Pas de révolution « démocratique » en Afrique sans révolution socialiste
Dans la première partie de ce dossier (cliquer ici), nous expliquions en quoi le concept de « démocratie à l'européenne » est par lui-même un concept totalement faux, vu que cette soi-disant démocratie n'a été instaurée que depuis tout au plus 50 ans à la suite de mouvements sociaux d'ampleur, et que ces « démocraties » restent des institutions biaisées où le peuple n'a toujours pas son mot à dire. Sans parler du fait que le concept même est de plus en plus remis en cause au fur et à mesure que la population occidentale touchée de plein fouet par la crise se fait de plus en plus remuante et contestatrice.
Dans cette deuxième partie, nous approfondissons les véritables sources des avancées « démocratiques » en Europe, puis nous expliquerons, au vu de notre analyse sociologique, pourquoi la démocratie « à l'européenne » est un concept qui ne pourra jamais s'appliquer à l'Afrique.
Conditions de l'installation de la « démocratie » en Europe
Il est indéniable qu'on trouve quand même réellement aujourd'hui en Europe une beaucoup plus grande liberté d'expression et d'organisation qu'en Afrique. N'est-ce pas cela, la « démocratie » ? N'est-ce pas là une base plus stable et plus sure à partir de laquelle on peut commencer à éduquer et organiser la masse dans des conditions « optimales » pour aller vers la révolution socialiste ? Ne devrait-on pas tout d'abord aspirer à créer ces conditions en Afrique, en alliance avec toutes les forces « démocratiques », même bourgeoises, avant de vouloir mener notre propre chemin en tant que socialistes ?
C'est totalement méconnaitre les conditions qui ont permis l'arrivée de ces libertés démocratiques en Europe. Il y tout d'abord le contexte historique, que nous avons rappelé dans la première partie de ce dossier.
Il y a aussi l'aspect économique et sociologique : en Occident, on a des économies et un système capitaliste qui se sont développés de manière autonome, sur base du jeu interne de la lutte de classes. Un prolétariat industriel fort et aujourd'hui bien formé, travaillant sur des machines de pointe et se servant d'une infrastructure de très haute qualité. Cela donne aux syndicats occidentaux une vigueur et une force de frappe incomparable par rapport à celle que possède le prolétariat africain. Le jour où les travailleurs du métro de New York, du port d'Anvers ou des usines Peugeot partent en grève, cela fait autrement plus mal au système capitaliste mondial que lorsque il y a une grève à PalmCi. Les capitalistes sont donc obligés de marcher sur des œufs. Même les paysans d'Europe, montés sur leurs tracteurs et à la tête de centaines d'hectares, ont une force de frappe économique et une capacité d'organisation bien plus élevée que leurs collègues africains.
Il y a également un aspect d'ordre économique : le capitalisme s'est à un moment rendu compte qu'il était souhaitable de développer une base de consommateurs capables de racheter tout ce que le système capitaliste produit nuit et jour, tout comme il était souhaitable qu'une partie du prolétariat soit bien éduquée et formée afin de pouvoir mettre en œuvre des machines et systèmes de production, de distribution et de gestion toujours plus complexes. Ce qui explique que le système ait vu un intérêt dans la « corruption » de toute une partie du prolétariat occidental tout au long des années 1960-70.
Évidemment, aujourd'hui aussi, la plupart des analystes bourgeois sérieux, comme Paul Krugmann, tirent la sonnette d'alarme : selon eux, la politique d'austérité actuellement appliquée en Occident va faire disparaitre cette chère « classe moyenne » qui constituait la principale base de consommateurs mondiale. Ces économistes appellent donc à une hausse des salaires, au maintien des allocations de chômage, etc. Mais le problème est que le capitalisme est un système de concurrence qui pousse sans arrêt à une spirale vers le bas. Si un pays aujourd'hui décidait seul d'augmenter les salaires, cela entrainerait une vague de fermetures et de délocalisations d'entreprises, un refus des investisseurs étrangers de s'installer dans le pays… Et les différents gouvernements bourgeois ne peuvent s'accorder là-dessus. Chacun attend que son voisin augmente les salaires chez lui, tout en abaissant les salaires dans son propre pays.
