Aucune confiance dans l'une ou
l'autre faction politique capitaliste ! Pour une lutte de masse
pour les revendications des travailleurs !
Ces dernières semaines
en Égypte ont été marquées par une vague de manifestations
populaires de masse contre le président Morsi et son gouvernement
des Frères musulmans. Notre camarade Georg Maier, qui a
récemment visité le Caire, analyse ici la crise politique,
sociale et économique qui vit en Égypte.
Les plus importants soulèvements
ont eu lieu non au Caire, mais dans des villes du delta du Nil et le
long du canal de Suez. Ces régions qui ont été négligées pendant
des années ont vu une nouvelle vague de luttes contre la misère, la
répression étatique et dans certains cas, contre le nouveau régime
lui-même.
Article rédigé fin mars
par notre camarade Georg Maier, du Sozialistische LinksPartei
(Parti de gauche socialiste, section autrichienne du CIO)
Impasse économique
Le chômage a constamment augmenté
au cours des derniers mois. Les prix de la plupart des marchandises,
surtout des produits de base, ont également augmenté. Le régime
tente d'arranger un emprunt de 4,8 milliards de dollars
auprès du FMI afin d'accroitre ses réserves en monnaie étrangère,
qui s'élèvent aujourd'hui à 13,6 milliards de dollars
(comparé à 36 milliards en 2011).
Le régime a produit une liste de
100 “produits de luxe non-nécessaires” (y compris par
exemple, des “luxes” tels que les noix !), sur lesquels il y
aura des restrictions à l'importation. On constate avec intérêt
que le gaz lacrymogène ne semble par contre pas être un produit de
luxe, puisque le gouvernement a acheté il y a quelques jours une
quantité de gaz lacrymos valant 2,5 millions de dollars
auprès d'une entreprise américaine. Tout cela a déclenché des
manifestations de mécontentement, même parmi les membres de la
Confrérie musulmane (dont beaucoup de commerçants qui forment
la base des Frères musulmans, et qui souffrent en ce moment des
restrictions à l'importation), ce qui a encore plus sapé l'autorité
du régime aux yeux de beaucoup de personnes.
Si le FMI accepte cette nouvelle
demande d'emprunt, cela sera évidemment avec ses conditions.
Celles-ci visent en général la réduction des subsides. On a déjà
vu la coupe des subsides des prix du gaz et de certains produits
pétroliers, qui ont déclenché des manifestations dans le delta du
Nil, accompagnées de barrages routiers et sur les lignes de chemin
de fer. On s'attend à ce que l'effet le plus dévastateur de ces
coupes soit l'impact sur le prix du pain. Le pain subsidié coute en
ce moment 5 piastres dans la plupart des boulangeries. Or, la
rumeur et les discussions mentionnent le fait que le prix pourrait
tout d'un coup se rehausser à 25 piastres. Déjà des gens
parlent d'une possible “révolte du pain”, ou, comme certains
l'ont appelée, d'une “intifada du pain”. Les médias ont fait
état d'émeutes au cours desquelles des supermarchés et des
boulangeries auraient été vandalisées.
L'industrie du tourisme (qui
employait naguère à peu près 12 % de la main d'œuvre) est
soumis à une très grande pression, et ceux qui autrefois vivaient
de la vente de services ou marchandises aux touristes connaissent
maintenant beaucoup de difficultés.
Les lacrymos ne sont, selon le gouvernement, pas un produit de luxe |
Les Frères musulmans en perte de soutien
Il y a un sentiment largement
répandu selon lequel le parti au pouvoir n'est pas mieux que
l'ancien régime Moubarak. Le vieux système de népotisme a été à
son tour adopté par les Frères musulmans – suscitant la
colère du peuple. Avec le “rattrapage” opéré par les
Frères musulmans, des dizaines de milliers de sympathisants des
Frères musulmans reçoivent un poste dans la fonction publique,
les membres du parti sont promus plus rapidement, et les contrats
publics sont attribués de gré à gré à des entreprises
appartenant aux membres du parti. Même en zone rurale, où le
soutien en faveur des Frères musulmans lors des dernières
élections était particulièrement élevé, cela a causé des
manifestations massives contre les autorités régionales, y compris
l'incendie du QG des Frères musulmans dans plusieurs villes
provinciales.
