La lutte légitime des étudiants requiert d'autres méthodes pour
aboutir
L'université de Cocody et
plusieurs établissements ont été touchés par un mouvement de
grève dans la semaine du 11 au 15 avril, dirigé par la FESCI.
Si les revendications portées par ce syndicat sont légitimes et
portent sur de vrais problèmes (manque d'infrastructures sur le
campus, problèmes au niveau des inscriptions, projet de
déguerpissement des étudiants des résidences pour faire place aux
athlètes des Jeux de la Francophonie), force est de constater les
limites de la lutte et l'existence de sérieuses lacunes tant au
niveau de l'organisation du mouvement que des mots d'ordre donnés,
mais aussi et avant tout, au niveau de la conception même de ce que
devrait être le syndicalisme et la grève.
CIO-CI
Il est clair que les
étudiants ne peuvent accepter le projet de déguerpissement des
résidences au profit des Jeux de la Francophonie. Ces jeux,
organisés dans l'unique but de rehausser le prestige du gouvernement
Ouattara et de lancer une nouvelle opération de communication afin
de vendre la « destination Côte d'Ivoire » pour les
investisseurs étrangers, sont financés à coups de milliards par
les institutions qui régissent la Francophonie, des investissements
qui devraient permettre la construction et la réhabilitation de
nouveaux stades et centres sportifs dans tout le pays. Mais au lieu
de ça, le gouvernement semble vouloir organiser des jeux avec le
moins de dépenses possibles, au détriment des populations : le
prestige avant tout !
Quand bien même le
gouvernement parle de « solutions » alternatives pour
reloger les étudiants sur d'autres cités, cela pose toute une série
de questions : si les autres résidences universitaires sont en
état d'accueillir les étudiants, pourquoi n'ont-elles pas été
ouvertes depuis ? pourquoi ne pas loger là-bas les athlètes ?
Comment assurer le transport entre les résidences et le campus pour
les étudiants relogés ? Sans compter aussi que ces nouvelles
cités ne seraient pas à même d'accueillir l'ensemble des étudiants
logés en ce moment sur le campus. Forcément, les étudiants qui se
plaignent sont taxés d'« ingrats » et d'« égoïstes »
par le gouvernement, eux qui seraient des privilégiés logés aux
frais de l'État, refuseraient de faire passer l'intérêt de la
« nation » (traduisez : du régime) avant leur
intérêt propre.
Parallèlement à cela, on
déplore toujours le non équipement des salles de labo des facultés
de médecine et de pharmacie, qui a déjà entrainé plusieurs années
blanches dans ces facultés. Même si on dit qu'un budget aurait
enfin été alloué pour pallier à ce manque, on ne comprend
toujours pas pourquoi il aura fallu tant de temps. Le régime ayant
déjà fait plusieurs annonces qui ne se sont jamais concrétisées,
rien ne garantit que les salles seront bel et bien équipées cette
année.
Sans parler de l'absence
du Wifi sur le campus, du manque de places et de la vétusté du
matériel dans les amphis, des nombreux retards dans les cours et la
tenue des examens, du scandale de détournement de l'argent des
inscriptions (même si les fautifs auraient été épinglés, on
demande toujours aux étudiants de repayer les frais d'inscription
une deuxième fois plutôt que de demander aux coupables de
rembourser), du manque de bus entrainant de nombreux accidents
mortels sur les quais de chargement, etc., etc.
Il est donc tout à fait
légitime de se révolter face à cette situation, et c'est la FESCI
qui a pris l'initiative de lancer un mouvement de lutte à grande
échelle sur le campus, soutenu par de nombreuses personnes. Saluons
au passage le dévouement et le sens du sacrifice des militants de la
FESCI, qui ont déjà montré à plusieurs reprises qu'ils sont prêts
à en découdre pour l'amélioration du sort des étudiants, quelles
qu'en soient les conséquences.
Les limites objectives
du mouvement
Cependant, il ne suffit
pas, pour nous marxistes, d'applaudir le moindre mouvement de lutte
sans chercher à comprendre la manière dont la lutte a été
organisée, quels objectifs ont été atteints, et sans chercher à
pointer du doigt les erreurs qui auraient été commises, dans le but
de chercher à y trouver une solution pour une prochaine fois. Il
nous est par conséquent difficile d'applaudir corps et âme ce qui
s'est produit au cours de la semaine du 11 avril.
En effet, le mouvement a
été porté par la seule FESCI qui, comme à son habitude, a décidé
de faire cavalier seul et de lancer un mouvement sans consulter qui
que ce soit parmi les autres mouvements présents sur le campus.
Selon la FESCI, les autres mouvements auraient abandonné la lutte en
acceptant d'entrer dans la plateforme dénommée « Association
des étudiants de l'université Félix Houphouët-Boigny »
(AE-UFHB), créée à l'initiative de la présidence de l'université.
En entrant dans l'AE, ces mouvements auraient perdu toute autonomie
et tout pouvoir de mobilisation, ils se seraient mis dans une posture
d'acceptation du statu quo à l'université.
Il faut cependant rappeler
qu'une des raisons pour lesquelles la FESCI, tout comme sa rivale
l'AGEECI, n'est pas entrée dans l'AE est que l'accès lui y a été
refusé vu la responsabilité que ce syndicat porte concernant la
mort du camarade Konin Wilfried en novembre 2015. Depuis lors,
la FESCI a été fortement isolée et attaquée : la décision
de lancer un mouvement de blocage du campus décrété de manière
unilatérale n'avait-il pas pour objectif de simplement prouver que
la FESCI existe encore et qu'il faudra malgré tout compter avec
elle ?
Au-delà de la
concertation avec les autres structures syndicales, il y a la manière
dont le mot d'ordre a été lancé : la grève a été décrétée
par la direction, coïncidant, comme par hasard, le 11 avril,
avec le 5e anniversaire de l'arrestation de Laurent Gbagbo, sans que
la moindre AG n'ait été convoquée. De même, après que le
secrétaire général AFA ait été arrêté, le mot d'ordre de grève
a été levé par une annonce à la télévision d'État, à nouveau
sans la moindre consultation avec la base. Alors qu'il était annoncé
une pause de « 72 heures » pour « se donner du
temps avant de remobiliser plus largement », force est de
constater que rien, depuis plus d'une semaine, les cours ont repris
comme si de rien n'était. Tout porte donc à croire que la levée de
la grève a été le résultat d'un accord conclu par-dessus la tête
des étudiants, entre la direction de la FESCI et le régime, sans
que de véritables acquis n'aient été obtenus en-dehors de
nouvelles vagues promesses de la part du gouvernement.
Et les professeurs ?
Tout le monde sait que le personnel enseignant de l'université
connait à peu près les mêmes problèmes que les étudiants sur le
campus, et a lui aussi ses propres revendications. Il est bien connu
que la CNEC, le principal syndicat des professeurs, entame un nouveau
mouvement de grève de son côté. Ne serait-ce pas là une belle
occasion pour mener une grève conjointe, autour d'un carnet de
revendications commun ? Mais là aussi, l'avis des dirigeants de
la FESCI est que « Comment les étudiants peuvent-ils faire
grève, si les amphis sont déjà vides ? »
Le problème se pose donc
sur la manière dont nous concevons l'idée même de grève, au
niveau du concept. Une grève est un mouvement de blocage devant
permettre à la masse des étudiants et des acteurs de l'enseignement
de s'exprimer et de s'organiser pour exercer une pression sur le
gouvernement, dans le but d'obtenir satisfaction aux revendications.
Mais trop souvent en Côte d'Ivoire, on estime qu'il doit s'agir d'un
mouvement suscité par une minorité agissant au nom des étudiants,
sans les concerter. Dès lors, la pression exercée sur le
gouvernement ne dépend pas du nombre d'étudiants touchés, de leur
détermination et de leur niveau d'organisation, mais uniquement du
pouvoir de nuisance de la part de ces petits groupes vidant les
amphis contre l'avis de la majorité, afin de « faire monter
les enchères ». Ce n'est pas du syndicalisme, mais du
mercenariat. À ce jeu, les étudiants n'ont rien à gagner, et
surtout pas les simples militants de la FESCI qui sont en première
ligne du combat mais ne bénéficient d'aucune faveur de qui que ce
soit.
Comment la grève
doit-elle être organisée selon nous ?
Tout d'abord il faut que
les différents syndicats aient l'humilité de s'asseoir ensemble
pour envisager l'organisation d'une action. Ne serait-ce que pour se
donner plus de légitimité. Ensuite, il faut que la masse des
étudiants soit non seulement informée du projet, mais donne son
aval. Il est vrai que dans le contexte de répression que nous
connaissons, il est difficile d'organiser une AG en plein air devant
aboutir à un vote. Mais pourquoi ne pas organiser le vote dans les
amphis, pendant les cours, suite à une descente conjointe de
plusieurs représentants de différents syndicats ? Cela
permettra au moins de jauger l'adhésion effective des étudiants
vis-à-vis des actions proposées.
Mais il importe aussi de
réfléchir aux objectifs et à la stratégie à adopter pour
atteindre ces objectifs. Veut-on simplement « faire du bruit »
pour démontrer sa capacité de mobilisation aux yeux des uns et des
autres ? Ou bien s'agit-il d'une grève politique destinée à
influer sur la politique du gouvernement en matière d'enseignement ?
Dans ce dernier cas, nous
pensons qu'aucune lutte véritable ne pourra aboutir tant que le
mouvement consistera à vider les amphis et à se battre avec la
police sur le campus. Une véritable pression ne pourra jamais être
exercée sur le gouvernement tant que la masse de la population et en
particulier la classe ouvrière, les travailleurs, ne sera pas
intégrée à cette lutte dans le cadre d'une plateforme commune pour
un enseignement gratuit et de qualité en Côte d'Ivoire.
Pour cela, il importe de
gagner les professeurs à la lutte, mais aussi, dans un premier
temps, d'autres catégories de travailleurs du service public. Les
problèmes du système d'enseignement ivoirien sont nombreux et
touchent tous les niveaux, de la maternelle au supérieur, dans le
public comme dans le privé. Il n'y a pas un habitant de Côte
d'Ivoire qui ne soit conscient de ce problème. Ce qui manque, est
une plateforme capable d'unir ce mécontentement et d'en faire un
mouvement de lutte d'ensemble. Plutôt que de mener nos petites
grèves chacun de notre côté, enseignants du primaire, du
secondaire, élèves, étudiants… unissons-nous !
Pour susciter l'adhésion
de la population, il faut pouvoir trouver les bons arguments. Faisons
en sorte que notre lutte concerne tout le monde ! L'objectif
doit clairement être un enseignement gratuit, accompagné d'une
prise en charge des élèves et étudiants par l'État. Les
ressources existent amplement dans notre pays pour financer une telle
politique. Si c'était possible du temps d'Houphouët, pourquoi cela
ne serait-il pas possible aujourd'hui encore ?
Mais le problème est
avant tout politique, voire idéologique. Cela fait des années que
nos dirigeants – y compris les dirigeants de la majorité des
syndicats et les dirigeants des partis dits de « gauche » –
ont été acquis au discours néolibéral selon lequel seul le privé
peut fonctionner, les universités doivent être gérés comme des
entreprises, être autofinancées, etc. Or, cela ne peut qu'aboutir à
un système d'enseignement à deux vitesses qui, curieusement,
profite à nos mêmes dirigeants qui investissent tous à foison dans
l'enseignement privé, un excellent business soutenu de plus par
l'État (par les subsides, les orientations, « l'école
obligatoire », etc.). Dans ce cadre, on comprend que mener de
petites actions ponctuelles dans le seul but de protester contre tel
ou tel problème est bien dérisoire par rapport aux véritables
enjeux !
Les étudiants doivent
utiliser leur potentiel de mobilisation pour aller dans les quartiers
et dans les zones industrielles, y entrer en discussion avec les
travailleurs et les convaincre de la nécessité de soutenir et de
rejoindre la lutte des étudiants. Ce n'est pas au Plateau qu'il faut
marcher, mais à Yopougon, à Koumassi, à Port-Bouët, à Adjamé et
à Abobo.
C'est donc ici le lieu
d'appeler les étudiants et notamment les membres des différents
syndicats à interpeller leurs dirigeants pour l'organisation de
cette plateforme de lutte commune que nous appelons de tous nos vœux.
Des assemblées doivent être organisées avec l'ensemble des
militants, suivies de campagne de mobilisation sur le campus et de
rencontres avec les professeurs. Un premier objectif vers la
mobilisation du soutien populaire pourrait être l'organisation d'une
marche pacifique de la communauté universitaire, professeurs en toge
à la tête, hors du campus et à travers les rues de Cocody, en tant
que préalable vers de nouvelles actions de plus en plus larges,
ayant pour but la rénovation totale de l'enseignement, la gratuité
et la prise en charge des élèves et étudiants à tous les niveaux.
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