Une marche héroïque et historique… malgré des imperfections
On nous avait dit de nous « tenir prêts ». Le 9 juin, on allait voir ce qu'on allait voir. Et on a vu. Dans tout le (Sud du) pays, des centaines de jeunes ont défilé pour réclamer la libération des prisonniers politiques et affirmer l'inéligibilité de Ouattara. Le CIO-CI a, comme il se doit, lui aussi participé à ce mouvement malgré la pluie battante. Cependant, à la lueur des conséquences : morts, arrestations, divisions au sein de l'opposition… il nous a paru utile d'opérer notre propre analyse et d'exprimer nos propres critiques par rapport à cette journée historique.
CIO-CI
Il convient tout d'abord de signaler le caractère héroïque de ce mouvement. Un mouvement simultané, clandestin, s'est emparé de toute une partie du pays, malgré la pluie diluvienne à Abidjan et dans d'autres villes. Les manifestants ont su rallier à eux une partie de la population, ont bravé la lourde répression policière… bref, ont démontré qu'une partie de la population est en train de perdre sa peur et est désormais prête au combat.
Oui, il faut dénoncer la dictature émergente en Côte d'Ivoire. Oui, il faut dénoncer la politique néolibérale, antisociale, austéritaire, traitresse du régime Ouattara, de dénoncer le gaspillage, les détournements, la corruption, l'arrogance, la répression, la politique de « rattrapage », le manque de démocratie, la justice des vainqueurs.
Oui, il est temps de marcher pour dire que le peuple ivoirien ne compte pas se laisser faire, et qu'il est plus que temps que les victimes du complot impérialiste qui a porté Alassane Dramane Ouattara soient relâchées.
Pour la première fois depuis longtemps, nous avons enfin vu l'opposition ivoirienne, et en particulier les JFPI, sortir de sa léthargie, des luttes fratricides, jouer son rôle et se mettre en mouvement, malgré les pressions, les divisions et les intimidations. C'est pourquoi notre groupe sympathisant du Comité pour une Internationale ouvrière en Côte d'Ivoire (CIO-CI) se solidarise de ce mouvement et a participé à la marche, dans la mesure de ses capacités.
Cependant, nous avons de nombreuses observations à faire pour assurer la bonne continuation de ce mouvement, au vu des nombreux ratés de la journée.
De l'improvisation et de la confusion à tous les niveaux
Jusqu'au matin du 9 juin, quasi aucune information n'était disponible pour les militants quant au lieu et aux modalités du mouvement. De nombreuses personnes qui avaient entendu parler d'un mouvement et désiraient participer, n'ont pas pu car elles ne savaient pas où se rendre et à quelle heure. Il est vrai qu'un certain niveau de secret est nécessaire dans l'organisation d'une telle activité, vu le caractère hautement répressif du régime RHDP (de plus en plus isolé à l'intérieur comme sur le plan international). Mais la mobilisation a-t-elle été correctement réalisée ? Nous pensons que plus d'efforts auraient pu être entrepris dans la communication et l'appel à la population, et pas seulement via les réseaux de militants JFPI et associés.
Au final, tellement de fausses rumeurs circulaient quant à cette journée (préparation d'une insurrection de la police, etc.) qu'on ne savait même plus si quelque chose allait réellement se passer. D'autant que nous avons déjà été habitués à voir l'opposition reporter à de nombreuses reprises ses activités : meeting de la CNC à Yopougon terminus 47, investiture d'Essy Amara, aucune activité près d'un mois après la signature de la charte, etc.
Mais là où la confusion atteint son paroxysme, c'est que personne ne semble avoir compris ce qu'est la CNJC, qui la dirige et quelles sont ses structures. La veille sur le campus, un camarade étudiant me disait qu'il ne pouvait se joindre à une marche appelée par un mouvement dont il ignorait tout. Le jour même, plusieurs membres de la CNC ont déclaré ne rien à voir avec la CNJC et se désolidariser entièrement du mouvement, soucieux qu'ils sont de vouloir jouer leur rôle d'opposition « dans le strict respect de la légalité ».
Une action qui vise à quoi ? Et avec quels moyens ?
Mais là où le bât blesse véritablement, c'est par rapport aux objectifs de l'action. Quel est le but ? Chasser Alassane du pouvoir ? Mais pour le remplacer par quoi ? Un régime de transition dirigé par Essy Amara en attendant que les conditions soient propices pour aller vers de nouvelles élections ? Et pour mettre en place quelle politique de développement ?
Mais même si on parle des objectifs sur le court terme, cela reste peu compréhensible. Au lendemain d'une action nationale illégale (en regard de la loi ivoirienne) qui effraie le régime, les dirigeants de l'action lancent une conférence de presse comme si de rien n'était, dans laquelle ils avouent avoir été les initiateurs de ce mouvement. Il n'en fallait pas plus pour justifier leur arrestation immédiate aux yeux du régime comme d'une partie de l'opposition. Quel était l'effet recherché ?
Enfin, nous voudrions signaler que pour nous, les marches éclatées ne peuvent être un but en soi, ou en tous cas pas de la manière dont elles se déroulent en ce moment. Faire descendre plusieurs centaines de jeunes radicalisés dans les rues, c'est bien, mais cela ne peut nous mener à une chute du régime. Au contraire, cela pourrait simplement susciter un besoin de réaction de la part des partisans du régime qui pourraient avoir envie d'organiser leur propre contremouvement, tandis que la majorité du peuple, impuissant, observe.
Pour obtenir une véritable adhésion au mouvement contre le régime RHDP, il faut lier ce mouvement à des revendications capables de susciter un réel engouement : gratuité de l'enseignement et des soins de santé, assurance maladie universelle publique, révision à la baisse des prix des logements sociaux, politique d'investissement massif dans l'agriculture et l'industrie, fin des péages et des taxes iniques, hausse des salaires, contrôle des prix, (re)nationalisation des secteurs stratégiques de l'économie, etc. avec un appel clair à l'unité de toute la population de Côte d'Ivoire : nordistes comme sudistes, nationaux comme étrangers, afin d'œuvrer main dans la main à la reconstruction du pays.
De plus, il faut être bien conscient que si les marches peuvent avoir un effet de conscientisation et de radicalisation de la masse de la société, elles ne peuvent à elles seules contraindre le pouvoir à lâcher prise, mais tout au plus à faire quelques concessions symboliques. C'est pourquoi il est urgent que les dirigeants de cette fronde antirégime contactent les syndicats pour les convaincre d'entamer une série de grèves politiques de 24h au niveau national, en front uni, dans le public comme dans le privé. Car ce n'est qu'en frappant Alassane et ses soutiens là où ça fait le plus mal – le portemonnaie – que l'on pourra réellement se débarrasser de ce régime une bonne fois pour toutes.
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