'histoire comme un massacre
prévisible, qui avait été prédit et qui aurait pu être évité.
Opération Mare
Nostrum – c'était quoi ?
Le naufrage d'un
navire libyen le 3 octobre 2013, à quelques kilomètres du
port de Lampedusa, qui a emporté 366 personnes, a causé une
vague de protestation et de pressions nationales et internationales
pour forcer le gouvernement de l'époque de Enrico Letta à
intervenir pour éviter que ne se répètent de tels évènements.
Incité par l'opinion publique, par le Vatican et par certains lobbys
européens, le gouvernement Letta a décidé de lancer l'opération
Mare Nostrum (« Notre mer », le surnom latin de la
mer Méditerranée du temps où cette mer constituait le cœur d'un
empire s'étendant sur ses deux rivages), le 14 octobre 2013.
Il s'agissait d'une mission militaire et humanitaire dont l'objectif
principal était l'assistance maritime et le sauvetage des migrants.
Après un an et
558 interventions, Mare Nostrum a aidé plus de 100 000
migrants et sauvé plus de 30 000 personnes. Cette
opération coute 9,5 millions d'euros par mois (6 milliards
de francs). Malgré son succès, cette opération a été annulée,
victime de la réduction budgétaire conséquence de la politique
d'austérité, pour être remplacée par les opérations européennes
appelées Frontex Plus et Triton. Ces mécanismes, même s'ils
impliquent 29 pays, ne disposaient que d'un budget total mensuel
de 2,9 millions d'euros, soit un tiers de celui de Mare Nostrum.
Les objectifs de
l'opération Triton étaient très différents de ceux de
Mare Nostrum. Triton n'effectuait ses opérations de
surveillance et d'assistance en mer que dans les cas des embarcations
se trouvant à 50 km de la côte italienne. Comme l'expliquait
M. Gil Arias Fernandez, directeur général de Frontex, de
Mare Nostrum et de Triton, l'objectif principal de Triton est le
contrôle des frontières et non la recherche et le sauvetage qui
était au cœur de l'opération italienne.
L'opération Mare Nostrum a été annulée car « trop couteuse » pour l'État italien |
Besoin d'une action
urgente
Afin d'empêcher que
de nouvelles catastrophes ne se produisent, il faut réétablir un
nouveau plan d'assistance maritime dans les eaux internationales – et
si nécessaire, dans les eaux libyennes. L'aide doit être garantie
pour chaque être humain. Aucune considération politique quant à la
politique d'immigration ne peut négliger ce fait évident.
La classe
capitaliste italienne ne souhaite pas prendre à son compte tous les
frais qu'engendrerait la reprise d'une opération telle que
Mare Nostrum, et demande un soutien européen. D'un autre côté,
il est clair que les frais de cette opération ne doivent pas avoir
la moindre répercussion sur le budget social ou en termes de taxes
sur les travailleurs et la classe moyenne. L'Union européenne ne
peut exister uniquement dans le but d'exiger des sacrifices de la
Grèce et de promouvoir l'austérité.
Toutes les
« solutions » reprises en chœur par les politiciens
européens et italiens : soutenir le gouvernement « légitime »
de Tobruk en Libye, envoyer une force de maintien de la paix,
introduire un blocus maritime dans la Méditerranée, ouvrir des
centres de rétention sur le territoire libyen, couler les navires de
réfugiés sous mandat onusien, etc. sont autant de soi-disant
mesures qui n'auront aucun impact et qui ne feront que démontrer
l'inaptitude des politiciens européens et leur refus de se saisir
des grands problèmes de notre époque.
Verser des larmes de
crocodile face à la tragédie, introduire des « journées du
souvenir », organiser des funérailles d'État… ne pourra
jamais rendre la vie et la dignité à tous les malheureux qui ont
péri dans la mer !
Face aux paroles
creuses des politiciens, nous voyons la solidarité et les secours
octroyés de manière spontanée et gratuite par les populations de
Lampedusa, Catania et Palermo. Il s'agit de la meilleure réponse
face à tous les politiciens qui cherchent à exploiter cyniquement
ces évènements et à profiter ignoblement des souffrances d'autrui.
Mais la seule solidarité et la générosité de citoyens italiens ne
suffira pas à éviter de nouvelles tragédies.
Les nombreux conflits et bases militaires occidentales en Afrique |
Conclusion
Il y a un problème
immédiat : celui d'éviter la mort de milliers de personnes. Ce
problème ne peut être résolu qu'en mobilisant les ressources
nécessaires. Toutes les décisions concernant le sort des immigrés
doivent être sous le contrôle de représentants élus de la
population et non pas des riches politiciens qui ne cherchent qu'à
protéger leurs propres intérêts.
Mais il ne suffit
pas de s'occuper des conséquences du problème. Il faut résoudre le
problème lui-même.
Dans le cadre de
l'économie capitaliste, caractérisée par la spéculation sur les
prix des matières premières, sur la misère de masse et sur les
conflits alimentés par l'impérialisme occidental (ce qui inclut
l'Italie), le phénomène des migrations de masse est inévitable. Vu
que l'Europe ne peut être pleinement encerclée de clôtures, la
solution au problème doit être politique.
Seule une société
libérée de la misère, de l'exploitation du travail et de la guerre
pourra garantir à chaque être humain la liberté de choisir entre
une vie dans la dignité dans son propre pays ou la migration, sans
avoir à subir les conséquences d'un tel choix. C'est ce que nous
appelons une société socialiste.
Une première étape
en direction de cette société est le rejet de la politique qui
utilise notre argent pour financer un trafic sordide sous couvert
d'opérations censées s'occuper d'immigration et de « coopération
internationale » mais qui financent en réalité des
expéditions militaires à l'étranger et qui ne font que nourrir
l'explosion des migrations de masse.
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