samedi 25 mai 2013

Hong Kong : fin de la grève des dockers après 40 jours


Les délégués syndicaux déclarent une “demi-victoire” 


Les dockers ont remporté une hausse salariale de 9,8 %, mais d'importants problèmes restent non-résolus

Article par Vincent Kolo, responsable de la section chinoise du CIO via le site chinaworker.info



La grève des 500 dockers de Hong Kong, qui a paralysé le troisième plus grand port du monde, vient de se terminer après 40 jours. La confédération des syndicats de Hong Kong (HKCTU) qui représente les grévistes a obtenu un accord d'une hausse de 9,8 % de salaire à partir du 1er mai. Cette grève a été la plus longue grève de l'histoire de Hong Kong depuis la fameuse grève des marins de 1922 (qui avait duré 55 jours). Elle est le signal d'un “retour” de la lutte de classe dans cette ville qui est pourtant célèbre en tant que bastion, véritable phare du capitalisme, où la lutte de classe est censée ne pas exister. Cette grève a éclaté après des années d'intensification de l'exploitation et d'aggravation des conditions de travail, surtout pour les travailleurs des entreprises sous-traitantes, dont le salaire réel est aujourd'hui inférieur à celui qu'ils recevaient dans les années '90. Cette grève a eu un grand impact, loin au-delà de l'industrie portuaire, ébranlant l'ensemble du paysage politique et révélant au grand jour l'avidité et la brutalité du propriétaire du port, M. Li Ka-Shing, le huitième homme le plus riche du monde (31 milliards de dollars, plus que le PIB de la Côte d'Ivoire qui est de 25 milliards de dollars, ndlr ; à Hong Kong, un immeuble sur 7 lui appartient), et de ses amis capitalistes.

Cette grève a démontré le rôle décisif de la classe ouvrière dans la société en tant que force de changement, qui a gagné un immense soutien de la part de très larges couches de la classe moyenne, comme les étudiants et la société civile. Ce soutien était visible tout au long de la grève, malgré le fait qu'en termes de nombres, seule une minorité de dockers y a participé. Imaginons l'impact que pourrait avoir une grève de milliers ou de centaines de milliers de travailleurs.

Li Ka-shing, le huitième homme le plus riche du monde,
et le plus riche d'Asie

Qu'ont obtenu les grévistes ?


La HKCTU a décrit le résultat de la grève comme étant une “demi-victoire”. La grève est parvenue à exercer une telle pression sur les employeurs que ceux-ci ont finalement été forcé d'augmenter leur offre de hausse salariale jusqu'à 9,8 % – leur position de départ était de 5 % + 2 % (en comptant des primes secondaires). L'accord qui a été signé le 6 mai laisse cependant bon nombre de questions ouvertes.

La plupart des travailleurs sont frustrés du fait qu'ils n'aient pas pu obtenir une “hausse à deux chiffres”. Les travailleurs avaient en effet demandé une hausse de 20 %, et les négociateurs syndicaux, qui avaient divisé par deux cette revendication, avaient toujours clamé vouloir une hausse à deux chiffres et ne pas signer pour moins que ça. Les patrons ont délibérément placé leur “dernier prix” à 9,8 %, dont le montant est symbolique puisqu'en-dessous de 10 %. Pour les capitalistes, ce qui était important ici n'était pas le fait d'économiser quelques dollars, mais de remporter une victoire psychologique.

L'assemblée de masse des grévistes le 3 mai avait rejeté cette offre de 9,8 %, qui a pourtant été acceptée trois jours plus tard par leur direction syndicale. Le 6 mai, lors d'une nouvelle assemblée convoquée après signature de cet accord, 20 % des travailleurs ont encore une fois voté contre, ce qui est toujours une portion importante des grévistes et révèle un climat d'appréhension. Mais parmi beaucoup de travailleurs, est apparue l'idée que cela était le meilleur accord que l'on pourrait obtenir, après près de six semaines de lutte, pendant lesquelles les patrons ont maintenu une ligne très agressive, annonçant qu'ils ne reviendraient plus à la table de négociations.

