dimanche 26 mai 2013

CI : la vie est chère !

L'argent est devenu effervescent !


La Côte d'Ivoire connait une croissance dit-on de +9 %. Cependant, après un rapide tour au marché, on est en droit de se demander quelle est la part de la hausse des prix des denrées de base dans cette croissance.

Article par Jules Konan




En effet, si l'ensemble des produits vendus dans le pays croit de 9 %, cela voudrait dire que notre économie a crû de 9 %. Mais cela ne voudra pas dire que la population se sera enrichie pour autant…

Le magazine humoristique Gbich, qui est toujours en phase avec le quotidien des Ivoiriens (on ne peut malheureusement pas en dire autant de la part de notre bourgeoisie nationale…) titrait ainsi la semaine passée : « Argent, où es-tu ? ». Ce titre surmontait une illustration où on voyait une personne sur un lit d'hôpital qui recevait une prière au lieu d'une ordonnance. L'explication du médecin : « Tu n'as pas d'argent pour payer tes médicaments. Donc il faut prier ». L'excellent article à l'intérieur rigolait du fait que l'argent serait devenu “effervescent” comme comprimé. L'auteur y raconte qu'un jour, il avait 20 000 francs, et que le lendemain, il n'avait plus un sou. Et pas moyen de se rappeler à quoi il avait dépensé tout cet argent.

Cette histoire, nous la vivons tous au quotidien. Gbich encore : « On dit que si on ne voit pas l'argent, c'est parce qu'il travaille. Mais qu'il arrête de travailler un peu et qu'il vienne nous voir, car il nous manque énormément ». Et de conclure que sans doute l'argent est ensorcelé, et qu'il faudrait le remplacer par autre chose, comme le troc, qui se pratiquerait encore chez les Papous de Nouvelle-Guinée qui, eux, vivraient encore en harmonie avec la nature et ne seraient “pas plus malheureux que nous”.

Il devient de plus en plus difficile de se nourrir dans le pays

Des prix qui prennent l'ascenseur

Une des raisons pour la disparition soudaine de l'argent est l'envolée des pays que connait le pays depuis quelques mois.

Ainsi, en moins de dix mois, le prix du riz a augmenté trois fois. Le sac de 25 kg de riz Oncle Sam est passé de 16 500 francs en juillet 2012, à 19 500 francs en mai 2013 (une hausse de +20 % en moins d'un an). Les autres variétés de riz ont évidemment suivi la tendance. Le kilogramme de lait en poudre est passé récemment de 3100 francs à 3400 francs (une hausse de +10 %). Le prix de la grande boite de lait condensé est passé de 650 à 750 francs (+15 %). Le carton de 48 boites coutait 29 500 francs mais est passé à 33 500 francs le mois passé (+14 %). Le kilo de sucre est passé de 700 à 800 francs, le sac de 50 kg est passé de 32 000 à 33 000 francs depuis le mois d'avril (+14 % et +3 % respectivement). Du côté des légumes, l'arachide est passé de 700 à 750 francs le kilo (+7 %), les carottes sont passées de 1000 francs du kilo en avril à 1500 francs à présent (+50 %), le kilo de tomate qui était à 1000 francs début mai est passé à 1300 francs (+36 %) (rappelons au passage que les carottes qu'on achète dans la rue à Koumassi sont directement importées de Belgique, alors qu'elles peuvent pousser chez nous). Le régime de bananes est passé de 1500 francs à 2000 francs (+33 %). Le carton de poissons de 12 500 francs est passé à 15 000 la semaine passée (+20 %). Le grand paquet d'eau en sachets à boire est passé de 500 francs à 700 (+40 %).1

Toutes ces hausses sur les produits de base frappent plus durement les ménages les plus pauvres, qui ne peuvent réduire leurs autres dépenses pour faire face à cette hausse du prix de l'alimentation. Le résultat est que de nombreuses personnes dans le pays, y compris parmi la classe salariée dite “moyenne”, ne font maintenant plus qu'un repas par jour. Cela encourage aussi beaucoup de familles à envoyer leurs enfants même très jeunes aller faire des petits boulots dégradants et minables (vendeurs de bord de route, cireurs de chaussures…) plutôt que d'aller à l'école.

Heureusement pour compenser que le revenu par habitant de la Côte d'Ivoire a crû de 8 % en 2012, et s'accroitra encore de +9 % en 2013 ! Même si on se demande comment cette hausse du “revenu par habitant” se traduit vu que les salaires sont toujours inchangés depuis des décennies…

Personne au gouvernement n'a encore fait la moindre déclaration concernant les raisons de cette hausse du cout de la vie. Alors qu'ils sont toujours prompts à annoncer les bonnes nouvelles, c'est le silence radio. On pointe l'obscure influence de commerçants, on mentionne le fait que les frais d'arrivée au port d'Abidjan sont parmi les plus chers au monde, mais de la part du gouvernement et notamment du ministre du Commerce Billon, rien.

Le journal “La Tribune de l'économie” relevait il y a deux semaines que l'inflation dans notre pays, qui était (officiellement) de 1 % à peine fin 2012, était passée selon la Bceao à 3,5 % pour le premier trimestre 2013 – la moyenne régionale étant d'à peine 2,3 % sur la même période. Du coup, la Côte d'Ivoire est subitement devenue le pays le plus cher des huit pays de l'Uemoa.

La Côte d'Ivoire est devenu le pays le plus cher de l'Uemoa


Le gaz

Une autre hausse des prix et qui, elle, a fait l'objet de communications gouvernementales, est la hausse du prix des bonbonnes de gaz et de l'essence. Le gouvernement a en effet décidé de cesser une partie des subventions sur ces deux catégories de produits, au nom de l'équilibre budgétaire réclamé par le FMI qui lui a aussi demandé de relever les tarifs de l'électricité (prévu pour juillet 2013).

Notre président avait pourtant déclaré dans son programme de gouvernement : « La Côte d'Ivoire dispose depuis quelques années de ressources en pétrole et en gaz : permettons à l'ensemble de la population d'accéder pour un prix très modique au gaz en bouteille. Il n'y a pas de difficultés techniques, nous disposons de ressources naturelles nécessaires et d'opérateurs économiques compétents ». Cette promesse, à la suite du constat que la cuisine au feu de bois et au charbon contribue à la déforestation et représente une grosse charge de travail pour les femmes qui doivent aller récolter et transporter d'immenses fagots de ce bois. Mais au lieu de ça, voilà qu'on a appris en guise de cadeau de nouvel an l'augmentation du prix de ces deux produits nécessaires à la vie des ménages ivoiriens. 

La bonbonne de gaz B6 est passée de 1800 francs à 2000 francs (+11 %), le prix de la bonbonne B12, très utilisée par les ménages, est passé de 4000 à 5200 francs (+30 %), le prix de la bonbonne B28, surtout utilisée par les restaurateurs, est passé de 9000 à 18 535 francs (+105 % !). Notons évidemment que ces prix ne sont que les prix officiels. En réalité, les prix du gaz varient très fortement d'un endroit à l'autre : à Bouna, la bonbonne B6 était vendue 2800 francs et est maintenant passée à 3000, la B6 était à 6000 francs et est maintenant vendue à 7200. À Dabou, la B12 était à 4500 francs mais est passée à 6000 francs. L'essence passait en même temps de 744 à 792 francs du litre (+6 %).

Selon le ministre de l'Énergie et des Mines Adama Toungara (qui est aussi député et maire d'Abobo), la fin de la subvention sur le prix de l'essence permettrait à l'État d'économiser 40 milliards de francs par an. Pour le gaz, il affirmait que la subvention passait de 56 % du prix à 51 % du prix final. Et que donc, les gens ne devraient pas se plaindre, parce que sans subventions de l'État, la bonbonne B12 ne serait pas à 5200 francs mais à 8275, la B6 à 4000 francs au lieu de 2000 !

Donc, tant pis pour la déforestation, et tant pis pour nos mamans !

Et tant pis aussi pour les restaurateurs ! Ceux-ci ont dû augmenter leurs prix en conséquences. Le chawarma chez le Libanais du coin est ainsi passé partout de 1200 à 1500 francs, les plats à 1500 francs sont passés à 2000, les plats de 2000 sont passés à 2500 francs, etc. Beaucoup de gens qui avaient l'habitude de manger entre collègues la journée au maquis du coin ont été obligés de revoir leurs habitudes de vie et de soit sauter un repas, soit rentrer chez eux manger (quand ils n'habitent pas à l'autre bout de la ville). D'autres restaurants ont décidé de ne pas augmenter leurs prix, mais de réduire les quantités. Là où avant on avait demi-poulet pour 1500 francs, on doit donc à présent se contenter de quart de poulet.

Par contre, le gouvernement après cette hausse du prix du gaz a pris des mesures pour que soit respecté ce nouveau prix par tous les revendeurs, au lieu que chacun prélève sa marge au passage. C'est ainsi que plus de soixante magasins ont été fermés dans les quelques semaines qui ont suivi l'annonce, en plus de se voir apposer des amendes de l'ordre de 100 000 - 150 000 francs. Cela avait poussé diverses associations de revendeurs de gaz à manifester devant le ministère du Commerce pour protester contre cet état de fait, et réclamer une réorganisation légale du secteur afin qu'ils puissent conserver une marge de 15 % sur la vente de bonbonnes de gaz.

Le prix du gaz a fortement augmenté en début d'année
à cause du retrait des subsides étatiques

L'essence

Concernant le prix du carburant, il s'est avéré que le RDR qui était naguère si prompt à dénoncer la manière dont le FPI escroquait à l'époque les Ivoiriens, fait la même chose mais en mieux. Le prix de l'essence en Côte d'Ivoire est en effet alourdi par de nombreuses taxes. Pour chaque litre d'essence à 792 francs, le consommateur ivoirien paie 220 francs de taxes : 20 francs par litre pour le troisième pont d'Abidjan (qui est ainsi financé même par les habitants d'Odienné, alors que ce pont sera payant avec un passage à 700 francs), 16 francs pour le fonds d'entretien des routes, 40 francs pour la dette de la Société ivoirienne de raffinage (alors que cette dette a été intégralement remboursée il y a plusieurs années à ses créanciers), 10 francs pour le stock de sécurité de l'armée (qui a lui aussi déjà été constitué depuis), 134 francs pour le “budget de l'État”.

Le RDR avait alors fermement dénoncé le FPI alors au pouvoir et juré annuler toutes ces taxes pour faire baisser le prix à la pompe (rappelons que la Côte d'Ivoire est pays producteur de pétrole et d'essence raffinée, mais que le prix de l'essence ivoirienne est plus cher en Côte d'Ivoire que dans les pays où cette essence est importée). Pourtant, depuis deux ans au pouvoir, rien n'a été changé, et même au contraire, le prix a encore monté.

Tout cela se passait en février de cette année. Mais à Pâques, revirement soudain : le gouvernement annonce à grands fracas une baisse inattendue du prix du gaz et de l'essence ! En fait de quoi, cette baisse du gaz concernait uniquement la grosse bonbonne B28, qui redescendait de 18 535 à 13 000 francs, tandis que l'essence revenait à 782 francs. Cette baisse était assortie de communiqués visant à expliquer que le président, soucieux de la lutte contre la cherté de la vie et de l'impact social, avait ordonné au gouvernement de faire quelque chose.

Mais en fait, cela n'a fait ni chaud ni froid à qui que ce soit. Pour le carburant, c'est surtout le prix du gasoil qui intéresse les ménages, car c'est lui qui a un impact direct sur le prix des denrées de base et du transport. Et la bonbonne de gaz B28 est utilisée par les restaurateurs, pas par les ménages. Et vu la hausse vertigineuse de +105 % que cette bonbonne avait connue, une rectification était plus que bienvenue, bien que depuis lors, l'impact ne se soit pas fait sentir en termes de réduction du pnix du chawarma ! Le gouvernement dans sa générosité n'a par contre pas jugé nécessaire de faire quelque chose pour le prix de la B6 et de la B12 qui, elles, sont utilisées par les ménages… Début mai, à la suite d'une baisse du prix du pétrole sur le marché mondial, nouvelle baisse du prix de l'essence, qui est retombée à 754 francs du litre. Sans que le prix du gasoil ne change (ce que “La Tribune de l'économie” qualifie d'« incompréhensible »). Et à un prix de l'essence qui est finalement toujours supérieur à ce qu'il était au début de l'année.