Mais la véritable raison pour laquelle les différents gouvernements capitalistes d'Occident ont été capables de se mettre d'accord pour augmenter les salaires et améliorer de manière significative les conditions de vie et de travail de la majorité de la population occidentale, est d'ordre géopolitique. En ce temps-là, tous ces gouvernements avaient un ennemi commun, en la personne de l'Union soviétique. Il est vrai que l'Union soviétique n'a jamais été capable de développer un système « communiste » au sens où nous l'entendons, suite aux conséquences de son isolement géopolitique et de sa dégénérescence bureaucratique. Mais malgré tout, la crainte d'une révolution communiste en Occident, où se trouvait la principale base de production du système capitaliste, ainsi que les besoins de la lutte idéologique pour le prestige des élites capitalistes occidentales étaient tels, que ces élites se sont retrouvées contraintes de se mettre d'accord pour une hausse substantielle du niveau de vie de la population en Occident. Ironie de l'histoire donc, c'est l'Union soviétique qui a permis l'établissement d'une « union » des pays capitalistes européens.
Mais sitôt la chute du « Bloc de l'Est », les vieilles « habitudes » sont revenues et c'est pour cela qu'on assiste au détricotage actuel de tout l'« État-providence », qui engendre la crise économique et est en même temps accéléré par elle (voir le Manifeste du Parti communiste), en même temps que l'on voit l'Union européenne elle aussi se diriger vers une désintégration.
Bref, les conditions historiques, économiques et politiques qui ont permis l'édification de la démocratie « à l'européenne » en Occident sont-elles réunies en Afrique ? Non, non et trois fois non !
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Le nain bourgeois et le géant prolétarien
Dans les pays africains (et, de façon générale, dans les pays néocoloniaux), le capitalisme est un système économique et social importé de toutes pièces par la bourgeoisie occidentale, souvent imposé par la force des armes aux populations et aux élites précapitalistes qui dominaient autrefois ces pays. Certains membres de ces élites se sont directement laissés corrompre par l'impérialisme, tandis que d'autres ont mené une lutte de résistance en vue du maintien de leurs anciens privilèges – une lutte perdue d'avance vu la formidable avance technologique du capitalisme. En Côte d'Ivoire, le sacrifice d'un million de résistants baoulés dans les années '1910 n'a pas pu empêcher une poignée d'occupants français d'asseoir sa domination sur ce territoire. Une fois l'administration coloniale mise en place, une nouvelle élite dirigeante a été sélectionnée et formée par l'occupant, gagnée non seulement à la cause de l'étranger en tant qu'individu d'une race donnée, mais aussi aux intérêts du capitalisme en tant que système.
C'est ainsi que sont nées nos bourgeoisies nationales africaines. Celles-ci, nées sur base de l'intervention expresse du capitalisme occidental, formées à l'étranger et aveuglées par le prestige de l'envahisseur, lui est idéologiquement pieds et poings liées. Qui plus est, alors que l'ensemble des secteurs stratégiques de l'économie (commerce extérieur, pétrole, mines, port, chemins de fer, électricité, banques, télécommunications, industrie lourde…) ont déjà été accaparés par la bourgeoisie impérialiste étrangère (laquelle dispose d'immenses moyens issus de son exploitation des peuples du monde entier), les bourgeois locaux ne trouvent aucun secteur valable dans lequel investir, mis à part quelques niches quelque peu délaissées par l'impérialisme, comme les travaux publics, l'immobilier, la distribution, l'agriculture, etc.
De plus, il très difficile à cette bourgeoisie nationale de rivaliser sur le plan de la production industrielle avec bon nombre de produits déjà réalisés ailleurs selon des procédés hautement compétitifs : véhicules, ordinateurs, textile… Cette bourgeoisie nationale est donc, par la force des choses, plutôt prédestinée à gérer les possessions des capitalistes étrangers qu'à jouer elle-même un rôle moteur dans l'économie du pays.
En même temps que le rôle d'exploitation des richesses du pays est assumé par la bourgeoisie impérialiste étrangère aux dépens de la bourgeoisie nationale, une grande masse de la population issue des classes « moyennes » traditionnelles – petits paysans, artisans, commerçants, pêcheurs, etc. – se voit de plus en plus contrainte d'abandonner ses activités pour venir « se chercher » dans les centres industriels et de rejoindre la grande masse du prolétariat : une classe dénuée de toute propriété privée des moyens de production, contrainte pour sa survie de vendre chaque jour la force de ses bras ou ses connaissances intellectuelles à un patron, détenteur de capitaux.
