La crise économique devient une crise politique et institutionnelle
Les derniers événements qui se sont produits
dans la vie politique italienne marquent une nouvelle phase dans le
développement de la crise de la troisième plus grande puissance
industrielle européenne.
Article par Marco Veruggio, dirigeant de ControCorrente, section italienne
du CIO
La tempête économique qui a dévasté l'économie
italienne s'est tout d'abord transformée en une crise sociale, avant
de se changer à présent en une crise institutionnelle.
Le chômage des jeunes dépasse aujourd'hui 30 %.
Plus de 450 000 travailleurs risquent de se retrouver sans
revenu d'un jour à l'autre, à cause du fait que les fonds prévus
pour les allocations de licenciement payées par les gouvernements
régionaux sont en train de s'assécher. En 2012, plus de
mille entreprises ont fermé chaque jour. On voit de plus en
plus de suicides : rien que dans la journée du 14 avril,
un marchand de fruits et deux chômeurs se sont suicidés.
Dans ce contexte tragique, l'extrême fragmentation
de la classe capitaliste italienne et l'absence d'une représentation
politique des travailleurs produit une fragmentation similaire et une
perte de contrôle de la part de ce qu'on appelle la “classe
politique”. Les travailleurs, et de très grandes sections de la
classe moyenne, accusent les politiciens de continuer à leur
demander de faire des sacrifices, tout en restant en même temps en
possession de tous leurs privilèges. Tandis que la bourgeoisie
italienne, appelle d'un côté les partis à poursuivre leur
politique antisociale sans écouter ce qui se dit dans les rues, de
l'autre elle les critique pour leur incapacité à trouver un
consensus afin de garantir la “gouvernabilité” et exige d'eux de
mettre sur pied une “unité de classe” afin d'accomplir les
réformes selon elle “nécessaires pour le pays”, c'est-à-dire
nécessaires pour elle, au détriment des travailleurs et de la
classe moyenne.
La vague croissante de suicides, tout comme l'acte
extrême posé par un chômeur du Sud qui, pendant la prestation de
serment des ministres, a tiré sur trois policiers de la garde
parlementaire, déclarant après coup que sa véritable cible était
les politiciens, montre bien à quel point l'humeur est au désespoir.
Mais en même temps cela indique le fait qu'en l'absence d'une issue
politique et sociale, l'exaspération peut se traduire en de tels
actes – désespérés mais en même temps rien de plus que
symboliques.
“Chômeur : inscrit dans la boucherie sociale” L'Italie connait en ce moment une vague de suicides |
Berlusconi ressuscité par le Parti démocrate
Fin 2011, lorsque Berlusconi était réduit à
un niveau de crédibilité historiquement bas, le Parti démocratique
a eu peur de dire non à la Banque centrale européenne qui
voulait faire de lui son agent et d'aller aux élections, et a pour
cela réussi à partir de là jusqu'à aujourd'hui à faire tout ce
qui était en son pouvoir pour restaurer la crédibilité de
Berlusconi, risquant la sienne. Le Parti démocratique a voté
avec lui le relèvement de l'âge de la retraite, l'annulation de
l'article 18 du Code du travail, une taxe inique sur le premier
logement, et, après avoir ainsi gouverné pendant un an et demi
avec la droite, a ensuite fait campagne sous le slogan “Aucun
accord avec Berlusconi”. Et pendant que le dirigeant du PD,
Bersani, expliquait dans ses interviews d'un ton très confus ce que
son parti ferait s'il gagnait les élections, Berlusconi passait sur
tous les plateaux télé pour y promettre qu'il annulerait la taxe
sur le logement.
Le comédien Beppe Grillo remplissait les
places en demandant la fin des privilèges des politiciens, mais
aussi la mise en place d'un salaire citoyen, la nationalisation des
banques et des grandes entreprises comme Monte dei Paschi
et Telecom, des coupes dans le budget de l'armée, et le retrait des
troupes italiennes en Afghanistan et au Mali.