Par exemple, à Kafr el-Cheik,
ville de 150 000 habitants dans le delta du Nil,
complètement négligée par le gouvernement central depuis des
décennies, le gouverneur a publiquement déclaré ceci : « Je
soutiens la “frère-musulmanisation” du pays, parce que c'est ça,
la démocratie ». Alors qu'au même moment, le président Morsi
et de hauts cadres gouvernementaux du Parti pour la liberté et la
justice (le parti des Frères musulmans) nient l'existence de ce
rattrapage.
La situation économique désespérée
a causé à Kafr el-Cheik l'immolation d'un jeune chômeur, à
qui les autorités avaient conseiller d'aller cirer des chaussures
dans la rue ou d'aller demander l'aumône auprès d'une association
charitable. Ce suicide a déclenché des manifestations dans cette
ville normalement calme et conservatrice, connue uniquement pour être
la ville natale de Mohammed Atta, un des terroristes qui ont
causé l'attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Des
milliers de gens ont marché sur le bureau du gouvernement pour
réclamer des droits sociaux et la chute du régime.
Le président Morsi et les
Frères musulmans ne cessent de perdre du soutien. Ils ont été
élus sur base de leur promesses de démocratie et de justice
sociale, mais ne peuvent ni ne veulent mettre en place la moindre
amélioration. Les gens sont de plus en plus scandalisés, et de plus
en plus de gens réclament le départ du gouvernement précisément
dans ces circonscriptions qui ont voté des candidats
Frères musulmans au parlement lors des élections de 2011-2012.
Au cours des élections syndicales aussi, les Frères musulmans
sont en net recul depuis plusieurs mois. Dans le syndicat des
vétérinaires, qui était traditionnellement sous contrôle des
Frères musulmans tout au long de l'ère Moubarak, ceux-ci ont
été entièrement chassés de la direction du syndicat lors des
dernières élections en son sein.
Les Frères musulmans sont occupés à un véritable “rattrapage” politique |
Une nouvelle vague de révoltes
La lutte la plus importante de
celles qui se déroulent en ce moment à été la révolte à
Port-Saïd, ville portuaire à l'extrémité nord du canal de Suez.
Cela fait maintenant des semaines que la ville est ébranlée tous
les jours par des manifestations et connait de ce fait un état de
grève général virtuelle. La police a été battue et contrainte de
quitter la ville. À la place, les citoyens ont mis en place une
“police populaire”. Lorsque la police est revenue début mars,
elle n'a été capable de se réinstaller qu'avec la “protection”
de l'armée. Cela reflète le changement de rôle au sein des
structures étatiques, et pourrait indiquer un rôle renouvelé et
plus actif pour l'armée (voir plus bas).
La lutte de Port-Saïd est à un
très haut niveau de confrontation avec l'État capitaliste et de
remise en question de son rôle. Mais il y a aussi certainement des
caractéristiques “spéciales” de cette lutte, qui reflètent
l'incertitude sur le plan politique et le manque d'une réelle
perspective pour la lutte des travailleurs et des masses pauvres. Une
revendication centrale, qui représente surtout les intérêts des
capitalistes et des commerçants locaux, est la réouverture de la
zone franche du port. Il semble que cette revendication ait été
reprise par certains jeunes et travailleurs. La deuxième
caractéristique “spéciale”, qui vit surtout parmi les jeunes
actifs dans la lutte, est la revendication de la libération des
martyrs de la répression policière de même que des supporters de
l'équipe de foot du al-Masry Club qui ont été condamnés à
mort à la suite du massacre de bon nombre de supporters d'al-Ahly.
Cette revendication isole du coup le mouvement du Caire, où la
plupart des supporters d'al-Ahly demandent au contraire une plus
forte condamnation des auteurs. Mais ce sont les forces de sécurité
responsables du massacre qui devraient être jugées. Une enquête
indépendante et démocratique accomplie par les supporters des deux
camps et par les syndicats devrait être organisée afin de
déterminer ce qu'il s'est réellement produit ce jour-là. Les
véritables criminels sont les cadres du gouvernement qui désiraient
prendre leur revanche sur les al-Ahly Ultras pour leur rôle
héroïque pendant et depuis la révolution, c'est eux qui devraient
répondre à la justice.