Afrique + capitalisme + démocratie = chaos et instabilité
Comparé à la situation qui prévaut dans les pays développés, où on trouve toute une pyramide sociale allant du sous-prolétariat à la haute aristocratie financière en passant par diverses couches de la classe moyenne, professions libérales, petits et moyens patrons, dans les pays néocoloniaux, nous voyons une énorme masse « populaire », prolétarienne se former, sans qu'une véritable bourgeoisie ne se forme en contrepartie. Cette grande masse est maintenue artificiellement dans des conditions de pauvreté et de précarité affligeantes et permanentes, sans aucun espoir de pouvoir se hisser à un niveau de vie stable, étant donné l'insécurité sociale et économique permanente qui prévaut dans nos pays.
C'est pourquoi on ne peut imaginer la mise en place d'une quelconque « démocratie » en Afrique dans ces conditions. Tout d'abord parce que notre classe bourgeoise, malgré ses grands airs, est incapable de jouer le moindre rôle indépendant de l'impérialisme. Ensuite parce que les besoins de la masse populaire sont tellement grands, que la moindre ouverture « démocratique » menace directement la stabilité du système dans un tel pays.
Prenons la Côte d'Ivoire. Imaginons que l'on dise à n'importe quel groupe de citoyens ou de travailleurs : « Si vous avez besoin de quelque chose, venez le demander et vous l'aurez. Allez-y grèvez, marchez, faites vos syndicats et réunissez-vous où vous le désirez ; faites tout ce que vous voulez, on ne va vous rien faire ». Dans le cadre du capitalisme, un président qui adopterait une telle attitude rendrait immédiatement le pays totalement ingérable, vu le cortège de revendications qui ferait immédiatement surface. Quelle que soit la bonne volonté initiale de ce président, celui-ci se verrait très rapidement contraint d'user de la répression au même titre que tous ses prédécesseurs, ou serait rapidement chassé par un coup d'État orchestré par l'impérialisme. N'est-ce pas ce que nous avons connu sous le règne de Gbagbo Laurent ?
Dans sa lutte pour une redistribution des richesses nationales et des parts de marché, la faction de la bourgeoisie nationale qui souhaite s'affranchir de la tutelle impérialiste n'a d'autre choix que de mobiliser les larges couches populaires. Or, devant la force de ces forces populaires, afin d'assurer son maintien à la tête du mouvement, la bourgeoisie nationale se voit contrainte de cadenasser ce mouvement en achetant les différents leaders d'opinion et en mettant au pas les différents syndicats. Encore une fois, n'est-ce pas ce que nous avons connu avec le pouvoir FPI ?
Que faire alors ?
Devant ce constat sévère, devons-nous tirer la conclusion que nous ne connaitrons jamais la liberté en Afrique ?
Non. Cela signifie simplement que vouloir se battre pour la mise en place d'un système de démocratie « à l'européenne » en Afrique est une utopie. Il nous faut directement envisager de passer à un autre système. Nous ne devons pas compter sur le moindre sauveur venu de la bourgeoisie nationale pour lutter pour nos droits. Cela n'aurait pour effet que de freiner la lutte pour notre émancipation et de nous entrainer soit dans des compromis douteux avec la bourgeoisie, soit à l'émergence de rébellions et de tentatives de coup d'État soutenues par l'impérialisme.
La lutte pour la démocratie en Afrique ne peut être portée que par un mouvement purement prolétarien, qui reprendra à son compte l'ensemble des justes revendications du peuple. Cette lutte pour la démocratie ne pourra connaitre le moindre répit tant que nous n'aurons pas obtenu une véritable indépendance économique et que nous ne serons pas sortis du système capitaliste d'exploitation. Cela suppose la prise du pouvoir par le prolétariat organisé via ses propres organes de pouvoir populaire : comités de quartier et d'entreprise, syndicats révolutionnaires, « agoras » et autres « parlements de la rue ». Cela suppose la nationalisation pure et simple, sous contrôle démocratique de comités élus, de l'ensemble des secteurs stratégiques de l'économie, et l'édification d'un plan de production et de redistribution socialiste des richesses nationales.
Toute autre perspective de lutte, pacifique ou non, pour une démocratie « à l'européenne » n'est qu'illusion et utopie. La seule démocratie que nous pourrons jamais instaurer en Afrique est une démocratie socialiste et populaire.
C'est l'objectif du CIO.
Un manifestant burkinabé : « Non au référendum ! Non au pouvoir à vie ! Non aux hommes forts des pays faibles ! Blaiso ! Tu es à ton terminus ! Blaiso ! Dégage ! » |
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