Le résultat de ces élections a suivi les lois de
la technique marketing : dans un marché rempli de produits tous
de même qualité et de même prix, un quart des consommateurs ont
décidé de ne rien acheter, un quart a choisi la nouvelle marque
originale et à bas cout (le MoVimento Cinque Stelle
– Mouvement 5 étoiles, de Beppe Grillo), le
reste s'est réparti de manière égale entre les autres produits,
préférant les marques traditionnelles (le Parti démocrate et
le Popolo della libertà – Peuple de la liberté, de
Berlusconi) aux produits tout aussi couteux mais sans aucune histoire
(Monti, le banquier qui avait été nommé premier ministre
en 2011 par le président sans passer par les élections, ndlr).
Après les élections, Bersani, secrétaire du PD,
qui n'est plus que la deuxième force après le
MoVimento Cinque Stelle (M5S) en nombre de voix, mais
qui reste la première en termes de nombre de députés au parlement,
a usé de tout son art tactique pour commettre son suicide politique.
Il a demandé le poste de formateur du gouvernement malgré le fait
qu'il n'avait pas une quantité suffisante de voix, et l'a obtenu. Il
a continué à répéter que jamais, jamais il ne conclurait le
moindre accord avec Berlusconi (qui avait quant à lui déclaré être
prêt à un pacte avec Bersani “pour le bien du pays).
Il a rédigé un programme de gouvernement
de huit points, qui est le fruit d'un compromis entre la
moitié du PD qui voulait aller avec Berlusconi, et l'autre moitié
qui s'y opposait et comptait sur un soutient de la part de Grillo
pour former un gouvernement PD. Le premier des points de ce programme
consistait à : « Réconcilier la discipline budgétaire
avec des investissements publics productifs et obtenir à moyen terme
une flexibilité maximale dans les objectifs des finances
publiques ». Cette proposition était si ridicule que même un
comédien n'aurait pas pu l'accepter. Grillo l'a donc proprement
rejetée, provoquant ainsi l'indignation du centre-gauche et de sa
presse : « Grillo – irresponsable : il joue le
jeu de Berlusconi ». Il s'est même attiré les foudres de
Ferrero, le dirigeant de la Rifondazione comunista à l'agonie,
qui, au point où lui en est, aurait accepté ces huit points
même sans les avoir lus.
Une élection présidentielle compliquée
Berlusconi doit sa résurrection politique au PD |
Une élection présidentielle compliquée
Au même moment, un autre jeu institutionnel très
délicat se faisait de plus en plus proche : l'élection du
nouveau président de la république (en Italie, le président n'a
quasiment aucun pouvoir de décision, un peu comme dans les
monarchies constitutionnelles en Belgique, Espagne, Pays-Bas ;
il doit uniquement jouer un rôle de “sage”, garant de la
constitution ; il représente l'État italien en signant les
traités internationaux, mais toujours sur demande du parlement et du
gouvernement ; il est élu pour sept ans non pas par les
citoyens directement, mais par les députés, les sénateurs, et des
représentants des conseils régionaux, ndlr). Berlusconi a
déclaré qu'il était d'accord de voter pour un candidat du PD, à
condition que ce ne soit pas quelqu'un d'“hostile” (c'est-à-dire,
quelqu'un qui lui garantirait à lui, Berlusconi, son impunité, sa
survie et la survie de ses nombreux business).
À ce moment, Grillo a mis en avant Stefano Rodotà,
un membre du PD, un intellectuel “sans gloire ni infamie” (à la
réputation totalement neutre), qui était bien en vue parmi les
rangs de la gauche caviar pseudo-radicale et de l'électorat PD.
Mais Bersani a rencontré Berlusconi, et s'est avec lui mis d'accord
sur un autre candidat : Marini, l'ancien secrétaire général
de la confédération syndicale chrétienne-démocrate, la CISL
(Confederazione italiana sindacati lavoratori) et un des
membres fondateurs du PD. Ce choix avait été interprété par tous
comme constituant le prélude à un gouvernement “large”.