Ce mouvement impressionnant comporte de nombreuses leçons pour le mouvement ouvrier au sens large. Il est à présent nécessaire de dresser un bilan – de reconnaitre ce que la lutte a obtenu, mais aussi de poser la question : n'aurait-on pas pu obtenir plus ? Les dirigeants de la HKCTU et de nombreux sympathisants des grévistes parmi les ONG et le mouvement étudiant ont, de notre point de vue, présenté une vision trop optimiste de l'accord, ignorant toutes sortes de questions cruciales concernant la stratégie à mettre en œuvre et ce qui aurait pu être obtenu à la place. Ce n'est pour nous pas suffisant de se contenter de généralités telles que : « La lutte va à présent continuer mais sous une forme différente…», etc.

On pourrait bien entendu dire cela de toutes les grèves. Mais pour les travailleurs, qui ont fait de gros sacrifices économiques pendant cette lutte, et dont certains risquent de perdre leur emploi, il faut une évaluation plus sérieuse. La section du CIO à Hong Kong, Socialist Action, a activement soutenu la grève en récoltant presque 36 000 dollars hongkongais (2,3 millions de francs CFA!), intégralement reversés aux dockers grévistes. Nous avons proposé des mesures concrètes de lutte aux dockers et avons participé à leur mise en application, comme par exemple la distribution de tracts le matin au port pour demander aux non-grévistes de rejoindre le mouvement. Nous avons souligné l'intérêt d'une approche plus offensive, comme on l'a vu avec le barrage routier qui a été mis en place de manière non concertée le 25 avril, qui a temporairement bloqué l'accès au terminal de Kwai Tsing tout en gagnant le soutien des chauffeurs de camions. Malheureusement, plutôt que de montrer cet exemple comme un modèle à suivre pour intensifier la lutte, les dirigeants de la HKCTU ont préféré parler “d'incident isolé”.

Les travailleurs demandaient une hausse de salaire de 20 %

Quelles garanties pour les grévistes licenciés ?


Une autre question brulante est le destin des 100 grévistes qui étaient employés chez la compagnie Global Stevedoring Service, une entreprise sous-traitante du port qui a fait faillite pendant la grève. La fermeture de cette entreprise et le licenciement de l'ensemble de sa main-d'œuvre est le résultat d'un complot visant à mettre pression sur les grévistes. En fait, cette entreprise était loin d'un d'être une unité indépendante – comme les patrons voudraient nous le faire croire –, mais en fait, est une entité “autonome” créée de toutes pièces en tant que sous-traitant de la principale compagnie portuaire, Hutchison Port Holdings, et qui appartient comme elle à Li Ka-Shing, le patron du port. La question de la sous-traitance et des travailleurs temporaires reste aussi ouverte, alors que c'était justement cette question qui était la principale source du conflit.

Il est clair qu'aucun accord ne peut être considéré comme acceptable à moins que des garanties ne soient obtenues pour les travailleurs de Global, qui ont été un des piliers de la grève. Certains de ces travailleurs ont confié à nos camarades leur déception par rapport à la manière dont cette grève s'est terminée. Ils ont le sentiment que la direction syndicale n'a pas donné assez de considération à leur propre situation. La HKCTU a annoncé le retour au travail le 9 mai, mais sans rien dire concernant le sort des travailleurs de Global, se contentant d'appeler le gouvernement à “aider” ces travailleurs à retrouver un emploi.

Les dockers des sous-traitants étaient en grève depuis le 28 mars

Des leçons cruciales


Alors que cette grève peut, à toutes sortes de niveaux, servir de source d'inspiration pour l'ensemble de la classe des travailleurs, certaines leçons d'une importance cruciale doivent être tirées. Au début de la grève, les dirigeants de la HKCTU ont sous-estimé la résistance acharnée des patrons, et pensaient qu'il suffirait de s'assurer la sympathie de la population pour remporter la victoire. Mais vu que seule une minorité des travailleurs du port est partie en grève, il aurait mieux valu surestimer plutôt que sous-estimer l'ennemi. Les dirigeants du syndicat ont également trop insisté sur des manifestations et des meetings – ce qui est aussi important, mais qui n'est pas un substitut pour les méthodes traditionnelles de la classe ouvrière qui sont le piquetage, les barrages, et l'appel aux autres travailleurs à rejoindre la grève ou à “éviter” le travail normalement effectué par les grévistes. Si ces mesures avaient été adoptées de manière systématique, cette grève aurait déjà pu gagner plus de “mordant”.

