L'argent est devenu effervescent !
La
Côte d'Ivoire connait une croissance dit-on de +9 %.
Cependant, après un rapide tour au marché, on est en droit de se
demander quelle est la part de la hausse des prix des denrées de
base dans cette croissance.
Article par Jules Konan
Article par Jules Konan
En
effet, si l'ensemble des produits vendus dans le pays croit de 9 %,
cela voudrait dire que notre économie a crû de 9 %. Mais cela
ne voudra pas dire que la population se sera enrichie pour autant…
Le
magazine humoristique Gbich, qui est toujours en phase avec le
quotidien des Ivoiriens (on ne peut malheureusement pas en dire
autant de la part de notre bourgeoisie nationale…) titrait ainsi la
semaine passée : « Argent, où es-tu ? ». Ce
titre surmontait une illustration où on voyait une personne sur un
lit d'hôpital qui recevait une prière au lieu d'une ordonnance.
L'explication du médecin : « Tu n'as pas d'argent pour
payer tes médicaments. Donc il faut prier ». L'excellent
article à l'intérieur rigolait du fait que l'argent serait devenu
“effervescent” comme comprimé. L'auteur y raconte qu'un jour, il
avait 20 000 francs, et que le lendemain, il n'avait plus
un sou. Et pas moyen de se rappeler à quoi il avait dépensé tout
cet argent.
Cette
histoire, nous la vivons tous au quotidien. Gbich encore : « On
dit que si on ne voit pas l'argent, c'est parce qu'il travaille. Mais
qu'il arrête de travailler un peu et qu'il vienne nous voir, car il
nous manque énormément ». Et de conclure que sans doute
l'argent est ensorcelé, et qu'il faudrait le remplacer par autre
chose, comme le troc, qui se pratiquerait encore chez les Papous de
Nouvelle-Guinée qui, eux, vivraient encore en harmonie avec la
nature et ne seraient “pas plus malheureux que nous”.
Il devient de plus en plus difficile de se nourrir dans le pays |
Des
prix qui prennent l'ascenseur
Une
des raisons pour la disparition soudaine de l'argent est l'envolée
des pays que connait le pays depuis quelques mois.
Ainsi,
en moins de dix mois, le prix du riz a augmenté trois fois.
Le sac de 25 kg de riz Oncle Sam est passé de
16 500 francs en juillet 2012, à 19 500 francs
en mai 2013 (une hausse de +20 % en moins d'un an). Les
autres variétés de riz ont évidemment suivi la tendance. Le
kilogramme de lait en poudre est passé récemment de 3100 francs
à 3400 francs (une hausse de +10 %). Le prix de la
grande boite de lait condensé est passé de 650 à 750 francs
(+15 %). Le carton de 48 boites coutait 29 500 francs
mais est passé à 33 500 francs le mois passé (+14 %).
Le kilo de sucre est passé de 700 à 800 francs, le
sac de 50 kg est passé de 32 000 à 33 000 francs
depuis le mois d'avril (+14 % et +3 % respectivement). Du
côté des légumes, l'arachide est passé de 700 à 750 francs
le kilo (+7 %), les carottes sont passées de 1000 francs
du kilo en avril à 1500 francs à présent (+50 %),
le kilo de tomate qui était à 1000 francs début mai est passé
à 1300 francs (+36 %) (rappelons au passage que les
carottes qu'on achète dans la rue à Koumassi sont directement
importées de Belgique, alors qu'elles peuvent pousser chez nous). Le
régime de bananes est passé de 1500 francs à 2000 francs
(+33 %). Le carton de poissons de 12 500 francs
est passé à 15 000 la semaine passée (+20 %). Le
grand paquet d'eau en sachets à boire est passé de 500 francs
à 700 (+40 %).1
Toutes
ces hausses sur les produits de base frappent plus durement les
ménages les plus pauvres, qui ne peuvent réduire leurs autres
dépenses pour faire face à cette hausse du prix de l'alimentation.
Le résultat est que de nombreuses personnes dans le pays, y compris
parmi la classe salariée dite “moyenne”, ne font maintenant plus
qu'un repas par jour. Cela encourage aussi beaucoup de familles à envoyer leurs enfants même très jeunes aller faire des petits boulots dégradants et minables (vendeurs de bord de route, cireurs de chaussures…) plutôt que d'aller à l'école.