Si Bersani avait accepté Rodotà, celui-ci
serait devenu président de la république avec les votes de Grillo
et du centre-gauche ; il aurait confié la tâche de former le
gouvernement à des représentants de centre-gauche hostiles à
Berlusconi, ce que lui-même aurait jugé inacceptable, et à ce
moment-là, ç'aurait été très difficile pour Grillo de ne pas
soutenir ce gouvernement. Toutefois, tout le monde a compris, y
compris les électeurs du PD, que la contre-proposition de
Bersani était due à une réalité politique : le PD a plus
d'intérêts en commun avec le PdL de Berlusconi qu'avec le M5S
(d'ailleurs, à chaque fois au cours des vingt dernières années
que le PD a eu la possibilité d'achever Berlusconi, il s'est
toujours arrêté au dernier moment). C'est ainsi qu'une révolte a
éclaté dans le parti.
Le PD a dû enlever la candidature de Marini, et a
mis en avant à la place Prodi (l'ancien premier ministre italien
et président de la Commission européenne, membre du PD et
adversaire politique de Berlusconi, ndlr). Berlusconi a alors
crié à la trahison. La candidature de Prodi a été acclamée à
l'unanimité par les candidats de centre-gauche. Mais pourtant, le
même jour, lors du vote secret des députés destiné à élire le
président, 100 députés PD ont voté pour d'autres
candidats (empêchant de nouveau l'élection d'un président, vu
qu'il faut un vote à la majorité des deux-tiers, ndlr).
Le dernier recours avant que ne s'installe le chaos
institutionnel complet, a été la réélection du président sortant
Napolitano, lui-même ancien membre du PD, et très acceptable aux
yeux de Berlusconi, qui a lui-même été le premier à suggérer sa
reconduction. Bersani a accepté, avant d'annoncer finalement sa
démission en tant que secrétaire de son parti. Après cela, des
dizaines de cadres du PD ont brulé leur carte de membre en public
dans la rue.
Napolitano et la “responsabilité nationale”
Après la réélection du président de la
république, des étudiants sont descendus dans les rues avec des
panneaux dont les slogans paraphrasaient le titre d'un film des
frères Cohen : « Ce n'est pas un pays pour les
jeunes ». Napolitano est un vieux, une relique archéologique
de l'ère soviétique ; selon lui, alors qu'il était à
l'époque dirigeant de l'aile droite du Parti communiste italien
(financé par Berlusconi), l'intervention de l'Union soviétique
contre la révolution hongroise de 1956 était la seule
solution pour “empêcher le pays de sombrer dans le chaos et la
contre-révolution”, et de “préserver la paix mondiale”. Il
était ami de Benitto Craxi, le dirigeant corrompu du
Parti socialiste italien, et il a été le premier
“communiste” italien à avoir été invité aux États-Unis.
C'est lui qui est devenu la véritable figure dominante de la vie
politique italienne des dernières années. Il est le meilleur
représentant à Rome des intérêts de la Commission européenne,
et le plus ardent soutien de Mario Monti.
Napolitano a été loué pendant
l'ère Berlusconi en tant que “défenseur” ardent de la
moralité. En fait, en 2004, lorsqu'il siégeait au parlement
européen, un journaliste allemand l'a surpris à réclamer le
remboursement de 800 € pour un vol Bruxelles-Rome qui n'en
coutait que 80 ; il a réagi en envoyant la police arrêter
ce journaliste. Récemment, il a tenté d'interférer dans le procès
mené par les magistrats de Palerme concernant les accords entre
mafia et État dans les années '90, et a réussi à détruire
des cassettes sur lesquelles étaient enregistrées ses coups de fil
à Nicola Mancino, qui était ministre de l'Intérieur à
l'époque, et entre les principaux protagonistes du procès. Après
le récent scandale financier de Monte dei Paschi,
Napolitano a demandé à la presse de “ne pas faire trop de bruit”.
Quelques heures après que la nouvelle
de sa réélection ait été diffusée, des milliers de gens, dont
beaucoup de jeunes, ont assiégé le parlement en criant « Rodotà !
Rodotà ! » et « Napolitano, on ne veut pas de
toi ! ». Après l'élection, les députés du PD et du PdL
ont dû être escorté par la police pour pouvoir quitter le
parlement. Les gens jetaient des pièces au dirigeant du PD “de
gauche”. L'ex-vice-secrétaire Franceschini a été assiégé par
des centaines de gens dans un restaurant de Rome.
Un épisode de la vie politique qui est
entièrement lié à la superstructure d'État, tel que l'élection
du président, est devenu pour des milliers de gens, éreintés par
la crise économique et dégoutés par la politique, le symbole d'une
classe politique qui prêche le changement mais pratique le
conservatisme, est devenu une étincelle capable de déclencher un
incendie. Une vieille dame interviewée devant le parlement, disait :
« Il y a un mois, j'étais sur la place Saint-Pierre pour
célébrer le nouveau pape François I. L'Église catholique
nous donne l'impression de vouloir effectuer des changements. Mais
l'État italien n'est pas capable de faire la même chose ».
Grillo a décrit la réélection de
Napolitano comme un “mini-coup d'État”. Le soir même, il
invitait les Italiens à assiéger le parlement, annonçant que
lui-même y sera tard dans la soirée. « Nous devons être des
millions ». Mais quelques heures plus tard, il a annulé la
manifestation, sous prétexte qu'il vaudrait mieux « Isoler les
personnes violentes », et a donné l'heure d'un meeting sur une
place le lendemain. Mais ce jour-là, il n'est apparu pour parler que
quelques minuter. Les députés “grillinis”, qui sont les seuls
députés encore capables de se promener dans les rues de Rome sans
escorte, ont répondu aux gens qui demandaient à marcher sur la
résidence du président que “Ça n'en vaut pas la peine”. « Au
parlement nous sommes déjà nombreux, nous pouvons faire beaucoup de
trucs “cools” ! ».
Une gauche avec un minimum de
crédibilité serait parvenue à se glisser dans ce vide politique et
à jouer un rôle politique. Mais au lieu de ça, les dirigeants
auto-proclamés de la gauche radicale ont préféré se limiter à
critiquer Grillo pour ne pas avoir ce que eux-mêmes auraient dû
avoir fait
Le comédien Beppe Grillo et son “Mouvement cinq étoiles” est devenu l'expression du ras-le-bol contre les politiciens |
Responsabilité nationale
Napolitano, qui malgré ses 88 ans est à
nouveau prêt à se battre pour éviter au pays de “tomber dans le
chaos”, a donné la responsabilité de former le gouvernement à
Enrico Letta, un “jeune” dirigeant chrétien-démocrate du
PD, libéral, neveu de Gianni Letta. Ce dernier est un des bras
droits de Berlusconi, et un négociateur précieux dans le cadre des
palabres entre le “Cavalier” (Berlusconi), le centre-gauche et le
capitalisme italien et international ; il fait aussi partie du
conseil d'administration de Goldman Sachs depuis 2007.
Letta Junior a réussi à mettre sur place un
gouvernement techno-politique, confirmant à leur poste divers
ministres de Monti (mais pas Monti lui-même), dont le ministre des
Relations européennes – un signal rassurant pour
Bruxelles.
Sur la piste politique, alors que de hauts cadres du
PdL entrent au gouvernement afin d'y veiller aux intérêts
personnels de Berlusconi, la plupart des dirigeants du PD restent
en-dehors (Bersani et D'Alema compris). On n'y trouve que Letta et
Franceschini, qui tous deux viennent de la démocratie chrétienne,
quelques petits ex-dirigeants du Parti communiste, et de
nombreux illustres inconnus, des femmes et des jeunes (dont une femme
noire d'origine congolaise, ancienne championne de canoë et
aujourd'hui docteur), qui devront une gratitude éternelle à Letta
pour les avoir choisi après ce casting pour ce véritable nouveau
“reality show” des “Nouvelles têtes du palais Chigi”.
Mais les ministères les plus importants restent
fermement entre les mains de politiciens vétérans et de
fonctionnaires d'État expérimentés. Parmi eux, on trouve à
l'Économie l'ancien directeur général de la Banque d'Italie.
Ce gouvernement est censé être un gouvernement stable, capable de
durer juste assez longtemps pour pouvoir restructurer le système
politique afin d'éviter de se retrouver à nouveau sans une majorité
claire après les prochaines élections.
La version sociale de ce gouvernement de
“responsabilité nationale” est le pacte entre les producteurs
proposé à Turin par l'organisation patronale, Confindustria, aux
fédérations syndicales – CGIL, CISL, UIL – « Afin
de sauver les usines et le pays », parce que « Nous
sommes tous dans le même bateau » ; ce pacte a été
promptement signé par les syndicats. Quelques semaines plus tard,
les syndicats à Bologne ont invité les représentants de la
Confindustria à parler sur une plate-forme lors de la manifestation
du 1er Mai, devant à peine 300 personnes, dont beaucoup de
pensionnés et de bureaucrates syndicaux.
Landini, secrétaire général du syndicat des
métallurgistes Fiom, a répondu à la Confindustria que « Tout
comme à bord du Titanic, nous sommes tous dans le même bateau, mais
ceux qui sont dans la salle des machines seront les premiers à se
noyer », suscitant les reproches du secrétaire général
de la CGIL, Camusso. Le Fiom a appelé à une manifestation nationale
le 18 mai regroupant les ingénieurs, les étudiants et les
mouvements sociaux pour le droit au travail, le droit à l'éducation,
à la santé, à la justice sociale et à la démocratie. Cela aurait
pu être la première occasion de mesurer l'ampleur avec laquelle les
derniers développements politiques ont changé l'humeur dans les
rues.
Mais la Fiom, sans un relais politique clair, risque
de se voir broyée dans un étau : Landini a déjà commencé à
jouer un “demi-rôle” politique, vu le vide à gauche, suscitant
de grands espoirs, plus politiques que syndicaux, plus parmi les
militants en général que parmi sa propre base d'ouvriers
métallurgistes. D'un autre côté, il se voit contraint d'opérer
une retraite sur le front syndical à cause de subites défaites, de
son isolation politique et sociale et même d'une certaine
désorientation parmi le groupe dirigeant de la Fiom, sans une
stratégie syndicale claire et suspendu politiquement entre certaines
illusions vis-à-vis du centre-gauche et l'absence d'une alternative
de gauche crédible.
La gauche n'a pas de plan
Le PD sort de tous ces événements avec les os
brisés. Il a réussi de manière incroyable à passer d'une
situation où la droite était plongée dans le coma et où il avait
la victoire en poche, à la situation actuelle, où il a lui-même
remis Berlusconi au pouvoir, accompli des accords avec lui sous le
nez de son électorat, sans la moindre honte. Le PD s'est comporté
comme un pompier qui met le feu à sa voiture en plein jour et devant
sa propre maison afin de toucher l'assurance. À présent, il est en
train de préparer un congrès dans lequel Fabrizio Barca,
ancien ministre de Monti, devrait représenter la “gauche interne”.
Pendant ce temps, des voix très critiques se dressent parmi le
groupe dirigeant et des réalignements sont en train de se produire,
avec le vote de confiance pour Letta. Mais la véritable fracture,
incurable, qui indique clairement la fin du PD, est celle qui se
trouve entre lui et sa propre base social, et son électorat. Cette
fracture se révélera au grand jour au sein du syndicat CGIL, qui se
dirige vers son congrès qui sera marqué par cette crise
dévastatrice sur le plan politique, syndical et financier.
Si on peut dire que le PD a les os brisés,
alors les autres partis de gauche, dont la
Rifondazione comunista (RC), sont maintenant en phase de
décomposition. Nichi Vendola, du SEL (Gauche écologie
liberté), après un score électoral extrêmement embarrassant,
s'est vu forcé de rompre avec le PD et de soutenir la candidature de
Rodotà à la présidence. Il a également annoncé la création
d'une opposition “constructive et responsable” à Letta, et le
lancement d'un nouvel “atelier” de la gauche le 8 mai,
afin de rallier l'aile droite de la Rifondazione et certains renégats
du PD.
À la gauche de la RC, Cremaschi, l'ancien
numéro deux du syndicat Fiom, s'est maintenant retiré
pour lancer un nouvel appel à former un “mouvement libertaire et
anti-capitaliste”, avec la moitié des forces qui appartenaient à
“No debito” (”Non à la dette”) (un groupe
dans lequel ContoCorrente a entretenu des discussions, sans le
rejoindre pour autant).
L'Alba (Alliance pour le travail, les ressources
publiques et l'environnement) continue à proposer le lancement d'une
“nouvelle force politique), mais n'est dirigée que par une poignée
d'intellectuels, ne possède aucune base sociale, aucune force
organisée et aucun programme politique clair.
Le secrétaire de la RC, Ferrero, qui a démissionné
à la suite du résultat électoral désastreux, mais qui sera
responsable de l'organisation du prochain congrès (qui a été fixé
à la fin de l'année, malgré l'urgence de la situation), ne dirige
déjà plus qu'un parti virtuel qui n'existe plus que sur sa page
Facebook, sur laquelle il commente les initiatives des autres
groupements et donne des conseils à Grillo sur la tactique à
utiliser face au PD, que Grillo a la sagesse de ne pas suivre.
Au sein de la RC, sans son propre projet politique indépendant,
Ferrero suit l'Alba avec intérêt. Une partie de ses membres se sont
ralliés à l'appel de Cremaschi, l'autre tente un dialogue avec
Vendola.
Le Parti communiste des travailleurs, la
seule liste à affiche le Marteau et la Faucille – un symbole
qui possède toujours pour nous un certain appel – a atteint
un score historiquement bas lors de ces dernières élections. La
“Gauche critique” – la section italienne du SUQI
(Secrétariat unifié de la Quatrième internationale) –
traverse en ce moment sa énième scission. Falce Martello
(Faucillle Marteau), section italienne de l'IST
(International Marxist Tendancy), se prépare avec grand
enthousiasme pour le congrès de la RC, dans lequel ils se battront
contre le centre et la droite dirigées par Ferrero pour les
reliques posthumes de la RC.
C'est une véritable “traversée du désert” que
connait la gauche italienne en ce moment. L'absence d'une réponse
sociale généralisée contre l'offensive lancée par le
grand capital fait de l'ensemble des appels à “reconstruire
la gauche” autant de tentatives pathétiques de recoller quelques
morceaux de la bureaucratie syndicale et politique sans aucune idée
politique claire et incapable d'exercer le moindre pouvoir
d'attraction sur les travailleurs et les jeunes – tout cela au
bénéfice de Grillo.
Ces dirigeants de “gauche”, tout en passant leur
temps à citer Gramsci (dirigeant historique de la gauche italienne),
souvent à tort, se placent aujourd'hui sur le terrain de “la lutte
pour l'hégémonie” sur les couches populaires de l'électorat, lui
courent après, un jour le louant, l'autre jour le traitant de
fasciste. D'un autre côté, dans ce pays qui connaissait naguère le
plus grand Parti communiste d'Europe occidentale et un
mouvement de gauche extra-parlementaire extrêmement dynamique,
aujourd'hui, dans le contexte de crise syndicale et de stagnation de
la lutte de classes, nous voyons toute une génération de militants
de plus de 40 ans qui vivent avec le sentiment d'être
orphelins du passé et qui ne parviennent pas à devenir une
référence pour les jeunes. Le résultat en est que les meilleurs de
ces militants aujourd'hui passent leur temps à squatter de manière
informelle les tables des diverses organisations de gauche sans
s'engager, et se limitent à attendre de voir ce qui va se passer.
Seul un dégel, ne serait-ce que partiel, du conflit
de classes peut débloquer la situation, faire naitre de nouvelles
forces politiques et restaurer l'enthousiasme des vieux militants. Le
choc représenté par ce énième compromis entre la droite et le
centre-gauche, la perte définitive de toute crédibilité de la part
du PD et de la démocratie bourgeoise elle-même, la nouvelle vague
de mesures anti-sociales qui nous attend, pourrait forcer des
millions de gens à réaliser qu'il n'y a pas d'autre solution que la
lutte, en comptant sur leurs propres forces. Il serait nécessaire de
tenter de rebâtir de nos propres mains ce que les dirigeants de la
gauche ont détruit : un parti capable de donner une voix, un
programme et une organisation aux travailleurs et au peuple.
En attendant la reprise de la lutte… |
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