Réorganiser le mouvement autour d'une direction et d'une ligne cohérente pour pouvoir progresser !
Le mouvement contre la hausse des frais
d'inscription (FMF) a marqué l'année 2015 en obtenant
l'annulation de la hausse prévue des fins d'inscription dans les
universités en Afrique du Sud. Cependant, la « deuxième »
phase de la lutte pour l'enseignement gratuit piétine. Cela pour
diverses raisons.
Les trois assemblées organisées par
les représentants du mouvement à la fin 2015, auxquelles ont
participé une vingtaine d'institutions, constituent un des plus
importants facteurs de progrès depuis l'arrivée de la démocratie
capitaliste libérale en 1994. Mais certaines de ces assemblées
ont également montré d'importantes faiblesses qui expliquent la
stagnation actuelle de FMF, en particulier au niveau du programme et
de la direction.
– camarade Trevor Shaku, Mouvement des jeunes socialistes d'Afrique du Sud (organisation jeune du CIO en Afrique du Sud)
Le programme
Un programme est un guide pour
l'action : la stratégie et la tactique requises pour accomplir
les objectifs programmatiques et la fondation à partir de laquelle
un plan d'action peut être élaboré. En tant que tel, le programme
est toujours un point de référence à la lueur duquel évaluer les
réussites et les échecs du mouvement pour l'enseignement gratuit,
afin de pouvoir mettre en œuvre une réflexion stratégique ;
pour évaluer la progression, tirer les leçons de la dernière
période et tracer des perspectives pour le futur.
Le but de ce genre d'évaluations ne
peut être simplement de partager des expériences comme des
anecdotes concernant des bagarres avec la police. Un programme peut
concrétiser ces expériences en leur donnant une forme concrète et
en les traduisant en un guide pour l'action au cours de la prochaine
confrontation avec les directions des universités et le
gouvernement.
Malgré le fait que la revendication de
l'enseignement gratuit bénéficie d'un immense soutien parmi la
population, les actions de la « deuxième phase » du FMF
se sont concentrées sur les problèmes d'inscription, d'hébergement,
du racisme et de langage utilisé. Cependant, les conflits sur ces
questions ont pris la forme d'escarmouches entre une minorité
d'étudiants actifs et la direction plutôt que d'une confrontation de
masse, comme cela a été le cas en octobre 2015. Le soutien de
la masse des étudiants s'est refroidi et est devenu passif plutôt
qu'actif.
Prenant bonne note de ce fait, le
gouvernement a tenté d'utiliser à son avantage la concession qui
lui avait été arrachée afin de forcer une division entre la masse
et la minorité d'activistes, dans une tentative de restaurer
l'autorité de l'Alliance des jeunes progressistes (PYA, une
organisation de jeunes de l'ANC) et de rétablir l'ordre en
encourageant les directions des universités à recourir à la force.
C'est dans ces circonstances que le FMF
s'est retrouvé incapable de conserver son unité et sa cohérence.
Le mouvement n'a pas de programme clair, n'a pas de structures
contrôlées par la base, n'a pas de direction démocratiquement
élue. En fait, certains avancent même l'idée selon laquelle le
mouvement serait rendu plus démocratique du fait qu'il ne possède
aucune structure démocratique, qu'il ne suit aucune vision
idéologique déterminée par un débat démocratique et qu'il ne
dispose d'aucune programme d'action décidé démocratiquement. Tout
cela a semé beaucoup de confusions quant à la voie à suivre pour
pouvoir avancer.
Sans une perspective partant de la
reconnaissance de la relation entre les luttes étudiantes et les
luttes ouvrières contre la politique capitaliste néolibérale menée
par le gouvernement et pour le socialisme, le FMF a été privé de
toute possibilité d'atteindre une clarté idéologique ; de ce
fait, il n'a pas pu obtenir la moindre cohésion programmatique et
organisationnelle.
Sans un programme cohérent pour nous
guider dans l'action, le FMF est resté inconsistant, sans le moindre
programme coordonné sur le plan national. Malheureusement, les
quelques rencontres interprovinciales ou nationales qui ont été
organisées ne se sont pas penchées sur cette question cruciale.
Par exemple, les quelques camarades du
Mouvement des jeunes socialistes (mouvement jeunes du CIO en Afrique
du Sud) qui ont participé à la rencontre du 11 décembre 2015
ont averti du fait que l'absence d'un programme allait créer une
situation où les décisions seront prises campus par campus.
Certains campus commencent ou terminent une grève à tout moment, en
fonction du rapport de forces du moment sur chaque campus. Même
s'ils décidaient de ne pas organiser d'action, cela serait également
décidé localement sur chaque campus, et non de manière concertée
avec l'ensemble du mouvement.
Cette approche est extrêmement
problématique, car elle nous empêche d'organiser un front uni
étudiant au niveau national pour exercer une pression assez grande
que pour contraindre le gouvernement à répondre à nos
revendications en faveur de la gratuité de l'enseignement. L'absence
d'un programme, comme l'ont dit nos camarades, fait qu'on voit
apparaitre des poches de contestation qui ne bénéficient de presque
aucune solidarité au plan national de la part des étudiants ou de
la population de manière générale, ce qui fait que le gouvernement
a vite fait de les réduire au silence. Cette perspective a
d'ailleurs déjà été confirmée par la tournure qu'ont pris les
évènements depuis janvier de cette année.
Même si des victoires peuvent être
gagnées sur base de campagnes et actions locales, on ne peut
combattre un problème éminemment structurel uniquement à partir de
petites luttes isolées.
Certains camarades ont le sentiment que
l'adoption d'un programme reviendrait à imposer des « résolutions »
aux différents regroupements FMF. C'est pourquoi ils préfèrent
laisser ces instances locales décider de tout de manière séparée.
Mais en réalité, cela signifie que nous privilégions les petites
actions spontanées sur les différents campus plutôt qu'une révolte
globale et coordonnée au niveau national, organisée autour d'un
plan d'action commun.
Tout ce qui s'est passé depuis janvier
n'a fait que confirmer nos appréhensions. Le mouvement n'a pas été
capable de revenir au stade où il se trouvait en octobre 2015,
où on a vu la plus forte implication des masses. Au lieu de ça, il
a fluctué, avec des poches de contestation éclatant sur différents
campus de manière désordonnée. Nous ne voulons absolument pas ici
dénigrer le rôle héroïque des camarades qui participent à ces
mouvements. Mais il faut bien se rendre compte que ces actions ont
toutes finies par être isolées et étouffées par la police, les
compagnies de sécurité et le ministère de l'Enseignement
supérieur, avec l'aide des médias et de l'Alliance des jeunes
progressistes (PYA). En l'absence d'un programme issu d'un débat
démocratique à travers l'ensemble des universités du pays, il a
été impossible d'unifier les différents groupes de lutte autour
d'un objectif et d'un plan d'action communs.
Pour le dire autrement, l'absence d'un
programme fait que le FMF se retrouve dépourvu d'une colonne
vertébrale. Un programme ne résout évidemment rien de lui-même ;
il faut également installer des structures et une direction
responsables pour le faire appliquer et respecter.
Le mouvement à son apogée |
La direction
Le refus d'apprécier l'importance
cruciale d'un programme fait aussi oublier l'importance d'une
direction. Il est évidemment tout naturel d'être dégouté par tous
ces mouvements où la « direction » est surtout
responsable d'étouffer la voix des membres de la base, d'isoler les
mécontents, ne rend des comptes à personne et contraint ses membres
à suivre aveuglément la ligne dictée par cette même direction.
Mais cela ne veut cependant pas dire
qu'il faille rejeter le concept d'une direction dans son entièreté.
Car cela revient à jeter le bébé avec l'eau du bain ! En
effet, il est impossible de faire appliquer un programme sans qu'il
n'y ait de structures composées d'individus auxquels on a donné la
responsabilité de jouer ce rôle – c'est ce que nous
entendons par le terme de « direction ».
Noter modèle de direction doit être
basé sur le principe d'élections, avec des leaders soumis au droit
de révocation. La ressemblance entre ce que nous proposons et le
modèle « traditionnel » d'une direction ne se trouve
donc que dans l'appellation. La direction que nous voulons
fonctionnera de manière complètement différente. Toutes les
décisions doivent être débattues et adoptées de manière
démocratique par l'ensemble des camarades. Le seul objectif derrière
l'idée de direction est d'éviter que notre mouvement se retrouve
désorganisé, ou au final dirigé par des « volontaires »
sur lesquels la base n'a finalement aucun contrôle.
Le contrôle sur les dirigeants
garantit l'exécution du programme et, lorsque nécessaire, la
redéfinition de la tactique adoptée. Sans une direction, nous
restons désorganisés sur le plan national. Cela veut dire que le
FMF perd la capacité de lutter contre le gouvernement et de gérer
la riposte, ou même de mobiliser des ressources légales et
financières de manière efficace.
Cette grave faiblesse résultant de
l'absence d'une direction, on la voit dans notre incapacité à
répondre aux accusations selon lesquelles le FMF ne serait qu'une
agence téléguidée par les États-Unis. Aucune réponse formelle
n'a été donnée à ces accusations répugnantes, tout simplement
parce qu'on a laissé chacun y répondre de son côté s'il le
désirait.
Cette approche du « tout le monde
est responsable » signifie au final que personne ne se sent
responsable. Ces accusations, qui seront utilisées plus tard pour
justifier la répression de notre mouvement, appelaient pourtant une
réponse ferme et claire de notre part. Nous ne sommes pas un groupe
de conspirateurs qui préparent un coup d'État. Nous sommes
simplement des jeunes préoccupés par notre situation, qui désirons
un avenir meilleur et le droit à l'enseignement gratuit.
« C'est pas nous qu'il faut abattre, c'est les frais ! » |
Ce qu'entrainent ces faiblesses
L'histoire ne se déroule pas selon
notre bon vouloir ; c'est plutôt nous qui sommes soumis au
rythme qu'elle nous impose. La science révolutionnaire, exprimée
dans la langue de Shakespeare, le démontre bien : « Il y
a une marée dans les affaires des hommes qui mène à la fortune
ceux qui embarquent à temps ».
Dans les faits, cette citation souligne
bien l'importance du temps et de l'action. Il est important de
comprendre que la démoralisation est tout autant une caractéristique
de cette période historique que le sont la confiance et l'optimisme.
Le mécontentement des étudiants suscité par leurs conditions
matérielles immédiates (l'inaccessibilité des études et la
difficulté de payer les frais d'inscription) ne sera pas toujours
présent. Le gouvernement capitaliste et ses maitres d'économie
néolibéraux vont chercher à réduire l'ampleur de la pression de
ces conditions matérielles immédiates. Ils l'ont d'ailleurs déjà
fait en annonçant une augmentation du budget alloué aux bourses
pour l'année 2016. Cet aspect a joué un rôle crucial dans la
démobilisation des étudiants en janvier, ce qui a affaibli le
potentiel de contestation.
Cela veut dire que si nous ne nous
préparons pas en mettant en place une direction et un programme
concret, nous serons certainement incapables d'embarquer lorsque la
prochaine marée révolutionnaire arrivera. Il y a un immense
potentiel de luttes devant nous, qui seront provoquées par
l'expulsion des étudiants qui n'auront pas payé leurs frais
d'inscription et par les difficultés financières qui vont, de
manière générale, s'accumuler sur les étudiants vu le
définancement de l'enseignement. Nous devons améliorer notre
position afin de pouvoir surfer sur la nouvelle vague qui viendra,
parce que si nous échouons, cela signifie que notre bateau risque de
s'échouer lui aussi.
La tendance à éviter une direction et
un programme semble liée à l'idée de détacher les luttes des
étudiants des luttes menées de manière plus globale par l'ensemble
des couches exploitées et opprimées de la société. Nous devons
cependant refuser de nous laisser entrainer dans ce discours de
professeur libéral qui sépare les différentes disciplines de
manière artificielle au lieu de privilégier les approches
inclusives qui considèrent la vie dans sa totalité. Le fait est que
nous luttons contre un système extrêmement organisé, le
capitalisme impérialiste. L'enseignement gratuit n'est jamais qu'une
ligne de front dans cette guerre. Exiger la gratuité de
l'enseignement revient à soulever une question structurelle ;
il faut donc lier cette lutte à une tactique d'agitation en faveur
de la lutte globale contre le capitalisme impérialiste. Toute
tentative de détacher la lutte pour l'enseignement gratuit de la
lutte générale de l'ensemble du prolétariat va inévitablement
entrainer une tactique incorrecte et engendrer d'énormes faiblesses,
qui seront exploitées par tout ceux qui cherchent à déstabiliser
notre mouvement.
C'est cette même situation qui a
encouragé l'intolérance réactionnaire du regroupement EFF/Pasma
(Combattants pour la liberté économique / Mouvement étudiant
panafricain d'Azanie), qui a décidé d'organiser ses propres
meetings au nom du FMF tout en tenant des discours dignes de
l'apartheid pour exclure du mouvement les militants homosexuels. Le
fait est que, en l'absence de la moindre direction officielle,
n'importe qui a le droit d'appeler à un meeting au nom du FMF à
notre place !
Le Mouvement des jeunes socialistes
condamne de la manière la plus forte l'exclusion et l'agression
physique des militants homosexuels. Une telle intolérance
réactionnaire n'a rien à faire au sein de notre mouvement. Mais la
défense la plus efficace contre ce type de dégénérescence est de
refonder le FMF sur une base démocratique, en le dotant d'une
cohérence stratégique et organisationnelle, en débattant d'un
programme d'action qui sera adopté et appliqué par des structures.
Ne pas avoir de direction officielle signifie que le premier venu peut s'ériger en « leader » de ce mouvement pour le récupérer (ici, Julius Malema). |
Et ensuite ?
Il faut nous réorganiser. Les
regroupements progressistes de la communauté étudiante partout dans
le pays ont commencé à organiser des débats pour réorganiser les
sections les plus combattives du FMF en un Mouvement pour
l'enseignement gratuit (FEM) avec une position idéologique claire et
une cohérence programmatique et organisationnelle. La confusion
théorique et les illusions qui ont caractérisé le FMF et qui
caractérisent toujours ce qui reste de ce mouvement doivent être
rangées au placard par le nouveau FEM.
À ce stade, la tâche hautement
révolutionnaire reposant sur les épaules des étudiants issus de la
classe prolétaire, doit être de mettre en place une large
organisation radicale qui leur appartiennent à eux seuls. Le FMF a
jeté la base pour la fondation d'un nouveau mouvement étudiant
large. Le Mouvement des jeunes socialistes va pleinement participer à
la création de ce nouveau mouvement étudiant progressiste large ;
nous invitons les autres forces progressistes à faire de même. Nous
ne pouvons permettre à des aventuriers et à des populistes de
continuer à se servir de la cause des étudiants pour servir leurs
propres intérêts. En même temps, nous devons offrir aux étudiants
une alternative progressiste à la PYA.
Pour en savoir plus sur la lutte étudiante en Afrique du Sud : voir notre article ICI
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