Heureusement
pour compenser que le revenu par habitant de la Côte d'Ivoire a
crû de 8 % en 2012, et s'accroitra encore de +9 %
en 2013 ! Même si on se demande comment cette hausse du
“revenu par habitant” se traduit vu que les salaires sont
toujours inchangés depuis des décennies…
Personne
au gouvernement n'a encore fait la moindre déclaration concernant
les raisons de cette hausse du cout de la vie. Alors qu'ils sont
toujours prompts à annoncer les bonnes nouvelles, c'est le silence
radio. On pointe l'obscure influence de commerçants, on mentionne le
fait que les frais d'arrivée au port d'Abidjan sont parmi les plus
chers au monde, mais de la part du gouvernement et notamment du
ministre du Commerce Billon, rien.
Le
journal “La Tribune de l'économie” relevait il y
a deux semaines que l'inflation dans notre pays, qui était
(officiellement) de 1 % à peine fin 2012, était passée
selon la Bceao à 3,5 % pour le premier trimestre 2013 – la
moyenne régionale étant d'à peine 2,3 % sur la même période.
Du coup, la Côte d'Ivoire est subitement devenue le pays le
plus cher des huit pays de l'Uemoa.
La Côte d'Ivoire est devenu le pays le plus cher de l'Uemoa |
Le
gaz
Une
autre hausse des prix et qui, elle, a fait l'objet de communications
gouvernementales, est la hausse du prix des bonbonnes de gaz et de
l'essence. Le gouvernement a en effet décidé de cesser une partie
des subventions sur ces deux catégories de produits, au nom de
l'équilibre budgétaire réclamé par le FMI qui lui a aussi demandé de relever les tarifs de l'électricité (prévu pour juillet 2013).
Notre
président avait pourtant déclaré dans son programme de
gouvernement : « La Côte d'Ivoire dispose depuis
quelques années de ressources en pétrole et en gaz :
permettons à l'ensemble de la population d'accéder pour un prix
très modique au gaz en bouteille. Il n'y a pas de difficultés
techniques, nous disposons de ressources naturelles nécessaires et
d'opérateurs économiques compétents ». Cette promesse, à la
suite du constat que la cuisine au feu de bois et au charbon
contribue à la déforestation et représente une grosse charge de
travail pour les femmes qui doivent aller récolter et transporter
d'immenses fagots de ce bois. Mais au lieu de ça, voilà qu'on a
appris en guise de cadeau de nouvel an l'augmentation du prix de ces
deux produits nécessaires à la vie des ménages ivoiriens.
La
bonbonne de gaz B6 est passée de 1800 francs à
2000 francs (+11 %), le prix de la bonbonne B12, très
utilisée par les ménages, est passé de 4000 à 5200 francs
(+30 %), le prix de la bonbonne B28, surtout utilisée par
les restaurateurs, est passé de 9000 à 18 535 francs
(+105 % !). Notons évidemment que ces prix ne sont que les
prix officiels. En réalité, les prix du gaz varient très fortement
d'un endroit à l'autre : à Bouna, la bonbonne B6 était
vendue 2800 francs et est maintenant passée à 3000, la B6
était à 6000 francs et est maintenant vendue à 7200. À Dabou,
la B12 était à 4500 francs mais est passée à 6000 francs.
L'essence passait en même temps de 744 à 792 francs
du litre (+6 %).
Selon
le ministre de l'Énergie et des Mines Adama Toungara (qui est
aussi député et maire d'Abobo), la fin de la subvention sur le prix
de l'essence permettrait à l'État d'économiser 40 milliards
de francs par an. Pour le gaz, il affirmait que la subvention passait
de 56 % du prix à 51 % du prix final. Et que donc, les
gens ne devraient pas se plaindre, parce que sans subventions de
l'État, la bonbonne B12 ne serait pas à 5200 francs mais
à 8275, la B6 à 4000 francs au lieu de 2000 !
Donc,
tant pis pour la déforestation, et tant pis pour nos mamans !