La direction de la HKCTU, qui est politiquement proche de et influencée par les dirigeants bourgeois pro-“démocratie”, a à la place de ces méthodes de lutte, adopté une attitude prudente au sujet de nombreuses questions tactiques décisives, de peur de “perdre le soutien du public”. Mais ce risque n'a jamais été sérieux. Le soutien public était immense. C'est au total 9 millions de dollars hongkongais qui ont été récoltés parmi la population pour les grévistes (600 millions de francs CFA !). Il n'y a aucune contradiction entre la mise en place d'un piquet de grève et le maintien d'un large soutien public.

Ces problèmes tactiques doivent bien évidemment être considérés dans le contexte actuel, qui est fait d'attaques brutales de la part du patronat, constitué de plusieurs firmes sous-traitantes se trouvant toutes sous les ailes de la principale entreprise portuaire, Hutchison. Les patrons ont accusé le syndicat de mener une “lutte de classe” (comme si les patrons sont toujours pacifistes), et ont recouru à toutes sortes de coups bas pour briser la grève. Il y a eu trois jugements du tribunal visant à limiter la liberté de piquetage et de manifestation des grévistes, le recrutement de travailleurs journaliers afin de briser la grève, et la “faillite” orchestrée de Global en pleine grève. Un autre obstacle a été le rôle ignoble joué par le syndicat “jaune” pro-Pékin, la HKFTU (Fédération syndicale de Hong Kong), qui a tout fait pour saboter la grève et liguer la majorité des dockers qui travaille directement pour le port et n'était pas partie en grève, contre leurs camarades grévistes qui travaillent pour les sous-traitants.

Socialist Action avait dès le départ de la grève proposé d'intensifier les actions au terminal portuaire, en mettant en place des piquets et des barrages routiers, tout en appelant plus de travailleurs à rejoindre la lutte. Les décisions juridiques contre la grève ont imposé d'importantes restrictions physiques aux grévistes, et auraient dû être remise en cause de manière plus énergique – pas par des procédures d'appel juridique, mais par l'organisation d'une campagne de protestation contre la partialité de classe très claire de ces décisions juridiques. Cela pose aussi la question de savoir quand il devient nécessaire pour les travailleurs en lutte de défier la loi lorsque celle-ci est injuste, et de la manière dont cela peut se faire.

Les dirigeants de la HKCTU ont sans cesse mis en avant la nécessité d'éviter toute action qui puisse provoquer des arrestations ou la répression. Cette question est en effet trop importante pour être traitée à la légère. Mais le risque de répression ne devrait pas devenir un argument général contre toute idée de piquetage visant à empêcher autant d'opérations portuaires que possibles. Si les grévistes avaient été arrêtés pour avoir exercé leur droit fondamental de tenir un piquet de grève, cela aurait généré une énorme vague de sympathie publique, qui aurait provoqué un émoi public encore plus grand contre les compagnies portuaires déjà très peu populaires, les mettant encore plus sous pression.

Dans leurs efforts d'éviter toute confrontation avec les autorités légales, les dirigeants de la HKCTU ont malheureusement limité l'efficacité de la lutte et ont retenu leur pleine puissance de frappe. C'est cela qui a finalement permis à Hutchison de maintenir un certain niveau d'opérations tout au long de la lutte, et de donner l'impression qu'après plusieurs semaines d'action, la grève avait atteint une impasse.

Les patrons et le camp pro-gouvernement sont déjà en train de tenter d'exploiter à leur avantage la fin de cette grève et en particulier, l'échec des grévistes qui n'ont finalement pas obtenu de hausse à deux chiffres, en utilisant cet argument dans leur propagande selon laquelle la lutte ne mène finalement à rien. Wong Kwok-kin, un des cadres du syndicat jaune, HKFTU, a ainsi déclaré : « L'organisateur de la grève est parvenu à mobiliser divers partis politiques et associations de la société civile derrière son mouvement, ce qui leur a permis de tenir relativement longtemps. Mais même ainsi, les travailleurs n'ont pas pu obtenir leur objectif d'une hausse de salaire à deux chiffres, et cela donne à présent au public l'idée que cette tactique n'a finalement rien donné ».

En réalité cependant, si la détermination et l'esprit des dockers avait été lié à une stratégie, à une organisation et à des méthodes combatives, comme nous l'avons mis en avant, la classe ouvrière serait une force invincible. 

Les militants du CIO avec les dockers grévistes

 

L'arnaque de la sous-traitance


Le contexte de la grève des dockers est celui de 15 ans de diminution des salaires réels et d'aggravation des conditions de travail, alors que le prix du logement et autres dépenses quotidiennes a explosé. Les dockers de Hong Kong gagnaient avant la grève 55 dollars hongkongais de l'heure (3600 francs CFA), c'est-à-dire moins que les 60 dollars (3900 francs) qu'ils gagnaient en 1995, au moment où les opérations portuaires ont été livrées à la sous-traitance. La HKCTU ne s'est pas clairement opposée à la sous-traitance et n'a pas mentionné ce problème en tant que question fondamentale lors de la grève actuelle, alors que le problème de la sous-traitance est absolument central dans le conflit portuaire et doit être combattu. Par exemple, la HKCTU a accepté en avril, dans une autre région de l'empire économique de Li Ka-shing, un nouveau plan de sous-traitance qui affectera 100 travailleurs à Watsons Water.

Hutchison, comme toutes les autres entreprises partout en Asie, utilise la sous-traitance afin de faire diminuer les salaires, éviter les congés maladies et autres avantages, et afin de briser la force des syndicats. Des militants syndicaux qui étaient venus d'Australie et des Pays-Bas apporter leurs vœux de solidarité, et qui travaillent dans des ports appartenant eux aussi à Hutchison (cette compagnie possède 13 % du trafic portuaire mondial), ont illustré dans leurs discours l'énorme différence qui existe entre les conditions de salaire et de travail chez les travailleurs qui sont parvenus à bloquer la sous-traitance en forçant Hutchison à employer directement l'ensemble du personnel, et chez les travailleurs de Hong Kong pour qui la sous-traitance semble maintenant impossible à stopper.

Les travailleurs venus d'Australie de la part du Syndicat des travailleurs maritimes d'Australie ont décrit les conditions de travail au port de Hong Kong comme étant un “enfer sur terre”, un “travail d'esclave”. Ils ont raconté que les dockers australiens reçoivent l'équivalent de 647 000 dollars hongkongais par an (42 millions de francs CFA) pour une journée de huit heures, alors que les dockers de Hong Kong ne reçoivent que 216 000 dollars hongkongais par an (14 millions de francs CFA) pour des journées de 12, voire 24 heures. La question des heures supplémentaires n'a elle aussi pas été touchée dans l'accord signé à la fin de la grève (il n'y a aucune prime de nuit ni de week-end pour les dockers des sous-traitants).

De même, les dockers venus du port de Rotterdam aux Pays-Bas, qui sont directement employés par Hutchison, ont dit gagner 50-60 % de plus que leurs camarades de Hong Kong, alors qu'ils ne travaillent que 178 heures par mois, contre 330 heures par mois au port de Hong Kong.

Des camarades des dockers venus des Pays-Bas sont venus les soutenir ;
ici avec le drapeau de la FNV, Fédération syndicale néerlandaise

Construire des syndicats combatifs


Les dockers de Hong Kong n'ont pas en ce moment le degré d'organisation syndicale de leurs camarades en Australie et en Europe. Il est clair que la force et la cohésion syndicales (surtout considérant le rôle joué par la HKFTU) sont des facteurs cruciaux lorsqu'on doit estimer ce qui peut être obtenu par la lutte, y compris par cette lutte-ci. Dans ce sens, nous sommes d'accord sur la phrase “La lutte continue sous d'autres formes”, c'est-à-dire qu'il faut maintenant tirer l'expérience de cette lutte portuaire pour construire un syndicat puissant, démocratique et combatif pour les dockers, qui sera un modèle pour les autres sections de la classe des travailleurs. Socialist Action s'engage à continuer à donner toute notre assistance dans cette lutte. Mais il est aussi nécessaire de complètement tirer les leçons de cette lutte, surtout en ce qui concerne les tactiques d'extrême prudence mises en avant par la direction de la HKCTU qui ont refusé de déployer toute la puissance de la grève qui aurait pu bloquer une partie beaucoup plus importante des activités portuaires. Ces questions doivent être résolues afin d'obtenir une victoire lors de la prochaine lutte.

Le port de Hong Kong

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