Pour rappel aussi, au moment où Gbagbo augmentait le prix de l'essence en 2008, le prix du pétrole était passé de 100 à 148 dollars du baril ; le baril est aujourd'hui à moins de 100 dollars, pourtant le prix de l'essence est toujours supérieur à celui fixé à l'époque par Gbagbo.

Le prix de l'essence à la pompe est bien plus cher
que dans les autres pays producteurs de pétrole

Le salaire

Alors que le cout de la vie ne cesse d'augmenter et de plus en plus vite, et que le gouvernement laisse faire dans un silence général, ce même gouvernement est par contre absolument opposé à toute revendication de hausse salariale de la part de son personnel. Pourtant, le fait d'accorder une hausse de salaire à l'ensemble des fonctionnaires serait un excellent moyen de relancer la croissance, la consommation et l'investissement dans le pays. Mais on préfère gaspiller l'argent sur des grands travaux dont la facture est incroyablement plus élevée que le résultat concret. Ou a la réhabilitation de la résidence du président à Paris. En attendant, 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté absolue de 2 dollars (1000 francs) par jour.

Le ministre de la Fonction publique Gnamien Konan a encore déclaré cette semaine qu'il ne reverserait pas les salaires ponctionnés des enseignants grévistes – qui ont donc fait grève pour rien en avril ? Apparemment, le fait qu'une telle déclaration mette directement les examens de fin d'année sous la menace d'une nouvelle grève de l'enseignement lui importe peu : ce qui compte pour le gouvernement est de se montrer ferme et intransigeant face à la contestation sociale grandissante, d'intimider le peuple.

Le salaire minimum garanti est toujours aujourd'hui fixé à à peine 36 607 francs CFA par mois. Selon le barème des salaires du privé, dont la dernière augmentation date de 1998 (!), même un ingénieur débutant dans l'industrie ne devrait recevoir que 142 314 francs par mois, avec un maximum de 304 436 francs pour le plus haut poste. C'est-à-dire qu'un chômeur en Europe touche plus qu'un haut cadre ivoirien ! Alors que le cout de la vie (loyer, factures, tarifs dans les restaurants, transport…) est comparable dans notre pays et en Europe. On n'habite pas au Vietnam où un repas complet de riz-omelette-légumes-viande de porc au maquis coute 250 francs. Pourtant, on entend parfois des gens (et en particulier les colons qui squattent la Zone 4) dire que “Africain n'a pas besoin d'argent, il est habitué à se débrouiller, il n'a pas les même besoins que nous” – pas les mêmes besoins, c'est-à-dire, on n'a pas besoin de manger ?

Attention, il est évident qu'il y a une différence entre le salaire officiel d'un cadre, et ce que touche un patron qui est propriétaire d'une entreprise ou qui est en position de détourner l'argent qu'il veut à son avantage. Et salaire minimum ne veut pas dire salaire maximum. L'ancien directeur-adjoint du port d'Abidjan à la retraite touche de l'État 3 millions de francs par mois – alors qu'il ne travaille pas ! Le “Journal de l'économie” nous informait aussi le mois passé que le salaire moyen des patrons ivoiriens se situe à 4 millions de francs par mois (c'est une moyenne : certains gagnent plus, d'autres moins). Encore une fois, on parle ici uniquement de salaire, ce qui n'inclut pas tous les per diem, primes de logement, voitures de service, etc. (la somme de tous ces avantages plus le salaire s'élève en moyenne à 8 millions par mois !). Et puis, avec un tel salaire, on peut facilement investir dans une grande plantation d'hévéa ou dans l'immobilier pour compléter ses fins de mois, surtout avec les bonnes relations. D'accord, on est loin du salaire de certains patrons européens, mais il n'empêche que les inégalités sont bel et bien là.

Le besoin de réduire ces inégalités semble d'ailleurs partagé par les patrons, puisque la revalorisation du Smig à 60 000 francs (une hausse de +64 %) réclamée par tous les syndicats depuis plusieurs années est demandée même par la CGECI, Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire, qui s'est elle-même prononcée à maintes reprises en faveur de cette revalorisation depuis déjà au moins les quatre dernières années. C'est-à-dire que tout ce qu'on attend depuis pour la revalorisation du Smig (et donc de l'ensemble de la grille salariale du privé et du public) est l'aval du gouvernement. Lequel a quant à lui déjà exprimé clairement sa position concernant toute hausse de salaire dans la fonction publique : ponctions salariales, arrestations et licenciements !

Il est clair que pour obtenir la hausse du Smig, en plus des autres revendications des syndicats, (mise en place d'allocations familiales, relève des allocations de logement et de dépaysement pour les fonctionnaires affectés dans des régions étrangères, relève de la pension des retraités au niveau du Smig, etc.), il faudra plus que des déclarations publiques le jour du 1er Mai. Il est fort probable qu'en l'absence d'une riposte organisée et massive de la part des combattants avançant en front social uni (plutôt que les vagues de grève secteur par secteur que nous connaissons depuis le début de l'année), la Côte d'Ivoire se dirige vers des émeutes de la faim telles que celles que nous avons connue en 2008, lorsque des manifestations (fortement réprimées) avaient forcé le gouvernement Gbagbo à déclarer des baisses de prix sur plusieurs produits de base.

Et encore, quand bien même le gouvernement se prononcerait finalement en faveur du nouveau Smig, il faudra se battre pour sa mise en application effective ! Au Nigeria, le président a il y a deux ans déjà déclaré le nouveau Smig à 18 000 naïras (58 000 francs CFA), mais en a ensuite laissé la décision de sa mise en application effective ou non aux gouverneurs régionaux ! Ce qui fait que les travailleurs de chaque région du Nigeria sont maintenant contraints de mener leur propre lutte isolément du reste du mouvement des travailleurs national pour parvenir à un accord avec leur propre gouverneur et ce, depuis deux ans ! Et pendant ce temps, 52 % des Nigérians gagnent toujours moins que le salaire minimum “garanti”.

L'UGTCI est contre la cherté de la vie mais est préfère le “dialogue”
(avec qui, on se le demande) à l'organisation d'une véritable lutte nationale

Pourquoi cette hausse des prix ?

Comme on l'a dit, personne du gouvernement ou de l'administration n'est encore intervenu pour nous expliquer d'où vient cette hausse des prix. Il n'y a pas eu cette année de catastrophe mondiale qui pourrait justifier une hausse des matières premières agricoles, comme c'était le cas en 2008 avec les sécheresses aux États-Unis et dans le Sahel, ou les incendies qui ont ravagé la Russie en 2010. 

On ne peut plus non plus parler de crise ivoirienne, alors que tous les indicateurs économiques sont au vert et que la stabilité semble être revenue dans le pays, symbolisée la semaine passée encore par l'arrestation d'Amadé Ouérémi et son déguerpissage de la forêt classée du mont Péko.

On parle par contre beaucoup dans la presse du fait que les tarifs au port d'Abidjan sont parmi les plus élevés au monde. Le port d'Abidjan a en effet été privatisé en 2004 par le “socialiste” Gbagbo, qui en a cédé la gestion à la multinationale française Bolloré pour quinze ans. Les arguments en faveur de la privatisation des infrastructures publics citent souvent la nécessité d'une “meilleure gestion” et d'une “réduction des couts”. Mais en réalité les couts n'ont pas diminué avec la cession à un opérateur privé. Au contraire, le privé a pour objectif la récolte du maximum de bénéfices sans le moindre souci des conséquences sociales, économiques et environnementales que cela engendre, contrairement à une société publique bien gérée pour qui l'obtention d'un profit n'est que secondaire et est soumis à d'autres critères.

Bolloré profitant de plus d'une situation de monopole complet sur le port, par lequel transite tout de même 70 % du PIB ivoirien, il n'y a aucun incitant à une réduction des couts. En plus, Bolloré est quasiment assuré de voir son contrat de gestion se faire reconduire en 2019, vu qu'elle vient d'arracher dans des conditions scandaleuses et avec la bénédiction de son ami, le citoyen Alassane Dramane Ouattara, le marché du projet de deuxième port d'Abidjan. Alors que l'appel d'offres réalisé à cette occasion visait normalement à créer la concurrence.

Ceci dit, nous désirerions préciser que pour nous, la “concurrence” n'est pas non plus une solution, car les capitalistes ont alors tendance à encore plus rogner sur leurs couts afin de maintenir leurs profits malgré la baisse de leurs tarifs. C'est-à-dire que cela se traduit par le mépris envers le salaire et les conditions des travailleurs, et par la négligence des normes de sécurité, etc. La seule solution est la renationalisation totale du port, sous contrôle et gestion démocratique de son personnel, de la société civile, et des autres groupes concernés par la gestion du port.

En plus des tarifs au port, il est notoire que les services des douanes en Côte d'Ivoire sont gangrenés par la corruption et que les démarches administratives pour faire rentrer le moindre produit sont extrêmement lourdes et lentes. Là aussi, des réformes et un véritable contrôle sont nécessaires.

Sans doute que la hausse du prix du carburant a eu un impact sur les transports et la production. Cela est directement lié au refus du gouvernement de maintenir ses subsides – il préfère gaspiller cet argent ailleurs. Le cout des transports dans le pays est également alourdi par les nombreux accidents et avaries qui découlent du mauvais état des routes.

Mais tous ces facteurs ne sauraient expliquer la hausse subite du prix des denrées de base. Il s'agit très certainement de l'action de commerçants spéculateurs qui profitent de l'inaction du gouvernement pour augmenter les prix. Pourtant, la nourriture est là et présente en suffisance. Le seul problème est son cout. 

Si ADO a laissé le deuxième terminal à son ami Bolloré, c'est Gbagbo qui
a privatisé le port. Un autre chantier “volé au FPI par le RDR” ?

Que faire ?

Le gouvernement brille par son inactivité et son silence par rapport à la hausse des prix. Pourtant, il est grand temps qu'il intervienne pour fixer les prix des denrées de base au niveau national. Afin d'éviter les pénuries (c'est-à-dire, grève déguisée des commerçants) qui sont souvent engendrées par un contrôle strict des prix, l'État doit recourir à la subvention des prix des produits.

Une fois les prix fixés, cependant, il faut tout faire en sorte pour que ces prix soient respectés. À cette fin, nous recommandons non pas des contrôles administratifs, mais la mise en place de comités populaires dans les quartiers, organisés via les syndicats et les associations de quartier, pour surveiller les prix et faire respecter la loi.

Il faut aussi exiger l'ouverture des livres de compte de la part des grandes entreprises qui importent les denrées alimentaires, afin de déterminer les couts réels et les profits que tirent ces entreprises, et d'endiguer la spéculation.

En même temps, il nous faut une politique énergique dans l'agriculture et l'élevage pour accroitre la production et mettre un terme à la dépendance alimentaire de la Côte d'Ivoire par rapport à l'étranger. Cela signifie un refinancement de l'Anader et des autres structures d'encadrement rural, la mise au point de manuels agricoles adaptés aux inalphabètes, imagés et traduits en langues locales (en baoulé, en bété et en dioula, mais aussi en mossi), des crédits pour l'achat de terre et l'installation de plantations, une présence accrue des cadres de l'Anader sur le terrain, le recrutement massif des innombrables techniciens en agriculture et élevage et ingénieurs agronomes qui aujourd'hui gagnent leur vie comme chauffeur de woro-woro ou cabine téléphonique, etc.

Il faut aussi encourager la population à recourir à de nouveaux types de nourriture. Par exemple, alors que la noix de coco occupe un rôle prépondérant dans la cuisine de certaines nations, nos vastes plantations sont à l'abandon faute d'amateurs. Au Nigeria aussi, le soja fait de plus en plus partie des habitudes des ménages, alors que cette plante est pour ainsi dire inconnue chez nous. La diversification des habitudes alimentaires permettra d'accroitre le revenu des paysans tout en contribuant à la santé de la population. Les fèves de cacao aussi sont consommées grillées en Amérique latine, on peut les acheter dans la rue comme les arachides ; pourtant cela ne se fait pas chez nous. Et qu'on ne vienne pas dire que de tels changements d'habitude sont impossibles en raison de la culture africaine : le manioc, l'arachide et la tomate ne sont cultivés chez nous que depuis à peine 500 ans avec l'arrivée des explorateurs portugais, pourtant on dirait qu'ils ont toujours été là. On pourrait aussi très bien planter des légumes dans les jardins en ville, mais cela ne se fait malheureusement pas ou pas assez.

Il faut aussi nationaliser les vastes plantations de bananiers, de palmiers, etc. appartenant à des multinationales ou à de riches particuliers, sans rachat ni indemnités, sauf sur base de besoins prouvés (nous comprenons bien que certaines de ces plantations représentent la seule source de revenu véritable de certains pensionnés qui ont travaillé toute leur vie pour pouvoir s'acheter un terrain). Nationaliser aussi les grandes entreprises de transformation agro-industrielle et de commerce qui jouent un rôle prépondérant dans l'approvisionnement du pays (Dinor, Carré d'or, Sifca, etc.).

Une telle politique de développement doit aussi être appliquée dans le secteur de l'énergie. Il faut nationaliser l'industrie pétrolière et gazière ivoirienne pour arrêter la fuite des profits et mettre les gigantesques ressources nationales au service de la population, mais aussi développer des alternatives. Alors qu'on trouve par exemple relativement facilement des panneaux solaires en brousse dans les campements, cette alternative n'est absolument pas mise en valeur dans les villes ivoiriennes. 

D'énormes économies en gaz (et en bois de chauffe) pourraient être faites par la mise en place massive d'unités à biogaz basée sur les déjections animales comme cela se fait au Vietnam où chaque famille cuisine au gaz de ses porcs. Le gaz pourrait aussi être acheminé dans les maisons et appartements par un système d'approvisionnement public comme cela se fait en Russie. 

Concernant l'essence, il est urgent de rénover l'infrastructure des transports par un plan d'extension massif de la Sotra (bus abidjanais) en vue d'inclure aussi un système de métro, par l'extension du rail à l'échelle nationale, la rénovation des routes dans tout le pays, par l'aménagement des voies d'eau (la Côte d'Ivoire est traversée par plusieurs grands fleuves, mais aucun n'est navigable), et par une politique de renouvellement du parc automobile qui prenne en compte les besoins de la population et les réalités du terrain.

Enfin, la production et la distribution des denrées de base devraient être planifiées dans le cadre d'une économie socialiste, afin de garantir à tous la satisfaction de leurs besoins de base, plutôt que les profits de l'élite dirigeante.

Tout cela évidemment ne pourra être obtenu que par la lutte – nous ne pouvons absolument pas compter ni sur les actuels escrocs qui nous tiennent lieu de gouvernement, ni sur ceux qui étaient au pouvoir il n'y a pas si longtemps encore. Le peuple et les travailleurs ivoiriens doivent s'organiser via les syndicats et via les associations de quartier pour une mobilisation massive et nationale contre la vie chère, comme cela avait été fait en 2008.

 
Manifs contre la vie chère en 2008

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1Pour nos amis européens qui nous lisent, nous parlons donc du paquet de 1 kg de riz à 1,2 €, du lait condensé à 1,5 €, du kilo de sucre à 1,2 €, du kilo de carotte à 2,3 €, du kilo de tomates à 2 €, du régime de bananes à 3 €, de l'essence à 1,20 € du litre, la bonbonne de gaz à 8 €, le chawarma à 2,3 € (et il est plus petit que les durums qu'on trouve en Belgique ou en France) ; dans un pays où le salaire minimum garanti (pour ceux qui ont un emploi salarié) est jusqu'ici de 56 € par mois (et sans oublier qu'il faut encore payer le loyer, l'électricité, l'eau, le transport, etc.).

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