Et
tant pis aussi pour les restaurateurs ! Ceux-ci ont dû
augmenter leurs prix en conséquences. Le chawarma chez le Libanais
du coin est ainsi passé partout de 1200 à 1500 francs,
les plats à 1500 francs sont passés à 2000, les plats
de 2000 sont passés à 2500 francs, etc. Beaucoup de
gens qui avaient l'habitude de manger entre collègues la journée au
maquis du coin ont été obligés de revoir leurs habitudes de vie et
de soit sauter un repas, soit rentrer chez eux manger (quand ils
n'habitent pas à l'autre bout de la ville). D'autres restaurants ont
décidé de ne pas augmenter leurs prix, mais de réduire les
quantités. Là où avant on avait demi-poulet pour 1500 francs,
on doit donc à présent se contenter de quart de poulet.
Par
contre, le gouvernement après cette hausse du prix du gaz a pris des
mesures pour que soit respecté ce nouveau prix par tous les
revendeurs, au lieu que chacun prélève sa marge au passage. C'est
ainsi que plus de soixante magasins ont été fermés dans les
quelques semaines qui ont suivi l'annonce, en plus de se voir apposer
des amendes de l'ordre de 100 000 - 150 000 francs.
Cela avait poussé diverses associations de revendeurs de gaz à
manifester devant le ministère du Commerce pour protester contre cet
état de fait, et réclamer une réorganisation légale du secteur
afin qu'ils puissent conserver une marge de 15 % sur la vente de
bonbonnes de gaz.
Le prix du gaz a fortement augmenté en début d'année à cause du retrait des subsides étatiques |
L'essence
Concernant
le prix du carburant, il s'est avéré que le RDR qui était naguère
si prompt à dénoncer la manière dont le FPI escroquait à l'époque
les Ivoiriens, fait la même chose mais en mieux. Le prix de
l'essence en Côte d'Ivoire est en effet alourdi par de
nombreuses taxes. Pour chaque litre d'essence à 792 francs, le
consommateur ivoirien paie 220 francs de taxes : 20 francs
par litre pour le troisième pont d'Abidjan (qui est ainsi
financé même par les habitants d'Odienné, alors que ce pont sera
payant avec un passage à 700 francs), 16 francs pour
le fonds d'entretien des routes, 40 francs pour la dette de la
Société ivoirienne de raffinage (alors que cette dette a
été intégralement remboursée il y a plusieurs années à ses
créanciers), 10 francs pour le stock de sécurité de l'armée
(qui a lui aussi déjà été constitué depuis), 134 francs
pour le “budget de l'État”.
Le
RDR avait alors fermement dénoncé le FPI alors au pouvoir et juré
annuler toutes ces taxes pour faire baisser le prix à la pompe
(rappelons que la Côte d'Ivoire est pays producteur de pétrole
et d'essence raffinée, mais que le prix de l'essence ivoirienne est
plus cher en Côte d'Ivoire que dans les pays où cette essence
est importée). Pourtant, depuis deux ans au pouvoir, rien n'a
été changé, et même au contraire, le prix a encore monté.
Tout
cela se passait en février de cette année. Mais à Pâques,
revirement soudain : le gouvernement annonce à grands fracas
une baisse inattendue du prix du gaz et de l'essence ! En fait
de quoi, cette baisse du gaz concernait uniquement la grosse
bonbonne B28, qui redescendait de 18 535
à 13 000 francs, tandis que l'essence revenait
à 782 francs. Cette baisse était assortie de communiqués
visant à expliquer que le président, soucieux de la lutte contre la
cherté de la vie et de l'impact social, avait ordonné au
gouvernement de faire quelque chose.
Mais
en fait, cela n'a fait ni chaud ni froid à qui que ce soit. Pour le
carburant, c'est surtout le prix du gasoil qui intéresse les
ménages, car c'est lui qui a un impact direct sur le prix des
denrées de base et du transport. Et la bonbonne de gaz B28 est
utilisée par les restaurateurs, pas par les ménages. Et vu la
hausse vertigineuse de +105 % que cette bonbonne avait connue,
une rectification était plus que bienvenue, bien que depuis lors,
l'impact ne se soit pas fait sentir en termes de réduction du pnix
du chawarma ! Le gouvernement dans sa générosité n'a par
contre pas jugé nécessaire de faire quelque chose pour le prix de
la B6 et de la B12 qui, elles, sont utilisées par les
ménages… Début mai, à la suite d'une baisse du prix du pétrole
sur le marché mondial, nouvelle baisse du prix de l'essence, qui est
retombée à 754 francs du litre. Sans que le prix du gasoil ne
change (ce que “La Tribune de l'économie” qualifie
d'« incompréhensible »). Et à un prix de l'essence qui
est finalement toujours supérieur à ce qu'il était au début de
l'année.
Pour
rappel aussi, au moment où Gbagbo augmentait le prix de l'essence
en 2008, le prix du pétrole était passé de 100
à 148 dollars du baril ; le baril est aujourd'hui à
moins de 100 dollars, pourtant le prix de l'essence est toujours
supérieur à celui fixé à l'époque par Gbagbo.
Le prix de l'essence à la pompe est bien plus cher que dans les autres pays producteurs de pétrole |
Le
salaire
Alors
que le cout de la vie ne cesse d'augmenter et de plus en plus vite,
et que le gouvernement laisse faire dans un silence général, ce
même gouvernement est par contre absolument opposé à toute
revendication de hausse salariale de la part de son personnel.
Pourtant, le fait d'accorder une hausse de salaire à l'ensemble des
fonctionnaires serait un excellent moyen de relancer la croissance,
la consommation et l'investissement dans le pays. Mais on préfère
gaspiller l'argent sur des grands travaux dont la facture est
incroyablement plus élevée que le résultat concret. Ou a la
réhabilitation de la résidence du président à Paris. En
attendant, 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté
absolue de 2 dollars (1000 francs) par jour.
Le
ministre de la Fonction publique Gnamien Konan a encore
déclaré cette semaine qu'il ne reverserait pas les salaires
ponctionnés des enseignants grévistes – qui ont donc fait
grève pour rien en avril ? Apparemment, le fait qu'une telle
déclaration mette directement les examens de fin d'année sous la
menace d'une nouvelle grève de l'enseignement lui importe peu :
ce qui compte pour le gouvernement est de se montrer ferme et
intransigeant face à la contestation sociale grandissante,
d'intimider le peuple.
Le
salaire minimum garanti est toujours aujourd'hui fixé à à peine
36 607 francs CFA par mois. Selon le barème des
salaires du privé, dont la dernière augmentation date de 1998
(!), même un ingénieur débutant dans l'industrie ne devrait
recevoir que 142 314 francs par mois, avec un maximum de
304 436 francs pour le plus haut poste. C'est-à-dire qu'un
chômeur en Europe touche plus qu'un haut cadre ivoirien ! Alors
que le cout de la vie (loyer, factures, tarifs dans les restaurants,
transport…) est comparable dans notre pays et en Europe. On
n'habite pas au Vietnam où un repas complet de
riz-omelette-légumes-viande de porc au maquis coute 250 francs.
Pourtant, on entend parfois des gens (et en particulier les colons
qui squattent la Zone 4) dire que “Africain n'a pas besoin
d'argent, il est habitué à se débrouiller, il n'a pas les même
besoins que nous” – pas les mêmes besoins, c'est-à-dire,
on n'a pas besoin de manger ?
Attention,
il est évident qu'il y a une différence entre le salaire officiel
d'un cadre, et ce que touche un patron qui est propriétaire d'une
entreprise ou qui est en position de détourner l'argent qu'il veut à
son avantage. Et salaire minimum ne veut pas dire salaire maximum.
L'ancien directeur-adjoint du port d'Abidjan à la retraite touche de
l'État 3 millions de francs par mois – alors qu'il ne
travaille pas ! Le “Journal de l'économie” nous informait
aussi le mois passé que le salaire moyen des patrons ivoiriens se
situe à 4 millions de francs par mois (c'est une moyenne :
certains gagnent plus, d'autres moins). Encore une fois, on parle ici
uniquement de salaire, ce qui n'inclut pas tous les per diem,
primes de logement, voitures de service, etc. (la somme de tous ces
avantages plus le salaire s'élève en moyenne à 8 millions par
mois !). Et puis, avec un tel salaire, on peut facilement investir
dans une grande plantation d'hévéa ou dans l'immobilier pour
compléter ses fins de mois, surtout avec les bonnes relations.
D'accord, on est loin du salaire de certains patrons européens, mais
il n'empêche que les inégalités sont bel et bien là.
Le
besoin de réduire ces inégalités semble d'ailleurs partagé par
les patrons, puisque la revalorisation du Smig à 60 000 francs
(une hausse de +64 %) réclamée par tous les syndicats depuis
plusieurs années est demandée même par la CGECI,
Confédération générale des entreprises de Côte d'Ivoire,
qui s'est elle-même prononcée à maintes reprises en faveur de
cette revalorisation depuis déjà au moins les quatre dernières
années. C'est-à-dire que tout ce qu'on attend depuis pour la
revalorisation du Smig (et donc de l'ensemble de la grille salariale
du privé et du public) est l'aval du gouvernement. Lequel a quant à
lui déjà exprimé clairement sa position concernant toute hausse de
salaire dans la fonction publique : ponctions salariales,
arrestations et licenciements !
Il
est clair que pour obtenir la hausse du Smig, en plus des autres
revendications des syndicats, (mise en place d'allocations
familiales, relève des allocations de logement et de dépaysement
pour les fonctionnaires affectés dans des régions étrangères,
relève de la pension des retraités au niveau du Smig, etc.), il
faudra plus que des déclarations publiques le jour du 1er Mai.
Il est fort probable qu'en l'absence d'une riposte organisée et
massive de la part des combattants avançant en front social uni
(plutôt que les vagues de grève secteur par secteur que nous
connaissons depuis le début de l'année), la Côte d'Ivoire se
dirige vers des émeutes de la faim telles que celles que nous avons
connue en 2008, lorsque des manifestations (fortement réprimées)
avaient forcé le gouvernement Gbagbo à déclarer des baisses
de prix sur plusieurs produits de base.
Et
encore, quand bien même le gouvernement se prononcerait finalement
en faveur du nouveau Smig, il faudra se battre pour sa mise en
application effective ! Au Nigeria, le président a il y a
deux ans déjà déclaré le nouveau Smig à 18 000 naïras
(58 000 francs CFA), mais en a ensuite laissé la
décision de sa mise en application effective ou non aux gouverneurs
régionaux ! Ce qui fait que les travailleurs de chaque région
du Nigeria sont maintenant contraints de mener leur propre lutte
isolément du reste du mouvement des travailleurs national pour
parvenir à un accord avec leur propre gouverneur et ce, depuis
deux ans ! Et pendant ce temps, 52 % des Nigérians
gagnent toujours moins que le salaire minimum “garanti”.
L'UGTCI est contre la cherté de la vie mais est préfère le “dialogue” (avec qui, on se le demande) à l'organisation d'une véritable lutte nationale |
Pourquoi
cette hausse des prix ?
Comme
on l'a dit, personne du gouvernement ou de l'administration n'est
encore intervenu pour nous expliquer d'où vient cette hausse des
prix. Il n'y a pas eu cette année de catastrophe mondiale qui
pourrait justifier une hausse des matières premières agricoles,
comme c'était le cas en 2008 avec les sécheresses aux
États-Unis et dans le Sahel, ou les incendies qui ont ravagé la
Russie en 2010.
On ne peut plus non plus parler de crise ivoirienne, alors que tous les indicateurs économiques sont au vert et que la stabilité semble être revenue dans le pays, symbolisée la semaine passée encore par l'arrestation d'Amadé Ouérémi et son déguerpissage de la forêt classée du mont Péko.
On
parle par contre beaucoup dans la presse du fait que les tarifs au port d'Abidjan
sont parmi les plus élevés au monde. Le port d'Abidjan a en effet
été privatisé en 2004 par le “socialiste” Gbagbo, qui en
a cédé la gestion à la multinationale française Bolloré pour
quinze ans. Les arguments en faveur de la privatisation des
infrastructures publics citent souvent la nécessité d'une
“meilleure gestion” et d'une “réduction des couts”. Mais en
réalité les couts n'ont pas diminué avec la cession à un
opérateur privé. Au contraire, le privé a pour objectif la récolte
du maximum de bénéfices sans le moindre souci des conséquences
sociales, économiques et environnementales que cela engendre,
contrairement à une société publique bien gérée pour qui
l'obtention d'un profit n'est que secondaire et est soumis à
d'autres critères.
Bolloré
profitant de plus d'une situation de monopole complet sur le port,
par lequel transite tout de même 70 % du PIB ivoirien, il
n'y a aucun incitant à une réduction des couts. En plus, Bolloré
est quasiment assuré de voir son contrat de gestion se faire
reconduire en 2019, vu qu'elle vient d'arracher dans des
conditions scandaleuses et avec la bénédiction de son ami, le
citoyen Alassane Dramane Ouattara, le marché du projet de
deuxième port d'Abidjan. Alors que l'appel d'offres réalisé à
cette occasion visait normalement à créer la concurrence.
Ceci
dit, nous désirerions préciser que pour nous, la “concurrence”
n'est pas non plus une solution, car les capitalistes ont alors
tendance à encore plus rogner sur leurs couts afin de maintenir
leurs profits malgré la baisse de leurs tarifs. C'est-à-dire que
cela se traduit par le mépris envers le salaire et les conditions
des travailleurs, et par la négligence des normes de sécurité,
etc. La seule solution est la renationalisation totale du port, sous
contrôle et gestion démocratique de son personnel, de la société
civile, et des autres groupes concernés par la gestion du port.
En
plus des tarifs au port, il est notoire que les services des douanes
en Côte d'Ivoire sont gangrenés par la corruption et que les
démarches administratives pour faire rentrer le moindre produit sont
extrêmement lourdes et lentes. Là aussi, des réformes et un
véritable contrôle sont nécessaires.
Sans
doute que la hausse du prix du carburant a eu un impact sur les
transports et la production. Cela est directement lié au refus du
gouvernement de maintenir ses subsides – il préfère
gaspiller cet argent ailleurs. Le cout des transports dans le pays est également alourdi par les nombreux accidents et avaries qui découlent du mauvais état des routes.
Mais
tous ces facteurs ne sauraient expliquer la hausse subite du prix des
denrées de base. Il s'agit très certainement de l'action de
commerçants spéculateurs qui profitent de l'inaction du
gouvernement pour augmenter les prix. Pourtant, la nourriture est là
et présente en suffisance. Le seul problème est son cout.
Si ADO a laissé le deuxième terminal à son ami Bolloré, c'est Gbagbo qui a privatisé le port. Un autre chantier “volé au FPI par le RDR” ? |
Que faire ?
Le gouvernement brille par son inactivité et son silence par rapport à la hausse des prix. Pourtant, il
est grand temps qu'il intervienne pour fixer les prix
des denrées de base au niveau national. Afin d'éviter les pénuries
(c'est-à-dire, grève déguisée des commerçants) qui sont souvent
engendrées par un contrôle strict des prix, l'État doit recourir à
la subvention des prix des produits.
Une
fois les prix fixés, cependant, il faut tout faire en sorte pour que
ces prix soient respectés. À cette fin, nous recommandons non pas des contrôles administratifs, mais la mise
en place de comités populaires dans les quartiers, organisés via
les syndicats et les associations de quartier, pour surveiller les
prix et faire respecter la loi.
Il
faut aussi exiger l'ouverture des livres de compte de la part des
grandes entreprises qui importent les denrées alimentaires, afin de
déterminer les couts réels et les profits que tirent ces
entreprises, et d'endiguer la spéculation.
En
même temps, il nous faut une politique énergique dans l'agriculture
et l'élevage pour accroitre la production et mettre un terme à la
dépendance alimentaire de la Côte d'Ivoire par rapport à
l'étranger. Cela signifie un refinancement de l'Anader et des autres
structures d'encadrement rural, la mise au point de manuels agricoles
adaptés aux inalphabètes, imagés et traduits en langues locales
(en baoulé, en bété et en dioula, mais aussi en mossi), des
crédits pour l'achat de terre et l'installation de plantations, une
présence accrue des cadres de l'Anader sur le terrain, le
recrutement massif des innombrables techniciens en agriculture et
élevage et ingénieurs agronomes qui aujourd'hui gagnent leur vie
comme chauffeur de woro-woro ou cabine téléphonique, etc.
Il
faut aussi encourager la population à recourir à de nouveaux types
de nourriture. Par exemple, alors que la noix de coco occupe un rôle
prépondérant dans la cuisine de certaines nations, nos vastes
plantations sont à l'abandon faute d'amateurs. Au Nigeria aussi, le
soja fait de plus en plus partie des habitudes des ménages, alors
que cette plante est pour ainsi dire inconnue chez nous. La
diversification des habitudes alimentaires permettra d'accroitre le
revenu des paysans tout en contribuant à la santé de la population.
Les fèves de cacao aussi sont consommées grillées en
Amérique latine, on peut les acheter dans la rue comme les
arachides ; pourtant cela ne se fait pas chez nous. Et qu'on ne
vienne pas dire que de tels changements d'habitude sont impossibles
en raison de la culture africaine : le manioc, l'arachide et la
tomate ne sont cultivés chez nous que depuis à peine 500 ans
avec l'arrivée des explorateurs portugais, pourtant on dirait qu'ils
ont toujours été là. On pourrait aussi très bien planter des
légumes dans les jardins en ville, mais cela ne se fait
malheureusement pas ou pas assez.
Il
faut aussi nationaliser les vastes plantations de bananiers, de
palmiers, etc. appartenant à des multinationales ou à de riches
particuliers, sans rachat ni indemnités, sauf sur base de besoins
prouvés (nous comprenons bien que certaines de ces plantations
représentent la seule source de revenu véritable de certains
pensionnés qui ont travaillé toute leur vie pour pouvoir s'acheter
un terrain). Nationaliser aussi les grandes entreprises de
transformation agro-industrielle et de commerce qui jouent un rôle
prépondérant dans l'approvisionnement du pays (Dinor, Carré d'or,
Sifca, etc.).
Une telle politique de développement doit aussi être appliquée dans le secteur de l'énergie. Il faut nationaliser l'industrie pétrolière et gazière ivoirienne pour arrêter la fuite des profits et mettre les gigantesques ressources nationales au service de la population, mais aussi développer des alternatives. Alors qu'on trouve par exemple relativement facilement des panneaux solaires en brousse dans les campements, cette alternative n'est absolument pas mise en valeur dans les villes ivoiriennes.
D'énormes économies en gaz (et en bois de chauffe) pourraient être faites par la mise en place massive d'unités à biogaz basée sur les déjections animales comme cela se fait au Vietnam où chaque famille cuisine au gaz de ses porcs. Le gaz pourrait aussi être acheminé dans les maisons et appartements par un système d'approvisionnement public comme cela se fait en Russie.
Concernant l'essence, il est urgent de rénover l'infrastructure des transports par un plan d'extension massif de la Sotra (bus abidjanais) en vue d'inclure aussi un système de métro, par l'extension du rail à l'échelle nationale, la rénovation des routes dans tout le pays, par l'aménagement des voies d'eau (la Côte d'Ivoire est traversée par plusieurs grands fleuves, mais aucun n'est navigable), et par une politique de renouvellement du parc automobile qui prenne en compte les besoins de la population et les réalités du terrain.
Enfin,
la production et la distribution des denrées de base devraient être
planifiées dans le cadre d'une économie socialiste, afin de
garantir à tous la satisfaction de leurs besoins de base, plutôt
que les profits de l'élite dirigeante.
Tout cela évidemment ne pourra être obtenu que par la lutte – nous ne pouvons absolument pas compter ni sur les actuels escrocs qui nous tiennent lieu de gouvernement, ni sur ceux qui étaient au pouvoir il n'y a pas si longtemps encore. Le peuple et les travailleurs ivoiriens doivent s'organiser via les syndicats et via les associations de quartier pour une mobilisation massive et nationale contre la vie chère, comme cela avait été fait en 2008.
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1Pour
nos amis européens qui nous lisent, nous parlons donc du paquet de 1 kg de riz à 1,2 €, du lait condensé à 1,5 €,
du kilo de sucre à 1,2 €, du kilo de carotte à 2,3 €,
du kilo de tomates à 2 €, du régime de bananes à 3 €, de l'essence à 1,20 € du litre, la bonbonne de gaz à 8 €, le chawarma à 2,3 € (et il est plus petit que les durums qu'on trouve en Belgique ou en France) ;
dans un pays où le salaire minimum garanti (pour ceux qui ont un
emploi salarié) est jusqu'ici de 56 € par mois (et sans oublier qu'il
faut encore payer le loyer, l'électricité, l'eau, le transport,
etc.).
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