À ces deux revendications, les
travailleurs ont ajouté leurs revendications économiques (de
meilleurs salaires, etc.). Mais, face à la répression policière et
à la mauvaise volonté du régime qui refuse la moindre concession
(au moins tant que le mouvement en reste à ce stade), la plus
importante revendication développée par le mouvement est celle de
la chute du régime et de la fin du règne des Frères musulmans.
Le gouvernement a peur que le mouvement ne se répande. Des
mouvements similaires sont déjà nés (bien que d'une moindre
ampleur) dans d'autres villes du canal et du delta, comme à Suez, à
Ismaïlia, à Mansourah, et à el-Mahallah.
La révolte à Port-Saïd a fait plusieurs dizaines de morts |
L'appareil d'État
Toutes ces révoltes et
manifestations représentent une réelle menace pour l'élite
dirigeante – la nouvelle comme l'ancienne. Il est possible,
comme cela est largement discuté parmi la population, que le
Conseil suprême des forces armées (CSFA) prenne le
pouvoir, comme il l'a fait après la chute de Hosni Moubarak
en 2011. De plus en plus de gens, partisans de l'ancien régime,
grands commerçants et entrepreneurs, qui aimeraient voir une
“main forte” diriger le pays. Il y a des manifestations dans
les quartiers riches du Caire pour demander le retour au pouvoir du
CSFA.
L'intervention de l'armée à
Port-Saïd, où elle a affirmé ne jouer qu'un rôle “neutre”,
sans attaquer directement les manifestants, tout en protégeant les
institutions publiques, est censé nous rappeler du rôle qu'a joué
le CSFA en février 2011. Confronté à une détermination
et à une confiance accrue de la part des manifestations de masse qui
se déroulaient à l'époque, le CSAF n'était pas certain que les
simples soldats obéissent à l'ordre de tirer, c'est pourquoi
l'ordre n'a pas été donné. L'armée n'a pas attaqué les
manifestants, mais en même elle s'est assurée que le mouvement
n'échappe pas à tout contrôle et ne renverse les fondations mêmes
du capitalisme égyptien et de son État.
Il semble aussi y avoir des
fractures au sein de la police. Des milliers de policiers sont en ce
moment en grève indéterminée afin d'exiger de « ne pas se
retrouver impliqués dans le conflit politique entre le gouvernement
et l'opposition », comme l'a déclaré dans les médias un
colonel de police, qui a également revendiqué la démission du
ministre de l'Intérieur, Mohammed Ibrahim. Cela alors que le
gouvernement s'efforce de renforcer la police et sa capacité à
disperser les manifestations. Depuis la mi-février, les simples
agents de police ont le droit de porter des pistolets et des
munitions (auparavant, le port d'armes était réservé aux officiers
et à certaines forces spéciales). L'appareil d'État de manière
générale fait toutes sortes d'efforts dans le but de pouvoir dans
les faits réprimer l'opposition et les révoltes. Le parti
d'extrême-droite salafiste Gamaad al-Islamiya est lui aussi en
train de mettre en place des “comités de citoyens” (dans les
faits, des milices islamistes) afin d'attaquer les manifestations.
Toutes ces évolutions sont
dangereuses pour le mouvement ouvrier et pour la gauche. Confronté à
la répression policière, aux miliciens pro-gouvernementaux et aux
groupes islamistes de droite, le mouvement ouvrier doit développer
une stratégie claire afin de se défendre. On a vu récemment dans
les manifestations l'apparition d'un “Black Block”
(“Bloc noir”), groupe assez désorganisé de jeunes portant
des masques noirs afin de se battre avec la police et les miliciens.
Bien qu'un tel développement soit compréhensible, l'existence d'un
tel mouvement est utilisée comme prétexte par le gouvernement pour
attaquer les manifestants et au final, le Bloc s'est avéré
impuissant à protéger les manifestations de manière adéquate.
Ce qui est nécessaire est la mise en place de comités d'auto-défense organisés démocratiquement, basés dans les quartiers populaires et dans les usines. Il nous faut des structures démocratiques afin de protéger de manière efficace le mouvement ouvrier contre toutes les attaques. Les luttes doivent être articulées en un programme révolutionnaire clair, qui s'en prenne non seulement à l'État bourgeois, mais au système capitaliste dans son ensemble.
