lundi 13 août 2018

Nigeria : la jeunesse

Une bombe à retardement dans la crise sociétale


– rapport de nos camarades du Mouvement démocratique socialiste, CIO-Nigeria

Ce 1er janvier, le Nigeria comptait 20.210 bébés de plus. Le Nigeria était le troisième pays du monde qui a eu le plus d'enfants nés le 1er janvier cette année, derrière l'Inde et la Chine. Selon un rapport des Nations-Unies datant de l'an passé, on estime que d'ici 2050, le Nigeria sera devenu le troisième pays du monde par son nombre d'habitants, et un des six pays du monde qui compteront plus de 300 millions d'habitants. Ce pays, dont la population est aujourd'hui d'un peu moins de 200 millions, contribuera en grande partie aux 1,3 milliards d'habitants qui viendront d'ici là s'ajouter à la population africaine totale. Dans certaines circonstances, la population d'un pays est censée être une force ; cependant, dans le cas d'un pays comme le Nigeria, cette croissance démographique, qui dépasse de loin le rythme des investissements dans l'infrastructure et le taux de développement général du pays, annonce de grandes difficultés pour l'avenir.


Le système universitaire du Nigeria est extrêmement déficient. Entre 2010 et 2015, sur les 10 millions de jeunes candidats pour l'inscription dans les établissements d'enseignement supérieur, seul 26 % ont obtenu une place. Plus de 10 millions d'enfants ne fréquentent pas l'école, le Nigeria occupant la première place mondiale à cet égard. Pour ceux qui ont la chance de pouvoir fréquenter, le chômage reste un problème extrêmement important. Les dernières données de l'office des statistiques du Nigeria montrent que le taux de chômage a pratiquement doublé depuis la fin 2015. 
C'est ce qui explique pourquoi de jeunes Nigérians désespérés sont prêts à affronter tous les dangers, y compris la mort dans le désert, la noyade dans la Méditerranée, l'esclavage à vie ou le trafic sexuel, pour se chercher en Europe. En 2016, sur 180.000 immigrés arrivés en Italie par la mer, 37.500 étaient nigérians. On constate aussi que parmi ces arrivés, entre 2014 et 2016, le nombre de femmes nigérianes arrivées en Italie a quant à lui été multiplié par dix. Et ces données ne tiennent évidemment pas compte de tous ceux et toutes celles qui sont morts en cours de route.

Des solutions existent
Ces citations montrent bien la terrible catastrophe qui attend notre pays. Près de 80 millions de Nigérians aujourd'hui (soit 40 % de la population) ont moins de 15 ans. À moins d'une réorientation radicale pour ramener notre économie au service de l'enseignement, de la santé, de l'emploi pour tous et avec une construction massive de logements sociaux, absolument rien ne pourra empêcher ce désastre. Selon le statisticien général national, le Nigeria doit créer chaque année 2 millions d'emplois pour pouvoir renverser la tendance en termes de chômage. 
Pendant ce temps, l'ONG Oxfam International établit que « la fortune combinée des cinq personnes les plus riches du Nigeria (Aliko Dangote, Mike Adenuga, Femi Otedola, Folorunsho Alakija et Abdulsamad Rabiu) est de 30 milliards de dollars, une somme qui suffirait à mettre en place tous les projets nécessaires pour mettre un terme définitif à la misère dans le pays ». C'est ce genre d'injustice dans la distribution des richesses, une caractéristique inhérente au capitalisme, qui explique l'énorme misère et le manque de possibilités de réalisation pour la jeunesse. Il suffirait d'arracher leurs richesses aux 1 % d'habitants les plus riches (via le passage en propriété collective des secteurs stratégiques de l'économie sous contrôle et gestion démocratiques de la population) pour pouvoir offrir un enseignement, des soins de santé, un logement et un travail pour chaque citoyen et citoyenne.

Quelle riposte de la jeunesse ?
Il n'existe en ce moment aucun mouvement combattif de la jeunesse. Mais ce ne sera pas toujours le cas. Les crises insolubles du système capitaliste putréfié, qui pèsent de tout leur poids sur la jeunesse, déclencheront bientôt un flot d'indignation et de colère. Surtout dans les zones urbaines où la jeunesse est la plus concentrée, des mouvements de masse combattifs menés par des jeunes peuvent survenir. Ces mouvements, qui pourraient au départ être sporadiques et violents, se focaliseront sur des enjeux sociaux tels que le manque d'emplois, d'accès à l'enseignement, de logements, le harcèlement policier, les inégalités, etc. 
Mais comme la plupart des jeunes sont au chômage et vu la méfiance envers la direction officielle des syndicats, le plus probable est que ces mouvements se développent en-dehors des syndicats. L'aristocratie syndicale bureaucratique peine à attirer la jeunesse, en raison de son passé de trahisons des luttes et de son manque de stratégie. Mais tout en sympathisant avec cette méfiance justifiée vis-à-vis de la direction syndicale, il est nécessaire pour nous autres marxistes d'expliquer que s'il désire transformer la société et non pas simplement obtenir satisfaction d'une ou deux revendications, ce mouvement de la jeunesse doit construire de puissants liens avec le mouvement ouvrier, autour d'un programme de lutte collective et d'une plateforme pour éliminer la bureaucratie et faire des syndicats les plateformes combattives et démocratiques qu'ils devraient être.

Le phénomène des microbes
Si nous ne nous dépêchons pas de construire un mouvement de lutte pour la jeunesse, c'est l'anarchie et la catastrophe qui nous attendent. Les crises sociales du capitalisme s'aggravent à une vitesse effrayante. Nous avons vu ces dernières années la menace de bandes de jeunes (« microbes ») dans les zones urbaines comme Lagos. Des jeunes gens âgés de 12 à 21 ans écument les rues en plein jour, parfois en bandes de dizaines d'individus, pour piller les marchés, arracher les téléphones, violer les femmes et provoquer le chaos. À Lagos, ces bandes portent des surnoms tels que « Les Awawalais » ou « Le Million » ; à Ibadan, on a « Les Indomiélais », etc. Il y a aussi des bandes de jeunes femmes. 
Il s'agit d'enfants de familles extrêmement pauvres, qui ne bénéficient d'aucun enseignement ni d'aucune attention parentale, qui ne peuvent survivre qu'en se déchainant contre la société. Ce n'est pas pour rien si les Awawalais, en signe de reconnaissance, se tatouent une larme aux coins des yeux. Le phénomène des bandes de « microbes » est fondamentalement un signe de la détresse de la jeunesse face à la négligence du système capitaliste où seul compte le profit.
Si nous ne parvenons pas à proposer un programme clair pour une riposte collective, nous verrons certainement se poursuivre la croissance et le renforcement de ces bandes, qui pourraient évoluer en de véritables structures criminelles à la tête des trafics de drogues et d'êtres humains, des cambriolages, des guerres territoriales, etc. Déjà, la situation désespérée a engendrée une véritable épidémie de drogue. La cause en est le manque de confiance croissant des jeunes en leur avenir.

Les émeutes
Dans ce contexte d'aggravation de la crise sociétale, nous avons aussi le phénomène des émeutes, où des milliers de jeunes s'adonnent au pillage, aux incendies et à l'anarchie pendant des jours, dévastant des quartiers et des villes entières. Le moindre incident peut provoquer ce genre d'évènements ; très souvent, il s'agit du meurtre d'un jeune par la police. 

Ce genre d'émeutes peut facilement se propager d'un quartier à l'autre, voire d'une ville à l'autre, surtout en cette époque où tout le monde est connecté aux réseaux sociaux, et où de plus en plus de gens attendent un déclencheur pour pouvoir libérer toute leur colère sur une société qui les néglige depuis trop longtemps. On voit ce genre de phénomènes se produire même dans les pays développés, comme en 2011 en Angleterre.

C'est un scénario qui peut éclater à tout moment, à moins que nous ne nous attelions sérieusement à la construction d'un puissant mouvement armé d'un programme combattif pour exiger un enseignement gratuit et de qualité, un travail pour tous, des allocations de chômage pour tous, des investissements publics dans les logements sociaux, la création de bibliothèques, de foyers de jeunes, de complexes sportifs dans les quartiers, ainsi que la fin du harcèlement policier.

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