La police est de plus en plus démoralisée et refuse d'attaquer les manifestants |
Il faut une organisation indépendante de la classe ouvrière et un programme
Il y a en ce moment deux grandes
fédérations syndicales indépendantes, dont le nombre de membres
total s'élève à 2,5 millions de travailleurs. Certains de ces
syndicats au sein de ces deux fédérations ont organisé des grèves
et des occupations massives et puissantes. Mais lorsque les
travailleurs participent aux manifestations contre le régime ou dans
les révoltes générales de masse comme à Port-Saïd, où les
travailleurs constituent la vaste majorité de la population
participante, ils ne le font pas en tant que travailleurs ou en tant
que classe, mais en tant que manifestants à titre individuel. Seule
la classe ouvrière peut montrer la voie en avant pour la lutte. Ce
qu'il manque ici, c'est une voix politique ouvrière qui puisse
développer la lutte et combiner les revendications économiques
légitimes avec la revendication de la nationalisation des usines,
etc. sous contrôle et gestion ouvriers, et développer un véritable
programme socialiste révolutionnaire pour la lutte.
Ce qu'il nous faut est un parti
socialiste révolutionnaire pour les travailleurs et pour les jeunes.
Un tel parti peut se développer sur base des luttes quotidiennes des
travailleurs dans les entreprises comme sur base des révoltes de
masse. Les socialistes, les syndicalistes et les militants de groupes
locaux doivent s'unir sur une base de lutte commune contre les
attaques perpétrées par le gouvernement Morsi, contre les
capitalistes qu'il sert et contre le système capitaliste pourri dans
son ensemble, et mettre en avant un programme socialiste clair qui
satisfasse aux besoins des masses pauvres et qui fasse progresser la
lutte pour une Égypte socialiste.
Tandis que les Frères musulmans
perdent leur soutien et que de nouvelles vagues de lutte massives
ébranlent le pays, toute une série d'organisations de gauche et
socialistes soutiennent toujours les forces de l'opposition
laïque libérale telles que le Front de salut national (FSN)
dirigé par Mohammed El Baradei, Amr Moussa et
Hamdeen Sabbahi. Une telle position, dans la perspective de
révoltes et d'insurrections de masse à cause de la situation
économique, ne peut être qualifiée que de désastreuse.
Le FSN, tout comme le Parti pour la
liberté et la justice, les salafistes ou le CSFA, ne représente au
final qu'une autre faction de la classe dirigeante capitaliste. Le
soutien d'une faction capitaliste par la gauche ne fait que rendre la
tâche plus ardue pour le développement d'une organisation
indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse. Lorsque les
socialistes suivent une faction capitaliste, décrite comme étant
“progressiste”, c'est un signe de manque de confiance dans la
force de la classe ouvrière, et cela fait dévier de son objectif la
lutte qui peut être menée et remportée par la classe ouvrière
organisée. Tout comme certains socialistes auto-proclamés
soutenaient jusqu'à récemment les Frères musulmans, le
soutien à El Baradei et au FSN ne fera que freiner le
développement d'une organisation des travailleurs véritablement
socialiste, dont l'Égypte (et les autres pays du monde) a pourtant
tellement besoin.
Afin de rallier la vaste majorité
des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres, il est nécessaire
de rompre avec toute faction de la classe capitaliste et de
développer et de discuter des revendications communes de lutte
autour desquelles les militants syndicaux et de groupes locaux, les
jeunes et les travailleurs puissent s'organiser et lutter.
El Baradei et son opposition bourgeoise se voient déjà en “sauveurs de la patrie” |
- Non aux dictats du FMI ! Non à toute coupe dans les subsides aux denrées de base !
- Droits démocratiques : droit de manifester, droit d'organiser des syndicats
- Non au “rattrapage” des Frères musulmans ! Élections et contrôle démocratiques de l'administration et des cadres étatiques
- Salaire minimum de 1200 livres par mois (86 000 francs CFA/135 €), indexation automatique des salaires en fonction du cout de la vie
- Programme massif d'investissements public afin d'améliorer l'infrastructure, les soins de santé, l'enseignement, fournir à tous des logements de qualité à cout accessible, et créer des emplois décents
- Nationalisation de toutes les banques, ex-entreprises étatiques privatisées et grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs, reliées entre elles pour une planification démocratique de l'économie
- Appel à tous les travailleurs partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la solidarité en une lutte commune
- Pour un gouvernement socialiste démocratique en Égyptie et une fédération socialiste d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Le mouvement égyptien doit se structurer et s'organiser pour pousser plus loin la révolution |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire